LES
ASPECTS JURIDIQUES DE LA QUESTION CHYPRIOTE
par
Sevki Akdag
ATER
en Droit public à la Faculté de Droit de Perpignan
Résumé :
Depuis la
division de l’île en 1974, suite à l’opération militaire de la Turquie,
la question chypriote n’a toujours pas été résolue. Au-delà même du
conflit interethnique, Chypre est un élément de discorde entre Ankara et Athènes.
Les parties ne sont jamais parvenues à un accord définitif, malgré des avancées
significatives sur certains points. La résolution de ce contentieux dépendra
probablement des pressions exercées sur la Turquie par les organisations
internationales, notamment les Nations Unies, l’Union européenne et le
Conseil de l’Europe. Ce travail est une tentative visant à expliquer
les thèses juridiques des protagonistes.
Abstract :
Since
the division of the island in 1974, following the Turkish military operation,
the Cypriot question is still not solved. Beyond the interethnic conflict,
Cyprus is an element of discord between Ankara and Athens. The parties never
reached a final agreement, in spite of some significant progress. The resolution
of this dispute will probably depend on the pressures put on Turkey by the
international organizations, in particular the United Nations, the European
Union and the Council of Europe. This work is an attempt aiming at explaining
the legal arguments of the protagonists.
Impression
et citations : Seule la version
au format PDF fait référence. Note
: Les opinions émises dans cet article n'engagent que son auteur. |
L’île
d’Aphrodite (surnom de l’île),
d’une superficie de 9.251 km2, est la plus grande de la Méditerranée
orientale. Après avoir été peuplée en premier par des groupes venus de l’Anatolie,
au IVème millénaire avant J.-C., Chypre a été à travers les siècles
la cible des grandes puissances.
La conquête de Chypre par les Ottomans, en 1571, a permis la constitution d'un
noyau dur de communauté turque composée de soldats et de familles venues
d'Anatolie, et l’île fut ainsi gouvernée pendant plus de 307 ans par
les Turcs.
En 1878, la Turquie tombe sous le coup d'une manœuvre habile des britanniques
et leur livre temporairement Chypre en échange de la promesse d’une aide
militaire en cas d’attaque russe. Mais à ce moment, la Turquie ne se doutait
pas que le traité de Lausanne de 1923 allait conduire à la perte définitive
de Chypre.
Avant
d’expliquer la situation actuelle du conflit (III), il faudra analyser la
position des parties à la suite de la proclamation de la République turque de
Chypre Nord (RTCN) (II). Mais voyons tout de suite les arguments avancés pour
justifier l’opération militaire de 1974 (I).
I.
- L’explication juridique de l’opération du 20 juillet 1974
Après
cinq années de lutte armée entre la puissance coloniale et les Chypriotes
grecs, qui revendiquent l’Enosis
(union avec la Grèce) à laquelle sont farouchement opposés les Chypriotes
turcs - qui préfèrent de loin la domination britannique -, Chypre a accédé
à l’indépendance en 1960 dans un contexte de tension entre les deux
communautés ethniques.
A.
- Les difficultés provenant des institutions et du régime de 1960
La
mise en vigueur des accords de Zurich et de Londres du 11 février 1959,
que le médiateur des Nations Unies à Chypre, Galo Plaza, qualifie de « bizarrerie
constitutionnelle »,
pose des difficultés immédiatement après la proclamation de la République.
1.
Le contenu intrinsèque de la Constitution de 1960
Cette
Constitution instaure un régime présidentiel où tous les pouvoirs sont partagés
entre les deux communautés et à tous les niveaux. Le pouvoir exécutif est
conféré à un président de nationalité grecque et à son adjoint, vice-président,
de nationalité turque. Chacun possède un droit de veto sur toutes les
questions importantes. Le pouvoir législatif appartient à la Chambre des Représentants
élus pour 5 ans au suffrage universel séparément par les communautés grecque
et turque. Cette Chambre comprend 35 Grecs et 15 Turcs, soit un ratio de 70 % et
30 %. Le pouvoir judiciaire est représenté par une Cour suprême qui effectue
les arbitrages. Cette Cour est composée d'un Chypriote grec et d'un Chypriote
turc et présidée par un juge neutre désigné conjointement par le président
et le vice-président. Quant à la Haute Cour, qui fait office de cour d'appel,
siègent deux Chypriotes grecs et un Chypriote turc, ainsi qu'un juge neutre
disposant de deux voix. Le professeur Charles Zorgbibe qualifie le gouvernement
de Chypre de « gouvernement de juges », d'autant que les fonctions
sont strictement déterminées par la Constitution et qu'il est possible de
former un recours contre l'usage discriminatoire du veto devant la Haute Cour
Constitutionnelle.
En
ce qui concerne la répartition des postes entre les deux communautés dans la
fonction publique et les services publics, les parts dans l'administration se
composent de 70 % de Chypriotes grecs et de 30 % de Chypriotes turcs. Les
Chypriotes turcs se voient attribuer 40 % des emplois de l'armée et notamment
un des commandements de l'armée, de la police ou de la gendarmerie.
Les
insulaires hellènes considèrent que cette « constitution défectueuse »
a des dispositions « absurdes et peu pratiques », c’est pourquoi ils essaieront de la réformer.
2.
Des positions inconciliables : maintien des privilèges contre volonté de
révision
Une
lecture minutieuse de la constitution de 1960 montre très clairement que
l'intention visée est d'établir un équilibre entre les intérêts des
communautés chypriote grecque et chypriote turque de l'île. Dans sa thèse,
Marie-Pierre Richarte dit que la constitution veut « prévenir toute forme
de domination due à des critères démographiques ».
Toujours est-il que, à peine après l'indépendance des difficultés empêchant
le bon fonctionnement de l'Etat sont apparues. En mars 1961, une première crise
est née avec le refus du vote d'un budget par les députés turcs soit disant
à cause du refus des Chypriotes grecs d'accorder 30 % des postes du secteur
public aux Chypriotes turcs.
Pour
les Grecs, la communauté turque se sert de ses privilèges pour paralyser le
fonctionnement des institutions et du gouvernement. Ils pensent que les
sacrifices consentis sont trop lourds et que des révisions sont nécessaires
pour parvenir à un « équilibre réel ». Ainsi dès novembre 1963,
le président de la République, Mgr Makarios, propose aux dirigeants de la
communauté chypriote turque une série d'amendements à la Constitution.
Cependant,
les Chypriotes turcs et la Turquie s'opposent à toute modification
qui aboutirait, selon eux, à l'Enosis
et provoqueraient « l'anéantissement » de la communauté turque.
Les Turcs considèrent les accords de Zurich et de Londres comme une victoire et
ils estiment que la constitution ne qualifie à aucun moment la communauté
turque de minorité, mais qu'au contraire elle met les deux parties sur pied d'égalité.
Les représentants des Chypriotes turcs emploient fréquemment les termes de
« fédération fonctionnelle », de « partnership Republic »
ou de « bi-communal State » pour défendre leur point de vue.
L’éloignement
des positions est très net. Les Hellènes ont l'intention « de trouver
une solution basée sur le maintien d'un Etat unifié, indépendant et souverain ».
Ils suggèrent une Charte stipulant des droits de minorité aux Chypriotes turcs
et un nouveau système constitutionnel à Chypre. Les dirigeants chypriotes
accusent la Turquie d'avoir des visées séparatistes. D'après eux, l'échec de
l'entente est imputable aux Chypriotes turcs qui sur le terrain œuvrent dans le
sens de la mère patrie par leur rigidité et leur politique intentionnelle
d'isolement.
Les
Turcs ne partagent pas ces points de vue. Les Grecs, en s'obstinant à exiger la
levée du droit de veto, la
suppression des assemblées communautaires, le regroupement de la police et de
la gendarmerie, l'unification de la justice, l'abaissement à 20 % de la
participation des Turcs à la fonction publique et en faisant la sourde oreille
à tout projet d'autonomie, auraient entravé les discussions. Selon la doctrine
turque, les Grecs se cramponneraient au concept classique d'Etat unitaire parce
que c'est le meilleur moyen pour réaliser l’Enosis.
Les Grecs s’opposeraient à l’administration autonome des Turcs avec des
slogans tels que « pas d’Etat dans l’Etat » et ne voudraient pas
un système fédéral de peur qu’il ne débouche sur le Taksim
(partage de l’île entre la Turquie et la Grèce).
La
détérioration des relations entre les deux communautés a conduit au débarquement
de l’armée turque le 20 juillet 1974.
B.
- La qualification de l’intervention ou invasion de la Turquie
Pour
les Hellènes de Grèce et de Chypre, l'intervention turque n'est fondée sur
aucun critère scientifique. C'est une « invasion » qui viole tous
les principes régissant les relations internationales. Du côté de la partie
turque, on est convaincu que « l'opération de paix » était impérative
pour restaurer l'indépendance de l'île et garantir définitivement la sécurité
des Chypriotes turcs.
1.
La thèse grecque : la violation des règles de droit international public
Les
Grecs pensent que la Turquie se moque de l'opinion publique mondiale en disant
que son but était de secourir la République de Chypre. La Turquie utiliserait
comme prétexte le coup d'Etat du 15 juillet 1974 provoqué par la junte
militaire pour envahir l'île et en occuper une grande partie. Cette action qui
a imposé par la force le partage de l'île symboliserait l'expansionnisme turc.
La Turquie aurait, avec préméditation, violé l'article 4 du traité de
garantie : « en cas de violation des dispositions du présent traité, la
Grèce, le Royaume-Uni et la Turquie promettent de se concerter en vue des démarches
ou mesures nécessaires pour en assurer l'observation. Dans la mesure où une
action commune ou concertée ne serait pas possible, chacune des trois
puissances garantes se réserve le droit d'agir dans le but exclusif du rétablissement
de l'ordre établi par le présent traité ».
Développant
leur thèse, le gouvernement grec et chypriote démontrent qu'Ankara a omis de réaliser
deux conditions préalables.
Premièrement, avant toute action unilatérale, il fallait procéder à des
consultations avec les autres puissances garantes, or le 21 juillet 1974 une
conférence devant se tenir à Londres n’a pas eu lieu à cause de
l'intervention turque. De plus, « mesures nécessaires » ne
signifieraient pas « action militaire », pas plus que « droit
d’agir » ne signifierait « droit de guerre ».
La Turquie aurait pu recourir à des actions pacifiques comme des représentations,
saisir le Conseil de sécurité, etc. Deuxièmement, l'action unilatérale n'est
possible que pour rétablir le statu quo ante et non obtenir une révision de ce statut dans un
sens favorable au partage. D'après, une autre analyse, même si on admettait la
conformité de l'intervention turque au traité de garantie, elle serait quand même
illégale en vertu de l'article 2 al. 4 de la Charte des Nations Unies qui
dispose que « les membres de l'organisation s'abstiennent, dans leurs
relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force,
soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat,
soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ».
Etant donné que la Turquie est membre de l'Organisation des Nations Unies
(ONU), elle doit respecter les obligations de la Charte et tenir compte des
dispositions de l'article 103 qui reconnaît la supériorité de la Charte sur
« tout autre accord international ».
Ainsi, l'opération de M. Ecevit, Premier Ministre à l’époque, n’aurait
aucune légitimité excepté des considérations de politique intérieure.
2.
Les fondements de l'intervention turque
La
Turquie argumente son recours à la force en se basant sur l'article 4 § 2 du
traité de garantie afin d'assurer le retour de l'ensemble de l'île à l'ordre
constitutionnel, et pour protéger les droits et la sûreté de la communauté
turque.
Action
fondée sur le droit conventionnel
Le
traité de garantie prévoit une obligation de se consulter en cas de violation
du traité sur les mesures à prendre pour en assurer l'observation et le droit
d'agir n'est possible que si une action conjointe est impossible entre les trois
puissances garantes. La Turquie soutient qu'elle a entrepris les consultations nécessaires
en développant une intense activité diplomatique en direction de
l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), de l'ONU, des Etats-Unis
et surtout des démarches auprès de la Grande-Bretagne.
La Turquie ne voulait pas engager des négociations avec la Grèce parce
qu’elle aurait perdu le titre de pays garant de l'île en provoquant le coup
d'Etat.
D'après
les Grecs, le traité de garantie ne reconnaît le droit d'agir qu'en cas d'une
attaque étrangère autre que celle des trois pays garants et s'il y a
intervention elle doit avoir pour but de rétablir l'état des choses crée par
le traité. La thèse excluant le droit d'intervenir lorsque l'atteinte est portée
par un pays garant est contestée par Ankara. La constitution de 1960 aurait été
établie pour équilibrer les pouvoirs entre les Turcs et les Grecs et prévenir
toute forme de domination des uns sur les autres. Le traité de garantie, en
conférant un droit d'intervention, se voudrait dissuasif. Quant au problème du
rétablissement du statu quo ante, il
semble qu'il y a une interprétation différente selon qu'on se situe du côté
grec ou turc. La Turquie a annoncé, dès le début de l'opération, que son
intention n'était pas de rétablir le statu
quo ante, c'est à dire la situation existant juste avant le coup d'Etat.
Les droits acquis par les Chypriotes turcs avec les accords de Zurich et de
Londres et l'intégrité territoriale de Chypre auraient disparu avec le coup de
force des dirigeants chypriotes grecs en décembre 1963. Ainsi, dans les faits,
durant toute la période qui a précédé le soulèvement de 1974, il n'y aurait
pas eu de République indépendante de Chypre mais un Etat chypriote grec et un
gouvernement chypriote grec actif.
Protection
de la communauté turque
Une
autre façon pour la Turquie de justifier l'opération est de soulever un
« droit de légitime défense », ou de préférence un « droit
d’intervention humanitaire ». Les événements suivants auraient justifié
l’intervention : « 1963 : innovation d'un règne de la terreur
mené par des milices secrètes et privées ; une survie de onze ans
(1963-1974), ponctuée d'attaques sanglantes, dans des enclaves en état de siège,
couvrant 3 % du territoire de Chypre ; 1967 : attaques sur les villages de
Kaphinou et Ayios Théodoros par plus de 20.000 hommes sous commandement
chypriote grec ; 1974 : coup d'Etat des colonels grecs, nouvel exode de 16.000
Chypriotes turcs chassés de 38 villages, menaces de famine sur près de 10.000
personnes à Famagouste (...) ».
Par conséquent, au vu de ces dix dernières années la Turquie aurait eu des
raisons valables pour intervenir militairement dans l'île. Il faut savoir, tout
de même, que la partie grecque réfute ces accusations.
II.
- Le statut juridique d’une république non reconnue et les revendications des
parties
Immédiatement
après l'opération de 1974 les dirigeants turcs mettent en place un processus
pour avoir une quasi-souveraineté dans la partie Nord de l'île. L'institution
par étape d'une organisation politique propre a pour objet de consolider une
administration capable de répondre aux attentes de sécurité de la communauté
turque et de la représenter au mieux lors des négociations. Les Chypriotes
turcs, tout en étant très attachés aux dispositions de la constitution de
1960 qui met sur pied d'égalité les deux ethnies, pensent qu'en raison des événements
malheureux qui se sont produits il faudrait un nouveau statut à Chypre. En
s'attribuant un nom et en attendant la reconnaissance internationale, les
Chypriotes turcs veulent forcer les Chypriotes grecs à la table des négociations
intercommunautaires pour une fédération bicommunautaire et bizonale.
A.
- Une nouvelle entité politique : la RTCN
Pourquoi
la proclamation de la République turque de Chypre Nord ? Une publication du
Ministère des Affaires étrangères et de la Défense de la RTCN
donne plusieurs raisons : destruction du partenariat au sein de l'Etat
chypriote, usurpation du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire par le
gouvernement hellène ; monopolisation des services publics et du budget ; représentation
unilatérale à l'étranger ; exclusion des Turcs des forces de police et de
l'armée ; utilisation des moyens économiques pour le seul bien-être des
Chypriotes grecs et contre les Chypriotes turcs.
Mais,
c'est avant tout l'attitude de l'administration chypriote et de l'ONU qui aurait
forcé les Chypriotes turcs à déterminer leur propre sort. En effet, la résolution
37/253 de l'Assemblée générale des Nations Unies du 13 mai 1983 a reconnu
comme seule autorité dans l'île le gouvernement chypriote grec et a déploré
« toutes les actions unilatérales qui modifient la structure démographique
de Chypre [allusion aux colons] ou
favorisent le fait accompli » et « considère le retrait de la République
de Chypre de toutes les forces d'occupation [les
soldats turcs] comme base essentielle d'une solution rapide et mutuellement
acceptable du problème de Chypre ».
Les Turcs y ont vu un grave tournant, la fin de la reconnaissance par la
communauté internationale de l'existence à Chypre de deux communautés. On ne
tiendrait plus compte des principes de la constitution de 1960, des accords passés
entre les responsables des deux communautés et des efforts du Secrétaire général
des Nations Unies pour rapprocher les points de vue antagonistes des Chypriotes.
Le
15 novembre 1983, l'Assemblée législative chypriote turque proclame unilatéralement
et à l'unanimité la création d'un Etat chypriote turc indépendant. La déclaration
indique que « c'est la destinée des deux peuples, grecs et turcs, de l'île
de coexister. La nouvelle République ne sera rattachée à aucun autre Etat.
Elle sera non-alignée. La déclaration d'indépendance n'empêchera pas, mais
au contraire facilitera l'établissement d'une véritable confédération ».
Le
nouvel Etat est aussitôt reconnu par Ankara. Mais, en dehors d'elle, la réprobation
est générale. La réaction des organisations internationales a été analogue.
Le Conseil de sécurité adopte le 18 novembre une résolution considérant la
proclamation du 15 novembre comme « légalement nulle et non avenue »
et demande à la communauté internationale de ne pas reconnaître le nouvel
Etat.
Le Conseil de l'Europe condamne pareillement la RTCN et rappelle que le
gouvernement de la République de Chypre est le seul représentant légitime du
pays.
En
réalité, les deux parties ont des idées fixes. Les Turcs sont obsédés par
l'idée de l'Enosis et les Grecs par l'idée du Taksim, voire de l'invasion totale par la Turquie. A tort ou à
raison, ces soucis aboutissent sur des revendications contradictoires et font
que les intéressés ne réussissent pas à s'entendre.
B.
- L'option fédérale des Turcs
Les
Turcs sont attachés à trois principes : la bizonalité, l'égalité politique
des deux parties et l'existence d'une garantie turque pour préserver le statut
du Nord de l'île.
1.
Statut d'Etat bizonal pour l'île
En
droit international public, un Etat est défini comme une entité juridique formée
de la réunion de 3 éléments constitutifs - une population, un territoire, une
autorité politique - et à laquelle est reconnue la qualité de sujet de droit
international. A ce jour, la RTCN possède une population voisine des 200.000
habitants ; un territoire d'une superficie de 3.355 km² ; des
instances politiques : un exécutif représenté par un président élu au
suffrage universel direct et un cabinet ministériel, un pouvoir parlementaire
symbolisé par une Assemblée nationale de 50 membres élus au suffrage
universel et par un multipartisme, un pouvoir judiciaire comprenant même un
Conseil constitutionnel. Donc, seule la reconnaissance par la communauté
internationale lui fait défaut.
Les
Turcs défendent une République fédérale bicommunautaire et bizonale. Les
Grecs ont accepté l'idée d'une solution bizonale en ce qui concerne l'aspect
territorial de l'île lors de l'accord au sommet entre Denktaş-Makarios en
1977. Cependant, les parties ne définissent pas la notion de façon identique.
Les Chypriotes grecs utilisent le terme « bizonal » dans le sens de
« birégional ». La birégionalité suppose une solution de type fédéral
avec un gouvernement central fort, responsable de la défense, de la diplomatie
et des finances, laissant aux Etats fédérés l'éducation, la culture et l'aménagement
du territoire. La birégionalité doit sauvegarder l'unité et l'intégrité du
pays. Pour les Turcs, la bizonalité doit se traduire par un gouvernement
central qui aura des pouvoirs restreints. Dans l'Etat fédéral décentralisé
les deux Etats fédérés ont le même poids, indépendamment des considérations
sur la dimension du territoire et sur la proportion de la population.
En
réalité, le statut de l'île devrait correspondre à une confédération. Le
professeur Bernard Chantebout définie la confédération comme « une
association d'Etats qui respecte en principe la souveraineté internationale de
ses membres, mais qui se traduit par la mise en place d'organismes destinés à
coordonner leur politique dans un certain nombre de terrain ».
On est proche de la conception turque qui préconise que les deux Etats fédérés
disposent de larges prérogatives. Le professeur Ali Karaosmanoglu prétend que
« dans la future République de Chypre, les Etats fédérés doivent avoir
la faculté de correspondre directement avec des Etats étrangers et des
organisations internationales et de conclure avec eux des accords en matière d'économie
et de finance ».
La bizonalité est déjà obtenue puisque le passage d'une zone à l'autre est
interdit dans les faits.
2.
Egalité politique des deux peuples
L'égalité
politique des deux populations ne doit pas reposer sur un ratio. Les Chypriotes
turcs ne veulent pas être considérés comme des citoyens de seconde catégorie
et être dominés par les Grecs. Ils se considèrent comme l'un des deux peuples
constituant la République de Chypre et non comme une minorité dans l'île. Ils
veulent les mêmes droits que les Chypriotes grecs dans une République
binationale, donnant les mêmes pouvoirs aux dirigeants chypriotes turcs. Le règlement
du différend chypriote doit être basé sur le statut égal des deux peuples
chypriotes turcs et grecs, ainsi que sur leur souveraineté commune sur l'île,
ce qui signifie une participation égalitaire dans tous les organes de la fédération.
La présidence doit être tournante et la vice-présidence doit avoir un droit
de veto pour obliger les deux parties à trouver des points d'entente. A côté
de la garantie d'égalité politique la communauté turque exige un certain
pouvoir d'intervention de la Turquie en cas de troubles intercommunautaires.
3.
Nécessité d'une garantie turque
Aux
yeux des Chypriotes turcs, il y avait constamment des conflits à Chypre avant
l'intervention de l'armée turque. Depuis que les soldats turcs se trouvent dans
la partie Nord de Chypre - 27 ans déjà -, il n'y aurait eu aucun acte de
violence. L'opération de 1974 aurait apporté la paix et la sécurité. D'où
l'opposition formelle aux Chypriotes grecs qui font du retrait total des troupes
turques ainsi que du traité de garantie un préalable obligatoire afin
d'aboutir à une solution efficace du conflit. M. Denktaş exclut le projet
de démilitarisation et le remplacement à Chypre des armées grecque et turque
par une force des Nations Unies ou de l'OTAN.
C.
- Les craintes de la partie grecque
Les
Grecs, dans leur majorité, pensent que les dirigeants turcs ont la volonté
soit d'envahir la totalité de l'île soit de rattacher le Nord de l'île à la
Turquie.
1.
La crainte de l'invasion
Depuis
le débarquement des « mehmetçik »,
les Grecs ont peur d'une menace turque. Ils pensent que la Turquie pourrait
annexer la totalité de l'île. Pour les Hellènes, le but d'Ankara n'est pas de
protéger les droits de la communauté turque de Chypre mais de fausser la forme
ethnique de la population et ensuite de causer des problèmes artificiels pour
mener à son terme l'invasion de l'île.
Les Etats-Unis qualifient la crainte des Grecs devant les Turcs de « paranoïa »
et estiment que la Turquie n'entreprendra aucune action car elle est
inconcevable à l'intérieur de l'Alliance atlantique.
Ce
doute a conduit la Grèce à surarmer Chypre et les autres îles de la mer Egée.
Arrivée au pouvoir en 1981, Papandréou a mis en avant le « syndrome
chypriote » pour subordonner le règlement de la question au retrait de
l'armée turque. En octobre 1993, la Grèce et Chypre ont décidé d'unir leurs
efforts de défense face à la Turquie et ont mis en place une nouvelle doctrine
militaire incluant Chypre.
2.
La crainte du Taksim
L'autre
menace qui préoccupe les Chypriotes grecs est le danger du partage, c'est à
dire la division de l'île entre la Turquie et la Grèce.
D’après
la thèse turque, même en l'absence du lien historique qui lie la Turquie à
Chypre du fait de trois siècles de souveraineté ottomane et de la présence de
la communauté de langue turque, l'île aurait par sa seule situation géostratégique
de l'importance pour elle. Le partage pur et simple avec la Grèce permettrait
une pénétration profonde de celle-ci dans la Méditerranée orientale. C'est
ce que la Turquie s'applique précisément à éviter car elle n'a pas envie que
75 % de la mer Egée devienne un « lac hellène », ni ne désire
avoir une frontière commune avec la Grèce à 65 km de ses côtes. Outre cela,
la Turquie s'oppose à un accord qui impliquerait la démilitarisation complète
de l'île à cause de son système de défense. Sans une garantie élaborée,
elle redoute que l'île serve de base à une puissance ennemie de la Turquie.
Avec
des appréhensions, des idées aux antipodes les unes des autres les Chypriotes
turcs et les Chypriotes grecs ont négocié pendant 27 ans, souvent plus pour
montrer leur bonne volonté à l'opinion internationale qui fait des pressions
que pour véritablement sortir de l'impasse.
III.
- Les vains efforts de négociations et nouvelle donne
Le
règlement purement intercommunautaire comme la tenue d'une conférence
internationale étant impossible, les négociations se tiennent finalement,
indirectement, sous l'égide des Nations Unies.
A.
- L’ONU, gardienne du statu quo
Trente-huit
ans si l'on part de 1963 - vingt-sept si l'on part de 1974 - que les Chypriotes
turcs et grecs poursuivent les interminables (ajournements, blocages, reprises)
pourparlers pour trouver une solution qui satisferait les intérêts des deux
communautés. Malgré « les bonnes volontés », on peut regretter
l'absence de progrès. Ces pourparlers se font à contrecœur parce que les
protagonistes ne peuvent pas négocier selon leurs modalités. Les insulaires
turcs voudraient que la question soit directement réglée entre les deux
communautés. Ils pensent qu'on ne peut arriver à une solution sans tenir
compte de l'existence et des droits du peuple turc chypriote. Des pressions sur
les Turcs ne serviraient à rien. Seule la reconnaissance de la RTCN pourrait
pousser les parties à se mettre à la table des négociations
intercommunautaires pour une fédération bizonale et bicommunautaire. Des négociations
quadripartites, regroupant autour de la Grèce et de la Turquie les représentants
des deux communautés dans l'île sont aussi envisageables.
Pour
les Hellènes, en revanche, l'affaire ne peut pas être rattachée au
contentieux qui oppose Athènes à Ankara : « la question ne relève pas
de la compétence de nos deux pays, estime M. Papandréou, puisque Chypre est un
Etat indépendant qui a été victime d'une agression étrangère ».
Ce problème aurait une dimension internationale. Ils acceptent la présence d'émissaires
de la minorité turque dans le cadre d'une conférence internationale comprenant
les membres du Conseil de sécurité et du gouvernement de Nicosie. Les
Chypriotes grecs essaient de se concentrer sur des questions importantes. Ils
pensent qu'à force d'attendre une solution d'ensemble on fait durer le statu
quo et qu'il vaut mieux isoler les problèmes et les résoudre un par un.
Les Chypriotes turcs sont hostiles à cette démarche et n'acceptent qu'un
accord global inaltérable.
Depuis
l'indépendance, Chypre occupe une place colossale dans le calendrier onusien.
L'Assemblée générale, le Conseil de sécurité et le Secrétariat général
ont été, maintes fois, saisis du dossier chypriote soit pour maintenir la paix
soit pour rechercher une solution politique. On impute à l'Organisation le
manque de résultat et l'état actuel des choses.
Selon
Semih Idiz, un commentateur du Turkish
Daily News, « l'ONU est victime de son propre succès. Sa présence a
permis aux deux communautés de vivre séparément et en paix. L'ONU est coincée,
elle ne peut pas se permettre de se retirer ». Performante sur le terrain, l'ONU ne l'a pas
été autant dans ses contacts avec les représentants des deux communautés
pour les aider à régler la question de Chypre. Les différents entretiens
bilatéraux sous l'auspice des Nations Unies, les médiations et les bons
offices, les négociations sur la base de propositions onusiennes n’ont donné
aucun résultat tangible.
On
sait que les Chypriotes grecs ont peur que la Turquie - en se servant des Turcs
de Chypre - en profite pour avoir une mainmise sur l'ensemble de l'île. De leur
côté, les Chypriotes turcs craignent une tentative de domination des Grecs
dans tous les domaines. Les Chypriotes grecs voient le remède dans l'Europe et
les Chypriotes turcs dans plus d'indépendance vis-à-vis du Sud et en
resserrant les liens avec la Turquie.
B.
- Chypre, la marche vers l'Union européenne
L'Europe
qui est restée longtemps à l'écart du conflit chypriote espère sans aucun
doute réussir ce que l'ONU et les Américains n'ont pas été capables de régler,
c'est à dire, réunifier les deux communautés chypriotes et, partant, pacifier
les relations gréco-turques.
1.
Les arguments des Européens et des Chypriotes grecs
L'Union
européenne est convaincue que l'adhésion de Chypre peut se traduire par un
surcroît de sécurité et de richesse pour le Sud et le Nord de l'île et
contribuer au rapprochement des deux communautés chypriotes. Dans l'hypothèse
de l'intégration, les Chypriotes turcs ne seraient pas négligés. Ils bénéficieraient
d'une assistance financière qui permettrait à l'économie de la partie turque
de l'île de prospérer. Mais avant de démarrer le processus devant conduire à
l'intégration, il faudrait un règlement politique de la question chypriote qui
doit sauvegarder « les nécessaires équilibres entre les deux communautés »
et rendre possible une « bonne application du droit communautaire sur tout
le territoire de l'île ». Toutefois, Bruxelles
entrevoit, dans le cas où une solution n'interviendrait pas dans « un
avenir prévisible » avec les Chypriotes turcs, de faire de Chypre un de
ses Etats membres avant qu'une solution ait été trouvée à la partition de l'île.
Les
Chypriotes grecs pensent que la participation à l'Union européenne constitue
pour eux la meilleure garantie concevable. Ainsi, ils sont persuadés de pouvoir
ériger une République fédérale unitaire où ils n'auraient plus de problèmes.
En tant que membre à part entière de l'Union européenne, les Chypriotes grecs
et les Chypriotes turcs seraient obligés de respecter les droits de l'homme et
les libertés fondamentales. Les Quinze, qui sont très attachés à l'intégrité
territoriale des Etats membres, obligeraient Ankara à retirer ses troupes et
colons de l'île. Dans le cas contraire, les portes de l'Europe seraient
totalement fermées à la Turquie et au lieu d'une normalisation de sa politique
extérieure avec le monde occidental elle devrait se retrancher sur elle-même.
Le traité de garantie deviendrait nul et aucun pays n'aurait le droit
d'intervenir unilatéralement vu que le nouveau garant de l'île serait l'Union
européenne. Celle-ci prendrait en charge la sécurité des deux communautés.
De plus, le marché communautaire fondé sur la liberté de circulation des
biens, des personnes, des services et des capitaux, le droit d'établissement
imposerait aux parties de les accepter et, par voie de conséquence, les réfugiés
pourraient rejoindre leur propriété. Donc, les obstacles qui ont fait échouer
les négociations dans le cadre de l'ONU sont censés disparaître.
2.
Le refus des Chypriotes turcs
Les
dirigeants de la communauté chypriote turque n'excluent pas la possibilité de
faire partie de l'Union européenne. Ils s'opposent au droit reconnu à la
communauté chypriote grecque de déposer une
candidature pour l'ensemble de l'île.
Ils
se basent sur les accords internationaux pour justifier leur position. Premièrement,
la constitution de 1960 donnerait un droit de veto au vice-président sur les décisions
concernant les affaires extérieures. Deuxièmement, le traité de garantie et
le traité d'alliance interdiraient à la République de Chypre de participer à
une union politique ou économique avec tout autre Etat si la Turquie et la Grèce
n'en sont pas membres. En outre, la résolution 649 (1990) du Conseil de sécurité
du 12 mars 1990 – adoptée à l'unanimité - appuie l'engagement pris par les
deux communautés de créer une République fédérale de Chypre qui « exclurait
l'union complète ou partielle avec tout autre pays ainsi que toute forme de
partage ou de sécession ». Du point de vue des Chypriotes turcs,
deux conditions doivent être réunies avant que le Nord accepte de rentrer dans
l'Union européenne. D'abord, il est nécessaire qu'un accord préalable règle
le problème politique entre les deux communautés. Une solution fédérale où
les Chypriotes turcs seraient réduits au rang de minorité devant être écartée.
Ensuite, il faut reconnaître la RTCN comme une entité politique propre dont la
garantie serait assurée par la Turquie.
La
Turquie a vivement réagi en déclarant que, si l'Union européenne ouvrait ses
portes aux Chypriotes grecs, elle choisirait une intégration avec les
Chypriotes turcs. Plus explicitement, la Turquie menace d'annexer la partie Nord
de l'île à partir du jour où la candidature de la République de Chypre
serait acceptée.
Récemment,
la Commission européenne a décidé d’octroyer un statut de candidat à part
entière à la Turquie. Cette reconnaissance est accompagnée de conditions,
notamment en matière de respect des droits de l’homme. Concernant la question
chypriote un délai de 4 ans a été accordé à la Turquie et à la Grèce pour
résoudre leur contentieux faute de quoi la Cour internationale de Justice
serait saisie. Il n’est pas impossible que le différend soit réglé en fin
de compte par l’arbitrage de La Haye. En attendant les négociations se
poursuivent sous l’égide du Secrétaire général des Nations Unies.
C.
- L’affaire Loizidou devant la Cour européenne des droits de l’homme et
l’isolement de la Turquie
Dans
une affaire où une ressortissante chypriote prétendait, d’une part, être
propriétaire des certaines parcelles situées dans le Nord de Chypre et,
d’autre part, que les forces turques l’empêcheraient de retourner chez elle
et d'avoir la jouissance de ses biens, la Cour européenne des droits de
l’homme rend une décision qui place la Turquie et la RTCN dans une situation
délicate. La responsabilité de la Turquie est engagée. La légitimité de la
« RTCN » est niée.
La
Turquie a-t-elle tenté de dégager sa responsabilité pour certains actes et
faits commis dans la partie septentrionale de Chypre en arguant que le
territoire considéré était placé sous l’administration de la République
turque de Chypre Nord ? La réponse à cette question se trouve en partie dans
les décisions prises par la Commission
et la Cour européenne dans les affaires Loizidou
c. Turquie.
Selon
une jurisprudence traditionnelle, les Etats parties à la Convention
s’engagent, par le jeu de l’article 1er, non seulement à l’égard
des individus se trouvant sur leur territoire, mais aussi à l’égard des
personnes soumises à leur juridiction.
Les
juges européens confirment cette solution dans les affaires opposant Chypre à
la Turquie.
Ils considèrent que la juridiction de la Turquie, au sens de l’article 1er,
s’étend aux actes dénoncés comme contraires à la Convention, commis sur le
territoire de la RTCN.
La
Cour se fonde sur la nature particulière de la Convention : « compte
tenu de l’objet et du but de la Convention, une partie contractante peut également
voir sa responsabilité engagée, lorsque, par suite d’une action militaire, légale
ou non, elle exerce en pratique le contrôle sur une zone située en dehors de
son territoire national. L’obligation d’assurer dans une telle région le
respect des droits et libertés garantis par la Convention découle du fait de
ce contrôle, qu’il s’exerce directement, par l’intermédiaire des forces
armées de l’Etat concerné ou par le biais d’une administration locale
subordonnée ».
Tout
au long de cette affaire, on constate que la position de la Turquie est différente
de celle des juges européens. Les références utilisées
ne sont pas les mêmes. Lors de la procédure suivie devant la Commission et
devant la Cour, la position de la Turquie a été, au-delà des exceptions ratione
temporis et ratione loci, que les
faits critiqués ne relevaient pas de sa responsabilité et ne lui étaient pas
imputables en raison, notamment, de l’existence d’organes gouvernementaux de
la RTCN qui exerçaient une compétence effective et exclusive sur le territoire
et la population sous son contrôle. La Turquie prétendait n’être qu’un amicus curiae, les griefs visant en réalité la RTCN.
Les
juges européens saisissent l’occasion pour se pencher sur la validité
juridique, au regard de la Convention, de la Constitution de la « RTCN »
et indirectement sur l’effectivité de la « RTCN ». Privilégiant
une interprétation finaliste, la Cour fait d’abord le constat que la
communauté internationale ne reconnaît pas à la RTCN la qualité d’Etat. Le
15 novembre 1983, l’Assemblée législative chypriote turque a certes proclamé
à l’unanimité la création d’un Etat chypriote turc indépendant sous le
nom de RTCN. Néanmoins, le nouvel Etat n'a été reconnu que par Ankara. En
dehors d’elle, la réprobation a été générale, et même la solidarité
islamique n’a pas joué. La réaction des organisations internationales a été
analogue. Le Conseil de sécurité a ainsi adopté une résolution considérant
cette proclamation comme « légalement nulle et non avenue » et
demandant à la communauté internationale de ne pas reconnaître le nouvel Etat
(voir supra). La Communauté européenne,
le Conseil de l’Europe ont aussi condamné la RTCN et ont rappelé que le
gouvernement de la République de Chypre est le seul représentant légitime du
pays. Ces considérations ont conduit la Cour à affirmer que la Constitution de
la RTCN est dépourvue de toute validité juridique.
Ce
faisant, la Cour, ainsi que le relèvent les juges minoritaires dans leurs
opinions dissidentes sous l’arrêt en question, semble attribuer à la seule
Turquie la responsabilité de la partition de Chypre et prend le risque, à
partir du cas individuel de Mme Loizidou de se prononcer sur un problème
international - le conflit intra-communautaire chypriote et la situation
juridique de la partie nord de Chypre - qui dépasse ses attributions dans le
cadre de la Convention et dont le dénouement paraît devoir plutôt relever de
la diplomatie.
Dans
cette affaire, il fallait tenir compte du contexte particulier dans lequel la
privation de propriété était intervenue. Celle-ci résultait non pas d’une
action isolée des autorités turques à l’égard des biens, mais de la création
et de la fermeture en 1974 d’une ligne frontière. En effet, il existe une
« ligne verte » qui divise Chypre en deux parties grecque et turque.
Une « zone-tampon » d’une largeur variable - 3 à 7 km selon les
endroits et 20 mètres seulement dans la capitale - est gardée par les forces
onusiennes à Chypre. Cette ligne frontière a été planifiée par les Nations
Unies. C’est pourquoi, « il est impossible de dissocier la situation
personnelle de la victime d’une situation historique complexe et d’une
situation actuelle qui ne l’est pas moins : il s’agit d’une caractéristique
unique de l’affaire ».
La
solution dégagée par l’organe de surveillance du Conseil de l’Europe est
reprise non seulement par le gouvernement chypriote grec, mais aussi par les
Nations Unies lors des négociations sur l’avenir de l’île. L’Union européenne
fait de même au sujet de l’adhésion de Chypre.
La Turquie, juridiquement et unanimement tenue responsable, est périodiquement
invitée à respecter la décision de l’instance européenne.
Pour
l’heure, les « négociations rapprochées » commencées à
New-York le 3 décembre 1999 et poursuivies à Genève en février et juillet
2000 ont été interrompues lors des négociations du mois de novembre au motif
qu’il n’y aurait pas eu une participation égalitaire aux
pourparlers. La délégation chypriote est qualifiée de partie représentant
l’Etat chypriote alors que la délégation conduite par M. Denktaş
est qualifiée de partie représentant la minorité turque chypriote.
Cette jurisprudence européenne pourrait donner un nouveau tournant au
contentieux gréco-turc à Chypre.
Août 2001
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© 2001 Sevki Akdag. Tous droits réservés. AKDAG
S. - "Les aspects juridiques de la question chypriote". - Actualité
et Droit International, août 2001 (http://www.ridi.org/adi).
NOTES
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