L'AFFRONTEMENT ETATS-UNIS – AFGHANISTAN
ET LE DÉCLIN DU DROIT INTERNATIONAL
par
Robert Charvin
Professeur agrégé des Facultés de Droit
Membre de l’AIJD
Membre du Conseil Exécutif de Nord-Sud XXI
Résumé :
Le conflit armé entre les Etats-Unis et l’Afghanistan, officiellement consécutif
aux attentats de New-York et de Washington, est une étape supplémentaire dans le
processus de déclin du droit international et dans l’approfondissement du coma
dans lequel se trouve l’ONU. Impression
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Le conflit armé entre les
Etats-Unis et l’Afghanistan, officiellement consécutif
aux attentats de New-York et de Washington, est une étape supplémentaire dans le
processus de déclin du droit international et dans l’approfondissement du coma
dans lequel se trouve l’ONU.
Lorsque la société internationale
était bi-polaire, le droit international bénéficiait du fait que chaque pôle se
constituait en gardien vigilant des comportements de l’autre. Chaque grande
puissance craignant les représailles de l’autre s’auto limitait, sinon dans sa
zone d’influence, du moins vis-à-vis de celle de l’autre. Le recours illicite à
la force armée telle que prévue par la Charte des Nations Unies était
relativement restreint et le jeu des contradictions s’insérait dans un système
complexe de contrepoids et d’équilibre qui en définitive fonctionnait pour le
plus grand bénéfice des principes fondamentaux du droit international. Les
atteintes au droit, notamment les interventions armées unilatérales se faisaient
« au nom du droit ». Il s’agissait certes d’invocations abusives, mais elles ne
se fondaient pas sur un rejet du droit lui-même. Ces pratiques attentatoires à
la légalité n’avaient pas la prétention de refuser le principe d’une nécessaire
régulation juridique internationale. Ces atteintes au droit laissaient toute
leur « chance » aux progrès ultérieurs du droit international. Ce temps n’est
plus.
Aux normes et principes dont la
rigueur poussait l’Etat violeur au contournement, a succédé l’affirmation d’un
« soft law », mieux adapté au processus de mondialisation, précédant de peu la
négation pure et simple du droit : désormais, ce sont des « impératifs moraux »,
proclamés unilatéralement, qui fondent le recours à la force armée et des
conceptions aussi régressives que le combat du Bien contre le Mal, identiques à
celles justifiant les « guerres justes » des siècles passés.
Le jeu complexe du terrorisme
international et de la politique impériale des Etats-Unis accélère et accentue
ce processus de désagrégation de toute régulation juridique si utile, par
ailleurs, à la fois au leadership de l’Empire (en particulier sur ses « alliés »
qui sont aussi ses rivaux) et à une mondialisation essentiellement rentable aux
grands pouvoirs privés transnationaux.
La force du « spectacle »
terroriste du 11 septembre 2001, comparée aux multiples attentats, massacres et
morts lentes dues au sous-développement que connaissent les peuples en
permanence hors la présence des grands médias, a permis de noyer – au moins
temporairement – la controverse qui n’a jamais été close sur la notion de
terrorisme opposant les Etats-Unis et les Etats européens et le reste du monde
(problème du terrorisme d’Etat – en particulier celui d’Israël, problème de
l’usage licite de la violence armée lorsqu’il s’agit d’affirmer le droit à
l’autodétermination et à l’indépendance).
La vocation que les Etats-Unis se reconnaissent à eux-mêmes d’universaliser leur
propre droit interne, leur « way of life » et leurs propres « valeurs morales »
tend à surmonter tous les obstacles : comme le disait dès 1976 l’Américain
Albert Parry,
l’identification peut être faite entre terrorisme et révolution, entre
terrorisme et guerre, entre guerre civile et guerre internationale. Selon cette
approche, toute contestation des alliances Europe - Etats-Unis ou Etats-Unis -
tel Etat du Sud, devient « trahison ». L’idéologie sécuritaire « à
l’israélienne » acquiert une dimension mondiale.
La part du droit devient insignifiante : l’absence de preuve de lien direct
entre l’acte terroriste et l’éventuel Etat responsable devient « inhibition »
dont il faut se débarrasser.
Le principe de la proportionnalité, c’est-à-dire l’ajustement de la réplique à
l’agression subie, perd toute substance. Tout ce qui faisait l’accusation contre
l’URSS
devient réquisitoire contre les « Etats terroristes » ou « Etats-Voyous », dont
la liste dressée par le Congrès américain est à géométrie variable, selon les
besoins et les circonstances et vis-à-vis desquels tout est « permis » hors de
tout cadre légal.
De même, les notions les mieux
établies du droit international sont balayées. Il en est ainsi de la « légitime
défense », mise à mal depuis longtemps par l’Etat israélien, inventeur de « la
légitime défense préventive » consistant à vider de tout contenu la notion
juridique communément admise. Nul n’a osé contester (pas mêmes les Nations
Unies) l’élargissement indéfini de la notion de « légitime défense » par les
Etats-Unis. Le Professeur Ruzié a pu même déclarer,
au cœur d’un silence assourdissant d’une doctrine juridique française se
comportant majoritairement comme celle d’un pays satellite,
qu’il était « oiseux » et « même indécent de poser la question » de savoir si
les Etats-Unis étaient effectivement en situation de légitime défense à la suite
des attentats du 11 septembre.
L’article 51 de la Charte des
Nations Unies fait de la vielle notion de légitime défense, une simple « soupape
de sécurité », pouvant résulter d’une défaillance du système de sécurité
collective instauré par la Charte et supprimant la compétence de guerre de
l’Etat. L’usage de cette légitime défense n’est autorisé qu’en cas de carence du
Conseil de sécurité et ne peut s’exercer que jusqu’à la prise en charge du
problème par le Conseil de sécurité lui-même, qui, en outre, a pris soin de
contrôler les mesures prises par l’Etat se proclamant en état de légitime
défense. Ce contrôle évite notamment que l’Etat agressé détermine
unilatéralement l’agresseur en choisissant, sans transmission de preuves aux
instances onusiennes
l’Etat « à punir » le plus utilement pour sa stratégie
ainsi
que les modalités de punitions.
Les Etats-Unis ne peuvent
invoquer les faiblesses que manifestent les Nations Unies dans la mesure où ils
en sont les principaux responsables : « Nul ne peut se prévaloir de sa propre
turpitude ». De plus, dans la résolution 1368, le Conseil de Sécurité « se
déclare prêt à prendre toutes les mesures nécessaires pour répondre aux attaques
terroristes… Et pour combattre le terrorisme sous toutes ses formes…
conformément à ses responsabilités en vertu de la Charte ». Or, très
ouvertement, les Etats-Unis, qui court-circuitent l’OTAN elle-même,
s’autoproclament les seuls capables de discerner le « Bien » de l’Humanité et le
choix des moyens pour le promouvoir.
La résolution 3314 (XXIX) du 14
décembre 1974 de l’Assemblée Générale des Nations Unies avait pris soin de
définir la notion d’agression qui ne pouvait qu’être le fait d’un Etat, ou,
ajoutait la Cour internationale de Justice, d’une bande armée commanditée par un
Etat. Or, les faits reprochés aux Talibans ne sont que l’hébergement et la non
livraison des présumés terroristes, ce qui n’est pas synonyme d’agression.
L’attentat du 11 septembre
supprime tout multilatéralisme à la légitime défense, laisse entièrement libre
de toute contrainte l’Etat s’estimant agressé, en particulier la nature et le
volume de la « réplique ». Il y a confusion entre légitime défense et
représailles sauvages, (les « représailles » ayant été elles-mêmes
réglementées). Rien ne prouve en effet que les Etats-Unis aient été dans
l’impossibilité d’annihiler les réseaux terroristes par d’autres moyens que des
bombardements massifs d’une population entière (eux-mêmes contraires aux
dispositions fondamentales du droit humanitaire) ; ni les Etats-Unis ni les
Nations Unies n’ont essayé de mettre en œuvre les dispositions de la Charte
faisant de la négociation et de la recherche de la conciliation la condition
fondamentale et préalable de toute action coercitive ; les bombardements
systématiques et prolongés de l’Afghanistan par l’aviation américaine (qui
n’excluent pas l’attaque ultérieure d’autres Etats) tendent à être hors de
proportion avec l’acte illicite auquel ils ont pour but de répondre et à
dégénérer en guerre véritable, hors de toute réglementation juridique, à moins
de considérer que les victimes américaines soient dotées d’une humanité
supérieure à celle de toutes les autres victimes des relations internationales.
Ce déclin du droit international,
dû essentiellement à l’unilatéralisme de la seule hyper-puissance mondiale, se
conjugue avec une mise de côté des organisations interétatiques : l’ONU est
ignorée et le Conseil de sécurité se transforme en simple chambre
d’enregistrement des positions des Etats-Unis, l’absence de tout contrôle de
conformité avec la Charte des décisions du Conseil de sécurité permettant à
celui-ci de tout accepter par opportunité politique sans considération pour le
droit ; l’OTAN elle-même, susceptible de freiner les volontés des Etats-Unis,
tend à être écartée. Quant à la Cour Pénale Internationale, bien que l’attentat
terroriste soit qualifié dans son statut de crime contre l’humanité et bien
qu’elle soit compétente pour juger les prévenus de terrorisme s’ils sont
arrêtés, elle n’a pas d’existence, même potentielle pour les Etats-Unis : ils se
sont refusés à signer l’acte fondateur. Les Etats-Unis n’aspirent visiblement
plus qu’à un unilatéralisme impérial, assisté des Etats acceptant de faire acte
d’allégeance.
Il faut être d’un optimisme
convenu pour considérer, comme le fait le Professeur A. Pellet : « The great
advances in the law are always the fruit of major crises.
And the poignant
collapse of the Twins Towers could offer the opportunity, dramatically, to start
to build the international law of the 21st century ».
Le Professeur
Marysol Touraine, député PS, avait cru déjà percevoir, après la fin de l’URSS un
irrépressible « besoin de droit » dans la société internationale !
Chacune des crises aiguës des
relations internationales récentes permet au contraire aux pouvoirs publics et
privés dominants d’avancer vers une globalisation ne laissant qu’une part
restreinte aux peuples. Cette avancée n’est pas le moins grave des « effets
collatéraux » du conflit Etats-Unis - Afghanistan.
La notion – incertaine –
d’ « Etat de droit » semble pour une large partie de la doctrine et des grandes
puissances ne concerner que l’ordre interne, comme si elle était divisible. Il
est patent que la politique étrangère des grandes puissances tend à s’évader
hors des cadres légaux : le cas des Etats-Unis est flagrant qui se refuse de
manière ouverte à toute contrainte légale internationale, entraînant la
communauté internationale vers une profonde indifférence vis-à-vis de la
régulation juridique internationale, si ce n’est vers son mépris. Or, il n’est
nul gardien – à l’exception de quelques ONG critiques – d’un droit international
ignoré (parfois jusqu’à son existence) des citoyens qui ne sont censés connaître
que la loi interne.
Or, en tout état de cause, la
globalisation exige, à moins de s’abandonner aux pleins pouvoirs des firmes
transnationales et de leurs auxiliaires étatiques, une régulation juridique
internationale capable de déterminer un Bien Commun et d’en assurer la mise en
œuvre.
La crise du 11 septembre ne fait
pas avancer vers un « Etat de droit international » et vers une « société
civile » - si souvent invoquée par ailleurs – garante du respect de la loi
internationale. Les gouvernants des grandes puissances prennent le plus grand
soin à conserver dans leur domaine réservé toutes les questions de relations
internationales, s’en servant même opportunément pour favoriser des « unions
sacrées » ou inventer des remèdes à leurs difficultés économiques (grâce
notamment à « l’appel au secours » d’un Etat, dénigré jusque là).
Faut-il compter sur les
juristes et sur la doctrine dominante pour échapper à ces perversions ?
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© 2001 Robert Charvin. Tous droits réservés.
CHARVIN R. - "L'affrontement
Etats-Unis – Afghanistan et le déclin du droit international". - Actualité et
Droit International, novembre 2001 (http://www.ridi.org/adi).
NOTES
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