SOUVERAINETÉ
DE L'ÉTAT ET QUALITÉ DE MEMBRE
DE L'OTAN ET DE L'UNION EUROPÉENNE
par
Paul Tavernier
Professeur
à l’Université de Paris-Sud (Paris XI)
Directeur
du CREDHO
Résumé :
Le droit international repose sur la souveraineté
des États et la Charte des Nations Unies mentionne en premier lieu parmi les
principes qui gouvernent l’Organisation mondiale le principe de l’égalité
souveraine. Le préambule du Traité de l’Atlantique Nord (1949) se réfère
expressément “aux buts et principes de la Charte des Nations Unies”, donc
implicitement au principe d’égalité souveraine. Quant au Traité instituant
la Communauté européenne (1957), le préambule renvoie aux “principes de la
Charte des Nations Unies” à propos de la solidarité qui lie l’Europe et
les pays d’outre-mer, et le Traité sur l’Union européenne (Maastricht,
1992) les mentionne aussi, à propos des objectifs de la politique étrangère
et de sécurité commune (PESC) à l’article J.1 (article 11 depuis le traité
d’Amsterdam, 1997). Toutes ces références ne suffisent pas à rassurer les
“eurosceptiques” et ceux qui sont hostiles à la construction européenne.
Ils craignent les conséquences de l’intégration militaire dans l’OTAN et
de l’intégration économique, sociale, juridique et politique dans l’Union
européenne. Ces craintes sont-elles justifiées ? L’auteur ne le pense pas et
présente quelques éléments de réflexion en donnant d’abord des indications
à propos du débat général sur la souveraineté dans les relations
internationales et dans le droit international (I), puis en examinant
successivement la question de la souveraineté au moment de l’acquisition de
la qualité de membre de l’OTAN et de l’UE (II), puis durant la période
d’exercice de cette qualité (III), et enfin au moment de la répudiation de
cette qualité (problème du retrait et de l’exclusion) (IV).
Abstract :
International law rests on
state sovereignty and the principle of sovereign equality is the first
governing principle of the United Nations according to Article 2(1) of the UN
Charter. The preamble of the North Atlantic Treaty (1949) refers explicitly to
the “goals and principles of The United Nations Charter”, thus, it
implicitly refers to the principle of sovereign equality. The preamble of the
European Community Treaty (1957) refers to
“the principles of the United Nations Charter” as far as the solidarity
between Europe and overseas countries is concerned. These principles are also
mentioned by article J.1 of the Treaty on European Union (Maastricht, 1992, now
article 11 since the Amsterdam Treaty, 1997), which deals with the aims of the
Common foreign and security policy (CFSP). All these references do not suffice
to reassure “Eurosceptics” and opponents to the Uniting of Europe. They
fear consequences of military integration in NATO and economic, legal and
political integration in the European Union. Are these fears justified ? The
author does not think so and will present some reflections about the general
debate on sovereignty in international relations and in international law (I).
Then, he will examine successively the issue of sovereignty with regards to the
accession to membership in NATO and in the EU (II), to exercise of membership
(III), and to relinquishment of membership, i.e. issues of withdrawal and
exclusion (IV).
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Le
droit international classique repose sur la souveraineté des Etats et la Charte
des Nations Unies mentionne en premier lieu parmi les principes qui gouvernent
l’Organisation mondiale le principe de l’égalité souveraine :
“L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de
tous ses Membres” (article 2 § 1)”.
Le préambule du Traité de l’Atlantique Nord (Washington, 4 avril 1949) se réfère
expressément, à son premier alinéa, “aux buts et principes de la Charte des
Nations Unies”, donc implicitement au principe d’égalité souveraine. Quant
au Traité instituant la Communauté européenne (Rome, 25 mars 1957), le préambule
renvoie aux “principes de la Charte des Nations Unies” à propos de la
solidarité qui lie l’Europe et les pays d’outre-mer, et le Traité d’Union
européenne (Maastricht, 7 février 1992) les mentionne aussi, à propos des
objectifs de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) à
l’article J.1 (article 11 depuis le traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997).
Toutes
ces références ne suffisent pas à rassurer les “eurosceptiques” et ceux
qui sont hostiles à la construction européenne. Ils craignent les conséquences
de l’intégration militaire dans l’OTAN et de l’intégration économique,
sociale, juridique et politique dans l’Union européenne. Ces craintes
sont-elles justifiées ? Nous ne le pensons pas et nous voudrions présenter
quelques éléments de réflexion en donnant d’abord quelques indications à
propos du débat général sur la souveraineté dans les relations
internationales et dans le droit international (I), puis en examinant
successivement la question de la souveraineté au moment de l’acquisition de
la qualité de membre de l’OTAN et de l’UE (II), puis durant la période
d’exercice de cette qualité (III), et enfin au moment de la répudiation de
cette qualité (problème du retrait et de l’exclusion) (IV).
I.
- Le dEbat gEnEral sur la souverainetE de l’Etat dans les relations
internationales et dans le droit international
Il
est couramment admis — et cela est devenu une banalité, voire un lieu commun
— que la souveraineté est actuellement une notion dévaluée aussi bien dans
les relations internationales que dans le droit international. Pour ma part, je
voudrais développer ici une thèse moins conformiste sur le plan intellectuel,
et plus hétérodoxe, même si elle n’est pas vraiment iconoclaste.
Ceux
qui s’intéressent à la vie internationale mettent volontiers l’accent sur
la “mondialisation” de l’économie et la “globalisation” des problèmes
internationaux. L’observation de l’actualité semble leur donner raison.
Cette mondialisation qui “résulte des progrès techniques dans les secteurs
des transports et des communications” et qui “permet l’universalisation du
marché”
se traduit dans la crise de l’Etat souverain et la dévalorisation des frontières
nationales sur le plan économique et aussi juridique. Dès lors “les sociétés
transnationales et les organisations non gouvernementales déploient leurs stratégies
dans la société mondialisée dans laquelle ce qui est valorisé c’est ce qui
circule ; les flux transfrontaliers relèvent d’autres logiques que celles des
souverainetés territoriales”.
On pourrait sans doute montrer que ces phénomènes sont fort anciens, même
s’ils ont pris une ampleur sans précédent à l’heure actuelle. Dès la fin
du XIXe siècle et au début du XXe, on a souvent mis l’accent sur
l’internationalisation des rapports économiques et Léon Bourgeois, l’un
des pères de la SDN, voulait transformer ces solidarités de fait en solidarité
de droit.
Il
est vrai que l’on passe aisément des solidarités de fait aux solidarités
imposées, c’est-à-dire, en définitive, à l’impérialisme, négation de
la souveraineté des Etats ou confiscation de la souveraineté au profit d’un
seul Etat. L’histoire des relations internationales depuis 1945, avec la
division du monde en deux blocs antagonistes, en fournit amplement
l’illustration. Avec la disparition de l’URSS, la mondialisation refléterait
la victoire d’une seule superpuissance, absorbant, pour son seul bénéfice,
la souveraineté des autres Etats. Sur le plan européen, la suppression de
toutes les frontières intérieures dans l’Union (article B du Traité sur
l’Union européenne, devenu article 2 avec le traité d’Amsterdam) et l’établissement
d’un marché unique qualifié de “marché intérieur” (article 3 c du
Traité instituant la Communauté européenne) a suscité les vives critiques
des défenseurs de la souveraineté de l’Etat.
Il
est vrai que la dévalorisation de la notion de frontière sur le plan
international et la disparition des frontières intérieures en Europe, peut
soulever des problèmes, notamment en ce qui concerne la lutte contre la
criminalité transfrontière ou le contrôle de l’immigration. Mais il est
abusif d’en conclure que l’Etat a perdu sa souveraineté en ces domaines.
La
souveraineté, contrairement à ce que certains affirment, n’est pas un
pouvoir absolu. Comme le faisait remarquer, à l’époque de la SDN, un grand
juriste français, Jules Basdevant, “l’Etat est l’autorité la plus haute
dans l’ordre juridique actuel ; cette autorité est donc l’autorité suprême
; on est fondé à l’appeler l’autorité souveraine puisqu’il n’y a pas
d’autorité établie qui lui soit supérieure. On rappellera à cet égard que
personne n’hésite à dire que la Cour de cassation est la Cour souveraine
dans l’ordre judiciaire en France et à dire la même chose pour la Cour suprême
des Etats-Unis”.
Par
ailleurs, la notion de souveraineté n’est pas une donnée immuable. Si les
Etats avaient cru trouver dans l’article 2 § 7 de la Charte des Nations Unies
un rempart infranchissable contre tout empiètement sur leur souveraineté,
l’interprétation évolutive qui en a été donnée par les organes de l’ONU
(Conseil de sécurité et Assemblée générale) a montré qu’il n’en était
rien. Sans même parler d’un véritable droit d’ingérence,
on peut remarquer que la distinction entre les conflits internationaux et les
conflits internes a tendance à s’estomper et même à disparaître. Le
Conseil de sécurité a de plus en plus souvent recours à l’article 39 et au
chapitre VII dans des situations internes, sans implications internationales
directes, et la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux pour
l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda a confirmé l’effacement de la frontière
entre conflits internationaux et conflits internes en matière de droit
international humanitaire.
La création des juridictions pénales internationales peut être considérée,
en elle-même, comme portant atteinte à la souveraineté judiciaire des Etats,
ce qui explique les nombreuses résistances de la part des Etats qui se considèrent
“souverains” en la matière, notamment à propos des arrestations de
personnes inculpées ou de l’audition en tant que témoins de certains de
leurs ressortissants.
La
souveraineté de l’Etat apparaît donc attaquée de toutes parts, aussi bien
pour les politologues qui s’intéressent à l’étude des relations
internationales, que pour les juristes qui s’attachent à l’examen des règles
du droit international. Pourtant la situation d’un Etat membre au sein d’une
organisation internationale, même aussi intégrée que l’OTAN ou la Communauté
européenne/Union européenne, laisse encore une large place à la souveraineté,
c’est-à-dire qu’elle permet à l’Etat de conserver le dernier mot.
II.
- SouverainetE et acquisition de la qualitE de membre de l’OTAN et de l’Union
europEenne
Un
Etat ne peut pas devenir membre de l’OTAN et/ou de l’Union européenne en
manifestant unilatéralement sa volonté d’acquérir cette qualité. Il doit
suivre une procédure, qui peut paraître contraignante, mais qui ménage la
souveraineté, non seulement des Etats appartenant à ces organisations, mais
aussi celle des Etats candidats. Bien que la procédure soit différente à l’OTAN
et dans le cadre de l’Union européenne, elle repose finalement sur un accord
entre toutes les parties intéressées, donc sur une manifestation de
souveraineté.
L’article
10 du Traité de l’Atlantique Nord prévoit une invitation de la part des
Etats parties et une adhésion de la part du candidat. L’invitation doit résulter
d’un “accord unanime” et se trouve consignée dans un protocole
d’accession au Traité (par exemple protocole du 22 octobre 1951 pour la Grèce
et la Turquie, protocole du 23 octobre 1954 pour la République fédérale d’Allemagne,
protocole de décembre 1981 pour l’Espagne). Avant que l’Etat candidat
puisse déposer son instrument d’accession auprès du gouvernement des
Etats-Unis d’Amérique, tous les Etats doivent avoir ratifié le protocole.
Dernièrement le processus d’accession a été entamé pour trois Etats : la République
tchèque, la Hongrie et la Pologne. L’invitation à engager des pourparlers a
été lancée à Madrid en juillet 1997 et les protocoles d’accession ont été
signés à Bruxelles le 16 décembre 1997. Une fois les procédures de
ratification accomplies, l’accession des trois nouveaux Etats est intervenue
le 12 mars 1999 et ceux-ci ont été accueillis officiellement à l’occasion
du cinquantième anniversaire de l’Alliance.
Quant
au Traité sur l’Union européenne, l’article O, devenu article 49 dans le
traité d’Amsterdam, a unifié la
procédure d’adhésion qui était prévue dans les trois traités. Celle-ci
comprend une phase communautaire, avec une décision du Conseil à l’unanimité,
et une phase interétatique, comportant un accord entre les Etats membres et
l’Etat demandeur fixant les conditions de l’admission et les adaptations
requises en ce qui concerne les traités sur lesquels est fondée l’Union. La
souveraineté de tous les Etats, membres et candidats, est parfaitement respectée
puisque l’accord doit être ratifié par eux, conformément à leurs règles
constitutionnelles respectives. Il ne s’agit pas d’une prérogative purement
formelle, comme le montre l’exemple de la Norvège, qui, à deux reprises, a
renoncé à adhérer aux Communautés européennes. La souveraineté de l’Etat
candidat est donc respectée jusqu’à la phase finale de l’adhésion,
notamment si l’opinion publique considère que les modalités de l’adhésion,
telles qu’elles ont été négociées, ne sont pas satisfaisantes.
Il
est vrai que parmi les conditions de l’adhésion figure traditionnellement le
respect de l’ “acquis communautaire”. Cette condition peut paraître très
contraignante pour l’Etat candidat et hypothéquer fortement sa souveraineté,
sur le plan économique et juridique. Le candidat doit en effet accepter non
seulement les règles contenues dans les traités, mais tout le droit dérivé
qui est issu de ceux-ci. Cette obligation est très lourde et les Etats
candidats ont en général entrepris les réformes nécessaires bien avant
l’adhésion effective : il en a été ainsi notamment de la Pologne et des
Etats avec lesquels l’Union européenne a décidé d’engager des négociations
(notamment Chypre, République tchèque, Estonie, Hongrie et Slovénie). Il faut
noter par ailleurs que les candidats à l’adhésion ont toujours obtenu
l’insertion dans les Actes d’adhésion de périodes transitoires, parfois
fort longues, qui leur permettent de s’adapter, sur le plan juridique et économique,
à leur nouvelle situation. Cela fournit aussi l’occasion de régler certains
problèmes liés aux susceptibilités nationales.
Si
la notion d’ “acquis” a été mise en lumière essentiellement dans le
cadre communautaire, elle se retrouve dans le cadre de l’OTAN. On peut même
dire que le respect de l’acquis par les Etats adhérents est un principe général
du droit des organisations internationales : les Etats qui deviennent
membres d’une Organisation internationale acceptent non seulement les droits
et obligations qui découlent directement de la Charte constitutive, mais aussi
ceux qui tirent leur origine du droit dérivé de l’Organisation. Cela vaut
pour l’ONU, comme pour l’Union européenne ou l’OTAN. En ce qui concerne
celle-ci, le problème de l’acquis est moins aigu que pour l’Union européenne,
mais il existe néanmoins. Cela a parfois posé des problèmes, par exemple lors
de l’accession de l’Espagne. Les Etats de l’OTAN ont d’ailleurs pris des
mesures pour faciliter la transition et préparer l’accession des nouveaux
membres alors que ceux-ci adoptent des mesures afin de remplir pleinement leur
place dès que l’accession sera devenue effective.
La
question de l’“acquis” préfigure déjà l’imbrication des souverainetés
étatiques dans l’Organisation internationale, alors que la procédure d’adhésion
préserve entièrement la souveraineté du candidat.
III.
- SouverainetE et exercice de la qualitE de membre de l’OTAN et de l’Union
europEenne
De
même que l’Etat manifeste sa souveraineté en adhérant à une organisation
internationale, il l’exerce aussi en participant à l’activité de celle-ci
en qualité d’Etat membre. Cela se traduit dans les règles qui régissent le
processus de prise de décision, mais aussi dans celles qui fixent le domaine de
compétence de l’Organisation et réservent aux Etats un champ d’activité
non négligeable.
En
ce qui concerne la prise de décisions au sein de l’OTAN, elle obéit à la règle
de l’unanimité, notamment au Conseil, seul organe établi directement par le
Traité de l’Atlantique Nord (art. 9). Les délibérations du Conseil peuvent
être considérées comme des décisions ou comme de véritables accords (en
forme simplifiée), mais dans tous les cas, il n’y a aucun abandon de
souveraineté sur le plan juridique. Toutefois la prolifération des organes
subsidiaires créés par le Conseil a entraîné la mise en place d’une
structure militaire très intégrée qui peut donner l’impression que la
souveraineté de l’Etat est susceptible d’être malmenée. Cependant les
exemples récents d’intervention de l’OTAN sur le terrain, notamment en
ex-Yougoslavie, montrent que l’accord des Etats est toujours requis. Quant à
l’engagement juridique fondamental figurant à l’article 5 du Traité de
Washington, il préserve entièrement la souveraineté de l’Etat. Certes,
selon ce texte, “les Parties conviennent qu’une attaque armée contre
l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord
sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les Parties”, mais
chacune d’elles prendra “individuellement et d’accord avec les autres
Parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi
de la force armée pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de
l’Atlantique Nord”.
Il n’y a par conséquent aucun engagement automatique d’assistance qui
pourrait hypothéquer la souveraineté de l’Etat. La situation est différente
à l’UEO où l’engagement résultant de l’article 5 est considéré comme
automatique.
Quant
aux Communautés européennes et à l’Union européenne, le processus de décision
a beaucoup évolué. Il est extrêmement complexe et diversifié selon les matières.
Les traités ont prévu l’adoption des décisions du Conseil à la majorité
simple (peu fréquente en pratique), à la majorité qualifiée (ce qui est le
cas le plus courant) ou à l’unanimité (ancien article 148 CE, devenu article
205 avec le traité d’Amsterdam). Même si la tendance générale a conduit à
réduire les cas où l’unanimité est requise, elle est encore exigée dans un
nombre d’hypothèses non négligeable, ce qui préserve largement la
souveraineté des Etats. De plus, l’unanimité est imposée si le Conseil désire
s’écarter de la proposition de la Commission (art. 250 CE, ancien art. 189
A). En dernier ressort, un Etat peut invoquer le fameux “compromis de
Luxembourg” intervenu à la suite de la crise de 1965-66 et toujours en
vigueur malgré les discussions qui ont eu lieu à son sujet à plusieurs
reprises. Ce compromis permet en pratique à un Etat de recourir à un véritable
veto pour s’opposer à l’adoption d’une mesure lorsque, à son avis, des
intérêts nationaux très importants sont en jeu. Même si on a pu douter de la
légalité d’une telle procédure, elle a été acceptée en pratique et elle
est devenue sans doute une règle coutumière, qui fait partie de l’acquis
communautaire.
Si
les règles de procédure constituent des lignes de défense extrêmement
efficaces pour la préservation de la souveraineté des Etats, certaines règles
concernant le fond et la substance même du droit communautaire vont dans le même
sens. Il est vrai que l’emprise du droit communautaire semble de plus en plus
envahissante.
De nouveaux domaines de la vie sociale sont soustraits à la compétence des
Etats et soumis à ses règles par suite d’une jurisprudence audacieuse de la
Cour de Justice des Communautés européennes et du Tribunal de première
instance. Parmi les exemples les plus significatifs, on peut citer l’arrêt
Bosman (CJCE, 15 décembre 1995) qui fait entrer les activités sportives dans
le champ d’application du droit communautaire. Quant à la jurisprudence
relative à l’article 119 et à l’égalité des sexes, elle ouvre sans cesse
de nouvelles perspectives. Pourtant, certaines décisions récentes de la
juridiction communautaire semblent indiquer que ce mouvement d’extension
n’est pas irréversible et qu’un reflux du droit communautaire n’est pas
inconcevable, notamment du fait de l’élargissement de l’Union européenne.
Une
telle tendance jurisprudentielle s’appuie évidemment sur le principe de
subsidiarité proclamé solennellement dans l’article 3 B du Traité
instituant la Communauté européenne (devenu article 5 avec le traité d’Amsterdam),
qui est mentionné déjà dans l’article B in fine du Traité sur l’Union
européenne (article 2 depuis le Traité d’Amsterdam) et qui est sous
sous-jacent dans l’article 6 (ancien article F) dont le troisième alinéa énonce
clairement que “l’Union respecte l’identité nationale de ses Etats
membres” (ce texte reprend celui de l’ancien article F, alinéa 1er). Certes
les adversaires de Maastricht et d’Amsterdam ne seront pas rassurés et
verront dans ces dispositions une vision fédéraliste de la construction européenne,
qui s’accommode fort bien d’une superposition de deux souverainetés : celle
de l’Etat fédéré et celle des Etats fédérés. A cet égard la formule
figurant à l’article 71 du Droit international codifié de Bluntschli
pourrait s’appliquer parfaitement à l’Union européenne : “La souveraineté
de l’Union s’exerce dans les limites de la compétence constitutionnelle du
pouvoir central, et la souveraineté des Etats particuliers dans les affaires spéciales
de chacun de ces Etats”.
Toutefois,
quelles que soient les analyses que l’on adopte, les Etats qui adhèrent à
l’Union européenne auraient tort de négliger les ressources que leur offre
le principe de subsidiarité pour défendre leur souveraineté. Le Traité d’Amsterdam
leur fournit encore d’autres possibilités à cet égard avec la notion de
“coopération renforcée” qui consacre l’idée d’une Europe à deux ou
plusieurs vitesses. Cette idée suscite d’ailleurs les craintes de ceux qui
soutiennent une certaine conception de la construction européenne reposant sur
les principes établis par les pères fondateurs de l’Europe. Parmi ces
principes, ils rangent certainement celui de l’irréversibilité du processus
de développement de l’Europe, et, pour eux, poser le problème de la sortie
d’un Etat de ce processus, alors que celui-ci a accepté souverainement d’y
participer, leur apparaît non seulement comme inconcevable, mais totalement
sacrilège et iconoclaste. On ne saurait pourtant y échapper.
IV.
- SouverainetE et rEpudiation de la qualitE de membre de l’OTAN et de l’Union
europEenne
Le
Traité d’Union européenne ne prévoit pas la possibilité du retrait d’un
Etat membre ou son exclusion.
Est-ce à dire que le problème ne se pose pas ? Une telle attitude négative
serait totalement irréaliste. Quant au Traité de l’Atlantique Nord, il prévoit
à son article 13 que toute Partie pourra y mettre fin, en ce qui la concerne,
à condition que le traité ait été en vigueur pendant vingt ans. La dénonciation
doit être notifiée au gouvernement des Etats-Unis, dépositaire du traité, et
elle produira ses effets un an plus tard. Ces dispositions sont applicables
depuis le 24 août 1969, soit vingt ans après l’entrée en vigueur du Traité.
Cela n’a pas empêché la France de se retirer
l’Organisation dès 1966, alors même que le retrait n’était
juridiquement pas possible. Il est vrai que le général De Gaulle avait pris
soin de préciser qu’il répudiait l’Organisation, mais non pas
l’Alliance. Toutefois l’Alliance et l’Organisation sont étroitement
imbriquées et l’expérience ultérieure a montré qu’il était très
difficile et très artificiel de séparer les deux. Depuis lors, la France est
revenue progressivement et sans vouloir le dire dans l’Organisation. Cet
exemple prouve qu’il est pratiquement impossible de s’opposer à la volonté
politique clairement exprimée d’un Etat qui désire exercer son droit
souverain de ne plus participer à une organisation internationale.
Le
cas de la France à l’OTAN mérite d’être médité si l’on se tourne vers
les Communautés européennes et l’Union européenne, d’autant plus que les
traités sont muets sur le retrait d’un Etat membre. Le Traité instituant la
Communauté européenne (art.312, ancien art. 240) et le Traité Euratom (art.
208) précisent seulement qu’ils sont conclus pour une durée illimitée,
alors que le Traité CECA a été conclu pour une durée de 50 ans à compter de
son entrée en vigueur (art. 97). Le Traité sur l’Union européenne est également
conclu pour une durée illimitée (art. Q, actuellement art. 51), mais cela ne
modifie pas fondamentalement le problème.
Il en est de même de l’article 13 du Traité d’Amsterdam. Toutefois, un élément
nouveau est intervenu avec la possibilité introduite à l’article F.1 (actuel
article 7 du Traité sur l’Union européenne) de suspendre les droits de
certains Etats membres, notamment le droit de vote au Conseil, en cas de
violation grave et persistante des principes énoncés à l’article 6,
paragraphe 1 (principes de liberté, de démocratie, de respect des droits de
l’Homme et de l’Etat de droit). Certes, le retrait n’est pas prévu, ni
l’exclusion, mais on devra manier avec précaution l’arme de la suspension
des droits car l’Etat visé pourrait saisir ce prétexte pour se retirer de
l’Union européenne et il serait vain, alors, de lui opposer des arguments
purement juridiques.
L’expérience
prouve que des arrangements ont été trouvés lorsque certains Etats ont brandi
la menace d’un retrait, comme ce fut le cas de la Grande-Bretagne, ou du
Danemark, à propos du Groenland et du Traité de Maastricht. La doctrine a même
envisagé la possibilité d’un retrait par voie d’accord entre l’Etat intéressé
et les autres Etats membres.
Mais il faut sans doute aller plus loin encore et admettre qu’un Etat peut
invoquer sa souveraineté pour se retirer unilatéralement.
Cela traduirait évidemment une crise politique extrêmement grave de la
construction européenne, mais celle-ci échapperait-elle à la règle du caractère
périssable de toute institution humaine ? En définitive, la souveraineté de
l’Etat possède un caractère irréductible, qui peut être limité du fait de
l’appartenance à des organisations internationales ou à des institutions
aussi intégrées que l’OTAN ou l’Union européenne, mais qui ne disparaîtra
jamais complètement.
En effet, par delà les analyses purement juridiques, il faut tenir compte des
éléments de fait et de la situation politique et, comme le faisait remarquer
Charles de Visscher, “la souveraineté, telle que l’ont forgée des siècles
d’histoire, tient, qu’on le veuille ou non, à la politique, comme au
droit”.
Avril 2001
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© 2001 Paul Tavernier. Tous droits réservés. TAVERNIER P. – "Souveraineté de l'Etat et
qualité de membre de l'OTAN et de l'Union européenne". – Actualité et Droit International,
avril 2001 (www.ridi.org/adi).
NOTES
Cette étude est issue d’une communication présentée en anglais sous le
titre “State sovereignty and membership in NATO and EU” lors du colloque de
Varsovie des 22-25 octobre 1998 sur “Sovereignty and Integration”, organisé
par le Centre for Europe de l’Université de Varsovie. Les actes de ce
colloque ont fait l’objet d’une publication en polonais, sous la direction
de Wladyslaw Czaplinski, Irena Lipowicz, Tadeusz Skoczny et Miroslaw Wyrzykowski
: “Suwerennosc i Integracja Europejska”, Varsovie, 1999, 325 p.
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