Chine - OMC : l’Etat de droit par
l’internationalisation ?
par
Leïla Choukroune
Chercheur associée au Centre d’Etude français
sur la Chine contemporaine de HongKong
Doctorante à l’Université
Paris I Panthéon-Sorbonne
Résumé : Le 11 décembre 2001, la Chine accédait à l’Organisation Mondiale
du Commerce (OMC) après plus de 15 ans de travaux préparatoires. Cette longue
marche vers le multilatéralisme économique s’était en effet ouverte, le 10
juillet 1986, avec la présentation par Pékin d’une demande officielle visant à
retrouver son statut de Partie contractante au GATT. Au-delà de l’ouverture du
marché chinois au commerce international, cette accession revêt un caractère
singulier dans le processus de réformes, puisque la Chine semble à nouveau
instrumentaliser le droit international de façon à mettre en place un Etat de
droit ou plus exactement un Etat socialiste par le droit.
Abstract :
After more than 15 years of diplomatic negotiations, China has finally been
admitted to the World Trade Organisation (WTO), marking the end of the longest
struggle the PRC has had to conduct with the outside world in its efforts to win
integration into the global economy since its 1986 bid to join the GATT. But
this genuine turning point is even more dramatic symbolically as China is trying
to launch a legal revolution by using international law to implement, if not a
proper rule of law, at least a better legal environment for business.
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Le 11 décembre 2001, la Chine accédait à
l’Organisation mondiale du commerce (OMC) après près de 15 ans de travaux
préparatoires, mettant ainsi un terme à l’une des plus longues négociations de
son histoire diplomatique. Qualifiée par Mike Moore de « moment historique pour
l’OMC, pour la Chine et pour la coopération économique internationale » puis
savamment orchestrée par les médias chinois, cette accession stigmatisait les
attentes inouïes d’une puissance en devenir en proie à une pression sociale et
économique sans précédent comme si, en écho à l’un des titres du China Daily,
« la vie ne serait plus jamais la même après l’entrée de la Chine dans l’OMC ».
Miracle d’une propagande politique rompue à la pénétration des masses,
l’accession de la Chine à l’OMC a fait l’unanimité au sein d’une classe
politique hétérogène faussement acquise aux idées réformatrices, et parmi une
communauté d’affaire internationale avide de recueillir les dividendes de ses
investissements voire d’en découdre avec la Chine si l’on en croit les attentes
qui pèsent sur la possibilité de recourir au mécanisme de règlement des
différends de l’OMC.
Moins d’un mois plus tard, l’euphorie semble être retombée pour laisser place à
des analyses plus réalistes des opportunités et défis auxquels devront faire
face le gouvernement et la population chinoise en terme de coût social et
d’adaptation des normes OMC dans le corpus juridique chinois notamment.
Une
longue marche vers le multilatéralisme économique
D’avril à octobre 1947, la Chine prenait part à la
Seconde conférence préparatoire des Nations Unies sur le commerce et l’emploi
qui se tenait à Genève dans le cadre du Conseil économique et social de l’ONU
(ECOSOC). Le 21 avril de la même année, Pékin signait le Protocole d’application
provisoire du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) et devenait ainsi
l’un de ses 23 membres fondateurs. En tant que Partie contractante, Pékin
participa aux deux premières négociations tarifaires de 1947 et 1949 en
accordant principalement des concessions sur les produits manufacturiers. Au
lendemain de la création de la République populaire de Chine (RPC), la
République de Chine (ROC), qui occupait le siège de la Chine au GATT, décida de
s’en retirer et ce retrait devint effectif le 5 mai 1950 après que le Secrétaire
général des Nations Unies eut écrit au Secrétaire exécutif du GATT.
Pékin considéra dès lors la décision de Taiwan comme nulle et non avenue dans la
mesure où le gouvernement nationaliste du Kuomindang (KMD) n’avait à ses yeux
plus aucun droit de représenter l’Etat chinois. Cette position de fermeté à
l’égard de Taiwan s’inscrivait dans la continuité d’une ligne politique dont
Pékin ne se départit pas et qui fonda l’ensemble de sa position vis à vis des
Organisations internationales.
Il faudra donc attendre octobre 1971 et la résolution 2758 de l’Assemblée
générale des Nations Unies pour que la Chine regagne son siège au sein de
l’Organisation et entame une campagne diplomatique visant à rejoindre les
principales institutions internationales. Ainsi en 1980, la RPC retrouva son
siège au FMI et à la Banque mondiale, puis participa en 1981 au troisième Accord
Multi-Fibre pour devenir formellement membre du comité du GATT sur les textiles
en 1984. Il faut dire que sa politique de rapprochement du GATT avait débuté dès
novembre 1982 lorsqu’elle envoya une délégation pour participer en tant
qu’observateur à la trente-huitième conférence des Parties contractantes du
GATT, insistant alors sur le fait que la RPC était l’une des Parties
contractantes originelles de l’Accord. En novembre 1984, la Chine devait obtenir
l’autorisation d’assister en tant qu’observateur au Conseil du GATT et aux
conférences de ses organes subsidiaires. Puis, en avril 1985, la Chine devenait
membre du Comité consultatif sur les pays en voie de développement. Enfin, le 10
juillet 1986, Pékin présentait une demande officielle au Directeur général du
GATT pour retrouver son statut de Partie contractante.
La procédure d’accession au GATT pouvait alors
s’engager en fonction de l’article 33 de l’Accord puis des dispositions WT/ACC/13
instituées par l’OMC le 15 mars 1995 et des révisions de la note technique sur
le processus d’accession de 1999.
Selon l’article XII de l’Accord sur l’OMC, « tout Etat ou territoire douanier
jouissant d’une entière autonomie dans la conduite de sa politique commerciale
peut accéder à l’OMC à des conditions à convenir entre lui et les Membres de l’OMC ».
Semblable à toute procédure d’accession au GATT puis à l’OMC, la procédure
d’accession de la Chine n’en reste pas moins exceptionnelle si l’on se réfère
aux nombre d’Etats composant son groupe de travail (68 - soit le nombre le plus
important jusqu’ici) et à la longueur de cette procédure. Ainsi, la procédure
d’accession de la Chine débuta par la présentation par écrit d’une demande
officielle par son gouvernement qui fut examinée par le Conseil général. Pékin
présenta ensuite, le 13 février 1987, un aide mémoire sur l’ensemble des aspects
de son régime de commerce extérieur, comprenant quatre parties : une première
partie décrivant les réformes économiques engagées en RPC, une seconde partie
faisant état de sa politique commerciale, une troisième partie en rapport à
l’organisation politique et enfin, une quatrième partie sous forme d’appendice
rassemblant les textes en vigueur à l’époque. Le 19 juin 1987, un groupe de
travail fut fondé et celui-ci se consacra jusqu’en octobre 1992 à l’examen de
l’aide mémoire fourni par la Chine. L’étape suivante consista à entamer des
négociations multilatérales de fond en vue de l’accession alors que la Chine
engagea dans le même temps des négociations bilatérales avec les membres du
groupe de travail intéressés, soit 37 Etats. Ces négociations qui visent
principalement à obtenir des concessions tarifaires et l’accès au marché dans le
domaine des services aboutirent à la signature d’accords bilatéraux décisifs et
fortement médiatisés à l’image de ceux signés avec les Etats-Unis le 15 novembre
1999 et avec l’Union européenne le 19 mai 2000.
Enfin, « l’ensemble des conditions d’accession définitives » (rapport du groupe
de travail, protocole d’accession et listes d’engagements sur l’accès aux
marchés) ayant pu être réuni en septembre 2001, la Conférence ministérielle de
l’OMC approuva par consensus le 10 novembre 2001, à Doha, le texte de l’accord
en vertu duquel la Chine devint officiellement Membre de l’OMC, 30 jours après
qu’elle eut notifié à l’Organisation la ratification de cet accord, soit le 11
décembre 2001.
Mais au-delà de l’application pure et simple des
dispositions de l’accord en terme d’accès aux marchés chinois, cette accession
revêt un caractère singulier dans le processus de réformes et d’ouverture
puisque tout se passe comme si la Chine instrumentalisait à nouveau le droit
international en fonction de ses impératifs politiques.
L’Etat
de droit par l’internationalisation ?
En effet, parmi l’interminable litanie des vertus
supposées de l’OMC, diffusée par une formidable machine de propagande orchestrée
par Pékin et destinée avant tout à convaincre l’opinion chinoise, figure
l’avènement d’un Etat de droit issu de l’accélération d’un processus de réformes
et d’ouverture lancé il y a désormais plus de 20 ans par Deng Xiaoping. Bien que
la transformation du système juridique chinois n’ait jamais été placée sur un
pied d’égalité avec les réformes économiques menées par les dirigeants de la
République populaire de Chine à l’image de Zhu Rongji, il n’est pas exagéré de
parler de révolution juridique quand on évalue le travail de codification et
d’institutionnalisation accompli au cours de ces 25 dernières années et
notamment depuis 1992. Profondément inscrit dans l’histoire, le droit chinois
n’est pas né en 1949, mais résulte d’une longue évolution vers la modernisation
et l’occidentalisation de la loi qui a su prendre en considération l’héritage
confucianiste et les expériences étrangères dans une quête constante de
rationalisation.
Considéré comme utile parce qu’il concourt au maintien d’une stabilité sociale
sur laquelle repose la croissance économique, le droit chinois ne se préoccupe
de considérations de justice et de respect de la personne humaine que de façon
tout à fait secondaire. Pragmatique et utilitariste, le droit chinois s’est
avant tout attelé à la définition d’un cadre légal pour les affaires et
notamment pour l’investissement étranger moteur présumé de la croissance. Cette
évolution s’est largement faite en référence aux normes et pratiques
internationales. Ainsi, comme le souligne Pitman B. Potter, « la majeure partie
de l’histoire des réformes légales de la RPC a trait aux difficultés rencontrées
pour adapter les normes internationales à l’environnement local ».
L’accession de la Chine à l’OMC participerait donc
de cette même logique instrumentaliste. Pour reprendre la métaphore utilisée par
le praticien renommé du droit chinois et professeur à la faculté de droit de
l’université de New York, Jerome Cohen, lors d’une conférence donnée en novembre
dernier à l’Université de Hong Kong, l’OMC agit comme un paravent derrière
lequel il est possible de poursuivre ou de mettre en place toute une série de
réformes nécessaires que les divisions au sein de l’élite dirigeante du parti ou
les menaces de déstabilisation sociale avaient jusqu’à lors obérée. Bien que l’OMC
ne soit techniquement responsable que de la régulation des échanges et des
investissements liés au commerce multilatéral, l’intégration d’un Etat dans le
système mondial du libre échange suppose de respecter quelques principes
fondamentaux. Au cœur des quelques 1 500 pages d’accord adoptées le 10 novembre
2001 à Doha par la Conférence ministérielle de l’OMC et signées par Shi
Guangsheng, ministre du commerce extérieur et de la coopération économique, se
trouve le protocole d’accession de la Chine aux termes duquel Pékin accepte de
se soumettre à un certain nombre d’engagements dont le respect des principes
d’application uniforme du droit, de transparence, et de contrôle judiciaire
impartial et indépendant des actes administratifs relatifs au droit OMC.
Or, l’application de ces trois principes clés devrait contribuer à la mise en
place progressive d’un Etat de droit dans la mesure où ils requièrent des
changements d’une ampleur sans précédent sur le plan institutionnel et
indirectement dans quasiment tous les domaines du droit.
Loin d’être un Etat unitaire comme le voudrait sa
constitution, la Chine est en effet soumise à l’existence d’un enchevêtrement
complexe et anarchique d’autorités législatives et administratives à l’échelle
nationale et locale ce qui autorise à la qualifier poliment d’Etat fédéral de
facto. L’exigence d’une application uniforme des dispositions OMC sur
l’ensemble du territoire chinois pourrait donc permettre une certaine
harmonisation entre centre et périphérie et la disparition graduelle des
barrières non-tarifaires provinciales de façon à ce que la législation
applicable à Shanghai soit la même que celle en vigueur dans les faubourgs d’Urumqi,
capitale du Xinjiang.
Les chiffres les plus fantaisistes circulent sur le nombre de textes supprimés,
amendés ou publiés dans la perspective de l’accession de la Chine à l’OMC. Le
ministère du commerce extérieur et de la coopération économique (MOFTEC) aurait
ainsi décidé de s’occuper de la révision de 1 413 lois commerciales, de
l’amendement de 120 textes et de la suppression de 573 dispositions.
A ce travail titanesque fait écho la publication désormais obligatoire de tous
les textes selon le principe de transparence et donc la disparition programmée
des fameuses mesures discrétionnaires du Parti (neibu), tout au moins
dans le domaine des affaires économiques et commerciales ce qui n’est pas tout à
fait sans impact sur l’amélioration (ou la dégradation) de la situation du droit
du travail et du droit pénal.
Le principe du traitement national requiert par exemple que les mêmes règles
soient appliquées aux employés des entreprises étrangères qu’à ceux travaillant
dans les entreprises locales et notamment dans les entreprises d’Etat. De la
même manière, l’application du droit pénal aux activités commerciales, comme
c’est souvent le cas en Chine, sera soumise à un plus grand contrôle. Enfin, et
c’est sans doute le changement le plus profond, la Chine devra organiser le
contrôle judiciaire impartial et indépendant de « tous les actes administratifs
liés à l’application des lois, règlements, décisions judiciaires et
administratives » en rapport avec les dispositions du droit OMC. Le thème de
l’application du droit et de l’impérieuse réforme de tribunaux largement
incompétents et corrompus est donc abordé une nouvelle fois par l’intermédiaire
de la transformation du droit économique chinois par l’intégration des standards
internationaux.
La
tentation légaliste
Mais qu’on ne s’y trompe pas. En dépit de ces
indéniables avancées, Etat de droit en Chine ne signifie certainement pas
démocratie ou protection des libertés individuelles. La Chine a en effet compris
comment tirer habilement parti de la tendance libérale à associer ces deux
concepts de manière suffisamment floue pour que l’on puisse en faire une lecture
originale légitimant ainsi un type particulier d’Etat.
Dans le cas chinois tout laisse penser que l’on a encore à faire à une lecture
technicienne du droit international et que Pékin est prêt à se conformer à la
lettre de l’Accord OMC et peut-être moins à l’esprit. A l’heure où le droit
chinois demeure à bien des égards la version institutionnalisée des directives
et politiques d’un Parti qui exerce son leadership au nom de l’Etat et quand la
loi perd le contact avec la réalité socio-économique au lieu d’accompagner son
évolution, il est en effet légitime de se demander vers quel Etat de droit se
dirige aujourd’hui la Chine ? Inséré lors de la révision de la Constitution
chinoise en 1999, le terme d’Etat de droit (yifa zhiguo) ne se comprend
qu’en référence à l’idée d’un Etat gouverné par le socialisme (shehuizhuyi
fazhi guojia). Ce choix délibéré de termes vagues, au contenu ambigu et
sujets à une interprétation plus ou moins large en fonction d’impératifs
politiques, n’alimente pas seulement les débats sans fin entre juristes sur la
subtile différentiation entre rule of law et rule by law, mais
permet au pouvoir de s’assurer que le système juridique reste bien sous le
contrôle du Parti-Etat. En proie à une tentation légaliste, la RPC est-elle
capable de respecter les engagements qu’elle a souscrit non sans risque dans le
domaine économique international et d’étendre ces réformes légales à la sphère
politique comme le souhaite l’aile réformatrice du Parti ?
L’absence de débats parlementaires relatifs à la
ratification des accords d’accession signés à Doha est à ce titre significative.
Les observateurs les plus avertis auront sans doute remarqué que la Chine avait
apporté ses instruments de ratification à Doha ce qui la dispensait donc de
suivre la procédure habituelle de ratification d’un traité soumise selon la
Constitution chinoise de 1982 à l’approbation du Comité permanent de l’Assemblée
nationale populaire (ANP). Aussi, un article de Bing Ling, professeur associé à
la City University de Hong Kong, paru dans le Ming Pao Daily, remet-il en
question la validité de la ratification chinoise de l’accord OMC dans la mesure
où le Président Jiang Zemin se serait passé de l’avis du Comité permanent de
l’ANP.
Et Bing Ling de révéler que la situation est en réalité plus complexe puisque
tout avait été prévu 15 mois avant la signature du protocole d’accession
chinois. Le comité permanent de l’ANP aurait en effet publié le 25 août 2000,
alors que les négociations étaient en cours, une décision autorisant en quelque
sorte, et avec l’accord du Conseil des affaires d’Etat, une procédure de
ratification accélérée simplement soumise à l’accord du Président chinois. Edit
impérial de Jiang Zemin qui voudrait laisser dans l’histoire une trace
comparable à celle de Deng Xiaoping, accélération d’une procédure qui aurait pu
être retardée en raison d’éventuelles oppositions conservatrices ou course de
vitesse avec Taiwan pour devenir membre à part entière de l’OMC ? Les
explications sont multiples mais il est pour le moins ironique de constater que
la première décision d’un régime qui prône l’instauration d’un Etat de droit
soit contraire à sa propre constitution.
C’est dire la dimension symbolique de cette
accession. Quelle autre nation a en effet accordé autant d’importance à sa
participation à une organisation destinée à réguler le commerce international et
dont la conception de la mondialisation est largement décriée par les pays en
développement tout comme par les opinions publiques des pays les plus avancés ?
L’anti-mondialisation ne semble pas exister en Chine. Miracle d’une propagande
qui a su se fixer de nouveaux objectifs ? Certainement. Mais c’est aussi le
témoignage des attentes politiques cachées derrière cette accession à l’heure où
la réforme semble devenue impossible parce qu’entravée par des résistances
doctrinales et la perspective d’une déstabilisation sociale sans précédent.
A quel type d’Etat a-t-on aujourd’hui à faire en
Chine ? A un Etat suis generis par le droit qui refuse de s’affranchir du
leadership du Parti mais pas à un Etat de droit.
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Seule la version
au format PDF fait référence. © 2002 Leïla Choukroune. Tous droits réservés.
CHOUKROUNE L. -
"Chine - OMC : l'Etat de droit par l'internationalisation ?". - Actualité et Droit
International, mars 2002 (http://www.ridi.org/adi).
NOTES
Cet article s'inspire d'un texte de l'auteur à paraître dans Perspectives
chinoises (Hong Kong).
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