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LA RÉPRESSION DU TRAFIC DE STUPÉFIANTS EN HAUTE MER

par
Anthony Morosoli
Doctorant en droit international de la mer
Université de Paris I Panthéon-Sorbonne



Résumé : Au regard de l'importance prise aujourd'hui par le trafic maritime de stupéfiants, une lutte contre ce phénomène devient indispensable. Celle-ci passe nécessairement par la possibilité pour les Etats d'intervenir sur les navires étrangers en haute mer. Or, cette capacité ne va pas sans heurter certains principes juridiques essentiels. Comment, dès lors, le droit international conventionnel et la pratique des Etats se développent-ils en la matière ?



Peu après 1830, la Chine - où les fumeurs d'opium posent déjà un véritable problème de santé publique - va s'opposer aux importations sur son territoire de cette drogue en provenance des Indes franco-anglaises. Après la saisie d'une cargaison de 20 000 caisses d'opium sur un navire britannique dans le port de Canton, l'Angleterre victorienne, suivie par la France, va déclarer la guerre à l'Empire chinois au nom de la liberté du commerce des mers.
Les puissances coloniales en sortent rapidement victorieuses, ce qui permet la conclusion du Traité de Nankin en 1842 ; traité obligeant le vaincu à ouvrir cinq portes aux importations d'opium et à céder l'île de HongKong. Les exportations d'opium franco-anglais vers la Chine par la voie navale s'organisent alors à grande échelle.
Toutefois, dès 1870, des immigrants chinois vont faire pénétrer cette drogue sur le territoire américain en la dissimulant dans la cargaison et les bagages de navires marchands. Les Etats-Unis vont alors entrer en lice et se lancer dans une croisade mondiale pour la prohibition de l'opium, s'attirant les foudres de la France et de la Grande-Bretagne soucieuses de préserver un commerce lucratif.

En dépit de cette opposition, est adoptée en 1912 à La Haye, sous la pression américaine, une première Convention marquant le point de départ du contrôle international des drogues.
Il faut attendre la Convention Unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961, puis la Convention sur les psychotropes du 21 février 1971, pour que les Etats-Unis imposent définitivement à la société internationale leur guerre contre la drogue, lesdites conventions établissant un dispositif administratif prévoyant principalement la prévention du trafic illicite.
Cependant, la stratégie prophylactique mise en place se révèle rapidement impuissante face à l'ampleur que prend le commerce illicite des stupéfiants. Une contre-offensive globale s'avère donc indispensable. C'est là qu'intervient la Convention de Vienne du 19 décembre 1988 (entrée en vigueur le 11 novembre 1990), axée, quant à elle, sur la répression du trafic. Or, parmi les 34 articles contenus dans ce texte, on trouve une disposition - l'article 17 - concernant la lutte contre le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes en mer. Pourquoi en mer ?
Parce que les narcotrafiquants exploitent la facilitation généralisée du commerce interrégional, la multiplication des unions ou accords douaniers et l'accroissement du volume des échanges commerciaux et touristiques internationaux (notamment dans les pays en développement et à économie en transition), et l'on sait quels vecteurs essentiels de la mondialisation des échanges sont les espaces marins. Développer un dispositif de lutte contre le trafic maritime de stupéfiants devient donc décisif.

L'objectif des rédacteurs de l'article 17 de cette Convention est de donner aux Etats les moyens de débarrasser les étendues marines des drogues illicites en y exerçant des pouvoirs de police sur les navires étrangers. Cette capacité d'action est importante, mais les interventions d'Etats tiers en haute mer, pour pallier les carences des Etats dont ressortissent les bateaux contrebandiers - carences dues à la faiblesse de leurs structures navales, à l'étisie de leurs moyens répressifs et au laxisme y régnant pour immatriculer des navires - se heurtent à la règle de l'exclusivité de la loi du pavillon ; règle cardinale en droit international de la mer et qui procède de deux autres principes fondamentaux : la souveraineté des Etats et la liberté des mers.
Compte tenu de ces éléments, l'élaboration de la Convention de 1988 - c'est-à-dire d'un droit conventionnel assez souple, qui ménage les grands principes susmentionnés et suit les orientations données par la Convention de Montego Bay - va favoriser la genèse du droit d'intervention en haute mer sur les navires étrangers se livrant au trafic de stupéfiants, en laissant aux Etats le soin de développer par la suite au niveau régional ou bilatéral les possibilités offertes : leur confiant donc la densification de ce droit d'intervention.

I - LA GENÈSE DU DROIT D'INTERVENTION EN HAUTE MER SUR LES NAVIRES ÉTRANGERS SE LIVRANT AU TRAFIC DE STUPÉFIANTS

La répression du trafic maritime de stupéfiants relève d'un régime de coopération internationale dont le renforcement est préconisé par divers instruments internationaux.
La première étape de ce régime est constituée par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (1), notable à cet égard mais qui ne fait que confirmer l'exclusivité de la loi du pavillon. La Convention de 1988, elle, s'efforce d'amorcer une coopération internationale plus significative, en conservant toutefois la primauté des droits de l'Etat du navire.

A - LES INTERVENTIONS EN HAUTE MER ET L'EXCLUSIVITÉ DES DROITS DE L'ÉTAT DU PAVILLON

La naissance de la lutte contre le trafic de stupéfiants en haute mer est caractérisée par une disposition minimale - l'article 108 de la Convention de Montego Bay - décevante au regard de celles adoptées pour d'autres activités illicites développées en mer. Mais dès 1981, un accord américano-britannique va bouleverser ce schéma.

1. L'article 108 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982

Nonobstant l'importance du trafic de drogues en haute mer avant 1982, les conventions maritimes internationales ne se préoccupent pas de sa répression. C'est la Convention de Montego Bay qui la première, au niveau multilatéral, reconnaît l'importance du problème.
L'article 108 § 1 dispose que "Tous les Etats coopèrent à la répression du trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes auquel se livrent (…) des navires naviguant en haute mer."

On trouve certainement une obligation de coopération dans cette disposition, mais il ne s'agit au mieux que d'une obligation de moyens et qui ne fait en réalité que confirmer implicitement l'exclusivité des droits de l'Etat du pavillon.
Surtout, l'indigence de l'article 108 apparaît flagrante au regard de la juridiction universelle reconnue en matière de piraterie dans l'article 105 de la Convention de 1982. Pourtant, les trafiquants de drogue d'aujourd'hui pourraient bien enlever aux pirates contemporains la qualité d'"ennemis du genre humain" dont les avait gratifiés Cicéron.
Plus discutable encore : l'absence du trafic de stupéfiants de la liste prévue à l'article 110 des infractions dont la suspicion ouvre droit de visite et d'arraisonnement des navires étrangers (2).
On mesure la disproportion entre le régime de la répression du trafic de stupéfiants et celui, par exemple, de la répression des émissions radioélectriques non autorisées qui figurent, elles, à l'article 110.

2. L'Echange de Notes du 13 novembre 1981 entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Dès la fin des années 1970, des considérations géographiques et pratiques vont décider la puissante U.S. Coast Guard à lutter activement contre le trafic et à vouloir intervenir en haute mer sur les navires contrebandiers. C'est pourquoi, avant même la signature officielle de la Convention de 1982, les Etats-Unis négociaient un accord avec les Britanniques qui allait briser l'exclusivité de la loi du pavillon.
Cet accord est matérialisé par un échange de notes daté du 13 novembre 1981 et entré en vigueur immédiatement. Il reprend la tradition des liquor treaties du temps de la prohibition et est par nature non réciproque puisqu'il ne vise qu'à faciliter la répression des infractions aux lois américaines.

On y trouve l'autorisation de principe, de la part de la Grande-Bretagne, pour les navires officiels des Etats-Unis d'aborder, dans certains espaces définis de haute mer (3), les navires battant pavillon britannique pourvu qu'il existe un soupçon raisonnable qu'ils aient à bord une cargaison de stupéfiants destinée à l'importation sur le territoire américain.
Après l'abordage d'un navire, les autorités américaines peuvent en examiner les documents, prendre les mesures opportunes pour établir son lieu d'immatriculation et recueillir des renseignements auprès des personnes à bord. Puis, si nécessaire, les autorités américaines pourront procéder à une fouille du navire, voire à sa saisie, à sa conduite dans un port américain et à la poursuite des trafiquants.
L'Echange de Notes du 13 novembre 1981 va enregistrer de nombreux succès en pratique et devenir un modèle pour de futurs accords bilatéraux. Sur le plan multilatéral néanmoins, on ne saurait pour l'instant aller si loin. Aussi a-t-on choisi un mezzo termine entre la remise en cause péremptoire de la loi du pavillon telle qu'elle apparaît dans l'Accord de 1981 et la pusillanimité de la Convention de 1982.

B - LES INTERVENTIONS EN HAUTE MER ET LA PRIMAUTÉ DES DROITS DE L'ÉTAT DU PAVILLON

1. L'article 17 de la Convention de Vienne du 20 décembre 1988

Long de 11 paragraphes, l'article 17 de la Convention de Vienne est une véritable petite convention maritime. L'élément qui met en œuvre son dispositif réside dans le "motif raisonnable de soupçon de trafic illicite" (article 17 § 2), qui n'est pas sans rappeler l'Accord américano-britannique de 1981. Mais ce dernier ne souffre pas de comparaison plus soutenue.

En effet, l'article 17 de la Convention de 1988, loin de permettre à un Etat Partie d'aborder sans plus de formalités un navire étranger, laisse la primauté de la décision à l'Etat du pavillon. C'est seulement si ce dernier y consent que l'Etat désireux d'intervenir va pouvoir, aux termes de l'article 17 § 4, arraisonner et visiter le navire (ce qui est visé ici étant vraisemblablement l'enquête de pavillon et le droit de perquisition à bord du navire), puis si des preuves de participation à un trafic illicite sont découvertes, prendre les "mesures appropriées".
Que recouvrent concrètement ces autres mesures ? Il faut regretter l'imprécision du texte, mais on peut penser qu'il s'agira de l'immobilisation et du déroutement du navire, de l'arrestation des personnes et de la confiscation des marchandises se trouvant à bord (4).

2. Un cadre juridique pour la coopération internationale

L'article 17 se contente d'organiser la coopération internationale esquissée par la Convention de 1982 sans la rendre réellement plus contraignante. Les possibilités d'intervention accordées aux Etats demeurent très contingentes puisqu'il appartient à l'Etat du pavillon, et à lui seul, d'autoriser ou non l'Etat étranger à intervenir sur ses navires.

Aussi la véritable pierre de touche de l'article 17 réside-t-elle dans son neuvième paragraphe qui énonce que les "Parties envisageront de conclure des accords ou arrangements bilatéraux ou régionaux en vue de donner effet aux dispositions du présent article ou d'en renforcer l'efficacité". L'article 17 ne définit donc qu'un cadre juridique pour une coopération internationale qu'il appelle de ses vœux, laissant aux Etats Parties le soin de la renforcer au travers d'arrangements chargés d'en fixer les formules concrètes.
Donner effet aux dispositions de l'article 17 et en renforcer l'efficacité : tel est l'objet de l'Accord de Strasbourg de 1995 ainsi que du traité italo-espagnol de 1990.

II - LA DENSIFICATION DU DROIT D'INTERVENTION EN HAUTE MER SUR LES NAVIRES ÉTRANGERS SE LIVRANT AU TRAFIC DE STUPÉFIANTS

Pour atteindre ses pleins effets, la Convention de 1988 exige donc de nombreuses désinences. Si les développements conventionnels bilatéraux et régionaux apparus dans son sillage restent jusqu'à présent rares et concentrés en Europe, on y trouve des mécanismes juridiques assez évolués permettant des interventions rapides d'Etats tiers en haute mer et permettant même parfois de se passer de l'autorisation préalable de l'Etat du pavillon.
Certaines nations audacieuses tentent d'autre part d'influer unilatéralement sur le contenu du droit international relatif à la lutte contre le narcotrafic maritime.

A - L'ESSOR DE L'ACTION CONVENTIONNELLE DES ÉTATS

A l'heure actuelle, hélas, l'essor dont il est question reste pour le moins emprunté. Seuls deux accords significatifs visent à parachever l'œuvre entreprise par l'article 17 de la Convention de Vienne : l'"Accord relatif au trafic illicite par mer", ouvert à la signature à Strasbourg le 31 janvier 1995 sous l'égide du Conseil de l'Europe mais non encore en vigueur, et le Traité entre le Royaume d'Espagne et la République Italienne pour la répression du trafic illicite de drogue en mer, signé à Madrid le 23 mars 1990 et entré en vigueur le 7 mai 1994 ; celui-ci connaissant encore le droit de l'Etat du pavillon de subordonner à son autorisation toute interférence sur ses navires en haute mer, et celui-là souscrivant à un authentique droit d'intervention réciproque pour les Etats Parties.

1. Le Traité italo-espagnol de 1990

Cet accord bilatéral accorde à ses signataires un droit d'intervention réciproque sur leurs navires respectifs et non conditionné par le consentement préalable de l'Etat du pavillon, à la différence de l'Accord de 1981.
L'article 5 § 2 donne le détail des mesures que peut prendre l'Etat intervenant. Curieusement est d'abord mentionné un droit de poursuite (5), puis le droit d'"arrêter et aborder le navire, vérifier les documents, interroger les personnes à bord et, si demeurent des soupçons raisonnables, fouiller le navire, saisir la drogue et arrêter les personnes impliquées, ainsi que, si nécessaire, escorter le navire jusqu'au port approprié le plus proche…"

L'abandon d'une part de sa souveraineté par un Etat, même au profit d'un proche voisin, ne saurait se faire qu'au prix de quelques mesures de précaution. En sorte que, s'attachant aux poursuites pénales succédant à l'intervention, le Traité de 1990 reconnaît à l'Etat du pavillon une certaine "compétence préférentielle" (article 4 § 2). Mais on ne peut méconnaître le fait que l'Etat qui s'est donné la peine d'agir et d'appréhender un navire interlope entende aussi mener la procédure pénale à son terme et exercer sa compétence juridictionnelle (6). Le Traité de 1990 prévoit donc que l'Etat du pavillon peut renoncer à sa dite compétence préférentielle sous requête de l'Etat intervenant (article 6 § 1).

2. L'Accord du Conseil de l'Europe de 1995

Cet accord, long de 36 articles, est le second complément essentiel de l'article 17 de la Convention de 1988. Cependant, en raison de sa nature multilatérale, l'Accord de Strasbourg est en net recul par rapport au Traité bilatéral de 1990. De plus, et en dépit de sa prudence, son entrée en vigueur reste très improbable vues ses difficultés d'implantation dans les ordres juridiques internes des Etats Parties. Il n'en reste pas moins qu'il remplit clairement son rôle consistant à compléter l'article 17 de Convention de Vienne.
Suivant ce texte, l'Etat Partie désireux d'intervenir à bord d'un navire soupçonné de trafic doit, pour chaque cas, se procurer une autorisation auprès de l'Etat du pavillon, qui plus est de manière formelle. L'Etat requis peut bien entendu refuser cette autorisation et il n'est d'ailleurs pas tenu de motiver son opposition. Toutefois, s'il accepte une intervention, il peut subordonner son consentement à conditions. L'Etat requérant devra alors composer avec ces exigences.

L'article 9 § 1 donne en revanche un luxe de détails concernant les mesures pouvant être prises par l'Etat intervenant. Il lui est tout d'abord permis d'arrêter le navire, de monter à son bord et d'en prendre le contrôle effectif. Il peut alors le fouiller, ouvrir les conteneurs, procéder à des tests et prélever des échantillons, demander à toute personne des informations, exiger la production de tous documents et en faire des photographies ou copies. Enfin, il peut saisir et mettre sous scellés tout élément de preuve découvert.
A la suite de quoi, l'Etat intervenant peut escorter le navire jusqu'à son territoire, l'immobiliser aux fins d'entreprendre des investigations plus poussées et, s'il détient des preuves qu'une infraction a été commise, procéder aux arrestations des personnes concernées (article 10 § 1).
Mais la véritable originalité de l'Accord réside surtout dans le fait qu'il se penche sur la question du recours à la force ; décision qui n'est certainement pas étrangère à la fréquence avec laquelle des mesures de cette nature ont été mises en œuvre dans le cadre de ses précédents bilatéraux. L'usage des armes devra toujours être un dernier recours et rester raisonnable et proportionné au vu des circonstances de l'espèce (article 12 § 1).
Enfin, l'Accord du Conseil de l'Europe ne manque pas, lui non plus, de consacrer le concept de "compétence préférentielle", afin que l'Etat de nationalité du navire puisse assumer la responsabilité des poursuites subséquentes à l'intervention.

B - L'ESSOR DE L'ACTION INTERNE DES ÉTATS

La lutte contre le trafic de stupéfiants en mer est le fait des Etats. Cette affirmation s'apparente à une lapalissade, mais elle mérite qu'on y prête attention. On sait que la pratique des Etats est la source du développement du droit coutumier. Certains Etats en sont bien conscients ; aussi assiste-t-on occasionnellement à des actions ou législations nationales volontairement aventureuses. L'application des droits nord-américain et italien illustre bien ce phénomène et paraît en veine de presser fermement l'évolution du droit international en la matière.

1. Le droit américain relatif à la lutte contre le narcotrafic maritime

Le 1986 Maritime Drug Law Enforcement Act est une loi spécialement intéressante. Il y est prévu que les Etats Unis pourront exercer leur juridiction sur un navire étranger en haute mer non seulement si l'Etat du pavillon y consent, mais encore s'il ne s'y oppose pas. Ce qui en ressort est clair : une volonté farouche de lutter contre le trafic maritime de stupéfiants, quitte à prendre quelques libertés vis-à-vis du droit international en procédant ouvertement à une application extraterritoriale des compétences américaines.

En pratique, les incidents se multiplient depuis 1990, notamment au large de l'Amérique latine. Le 31 janvier 1990, une unité de la U.S. Coast Guard ouvrait le feu, dans les eaux internationales au large des côtes mexicaines, contre un cargo présumé cubain mais battant pavillon panaméen - le navire Hermann - soupçonné de se livrer au trafic de stupéfiants, afin de le soumettre à inspection. Selon les autorités américaines, il ne s'agissait que d'une "opération légale de maintien de l'ordre dans les eaux internationales".
Le gouvernement cubain, pour sa part, protesta vigoureusement et le Conseil de sécurité des Nations Unies fut amené à considérer la question. Cependant, le gouvernement panaméen ayant apparemment autorisé l'arrêt et l'inspection du navire concerné, le Conseil de sécurité ne donna pas de suite à l'initiative cubaine (7). Cet exemple nous semble illustrer un mouvement général de la pratique américaine qui cherche à établir des précédents dangereux, incitant d'autres nations à agir de la sorte.

2. Le droit italien relatif à la lutte contre le narcotrafic maritime

L'Italie se situe au centre d'un bassin maritime semi-fermé : la Méditerranée. De plus, elle partage cet espace avec d'autres Etats riverains, dans lesquels la production et le raffinage de drogues atteignent des niveaux élevés. Or, les côtes italiennes échancrées offrent des retraites fort appréciées des trafiquants ressortissants de ses voisins.
Afin de contrer un tel phénomène, les autorités italiennes ont rapidement pris des dispositions législatives, et en particulier la loi n° 162 du 26 juin 1990. Son article 25 donne des pouvoirs coercitifs aux bâtiments de guerre et de police italiens à l'encontre des navires étrangers en haute mer soupçonnés de se livrer au trafic de stupéfiants "dans les limites prévues par les normes de l'ordre international". La loi italienne de 1990 annonce ainsi qu'en fonction de l'évolution du droit international, des droits d'intervention supplémentaires en haute mer seront accordés. Mais les autorités italiennes ont manifestement fait preuve d'impatience.

En effet, le 12 mars 1986, les unités aéronavales de la Guardia di finanza et de la Marine militaire italienne procédaient à la capture en haute mer, à 80 milles nautiques de capo Spartivento (Sardaigne) et à 30 milles au nord de cap Bon (Tunisie), du cargo Fidelio ; navire arborant un pavillon de complaisance - plus précisément du Honduras - et servant au trafic de stupéfiants sur une large échelle.
L'épicentre de cette affaire était l'assertion du ministère public qu'il existait une règle coutumière internationale autorisant les Etats à intervenir en haute mer pour la répression du trafic de drogues. Evidemment, l'existence d'une telle règle aurait permis de surmonter les limites de la compétence pénale nationale pour des faits commis par des étrangers, hors du territoire italien.
Le juge d'instruction, dans sa sentenza-ordinanza di rinvio a giudizio émise le 28 mai 1987, va lui-même considérer que "concernant le trafic international de stupéfiants, on est fondé à retenir que désormais existe une norme coutumière qui, au-delà des limites gênantes posées par les règles écrites en vigueur, autorise, dans des cas déterminés, l'intervention même en haute mer en vue de réprimer ce trafic abject" (nous traduisons et soulignons).
Cependant, le tribunal, puis la Cour d'appel de Palerme dans son arrêt du 1er juin 1992, vont refuser d'adopter la politique prétorienne proposée par les magistrats du parquet et de rendre une décision sub specie legis ferendae. Quant au groupe organisé de trafiquants : il restera impuni, ayant profité de l'implication d'un pavillon de complaisance dans cette affaire et de l'intangible principe de l'exclusivité de la loi du pavillon.

En conclusion, deux tendances contemporaines se dessinent dans le domaine de la lutte contre le trafic de stupéfiants en haute mer.
La première, raisonnable, appartient à la plupart des Etats, qui préfèrent un droit évoluant avec lenteur ; ici synonyme de prudence. Ces derniers remettent même en cause aujourd'hui l'utilité des interventions directes en mer, privilégiant d'autres modes de répression qui ménagent à la fois leur souveraineté et le principe de la liberté des mers.
Quant à la seconde tendance, elle reflète le point de vue de ceux qui voudraient voir s'amorcer sans atermoiements des mutations profondes en la matière. Ce parti est résolument pris par les Etats-Unis et l'Italie, d'abord dans les arrangements bilatéraux aux dispositions énergiques qu'ils ont su faire accepter à leurs partenaires, mais aussi dans leur pratique interne et leur comportement sur la scène internationale. Leurs desseins sont limpides : il s'agit de se voir reconnaître, à terme, un droit d'intervention sans réserve en haute mer sur les navires étrangers. Certes, de telles conduites restent pour l'instant minoritaires. Pourtant, on commence à voir nombre de petits pays s'y résoudre et se dessaisir de leurs compétences répressives, notamment au profit des Etats-Unis. En sorte que si d'autres nations se rallient à cette position et si l'on veut bien se souvenir que le droit international est le fait des Etats, il n'est pas exclu que le trafic illicite de stupéfiants par voie de mer entre un jour dans la sphère des vieux crimina juris gentium, à l'instar de la piraterie ou de la traite des esclaves.

25 mai 1999

* * *

© 1999 Anthony Morosoli. Tous droits réservés.

MOROSOLI A. - "La répression du trafic de stupéfiants en haute mer". - Actualité et Droit International, juin 1999 (http://www.ridi.org/adi).


NOTES

(1) Signée à Montego Bay le 10 décembre 1982 et entrée en vigueur le 16 novembre 1994. (retour au texte)
(2) Liste qui comprend la piraterie, le transport d'esclaves, les émissions non autorisées, la navigation d'un navire sans nationalité ou d'un navire qui est en réalité de la même nationalité que le bâtiment d'Etat procédant à la visite et l'arraisonnement. (retour au texte)
(3) Ces espaces comprennent le golfe du Mexique, la mer des Caraïbes, une large frange de l'océan Atlantique à l'ouest du méridien de 55° de longitude Ouest et au sud du parallèle de 30° de latitude Nord. L'Accord couvre donc des espaces considérables et tous les principaux points de navigation dans les Caraïbes, les espaces maritimes ceignant les territoires dépendants de la Grande-Bretagne autres que les Bermudes, et toutes les zones importantes de trafic aux abords des Bahamas. (retour au texte)
(4) Le silence sur la saisie du navire est remarquable et significatif du désaccord des Etats sur la possibilité d'y recourir. Néanmoins, le système de gré à gré instauré par la Convention permet d'élargir considérablement les possibilités d'un Etat Partie, même jusqu'à l'exercice de sa compétence juridictionnelle. (retour au texte)
(5) Faut-il en déduire que ce droit de poursuite échapperait de la sorte aux conditions prévues par les règles générales du droit de la mer ? Mais alors à quelles conditions obéirait-il ? Rien n'est indiqué. (retour au texte)
(6) Surtout lorsque l'on sait les coûts et l'étendue des moyens nécessairement engagés dans de telles opérations. (retour au texte)
(7) Le fait que le Panama ait subi l'invasion des Etats-Unis pour y installer un nouveau gouvernement rendait cependant les contours de cette affaire quelque peu obscurs. En outre, il faut se souvenir que les Etats-Unis sont membre permanent du Conseil de sécurité et disposent d'un droit de veto, ce qui n'est sans doute pas étranger à la susdite décision ; il s'en faut. (retour au texte)
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