L'Afrique du Sud et la sécurité sous-régionale des Grands Lacs
par
Sesanga Hipungu Dja Kaseng
Docteur en Sécurité internationale et défense
Chercheur au Centre d'Etudes de Sécurité
Internationale et de Coopération Européenne
Résumé :
La sous-région des Grands Lacs est soumise à une forte insécurité : le génocide
rwandais en 1994, les guerres civiles du Burundi en 1993 et de la République
démocratique du Congo (RDC) en 1996 et 1998, ainsi que les tensions entre le
Rwanda et l'Ouganda, en font une zone particulièrement instable. Depuis que la
communauté internationale a déserté la sous-région en 1994, l'Afrique du Sud y
joue un rôle politique et diplomatique important. A la faveur du récent
déploiement des éléments de la South African National Defence Force (SANDF) dans
le cadre de la présence multinationale intérimaire au Burundi, une fenêtre
s'ouvre peut-être sur une prise en charge militaire des problèmes de la région .
Impression
et citations : Seule la version
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L'avènement en 1994 d'une Afrique du sud multiraciale et démocratique a fait de
la République sud-africaine (RSA) un acteur politique majeur en matière de
sécurité au sud du Sahara. Les raisons historiques et les impératifs
géographiques désignaient l'Afrique australe comme la zone naturelle de son
action et la South African Development Community (SADC) comme le vecteur de sa
politique africaine. Malgré l'extension de la SADC jusqu'aux confins de
l'Afrique centrale avec l'adhésion de la République démocratique du Congo (RDC),
les querelles de leadership en son sein l'ont privée d'une cohésion interne
suffisante pour en faire un outil d'action efficace dans les conflits de la RDC
et de l'Angola. C'est dans les Grands Lacs africains
que la RSA s'est découverte un champ d'action jadis dominé, mais déserté depuis,
par la Belgique et par la France. L'engagement de la RSA dans cette région a
débuté en 1994 avec la réprobation de la tragédie rwandaise et a culminé en 1997
avec sa médiation dans le conflit de l'ex-Zaïre. En dépit des divergences de vue
avec les gouvernements de l'Angola, de la Namibie, de la RDC, et du Zimbabwe,
sur les conflits de la région, la RSA a su conserver une présence discrète et
efficace dans la résolution des conflits de la RDC
et, à travers la médiation de Nelson Mandela, au Burundi. Jusqu'à présent, son
action dans les Grands Lacs a oscillé entre une diplomatie morale et une offre
de médiation pour accompagner une solution politique aux différents conflits.
Mais le déploiement de la South African National Defence Force (SANDF)
au Burundi le 31 octobre 2001 amorce une inflexion nouvelle de l'action de la
RSA dans la région, en signant ainsi sa première implication active et directe
dans le règlement d'un conflit ouvert africain. La portée de cette inflexion
mérite d'être correctement évaluée.
I. - La politique de la RSA en matière de paix et de sécurité dans les Grands
Lacs
Depuis qu'elle a dénoncé l'abandon du peuple rwandais par la communauté
internationale, la RSA demeure engagée sur les questions de paix et de sécurité
dans la sous-région des Grands Lacs. Cet engagement a été profondément marqué
par l'affirmation des valeurs morales tirées de sa propre expérience de
réconciliation nationale. Ce fut le temps de la diplomatie morale, incarnée par
la personnalité de Nelson Mandela sous son mandat à la tête de la RSA (A). A
côté de cette diplomatie morale, la RSA a offert et exercé sa médiation dans le
conflit de l'ex-Zaïre et Nelson Mandela a repris la médiation au Burundi après
le décès de Julius Nyerere (B).
A. - Le temps de la diplomatie morale sous la présidence de Nelson MANDELA
L'histoire de la lutte de l'African National Congress (ANC) contre l'exclusion
par le régime d'apartheid ainsi que la politique de réconciliation nationale ont
déterminé la doctrine de règlement des conflits de la RSA. La RSA revendique au
nom de son expérience singulière, celle d'un "pays ayant émergé des fortes
divisions du passé et qui a pu négocier une transition pacifique basée sur ses
propres techniques de résolution des conflits", une forme d'expertise "pouvant
aider les autres peuples confrontés aux mêmes types de problèmes".
La configuration ethnique et politique des Grands Lacs offre justement un espace
d'intérêt pour cette doctrine à cause des problèmes de coexistence pacifique
entre Tutsis et Hutus qui ont dégénéré en un génocide au Rwanda entre 1990 et
1994, en une guerre civile au Burundi en 1993 et en RDC depuis 1996. C'est dans
ce contexte que la diplomatie de la RSA - au nom de valeurs morales - agit dans
la sous-région des Grands Lacs, que ce soit par la réprobation du génocide
rwandais de 1994, la condamnation de la politique d'exclusion au Burundi depuis
1993, ou bien encore la condamnation du régime autocratique de Mobutu au Zaïre.
Elle promeut la politique dite de la "Renaissance africaine", à travers
des réseaux de soutien dont bénéficiait l'ANC du temps de l'apartheid. A côté de
ces principes moraux affirmés par la RSA dans la région, la recherche de la
transparence dans l'exportation des armes et le contrôle sur les activités des
compagnies de mercenaires
complètent la panoplie de cette diplomatie morale sud-africaine.
Dans l'affaire du Rwanda, la RSA a contribué - avec les Etats-Unis - à
l'adoption par le Conseil de sécurité de la résolution 1011 (1995)
portant suspension de l'embargo sur l'exportation des armes au Rwanda, institué
par la résolution 918 (1994) du 17 mai 1994.
Avant cette mesure de levée, la RSA fournissait des armes au Gouvernement du
Front Patriotique Rwandais (FPR). Cet engagement indéfectible aux côtés de
Kigali a créé des liens étroits entre la RSA et le régime FPR. A l'origine de
cette position se trouvait la compassion qu'elle éprouvait à l'égard du Rwanda,
livré à son propre sort par la communauté internationale au lendemain de
l'assassinat du président Habyarimana, le 6 avril 1994. Dans le but d'appuyer sa
position, la diplomatie de la RSA s'est engagée dans la région aux côtés des
régimes de l'Ouganda et de la Tanzanie, alliés historiques de l'ANC, pour
réfléchir sur les causes profondes de la tragédie rwandaise et empêcher sa
reproduction.
Ce travail de réflexion a créé, au sein de la région, une vision commune sur les
causes et les effets de la tragédie rwandaise et sur la nécessité de prévenir la
réédition d'une telle tragédie. La crédibilité diplomatique de la RSA a servi de
toile de fond à la consolidation de cette communauté de vue à travers un réseau
d'alliance au sein de la SADC, avec l'Ouganda et la Tanzanie, et avec le soutien
des Etats-Unis. De ce réseau, le Rwanda a tiré une importante force
diplomatique. La dérive du conflit congolais, ainsi que la dégradation
généralisée de la sécurité dans la région, ont entraîné des retournements
d'alliances, mettant en retrait la diplomatie morale de l'Afrique du Sud.
L'offre de médiation de la RSA dans le conflit de la RDC fut repoussée par le
régime de Kabila désormais allié à la Namibie, au Zimbabwe et à l'Angola,
brisant ainsi l'unité de la SADC. C'est suite à la pression de Nelson Mandela
que Paul Kagame, alors Vice-président du Rwanda, admit au cours d'une visite en
RSA la présence de troupes rwandaises sur le sol congolais aux côtés des
rebelles, ouvrant ainsi le chemin des négociations futures dans lesquelles la
RSA joue et jouera encore un rôle important.
B. - De la diplomatie morale au règlement pacifique des différends par la
médiation et la facilitation
Dès la fin de l'apartheid, le nouveau pouvoir de la RSA s'est méfié du régime
de l'ex-Zaïre dont les méthodes de gestion politique ne rencontraient guère
l'assentiment du président Mandela. Et ce, malgré les tentatives de
rapprochement entreprises par le régime zaïrois à la libération de Nelson
Mandela. Le soutien que les forces armées zaïroises (FAZ) accordèrent aux
ex-forces armées rwandaises (FAR) dans les camps de réfugiés n'aida pas
davantage à rapprocher les deux pays. Au contraire, la RSA approfondit sa
politique dans la région sur la base de la vision du FPR, elle-même structurée
autour du génocide de 1994. Aussi lorsque la guerre fut déclenchée en 1996 à
l'Est de la RDC, le président Mandela fut le premier chef d'État à recevoir
officiellement le rebelle congolais Laurent Désiré Kabila, relayant publiquement
l'action militaire des alliés rwandais et ougandais. L'implication de l'Afrique
du Sud donna, sur le plan diplomatique, une crédibilité à l'opération et
contribua à élargir le cercle de l'alliance et des soutiens au Zimbabwe, à la
Zambie, à l'Ethiopie, à l'Erythrée, à l'Angola… Dès lors, si Mobutu refusa, dans
un premier temps, la médiation offerte par la RSA, la torpeur de l'isolement
international dans lequel il s'enfonçait l'obligea - par réalisme - à s'y
résoudre à partir de 1997. L'objectif affiché par la médiation sud-africaine,
soutenue par les Etats-Unis, est d'assurer une transition en douceur en faveur
de Kabila, en évitant un bain de sang dans la capitale et en ouvrant la gestion
de la transition aux forces politiques non armées. Malgré l'engagement personnel
de Mandela et de son gouvernement, la médiation échoua. En effet, Laurent Désiré
Kabila, confiant en une victoire militaire et bénéficiant d'un crédit auprès de
différentes personnalités dont Nelson Mandela, refusera de négocier. Les rounds
de négociation organisés par la médiation sud-africaine, sur le navire "Outeniqua"
de la Marine sud-africaine accosté au large des côtes congolaises, avaient fait
long feu, et, avec eux, le contrôle sur l'évolution de la RDC échappa à la RSA.
L'adhésion de la RDC à la SADC n'y changea rien. Car les enjeux pour la RSA dans
le conflit de la RDC ne furent pas uniquement politiques. Les intérêts des
compagnies minières sud-africaines décidées à prendre pied dans ce pays, réputé
riche en minerais, n'étaient pas absents de la volonté de la RSA de maîtriser,
par cette médiation, le règlement de la crise afin d'élargir ses alliances,
d'influencer la politique dans la région et de prendre une part active à la
reconstruction économique de la RDC. Mais la médiation échoua, et le nouveau
pouvoir de Laurent Désiré Kabila ne tarda pas à dénoncer la partialité de la RSA
dans le conflit qui l'opposait au Rwanda et à l'Ouganda depuis 1998. C'est ainsi
que la coalition, que l'Afrique du Sud avait aidé à former en 1996 autour du
nouveau pouvoir, se lézarda progressivement jusqu'à éclater dans ce conflit, où
la RSA ne put jouer le même rôle public que dans le conflit de 1997. Dès ce
moment, la RSA a déployé une diplomatie secrète auprès de ses partenaires en
utilisant les réseaux historiques de l'ANC. En dépit des divisions au sein de la
SADC, la RSA est parvenue de manière informelle à promouvoir un cadre de
discussion impliquant la SADC, l'OUA et l'ONU à travers les négociations d'un
accord global de règlement du conflit congolais. Le résultat fut la signature
des Accords de Lusaka du 11 juillet 1999.
Après la mise en place du processus de paix en RDC, la RSA va s'impliquer dans
le processus de paix du Burundi, engagé depuis 1998, mais qui tardait à se
concrétiser. La médiation dans le conflit du Burundi a été confiée à Nelson
Mandela "intuitu personae" pour remplacer l'ancien président tanzanien
Julius Nyerere décédé en 1999. Il est intéressant de voir que Nelson Mandela
avait décliné, à la même période, l'offre de médiation qui lui avait été faite
lors du choix du médiateur dans le conflit de la RDC. Il estimait ne pas devoir
remplir une telle mission en raison des accusations de partialité en faveur du
Rwanda proférées par le régime de Laurent Désiré Kabila, qui menaçait de le
récuser si sa candidature était proposée. En acceptant la mission pour le
Burundi, le président Mandela a relancé l'Accord d'Arusha d'août 1998 et a
obtenu le 11 octobre 2001 à Pretoria l'accord des parties sur les modalités
juridiques de la transition. Le Conseil de sécurité a affirmé dans sa résolution
1375 (2001) son appui "résolu à la médiation de l'ancien président Mandela" et
"énergique à la mise en place d'un gouvernement de transition au 1er
novembre 2001" (§ 1), ainsi "qu'à la mise en place d'une présence multinationale
intérimaire de sécurité au Burundi" (§ 4).
Le mandat de cette présence multinationale est de "protéger les dirigeants
politiques qui rentrent au pays et de former une force de protection
panburundaise" (ibid., § 4), c'est-à-dire une force armée représentative
des deux principales communautés du pays : Hutus et Tutsis. En effet, cette
question constituait l'une des principales revendications des partis Hutus qui
reprochaient à l'armée, dominée par la minorité Tutsi, d'avoir confisqué le
processus démocratique en organisant l'assassinat de Melchior Ndadaye, le
premier Hutu élu président en 1993. C'est dans ce cadre que les militaires
sud-africains se sont déployés au Burundi le 31 octobre 2001, afin de participer
à cette présence multinationale intérimaire dont les effectifs atteindront 700
hommes avec les soldats venus du Sénégal, du Ghana et du Nigeria. En raison de
la médiation de Nelson Mandela dans le conflit, le dispositif sud-africain est
appelé à devenir le centre de cette présence intérimaire dont le terme du mandat
n'est pas précisé et dont l'évolution des missions exigera flexibilité et
adaptabilité à la contingence de l'environnement. Qu'adviendra-t-il, par
exemple, si les résistances dans les deux camps menacent la sécurité physique
des personnalités revenues de l'exil sur la foi de la protection offerte par les
éléments sud africains ? Ainsi, Colette Braeckman écrit dans le journal Le
Soir que Diomède Rutamucero, dirigeant Tutsi de l'association PA-Puissance
d'Autodéfense-Amasekanya, craignait que "l'affaiblissement de l'armée par la
présence de troupes étrangères, le retour de personnalités ayant directement
appelé aux massacres de 1993 et l'accord d'Arusha (qualifié de leurre, de
provocation, voire de déclaration de guerre) ouvre la voie à de nouveaux
massacres de Tutsis, qui pourraient même se propager jusqu'au Rwanda voisin".
Selon la journaliste, "[s]a conclusion est claire : Qu'on le sache : nous ne
nous laisserons pas faire…".
Les ramifications régionales du conflit burundais, ses interconnections avec les
scènes insurrectionnelles de la RDC et du Rwanda, ainsi que la radicalisation
des extrémistes des deux camps, pourraient conduire volens non lens la
RSA à adapter le mandat de sa mission aux contraintes du terrain. Dans cette
hypothèse, l'action de la RSA ne pourrait être que le premier pas vers une
opération plus large. L'honneur et la crédibilité de Nelson Mandela ainsi que de
son pays sont en jeu dans cette opération qui tranche avec les précédents
engagements diplomatiques de la RSA dans la région. L'Afrique du Sud
saura-t-elle tirer profit, en cas de besoin, des leçons de l'expérience
nigérienne au sein de l'ECOMOG au Liberia et en Sierra Leone ?
II. – Le déploiement des SANDF au Burundi : portée et incidences sur la
politique de la RSA dans les Grands Lacs
Le déploiement de la SANDF au Burundi est un précédent dont la portée et les
incidences vont au-delà du conflit burundais et pourraient influer sur la
sécurité globale de la sous-région des Grands Lacs. Ce déploiement révèle
d'abord une capacité d'action de la RSA, affranchie des luttes internes de la
SADC (A). Il constitue ensuite un test pour la SANDF dans ce type des conflits
(B). Enfin, cette arrivée pourrait être un prélude à un règlement de la
situation globale de la région dans la mesure où les ramifications du conflit
burundais s'enracinent dans les conflits des pays voisins : RDC et Rwanda où la
RSA peut jouer un rôle politique, diplomatique, voire militaire, important (C).
A. - L'expression d'une capacité d'action affranchie des luttes internes de la
SADC
La RSA est partie au Traité de la SADC, dont l'article 21 pose entre autres le
principe de la coopération des États membres dans les domaines de la paix et de
la sécurité. Sur cette base, les chefs d'État et des gouvernements membres
avaient décidé en mai 1996 de créer un organe de la SADC chargé des questions de
défense et de sécurité. Cet organe a été créé sous forme d'un Comité en charge
des questions de défense et de sécurité. Le 28 juin 1996, le sommet des chefs
d'État et de gouvernement avait précisé que ce Comité exercerait sa mission par
la prévention, la gestion et la résolution des conflits, la promotion du
maintien de la paix dans le but d'établir une paix et une sécurité durables, la
coordination de la participation des États membres aux opérations de maintien de
la paix aussi bien au niveau régional qu'international ainsi que la recherche de
solutions à des conflits qui ont un impact sur la paix et la sécurité en Afrique
australe.
Concernant l'action de la SADC dans ce domaine, le gouvernement sud-africain
note que si des progrès ont été réalisés dans le domaine de la coopération en
matière d'opérations de maintien de la paix,
les modalités de règlement des conflits et de création des missions de la paix
sous les auspices de la SADC restent peu claires.
Deux conflits divisent en effet la SADC : l'Angola et la RDC.
Les autorités de Luanda auraient sans doute souhaité recevoir un appui de la RSA,
fondé sur une sorte de devoir historique, en souvenir du soutien qu'ils
apportèrent à la lutte de l'ANC contre le régime d'apartheid. Or, en raison
justement de sa propre expérience intérieure, la RSA a invariablement été pour
une réconciliation interne en Angola. Cette position de la RSA diverge d'avec la
politique de Luanda qui a poussé à l'isolement international de l'UNITA,
considéré depuis la résolution 864 (1993) du Conseil de sécurité en date du 15
septembre 1993 comme le responsable de la reprise de la guerre en Angola après
les Accords de paix de Bicesse du 1er mai 1991 et de Lusaka du 20
novembre 1994. Du fait de cette méfiance entre les deux pays, la gestion du
conflit angolais échappe à la SADC. Pour bien marquer ses distances, l'Angola a
adhéré à la Communauté Economique des Etats de l'Afrique Centrale (CEEAC) depuis
février 1999. Le recentrage diplomatique et militaire de l'Angola en Afrique
centrale vise à renforcer sa position de leadership militaire dans le Golfe de
Guinée après ses interventions au Congo-Brazzaville et en RDC. Ce faisant,
l'Angola espérait couper définitivement les bases arrières de l'UNITA à partir
du Nord du pays et, sans doute aussi, renforcer la sécurité de l'enclave du
Cabinda, désormais coupée des bases arrières des deux Congo. Le décès du leader
de l'UNITA, Jonas Savimbi, modifiera peut-être le conflit interne angolais, mais
il est probable que la stratégie diplomatique et militaire de l'Angola dans la
sous-région demeure.
Dans le conflit de la RDC, le Zimbabwe de Robert Mugabe aurait souhaité
entraîner la SADC aux côtés du régime de Laurent Désiré Kabila pour repousser
les troupes rwandaises et ougandaises. Plus prudente, la RSA avait suggéré des
négociations politiques, se réservant de soutenir un régime qui avait déjà
montré ses limites en termes de gestion politique du pays et qui n'avait pas de
constance en termes de rapports diplomatiques. A partir de ce moment, le
Zimbabwe décida unilatéralement de porter secours au régime de Laurent Désiré
Kabila, entraînant un seul autre membre de la région : la Namibie. Divisée, la
SADC est devenue spectateur de ces conflits majeurs dont l'épicentre se trouve
désormais dans les Grands Lacs. En se déployant dans une opération militaire
intérimaire au Burundi, la RSA marque manifestement une volonté et une capacité
de s'émanciper des limites et des contraintes existant au sein de la SADC. Mais
quelle est l'étendue de sa capacité opérationnelle ?
B. - Les SANDF au Burundi : test des capacités opérationnelles dans un
environnement conflictuel
Le Livre Blanc sur la participation sud-africaine aux missions
internationales de paix conditionnait l'apport des troupes aux opérations
multinationales au résultat des réformes en cours visant à transformer
l'agglomération des anciennes forces gouvernementales et non gouvernementales de
la SANDF en une et seule armée, structurée et orientée pour servir un État
démocratique sud-africain. Doit-on alors interpréter le déploiement de la SANDF
au Burundi comme le signe de l'aboutissement de cette réforme ? On sait
notamment qu'en novembre 1999, à la suite de nombreux actes d'indiscipline et
d'incidents racistes au sein de l'armée, le ministre de la défense, Mosioua
Lekota, avait nommé une équipe d'enquête chargée d'évaluer le niveau des
tensions raciales et d'autres facteurs affectant la cohésion de la SANDF.
En déployant ses forces au Burundi, la RSA prend le pari d'accomplir sa mission
dans un environnement qui change et où il ne peut être exclu de rencontrer
l'hostilité des groupes armés qui se refusent encore à rejoindre le processus en
cours, comme les Forces de Défense de la Démocratie (FDD) et les Forces
Nationales de Libération (FNL), et autres nombreuses milices et associations
d'autodéfense. Le caractère multiracial des forces déployées et la présence de
femmes parmi elles est un exemple d'union donnée par la RSA aux burundais et à
la région toute entière. Mais cette force devra aussi démontrer, en cas de
besoin, qu'elle dispose d'un commandement homogène et qu'elle est capable de
s'intégrer en dehors du contexte de l'Afrique australe, avec d'autres forces,
pour remplir une mission de paix. Parmi les nations qui seront présentes au
Burundi, le Nigeria présente la singularité d'être un des États subsahariens,
disposant des moyens nécessaires et qui a déjà expérimenté, notamment au Liberia
et en Sierra Leone, la conduite d'opérations régionales dans un environnement
hostile. Cette association avec les SANDF pourrait générer une forte synergie, à
même d'affronter les défis globaux de sécurité de la sous-région. Cette
évolution mériterait d'être suivie de près. Elle pourrait faire émerger de
nouvelles pistes pour la reconstruction de la paix dans les Grands Lacs, où la
viabilité des processus engagés dans un seul pays est ruinée par l'absence d'une
vision globale et programmée des problèmes de la sous-région.
C. - Au-delà du Burundi : un plan global de règlement des conflits des
Grands-Lacs ?
La RSA pose sept principes à sa participation à une mission internationale de
paix.
Sur ces sept principes, deux concernent la clarté du mandat ainsi que les
critères d'entrée et de sortie de la mission. La RSA requiert d'abord un mandat
clair, réaliste et transposable en un plan opérationnel détaillé. La RSA inscrit
son action dans le cadre des règles et principes du système de sécurité
collective des Nations Unies, en exigeant que la mission soit autorisée par
l'ONU, par les organismes régionaux (le cas échéant), par le pays hôte et les
parties en conflit, et par les contributeurs. La RSA conditionne ensuite son
engagement à la clarté des critères d'entrée et de sortie, ce qui signifie que,
dès le début des opérations, les objectifs politiques de la mission doivent être
définis. La RSA n'envisage pas son déploiement comme une solution, mais plutôt
comme un moyen. Elle entre dans le conflit pour contribuer à son règlement et
elle en sort lorsque ce dernier est réglé.
Au regard de ces principes, qu'en est-il de la présence multinationale
intérimaire au Burundi ? Le mot "présence multinationale" renvoie, à première
vue, à une mission d'observation, mais son mandat est moins tranché, car
certaines de ses dispositions vont au-delà de la simple observation. Ainsi, la
mission intègre la réforme de l'armée et l'exécution des missions de police
intérieure, en se substituant aux forces armées pour ce qui concerne la
protection des opposants rentrés au pays. Dès lors, les termes du mandat sont
imprécis sur certaines questions importantes liées à la transposition de la
mission sur le plan opérationnel. Quelle sera la réaction de la présence
multinationale, si le conflit resurgit à Bujumbura ou dans ses environs
immédiats, sachant que dans son engrenage il pourrait mettre en cause la
sécurité des dirigeants à protéger ? Comment reforme-t-on une armée en période
de guerre, en évitant constamment avec efficacité la confrontation, recherchée
dans les deux camps ? C'est sans doute pour ces raisons que l'appui du Conseil
de sécurité est empreint de prudence. Dans sa résolution 1375 (2001), le Conseil
de sécurité a été clair en ce sens puisqu'il se déclare à nouveau disposé "à
envisager, à la lumière des progrès qui auront été accomplis dans le
processus de paix, de nouvelles contributions au processus de paix et à
l’application de l’Accord d’Arusha" (§ 6).
La position du Conseil de sécurité place la RSA en première ligne. Et sur elle
pèse la responsabilité de faire accomplir des progrès significatifs au processus
afin d'obtenir à nouvel engagement de l'ONU. Ce qui l'engage à une obligation de
résultat : obtenir une solution politique. Mais la solution à la crise du
Burundi dépend autant de sa situation intérieure que de l'équilibre général de
la sous-région des Grands Lacs. La paix n'est ni possible ni "consolidable" au
Burundi, sans considérer la situation du Rwanda et de la RDC. Le conflit du
Rwanda a depuis le début agi négativement sur la situation politique du Burundi,
qui était pourtant lancé sur la voie d'un processus démocratique ayant donné
lieu à des élections pluralistes et à une alternance au pouvoir. Ce processus a
été interrompu par les extrémistes des deux camps, qui ont exploité les peurs et
le désastre de la situation au Rwanda. Les propos de Diomède Rutamucero
rapportés plus haut traduisent cette réalité. Le conflit congolais, résultat de
l'implosion de l'appareil d'État et de la régionalisation de la crise rwandaise,
offre sur son immense territoire une base arrière aux groupes armés qui
combattent au Burundi. Lors de la négociation des Accords de paix de Lusaka en
1999 sur la RDC, la délégation burundaise avait émis le souhait d'en être
partie, dans le but de faire de cet instrument le cadre d'un règlement global de
la crise des Grands Lacs. Mais le gouvernement de la RDC s'y était opposé,
exigeant que le Burundi soit reconnu comme belligérant et reconnaisse sa
présence militaire au Congo. Ce qui ne fut pas le cas.
En définitive, la solution à
la crise du Burundi, comme celles du Rwanda, de la RDC et de l'Ouganda, passe
par une solution globale. L'intervention de la RSA dans cette région représente
une opportunité à la condition d'être comprise et appuyée par la communauté
internationale, ainsi que par les acteurs politiques de la région. Le fait que
la RSA accueille, après les travaux du sommet de l'Initiative régionale sur le
Burundi, ceux du dialogue inter-congolais, indique la capacité matérielle et
diplomatique de la RSA à contribuer avec d'autres, à la résolution des problèmes
dans la région. Les difficultés ne manqueront pas dans cette mission. Non
seulement, l'implication de la Tanzanie est nécessaire, mais aussi une meilleure
coordination avec le Nigeria
- avec l'appui d'autres pays et des bailleurs de fonds de la région - donnerait
lieu à une nouvelle dynamique. La RSA doit elle-même revisiter sa lecture de la
sous-région. Car l'avancée du processus en cours au Burundi a été rendue
possible par la hauteur de vue du médiateur qui a imposé une lecture débarrassée
des peurs entretenues et recommandé le respect des droits des minorités.
Paradoxalement, au Rwanda, la RSA n'impose pas encore une telle lecture. Il est
peut-être temps pour la RSA de s'affranchir d'une certaine vision de la
sous-région, structurée autour du génocide de 1994.
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Seule la version
au format PDF fait référence. © 2002 Sesanga Hipungu Dja Kaseng. Tous droits réservés.
SESANGA HIPUNGU. -
"L'Afrique du Sud et la sécurité sous-régionale des Grands Lacs". - Actualité et Droit
International, mars 2002 (http://www.ridi.org/adi).
NOTES
L'auteur a soutenu sa thèse de doctorat le 26 novembre 2001 sur "L'Espace
socio-politique et sécurité de l'Etat en Afrique subsaharienne". Il est ancien
consultant international pour les questions de sécurité, paix et développement
auprès de l'UNESCO (Unité des Pays les Moins Avancés et Division de la Paix) et
membre du Comité d'experts et de la Commission Politique pour les négociations
des Accords de Lusaka du 10 juillet 1999 sur la paix en République démocratique
du Congo.
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