Le piège
tendu par Oussama Ben Laden s'est-il refermé ?
par
Alexandre H. Chamson
Juriste
Il n'a échappé à personne que chacun de nos hommes politiques (Chirac, Jospin,
Blair, Bush, etc.) s'est métamorphosé le temps d'une intervention télévisée ou
d'un voyage de sensibilisation en pédagogue pour expliquer la crise actuelle :
les prises de position, les options stratégiques et la nécessité d'un éventuel
engagement sur le terrain.
Il y a une chose qui ne fait plus de doute. Les esprits et les opinions
publiques occidentaux semble admettre - sans pour autant comprendre la portée
réelle de tout engagement sur le théâtre des opérations - comme un mal
nécessaire l'éventualité d'une intervention militaire sous la bannière des
Etats-Unis. Les esprits les plus lucides osent à peine s'exprimer sur la
question. Quand ils le font, ils usent de beaucoup d'euphémismes et de certaines
précautions oratoires pour afficher une prise de position moins va-t-en guerre.
Quant aux opérations sur le terrain, elles semblent se poursuivre dans une
certaine quasi routine. Elles n'émeuvent personne, ni ne choquent les esprits
prompts à réagir en pareille situation. Il est un fait incontestable mais
difficilement quantifiable, c'est la question des victimes civiles de cette
guerre. Il s'agit bien d'une guerre au sens juridique et classique du terme. En
effet, nous assistons une attaque - ou à une agression - d'un pays contre un
autre. A côté des soutiens inconditionnels des uns et du soutien "du bout des
lèvres" des autres, aucune voix ne s'est élevée pour apporter la contradiction
ou se faire l'avocat du diable. L'Occident, à l'exception de quelques rares
réserves, semble frappé d'un profond mouvement de "panurgisme". Venant de la
part de l'Europe, cette approche du "pour ou contre nous" est très surprenante
et témoigne surtout de l'hégémonie et de la suprématie croissante des États-Unis
à l'occasion des crises majeures que traversent notre planète.
Cela ne nous étonne pas que l'administration américaine nous démontre encore une
fois son manque de vision, ses carences et sa "gestion aventurière" de la crise
en Afghanistan. Cette posture "va-t'en guerre" ne doit pas non plus nous
surprendre quand on se penche de plus près sur la composition du staff
présidentiel de la Maison Blanche. Au premier plan, nous avons Colin Powell, le
chef d'état-major des forces américaines lors de l'intervention au Koweït.
Faut-il voir derrière cette guerre d'Afghanistan une vaste manoeuvre du puissant
lobby du complexe militaro-industriel ?
Toujours est-il que les États-Unis semblent ignorer volontairement ou peut être
par ignorance que la poursuite des bombardements et la mort de victimes civiles
innocentes ne vont pas sans quelques conséquences, d'une part sur les relations
entre le monde arabo-musulman et l'Amérique et d'une façon générale sur la
perception et le cours des relations Nord-Sud.
Ne s'agit-il pas d'une guerre qui oppose une coalition de pays riches et
puissants - en l'occurrence occidentaux - contre un pays pauvre de surcroît
musulman. Cette guerre ne peut-elle pas être perçue comme une nouvelle croisade
? C'est d'ailleurs un terme utilisé par l'actuel chef de la Maison Blanche.
Le chef du gouvernement italien, M. Silvio Berlusconi n'a-t-il pas disserté sans
le moindre complexe sur la prétendue supériorité de la culture occidentale sur
l'Islam ? Malheureusement, ces propos ont été tenus par un chef de gouvernement
d'un des pays membres de l'Union européenne. Que faut-il en tirer comme
conclusion ? L'Histoire nous le dira certainement.
Toute personne connaissant de près ou de loin les populations de certains pays
du Sud et plus particulièrement celles des pays musulmans, ne pourra que
confirmer le risque d'incompréhension et celui de raviver certaines veilles
rancoeurs mal éteintes.
Il devient aisé et enfantin pour le moindre Cheikh peu scrupuleux ou pour tout
individu en mal de publicité de tirer profit de cette situation. Sans le vouloir
et peut être sans s'en rendre compte, les États-Unis sont en train de créer un
peu partout dans le monde arabo-musulman des pépinières de Ben Laden.
Ce risque existe et on en maîtrise peu ou très mal les conséquences.
Avant qu'il ne soit trop tard - il est peut être déjà trop tard - et afin
d'éviter que ce piège tant montré du doigt, tendu par Ben Laden, ne se referme
finalement sur ses victimes, il devient urgent que cette guerre en Afghanistan
finisse par trouver un dénouement moins tragique et surtout moins dévastateur
pour les relations entre l'Orient et l'Occident.
Il est temps que chacun des acteurs de cette tragédie puisse retrouver la place
qui lui est naturellement dévolue : les États-Unis chez eux, les Talibans dans
leur mosquée ou dans leur madrassa et les civils afghans à vaquer à leurs
occupations quotidiennes. Dans cet ordre naturel des choses, une initiative des
Nations Unies serait largement salutaire pour détendre et décrisper le
mécontentement grandissant - surtout à l'approche du mois saint du Ramadan - des
opinions publiques dans le monde arabo-musulman et pour redonner un peu plus de
légalité et de sens au drame qui se joue en Afghanistan.
29 octobre 2001
Copyright : © 2001 Alexandre H. Chamson. Tous droits réservés. Impression
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officiel de citation :
CHAMSON Alexandre H. - « Le piège tendu par
Oussama Ben Laden s'est-il refermé ? ». - Actualité et Droit International,
novembre 2001. (http://www.ridi.org/adi).
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