Le Kosovo, l'OTAN
et les droits de l'homme
par
Emmanuelle Cerf
Juriste spécialiste des droits
de l'homme
Membre de la MINUK
Résumé :
L’intervention unilatérale
de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord), a été particulièrement
contestée. Aujourd’hui, plus de quarante mille hommes des troupes de l’OTAN sont
stationnés au Kosovo afin de maintenir une certaine stabilité dans la région,
dont le seul exemple macédonien suffit à montrer l’extrême fragilité. Cette
présence militaire s’accompagne toutefois de violations quotidiennes des droits
de l’homme. Le Kosovo connaîtra ses premières élections générales le 17 novembre
prochain, desquelles dépendra en partie son statut à venir.
Abstract :
More than
40.000 NATO troupes are still in Kosovo in order to maintain stability in the
region where the events in Macedonian are enough to demonstrate the fragility.
This military presence gives rise to daily human rights violations. The future
of Kosovo may depend on the General elections which will be held next 17th
November.
Note :
Les opinions émises dans cet article n'engagent que son auteur. Impression
et citations : Seule la version
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Le 10 juin 1999, le Conseil de
sécurité proposait un plan de paix et adoptait la
Résolution 1244 (1999). Les
principes de base de cet accord résidaient dans le retrait des forces serbes et
le retour des réfugiés. L’Armée de Libération du Kosovo (UCK) et les autres
groupes armés albanais devaient cesser immédiatement toute action offensive et
respecter les dispositions relatives à la démilitarisation. La
Force
internationale de maintien de la paix au Kosovo (KFOR) devait assurer le respect
de cet accord.
La résolution 1244 (1999)
décidait de l’établissement de la
Mission Intérimaire des Nations Unies au
Kosovo (MINUK)
et réaffirmait la souveraineté et l’intégrité territoriale de la République
fédérale de Yougoslavie (RFY) inscrite dans les Accords de Rambouillet (Annexe 1
article 9-c).
La création de la MINUK
A sa création, la MINUK était
composée, dans l’ordre, des quatre piliers suivants : le Haut Commissariat des
Nations Unies aux Réfugiés (HCR), l'Organisation des Nations Unies (ONU),
l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE)
- en charge de la reconstruction des institutions - et enfin l’Union européenne.
Aujourd’hui, le HCR ne fait plus partie de la MINUK. Toutefois, son rôle demeure
particulièrement actif, notamment au regard des combats qui se déroulent en
République de Macédoine et qui entraînent un flux incessant de réfugiés
d’origine albanaise fuyant les régions de Tetovo et de Skopje.
Administrativement, le Kosovo est divisé en cinq zones. La
région de Mitrovica/Mitrovice (Nord) qui est sous contrôle de l’armée française,
celle de Prishtine/Pristina (centre) sous contrôle anglais, Peje/Pec (Ouest)
sous contrôle de l’armée italienne, Prizren/Prizren (sud) sous contrôle allemand
et la région de Gjilan/Gnjilane (est) sous contrôle de l’armée américaine.
Certains villages sont placés sous la responsabilité d’armées ne faisant pas
partie de l’OTAN, mais ayant conclu des accords avec elle.
Des conséquences de la présence de l’OTAN au Kosovo
Les modalités d’intervention de la KFOR au Kosovo ont été
précisées par les Accords de Rambouillet et l’Accord Technico-Militaire du 3
juin 1999. La présence de l’OTAN - environ 40.000 militaires déployés au Kosovo
– certes nécessaire pour la stabilisation de la région, n’est pas sans engendrer
des violations des droits de l’homme alors que son intervention même avait déjà
fait l’objet de très sérieuses contestations.
A titre d’exemple, l’on peut citer le cas d’une armée d’un
pays du Moyen-Orient qui avait avancé l’heure du couvre-feu sans prévenir la
population du village et qui, à la nuit tombée, avait arrêté une cinquantaine
d’hommes réunis dans un bar et leur avait rasé la tête jusqu’à … ce qu’une
coupure d’électricité les tire finalement de ce mauvais pas. De telles
« déviations » arrivent malheureusement régulièrement. Certaines armées annexent
des terres kosovares pour la construction de leurs camps militaires, sans se
préoccuper d’indemniser leur propriétaire. En outre, de nombreux kosovars
albanais, suspectés d’être membres de l’UCK ou de l’Armée de Libération de
Presevo Medvedja Bujanovac (UCPMB) - active dans la vallée de Presevo située au
sud est du Kosovo -, sont arrêtés régulièrement et croupissent dans des prisons
militaires pendant des mois en toute illégalité. Leurs familles ignorent très
souvent l’existence même de leur détention. Au Kosovo, l’OTAN est roi et a tous
les droits en vertu du sacro-saint principe du maintien de la paix, de la
sécurité et de l’ordre public. L’appréciation de ces notions est laissée à
l’entière discrétion des armées présentes dans la région. Par ailleurs, un
village dont la population est moitié serbe moitié albanaise - et qui est
régulièrement un lieu de violences inter-ethniques -, a été totalement bloqué
par des tanks de la KFOR qui prétendait assurer la sécurité de ses habitants. En
fait, ces derniers ont vu tout simplement leur liberté de mouvement anéantie
pendant plusieurs jours. Dans un tel cas, la mesure prise était-elle réellement
nécessaire et proportionnelle pour remédier aux problèmes de sécurité ? On peut
en douter. L’on peut également citer le cas d'un soldat condamné à perpétuité
par un tribunal militaire pour le viol et le meurtre d’une jeune kosovare
albanaise de 12 ans un jour de marché dans le village de Viti/Vitina.
La famille de la victime s’était confondue en excuse auprès de l’armée pour
avoir été la cause de ce trouble…
Une zone tampon entre le Kosovo et la Serbie
Une zone de sécurité démilitarisée de 5 kilomètres entre la
Serbie et le Kosovo avait été instaurée en vertu de l’article IV par. 2-a du
Chapitre 7 des Accords de Rambouillet et réaffirmée par l’Article I-3-e de
l’Accord Technico-Militaire du 3 juin 1999. Cette zone tampon étant utilisée
comme havre de paix par les extrémistes kosovars albanais de l’UCPMB, l’OTAN a
sommé cette milice de rendre ses armes le 24 mai 2001 et a réduit la zone de 5 à
3 kilomètres. A cette occasion, certains soldats n’ont pas hésité à confisquer
des armes à titre très personnel… Fin août, cette zone, surveillée par la KFOR a
de nouveau été réduite à moins d’un kilomètre. Il est intéressant de noter que
la presse kosovare albanaise et de nombreux kosovars albanais eux-mêmes
utilisent l’expression de « sud-est du Kosovo » - ‘juglindja e Kosoves’ - pour
designer cette zone tampon, la vallée de Presevo, alors qu’il suffit de regarder
une carte de la région pour s’apercevoir que cette vallée fait partie intégrante
de la Serbie. Ceci en dit long sur les mentalités présentes que seul le temps
permettra peut-être de faire évoluer.
Le Kosovo : un avenir incertain
Seule la Résolution 1244 du 10
juin 1999 régit aujourd’hui le statut du Kosovo, qui fait, en vertu de ce texte,
partie intégrante de la République fédérale de Yougoslavie (RFY), ce qui avait
déjà été affirmé par l’article 1-a du chapitre VII des Accords de
Rambouillet. La question de ce rattachement à la RFY est régulièrement remis en
cause par de nombreux kosovars albanais qui prônent l’indépendance de la
province.
Le conflit kosovar s’est étendu à
la Macédoine, dont le tiers de la population est ethniquement albanaise. Cette
extension du conflit avait déjà été prévue de longue date par certains.
Elle pourrait elle-même engendrer une autre explosion dans les Balkans et
notamment au Monténégro où est installée une forte minorité albanaise. La
question du statut du Monténégro et de son impact sur le statut du Kosovo a été
soulevé maintes fois.
Le résultat des dernières élections du 22 avril 2001 au Parlement monténégrin
n’a cependant pas permis aux tenants de l’indépendance de remporter le nombre de
voix nécessaire à l’achèvement de leur projet. Toutefois, en cas d’indépendance
du Monténégro, la RFY n’aurait plus d’existence légale et le statut du Kosovo
pourrait alors être remis en cause puisque élaboré sur les bases mêmes de
l’existence de la RFY.
Le gouvernement serbe de
Kostunica, fortement soutenu par la Russie, s’oppose aujourd’hui à toute
discussion regardant un éventuel détachement du Kosovo de la RFY. La Serbie, qui
a historiquement résisté aux Empires ottoman et Austro-Hongrois ainsi qu’à
Hitler puis Staline, accepte difficilement la présence de forces internationales
sur son territoire, qu’elle considère comme une occupation étrangère et une
atteinte à sa souveraineté territoriale.
Le cadre constitutionnel pour un
gouvernement provisoire d’autodétermination, adopté le 15 mai 2001 par le
règlement 2001/9 de la MINUK après plusieurs semaines de difficiles négociations
entre représentants politiques et interlocuteurs internationaux, prévoit
l’élection de 120 représentants
à l’Assemblée du Kosovo le 17 novembre 2001, pour une période initiale de trois
ans. Toutes les minorités sont fortement encouragées à s’enregistrer pour
pouvoir exprimer leurs voix au sein d’une population composée aujourd’hui de
près de 95% de Kosovars albanais.
La présence tant civile que
militaire de la communauté internationale au Kosovo n’est pas limitée dans le
temps. Comme celle de la communauté internationale présente en
Bosnie-Herzégovine depuis près de six ans et qui, comme au Kosovo, voie ses
effectifs diminuer peu à peu. Aussi ne fallait-il pas douter de l’inévitable
longévité de l’opération de l’OTAN sur le territoire de la République
macédonienne, pourtant officiellement fixée à un mois.
Le retrait de la communauté
internationale des Balkans ne peut aujourd’hui être raisonnablement
envisagé sans un regain de violence général. Sa présence permet de maintenir une
certaine stabilité dans la région et de participer à l’élaboration d’une
économie de marché, aujourd’hui indispensable à la viabilité de toute société.
Octobre 2001
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© 2001 Emmanuelle Cerf. Tous droits réservés. CERF E. - "Le
Kosovo, l'OTAN et les droits de l'homme". - Actualité
et Droit International, octobre 2001 (http://www.ridi.org/adi).
NOTES
Sur ces 120 sièges, 20 seront réservés aux minorités : 10 pour les Serbes
kosovars et 10 pour les autres minorités, à savoir les Goran, Turcs,
Bosniaques, Rom, Ashkali et Egyptiens. Le nombre de ces minorités varie selon
les régions.
De nouvelles élections municipales auront lieu en octobre 2002. Celles du 28
octobre 2000 avaient globalement vu le succès du LDK (Parti Démocratique), le
parti d’Ibrahim Rugova.
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