Quelques remarques sur l’interdiction de stationner
d’armes
et de dispositifs explosifs nucléaires dans les zones dénucléarisées
par
Marco Roscini
Doctorant
en droit international
Université
de Rome «La Sapienza»
mroscini@iol.it
Résumé :
Les quatre zones dénucléarisées instituées
jusqu’à aujourd’hui n’interdisent pas la présence de réacteurs nucléaires
ou de déchets radioactifs, mais seulement celle d'engins qui peuvent exploser.
L’interdiction du stationnement constitue la différence la plus remarquable
entre les traités de dénucléarisation et le Traité sur la non-prolifération
des armes nucléaires. Le transit de navires avec des armes nucléaires,
cependant, n’est pas explicitement interdit.
Abstract :
The four treaties establishing
nuclear weapon-free zones do not prohibit the presence of nuclear reactors or
of radioactive waste, but only the stationing of nuclear explosive devices
within the zone. The prohibition of stationing is the main difference between
these treaties and the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons
(TNP). However, the transit of nuclear armed vessels through the zones is not
expressly forbidden.
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Le
premier accord international à prévoir la dénucléarisation d’une région
habitée du globe terrestre (l’Amérique latine et les Caraïbes) remonte à
1967 et fut conclu à Tlatelolco (un quartier de Mexico), grâce aux efforts
diplomatiques du prix Nobel García Robles. Ce n’est qu’après vingt années
qu’on est arrivé à la constitution d’une deuxième zone dénucléarisée
dans l’Océan Pacifique sud, avec la conclusion du Traité de Rarotonga. Le
Traité de Bangkok, qui concerne l’Asie du sud-ouest, a été signé le 15 décembre
1995 et est entré en vigueur en 1997, tandis que le Traité de Pelindaba, qui
bannit les armes nucléaires de l’Afrique, a été ouvert à la signature le
11 avril 1996 : avec son entrée en vigueur, près de 45% de la surface
terrestre (l’entier hémisphère austral) sera libre du nucléaire militaire.
I.
- La définition d’arme et de dispositif explosif nucléaires
Avant
de s’occuper de l’interdiction du stationnement, il faut faire quelques
remarques sur son objet. On pourrait se demander, en effet, si on a voulu
interdire des zones uniquement les armes ou bien le matériel nucléaire en général.
La question n’est pas dépourvue d’importance : au contraire, de sa résolution
dépend, entre autres, l’éventuelle présence, à l’intérieur des zones,
des navires et des sous-marins à propulsion nucléaire. Selon les quatre traités,
la caractéristique principale d’une arme nucléaire est sa capacité à
exploser et à libérer de l’énergie d’une manière incontrôlée :
elle doit donc provoquer une explosion pour être soumise aux règles des traités.
Seuls les engins où la réaction nucléaire se propage d’une façon extrêmement
rapide, presque instantanée, sont explosifs, parce que, eux seuls, provoquent
une grande quantité d’énergie relâchée en un intervalle de temps très
court. Cela ne se vérifie pas dans les réacteurs conventionnels et expérimentaux,
parce que la réaction en chaîne ne se propage pas de façon exponentielle
(comme il arrive, au contraire, dans le cas d’armes atomiques) grâce à la réabsorption
d’une partie des neutrons libres : la chaleur produit de la vapeur, qui
provoque le mouvement de turbine. Dans une note du 24 août 1966, en effet, le
gouvernement britannique déclara interpréter l’article 5 du Traité de
Tlatelolco comme ne comprenant pas les navires à propulsion nucléaire (G.
Fischer, «La non-prolifération des armes nucléaires», Annuaire français de droit international, 1967, p. 90). Une
confirmation indirecte vient aussi du Traité sur la non-prolifération des
armes nucléaires, qui, même s’il ne contient aucune définition des armes
nucléaires, s’occupe seulement des réactions nucléaires incontrôlables et
ne bannit pas les mécanismes de propulsion qui se basent sur l’énergie nucléaire :
c’est là, au moins, l’interprétation accueillie par l’Union Soviétique,
par les Etats-Unis et par la doctrine dominante.
On
ne peut pas même considérer comme dispositif explosif le matériel nucléaire
déjà employé et retraité, parce qu’il possède une basse densité
d’uranium 235 et qu’il n’est pas assez puissant pour provoquer une
explosion. Cela vaut aussi pour les projectiles à la pointe d’uranium épuisé,
puisque la concentration de l’isotope fissile U235 est trop basse
pour amorcer une réaction nucléaire et exploser.
De cette exposition synthétique, on peut conclure que les traités de dénucléarisation,
en requérant que l’engin puisse exploser, ne bannissent pas le nucléaire en
général, puisque, en l’absence d’interdictions spécifiques, ils ne
s’opposent pas à la présence, à l’intérieur de la zone, de déchets
radioactifs et de moyens de transport à propulsion nucléaire. Certes, un choix
plus draconien aurait été préférable, si l’on tient compte du fait que
l’uranium enrichi employé comme carburant est le même qui se trouve dans
quelques ogives atomiques : ce matériel peut donc être l’objet d’un
emploi illicite parallèle à celui qui est officiellement déclaré (et
permis). La définition de “dispositif explosif nucléaire”, en outre, ne
comprend pas «le moyen de transport ou de lancement de ce dispositif, s'il peut
en être séparé et ne forme pas une partie intégrante de celui-ci».
Il en dérive que navires, avions ou sous-marins, même s’ils sont
habituellement équipés avec des armes atomiques,
peuvent transiter librement si, le cas échéant, ils en sont dépourvus.
II. - L’INTERDICTION DU STATIONNEMENT DES
ARMES NUCLÉAIRES
Les
traités de dénucléarisation interdisent le stationnement d’armes et de
dispositifs explosifs nucléaires à l’intérieur des limites des zones.
“Stationner”, aux termes de l’art. 1, al. d
du Traité de Bangkok, signifie «déployer, placer, implanter, installer,
accumuler ou stocker», sans que l’on éclaircisse avec précision, par
exemple selon des critères temporels, la différence avec le passage :
on se réfère, de toute façon, à une situation plus importante que le simple
accostage pour le ravitaillement ou pour la réparation d’une panne technique.
On peut employer, pour trouver un critère distinctif, l’art. 18, par. 2 de la
Convention de Montego Bay, qui, en définissant la notion de “passage” du
navire dans la mer territoriale, requiert qu’il soit «continu et rapide.
Toutefois, le passage comprend l’arrêt et le mouillage, mais seulement
s’ils constituent des incidents ordinaires de navigation ou s’imposent par
suite d’un cas de force majeure ou de détresse ou dans le but de porter
secours à des personnes, des navires ou des aéronefs en danger ou en détresse».
Selon cette interprétation, donc, un passage lent de façon injustifiée
pourrait équivaloir au stationnement, et être ainsi interdit.
L’interdiction
du stationnement contenu dans les traités de dénucléarisation marque une
grande différence avec le TNP. Ce dernier se fonde - on le sait bien - sur la
distinction entre Pays militairement et non militairement nucléaires.
On interdit seulement aux seconds de posséder des armes nucléaires, tandis que
la situation des premiers est légitimée (même si, aux termes de l’art. VI,
les Etats militairement nucléaires ont assumé, comme contrepartie, une
obligation générale de négocier le désarmement nucléaire complet).
L'interdiction de la possession d’armes nucléaires imposée à un Etat
n’entraîne pas nécessairement la dénucléarisation de son territoire. Le
TNP, en effet, permet aux Etats dotés
de l'arme nucléaire de déplacer des engins atomiques sur le territoire
d’un Etat non doté de l'arme nucléaire, à condition que ce dernier n’en
acquière le contrôle.
Cette solution est à la base de la politique de la dissuasion nucléaire, qui a
permis aux deux superpuissances, durant la “guerre froide”, de déployer
leurs armements respectifs dans les Pays membres de l’OTAN et du Pacte de
Varsovie, sans violer le TNP.
Plus récemment, on peut penser au cas de la succession aux armements nucléaires
soviétiques : l'Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan, malgré les
armes nucléaires déplacées sur leurs territoires, ont pu adhérer au TNP
comme Etats non dotés de l'arme nucléaire,
puisque ces engins se trouvaient sous le contrôle de la Russie. Les zones dénucléarisées,
au contraire, interdisent les armes et les dispositifs explosifs nucléaires
dans leurs territoires, quiconque en ait la possession ou le contrôle.
C’est pourquoi Shaker a écrit que «la non-prolifération au sens du TNP
n’est pas la non-dissémination. Celle-ci est en revanche mieux réalisée par
la formule des zones exemptes» (M. Shaker,
«Zones exemptes d’armes nucléaires et zones exemptes d’armes de
destruction massive», in Le droit
international des armes nucléaires, journée d’études, Société française
pour le droit international, Paris, 1998, p. 58).
III.
- LE TRANSIT ET LE TRANSPORT DES ARMES NUCLÉAIRES
Il
faut distinguer le stationnement, qui est interdit, du transport et du transit.
Le Groupe d’experts chargé de l’élaboration du Traité de Tlatelolco a
donné une définition de ces derniers : le transit consiste dans le «passage
par la zone d’armes nucléaires, telles qu’elles sont définies dans le
traité instituant la zone, par un Etat qui n’est pas partie au traité - y
compris l’entrée dans les ports de la zone de navires ayant à bord des armes
nucléaires», tandis que le transport arrive «dans des véhicules appartenant
à l’un quelconque des Etats qui constituent la zone même en dehors de la
zone elle-même» (texte cité par S. Szurek,
«Zones exemptes d'armes nucléaires et zones de paix dans le Tiers-Monde», Revue
générale de droit international public, 1984, p. 182). Il est donc
nécessaire de distinguer deux situations : celle des Parties au traité
qui institue la zone dénucléarisée et celle des Etats tiers. Pour les premières,
la prohibition est implicite dans l’interdiction générale de la possession
de n’importe quel explosif nucléaire, même de celui qui est lié au
transport maritime. En ce qui concerne les seconds, on soutenait déjà en 1976
que le transit de navires avec des armes nucléaires dans les eaux territoriales
et intérieures d’un Etat dénucléarisé «could in fact be incompatible with
the basic aim of ensuring total absence of such weapons in the zone» (Comprehensive
Study of the Question of Nuclear-Weapon-Free Zones in All Its Aspects (Special Report of the Conference of the Committee on Disarmament), U.N.
Document A/10027/Add. 1, New York, 1976, annex I, par. 157). Les Traités de
Rarotonga, Bangkok et Pelindaba, pourtant, ne résolvent pas explicitement la
question, mais ils se limitent à prévoir que toute Partie contractante puisse
décider «d'autoriser ou non les escales de navires et aéronefs étrangers
dans ses ports et aéroports, le transit dans son espace aérien d'un aéronef
étranger, la navigation de navires étrangers dans ses eaux territoriales ou
archipélagiques et le survol de ces eaux par un aéronef étranger, d'une manière
qui n'est pas régie par le droit de passage inoffensif, le droit de passage
dans les voies de circulation archipélagiques ou le passage en transit».
Le problème fut particulièrement discuté au sein du Groupe d’experts chargé
de la rédaction du texte de l’accord de Pelindaba, sous la pression des Etats
nucléaires favorables à l’inclusion d’une norme qui permette explicitement
le transit, sans que l'Etat côtier pût faire une distinction entre les navires
selon leur cargaison ou leur armement. On décida enfin d’adopter une norme
inspirée de l’article 5, par. 2 du Traité de Rarotonga, en remettant
prudemment la décision à chacun des Etats contractants.
Dans le Traité de Tlatelolco, il n’y a pas une norme semblable, et le transit
maritime n’est pas explicitement interdit. Selon l’interprétation donnée
en 1967 par la COPREDAL (Preparatory
Commission for the Denuclearization of Latin America), pourtant, toute
Partie, sauf accord contraire entre les Etats intéressés, a le droit souverain
de décider de permettre ou non l’entrée de moyens de transport nucléaires
d’Etats non contractants dans les espaces soumis à sa juridiction.
En
tout cas, il semble incontestable que «the fact that the Treaty of Tlatelolco
does not expressly ban the transit of nuclear weapons through the zone does not
imply that such transit is to be allowed» (Comprehensive Study of the Question of Nuclear-Weapon-Free Zones,
cit., Annexe I, par. 33, al. c).
Mars 2001
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© 2001 Marco Roscini. Tous droits réservés. ROSCINI M. – "Quelques remarques sur
l'interdiction de stationner d'armes et de dispositifs explosifs nucléaires
dans les zones dénucléarisées". – Actualité et Droit International,
mars 2001 (www.ridi.org/adi).
NOTES
Voir le Rapport final de la quatrième session de la COPREDAL :
«1.
Si le transporteur est l’une des Parties Contractantes, le transport tombe
sous le coup des prohibitions expressément contenues dans les autres
dispositions de l’article 1 sans qu’il soit nécessaire de le préciser
puisque ledit article interdit "toute forme de possession de n’importe
quelle arme nucléaire, directement ou indirectement, en propre, par mandat
d’un tiers ou de n’importe quelle autre façon".
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