LA RATIFICATION DU TRAITE D'AMITIÉ, DE COOPÉRATION
ET DE PARTENARIAT RUSSO-UKRAINIEN
par
Hélène Hamant
Allocataire de recherche
Université de Paris 1 - Panthéon-Sorbonne
Résumé : Le 17 février 1999, le Conseil de la Fédération de Russie a ratifié le Traité d'amitié, de coopération et de partenariat, signé le 31 mai 1997 par les présidents de la Fédération de Russie et de l'Ukraine. Bien qu'il soit essentiellement déclaratif, ce Traité a profondément divisé les parlementaires russes. La polémique a porté sur la reconnaissance de la frontière actuelle russo-ukrainienne, dont le tracé est contesté en Russie.
Ce texte met néanmoins fin à une période transitoire en entérinant explicitement cette frontière commune. Ainsi pour certains, le Traité de 1997 confère un nouveau statut aux relations russo-ukrainiennes : pour la première fois, ce sont des relations interétatiques qui s'établissent entre les deux pays.
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Le 17 février 1999, le Conseil de la Fédération de Russie a ratifié le Traité d'amitié, de coopération et de partenariat (1), signé le 31 mai 1997 par les présidents de la Fédération de Russie et de l'Ukraine. Cette décision clôt de vives discussions qui ont longtemps agité les milieux politiques russes. Après avoir plusieurs fois débattu de la question, la Douma, la chambre basse du Parlement russe, avait finalement ratifié ce texte le 25 décembre 1998. Les adversaires de la ratification ont alors reporté leurs espoirs sur le Conseil de la Fédération, la chambre haute, et ont tenté de le dissuader de suivre la Douma.
Les parlementaires étaient partagés entre deux points de vue. Les uns affirmaient que la ratification permettrait de normaliser les relations avec l'Ukraine, les autres considéraient qu'il ne fallait pas ratifier tant que toutes les questions, notamment les différends territoriaux, n'étaient pas réglées.
La signature du traité le 31 mai 1997
Dès l'été 1992, dans un accord bilatéral signé à Dagomys (2), avait été annoncée la conclusion d'un vaste accord politique et économique, mais, depuis, elle avait été sans cesse reportée. En effet les négociations russo-ukrainiennes achoppaient sur le sort de la flotte de la mer Noire. Pour le président Eltsine, aucun traité d'amitié et de coopération ne pouvait être conclu tant que ce problème n'était pas réglé.
La dissolution de l'URSS a posé la question du partage de la flotte de la mer Noire, l'une des quatre flottes soviétiques, entre les nouveaux Etats. Lors de la création de la Communauté des Etats indépendants, les chefs d'Etat l'ont placée sous le commandement des forces stratégiques de la Communauté, dont ils venaient de décider la création. Très vite ils ont abandonné cette solution et opté pour un règlement entre les deux Etats les plus directement concernés, la Russie et l'Ukraine. Le partage des bateaux et des bases navales, toutes situées en Crimée, en particulier du port de Sébastopol, s'est avéré très difficile et a donné lieu à la signature d'une succession d'accords bilatéraux.
Finalement, le 28 mai 1997, trois grands accords sur la flotte de la mer Noire (3) ont été signés. L'un porte sur les paramètres du partage de la flotte, un autre détermine les conditions de la présence de la flotte de la mer Noire de la Fédération de Russie en territoire ukrainien et un troisième concerne les implications financières. Ces textes accordent à la Russie un bail d'une durée de 20 ans renouvelable pour plusieurs bases navales criméennes, dont notamment Sébastopol.
Le règlement de cette question a permis, trois jours plus tard, la conclusion entre les deux Etats de ce traité de politique générale attendu depuis plusieurs années. Aussi un lien étroit unit-il les accords et le nouveau traité. Ceci ressort clairement du communiqué conjoint des présidents Boris Eltsine et Léonid Koutchma sur les relations russo-ukrainiennes et de leur déclaration commune sur la flotte de la mer Noire du 31 mai 1997 (4).
Le débat à propos de la ratification : la reconnaissance de la frontière actuelle russo-ukrainienne
Le traité de 1997, bien qu'il soit essentiellement déclaratif, a profondément divisé les parlementaires russes. La polémique a porté sur la reconnaissance de la frontière actuelle russo-ukrainienne, dont le tracé est contesté en Russie. Le statut de la Crimée pose problème depuis la dissolution de l'URSS. Alors qu'elle faisait partie de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR), cette région a été rattachée à l'Ukraine en 1954 par Khrouchtchev pour commémorer le 300e anniversaire de l'union russo-ukrainienne. Dans le cadre de l'URSS, cette décision n'a entraîné qu'un changement des limites administratives intérieures. Il n'en a pas été de même lors de la proclamation par l'Ukraine de son indépendance, car celle-ci a emporté dans ses nouvelles frontières internationales cette presqu'île, peuplée en majorité de Russes. Aussi le Parlement de Russie a-t-il adopté plusieurs résolutions qui remettent en cause cette acquisition. Le 23 janvier 1992, le Soviet suprême de la Fédération Russie a décidé de réexaminer la légitimité et la constitutionnalité de l'acte de rattachement de la Crimée à l'Ukraine de 1954. Puis le 21 mai, il a proclamé que le décret du Présidium du Soviet suprême de la RSFSR du 5 février 1954 concernant le changement de statut de la Crimée était dépourvu de toute force juridique depuis son adoption, car, selon lui, il avait été adopté en violation de la Constitution de la RSFSR et de la procédure législative. Enfin, le 9 juillet 1993, il a déclaré propriété russe la ville de Sébastopol.
L'opposition des parlementaires russes a été provoquée par les dispositions du traité de 1997 selon lesquelles les parties affirment "respecter mutuellement leur intégrité territoriale et confirment l'inviolabilité de leurs frontières communes". Le Traité d'amitié, de coopération et de partenariat ne constituait-il pas pour la première fois reconnaissance de cette frontière ?
Le ministère des affaires étrangères de Russie a minimisé devant le Parlement la portée de ce texte sur ce point. Selon lui, des accords antérieurs ont déjà été signés entre la Russie et l'Ukraine. Les nationalistes ukrainiens et russes ont au contraire souligné l'enjeu du traité, les uns se félicitant que la Russie reconnaisse la frontière russo-ukrainienne, les autres ne se résignant pas à ce que leur pays renonce à ses prétentions sur la Crimée.
Les parlementaires russes hostiles au texte ont fait valoir plusieurs arguments visant à empêcher sa ratification. D'une part, il n'était pas indispensable de ratifier le traité de 1997, car on ne se trouvait pas dans une situation de vide juridique. En effet, il existait le traité russo-ukrainien du 19 novembre 1990 (5). Même si ce texte avait été signé entre deux pays qui avaient alors le statut de républiques fédérées au sein de l'URSS, il demeurait en vigueur puisqu'il avait été conclu pour une durée de dix ans. C'était précisément l'entrée en vigueur du traité de 1997 (en son article 39) qui entraînait son extinction. D'autre part, jusqu'à la signature de ce Traité d'amitié, de coopération et de partenariat, aucun document juridique n'avait selon eux reconnu la frontière russo-ukrainienne. Ils contestaient l'argumentation des partisans de la ratification selon laquelle la Russie l'aurait déjà acceptée dans le traité de 1990. Dans ce texte, les parties "reconnaissent et respectent l'intégralité territoriale de la RSFS de la Russie et de la RSS d'Ukraine" mais uniquement "dans les frontières existant dans le cadre de l'URSS". Enfin, les adversaires de la ratification soulignaient le lien entre le traité de 1997 et les accords de la flotte de la mer Noire, inacceptables pour eux. Babourine, l'un des vice-présidents de la Douma, a qualifié ces derniers de criminels : la Russie, en acceptant de louer la base de Sébastopol, reconnaissait implicitement celle-ci comme un territoire étranger.
La ratification : un tournant dans les relations juridiques entre la Russie et l'Ukraine
La ratification du traité de 1997 peut être perçue comme un tournant dans les relations juridiques entre la Russie et l'Ukraine. C'est le premier accord-cadre conclu entre les deux pays depuis la dissolution de l'URSS. Bien que des accords aient été signés après la proclamation par les deux Républiques de leur indépendance, ceux-ci ne concernaient que des domaines spécifiques. Ce texte met fin à une période transitoire. Il apparaît clairement comme ce "nouvel accord politique complet correspondant aux caractéristiques nouvelles de leurs relations" annoncé dans le préambule de l'accord signé à Dagomys le 23 juin 1992.
Il est également vrai que c'est le premier document bilatéral de cette nature entérinant aussi explicitement leur frontière commune.
Ainsi pour certains, le traité de 1997 confère un nouveau statut aux relations russo-ukrainiennes : pour la première fois, ce sont des relations interétatiques qui s'établissent entre les deux pays.
13 avril 1999
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© 1999 Hélène Hamant. Tous droits réservés.
HAMANT H. - "La ratification du Traité d'amitié, de coopération et de partenariat russo-ukrainien". - Actualité et Droit International, avril 1999 (http://www.ridi.org/adi).
NOTES
(1) Traité d'amitié, de coopération et de partenariat entre la Fédération de Russie et l'Ukraine, Kiev, 31 mai 1997, texte in Documents d'actualité internationale, n°16, 15 août 1997, pp. 583-586. (retour au texte)
(2) Accord entre la Fédération de Russie et l'Ukraine relatif au développement des relations entre les deux Etats, Dagomys, 23 juin 1992, Nations Unies, Assemblée générale et Conseil de sécurité, A/47/290, S/24204, 29 juin 1992. (retour au texte)
(3) Accord entre la Fédération de Russie et l'Ukraine relatif aux paramètres de partage de la flotte de la mer Noire, Accord entre la Fédération de Russie et l'Ukraine relatif au statut et aux conditions de la présence de la flotte de la mer Noire sur le territoire de l'Ukraine, Accord entre le Gouvernement de la Fédération de Russie et le Gouvernement de l'Ukraine relatif aux versements réciproques liés au partage de la flotte de la mer Noire et à la présence de la flotte de la mer Noire de la Fédération de Russie sur le territoire de l'Ukraine, Kiev, 28 mai 1997, textes in Documents d'actualité internationale, n°16, 15 août 1997, pp. 577-583. (retour au texte)
(4) Communiqué conjoint des présidents Boris Eltsine et Léonid Koutchma sur les relations russo-ukrainiennes, Déclaration commune des présidents Boris Eltsine et Léonid Koutchma sur la flotte de la mer Noire, Kiev, 31 mai 1997, textes in Documents d'actualité internationale, n°16, 15 août 1997, pp. 587-589. (retour au texte)
(5) Traité entre la RSFS de Russie et la RSS d'Ukraine, Kiev, 19 novembre 1990, texte in Romain Yakemtchouk, L'indépendance de l'Ukraine, Institut royal des relations internationales, Bruxelles, 1993, pp. 345-348. (retour au texte)
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