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  L’AFFAIRE DE L’USINE MOX (IRLANDE C. ROYAUME-UNI)
DEVANT LE TRIBUNAL INTERNATIONAL DU DROIT DE LA MER :
QUELLES MESURES CONSERVATOIRES POUR LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT ?
 

par

Christophe Nouzha

Doctorant à l’Université Robert Schuman de Strasbourg

 

 

Résumé : Dans l’affaire de l’Usine Mox (Irlande c. Royaume-Uni), l’Irlande demandait au Tribunal international du droit de la mer la prescription de mesures conservatoires en se fondant sur l’article 290-5 de la Convention sur le droit de la mer de 1982 en attendant la constitution d’un tribunal arbitral. Cette affaire a été l’occasion pour le Tribunal de se pencher sur d’importantes questions concernant, d’une part, les conditions de la prescription des mesures conservatoires et, d’autre part, certains principes fondamentaux pour la protection de l’environnement.

Abstract : In the Mox Plant Case (Ireland v. United Kingdom) the International Tribunal for the Law of the Sea was requested by Ireland to deliver an order prescribing provisional measures under article 290-5 of the 1982 Law of the Sea Convention pending the constitution of an arbitral tribunal. This case gave the ITLOS an opportunity to examine important questions relating to the conditions governing the prescription of provisional measures and to some fundamental principles for the protection of the environment.

Impression et citations : Seule la version au format PDF fait référence.

 

 

Le complexe de Sellafield est, de longue date, une source de tensions entre l’Irlande et le Royaume-Uni. Situées au nord-ouest de l’Angleterre, sur les rivages de la mer d’Irlande et à 135 kilomètres des côtes irlandaises, ces installations destinées au retraitement des combustibles nucléaires usés ont été complétées dans les années 1990 par la construction d’une usine de production de combustible pour réacteurs nucléaires associant de l’oxyde de plutonium et de l’oxyde d’uranium, mélange appelé MOX. L’annonce, le 3 octobre 2001, de la mise en service imminente de l’usine MOX, fixée au 20 décembre 2001, a été immédiatement accueillie par des protestations de l’Irlande contre ce qu’elle considère comme une violation des obligations qui s’imposent au Royaume-Uni en vertu de la Convention sur le droit de la mer de 1982 (ci-après "la Convention")[1]. L’Irlande estime que le fonctionnement de l’usine conduirait à une augmentation de la pollution radiologique de l’environnement marin aux conséquences dramatiques. A cela s’ajouteraient les risques de pollution liés à l’augmentation, induite par le développement des activités de l’usine, des transports maritimes de matières nucléaires à destination ou au départ du complexe de Sellafield. Quelques jours après la déclaration britannique, le gouvernement irlandais rendait publique son intention de saisir une juridiction internationale du différend l’opposant au Royaume-Uni, comme l’y autorise la Convention. Celle-ci prévoit en effet qu’un différend portant sur l’interprétation ou l’application de ses dispositions peut être, sous certaines réserves, soumis unilatéralement à l’une des juridictions énumérées à l’article 287. Ce dernier permet aux Etats parties de choisir, par le biais d’une déclaration préalable, entre quatre juridictions pour régler leurs différends : le Tribunal international du droit de la mer (TIDM), la Cour internationale de Justice, un tribunal arbitral constitué en vertu de l’annexe VII de la Convention ou, dans des cas spécifiques, un tribunal arbitral spécial constitué en vertu de l’annexe VIII de la Convention. Le Royaume-Uni a choisi la Cour internationale de Justice par sa déclaration du 12 janvier 1998. L’Irlande, quant à elle, n’a pas effectué de choix, ce qui est assimilé par la Convention au choix d’un tribunal arbitral constitué en vertu de l’annexe VII. Les choix des deux Etats ne coïncidant pas, l’article 287-5 prévoit que le différend sera soumis à un tribunal arbitral constitué en vertu de l’annexe VII. Ce dernier comptait, au mois de novembre 2001, un arbitre désigné par l’Irlande (le Professeur J. Crawford) et un arbitre désigné par le Royaume-Uni (Sir A. Watts), les trois autres membres du tribunal n’ayant pas encore été choisis. Conscients des lenteurs de la mise en place d’une juridiction arbitrale, les négociateurs de la Convention ont prévu que le Tribunal international du droit de la mer peut être saisi, dans certaines circonstances, d’une demande de prescription de mesures conservatoires en attendant la constitution du tribunal arbitral (article 290-5). C’est sur ce fondement que, le 9 novembre 2001, l’Irlande a saisi le Tribunal d’un différend qui, à l’instar de l’affaire du Thon à nageoire bleue sur laquelle le Tribunal s’était prononcé en 1999[2], présente des enjeux environnementaux importants. Après avoir entendu les parties lors des audiences des 19 et 20 novembre, le Tribunal a rendu sa décision le 3 décembre 2001. L’affaire de l’Usine MOX a été l’occasion pour le Tribunal de développer son approche des conditions requises pour la prescription des mesures conservatoires dans le cadre de l’article 290-5. Dans son ordonnance adoptée à l’unanimité, le Tribunal examine d’abord la compétence du tribunal arbitral appelé à se prononcer sur le différend, avant de se pencher sur la question de l’urgence qui conditionne la prescription des mesures conservatoires.

 

 

I. - Le Tribunal procède à un examen prima facie de la compétence du tribunal arbitral saisi

 

 

La première question qui se posait au Tribunal était de savoir s’il pouvait conclure prima facie à la compétence du tribunal arbitral constitué en vertu de l’annexe VII. Il s’agit là en effet de l’une des conditions posées par l’article 290-5 de la Convention sur le droit de la mer, procédure bien particulière puisqu’elle oblige la juridiction sollicitée pour la prescription des mesures conservatoires à se prononcer sur la compétence d’une autre juridiction. Cette autre juridiction pourra elle-même modifier, rapporter ou confirmer ces mesures avant de se prononcer sur sa propre compétence et sur la recevabilité de la demande puis d’examiner éventuellement le fond de l’affaire. Ainsi, aux termes de l’article 290-5, le Tribunal « peut prescrire […] des mesures conservatoires […] s’il considère, prima facie, que le tribunal devant être constitué aurait compétence […] ». Pour cela, il lui appartenait, dans le cas présent, de se prononcer sur les objections fondées, d’une part, sur la compétence d’autres juridictions et, d’autre part, sur le non-respect de l’obligation de procéder à des échanges de vues.

 

 

A. - Le Tribunal précise les conditions d’application de l’article 282 de la Convention

 

 

L’affaire de l’Usine MOX soulève, une nouvelle fois, la question du recours à plusieurs juridictions pour le règlement de l’ensemble ou d’une partie d’un différend[3]. L’Irlande avait en effet annoncé son intention de saisir trois juridictions internationales.

 

Partie, tout comme le Royaume-Uni, à la Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est (dite Convention OSPAR), l’Irlande avait, dès le 15 juin 2001, mis en œuvre dans ce cadre la procédure de règlement des différends prévoyant la constitution d’un tribunal arbitral (ci-après tribunal OSPAR)[4]. Le litige portait sur l’application de l’article 9 de la Convention OSPAR concernant l’accès à l’information. L’Irlande estimait ainsi que le Royaume-Uni n’avait pas respecté les obligations qui lui incombaient. En vertu de l’article 9, les autorités compétentes des Parties contractantes doivent, sous certaines réserves, mettre à disposition de toute personne physique ou morale qui en ferait la demande, les informations concernant l’état de la zone maritime concernée et les activités ou mesures les affectant ou susceptibles de les affecter. Le refus du Royaume-Uni d’accéder aux différentes demandes d’information de l’Irlande au sujet du fonctionnement et de la sécurité de l’usine MOX avait conduit le gouvernement irlandais à saisir un tribunal OSPAR de l’affaire[5].

Par ailleurs, plusieurs griefs invoqués par l’Irlande à l’encontre de l’usine MOX pouvaient entrer dans le cadre du droit communautaire. L’Irlande reprochait notamment au Royaume-Uni de ne pas avoir effectué une étude adéquate de l’impact du fonctionnement de l’usine MOX sur l’environnement, en application de la directive du 27 juin 1985 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement[6]. Ceci a conduit des responsables irlandais à annoncer publiquement leur intention de saisir la Cour de justice des Communautés européennes de ce différend[7].

Enfin, se plaçant cette fois dans le cadre de la Convention sur le droit de la mer, l’Irlande a introduit, le 25 octobre 2001, une procédure arbitrale devant un tribunal constitué en vertu de l’annexe VII de la Convention. A l’appui de sa demande, l’Irlande a invoqué plusieurs dispositions de la Convention que le Royaume-Uni n’aurait pas respectées. Il en va ainsi des articles concernant la prévention, la réduction et la maîtrise de la pollution, accidentelle ou intentionnelle, de la mer (articles 192 à 194, 207 et 211 à 213), comme de ceux relatifs à l’obligation de coopération entre les Etats pour la protection du milieu marin (articles 123 et 197) ou encore de ceux portant sur l’obligation de procéder à une évaluation adéquate des effets potentiels d’une activité sur l’environnement marin (article 206)[8]. A la suite de l’amorce de cette procédure arbitrale, et en attendant la constitution du tribunal arbitral, l’Irlande a saisi le Tribunal international du droit de la mer d’une demande en prescription de mesures conservatoires, comme le lui permet l’article 290-5 de la Convention.

 

Après avoir vérifié que les deux Etats étaient bien parties à la Convention sur le droit de la mer, que le délai de deux semaines entre l’introduction de la procédure arbitrale et la saisine du Tribunal pour la prescription des mesures conservatoires avait bien été respecté et que l’Irlande avait fondé sa saisine du tribunal arbitral sur la Convention, le Tribunal devait déterminer tout d’abord si l’article 290 était applicable. L’article 286 dispose en effet qu’un différend ne peut être soumis à une cour ou un tribunal prévus par la Convention qu’à la condition qu’il n’ait pas été réglé par l’application des dispositions de la Partie XV - Section I (articles 279 à 285) de la Convention. Cette condition d’application de l’article 290-5 avait déjà été invoquée devant le Tribunal dans les affaires du Thon à nageoire bleue[9]. Mais à la différence de ces dernières affaires dans lesquelles l’attention ainsi que les critiques de la solution adoptée par le tribunal arbitral constitué en vertu de l’annexe VII s’étaient concentrées sur l’application de l’article 281, l’affaire de l’Usine MOX soulève cette fois-ci le problème de l’applicabilité de l’article 282. Ce dernier dispose en effet que « lorsque les Etats Parties qui sont parties à un différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la Convention sont convenus, dans le cadre d’un accord général, régional ou bilatéral ou de toute autre manière, qu’un tel différend sera soumis, à la demande d’une des parties, à une procédure aboutissant à une décision obligatoire, cette procédure s’applique au lieu de celles prévues dans la présente partie, à moins que les parties en litige n’en conviennent autrement ». Il convenait donc de déterminer quels étaient les accords permettant d’invoquer l’article 282, c’est-à-dire d’exclure la compétence du tribunal arbitral en voie de constitution et, par conséquent, celle du Tribunal international du droit de la mer.

 

Le Royaume-Uni a fondé une partie importante de son argumentation concernant la question de la compétence prima facie du tribunal arbitral sur l’applicabilité de l’article 282. En effet, pour empêcher le Tribunal de prescrire les mesures conservatoires demandées par l’Irlande, le Royaume-Uni devait le convaincre que le tribunal arbitral constitué en vertu de l’annexe VII ne pouvait pas être compétent, étant donné que ce différend relevait d’autres juridictions dont la compétence avait été acceptée par l’Irlande puisqu’elle était partie aux traités qui les instituaient. Selon le Royaume-Uni, les questions relatives au défaut d’information, caractérisant l’essentiel du différend, allaient être soumises au tribunal OSPAR dont la constitution avait été demandée par l’Irlande[10]. Par ailleurs, les autres allégations de l’Irlande, notamment celles selon lesquelles le Royaume-Uni n’aurait pas respecté son obligation de procéder de manière appropriée à une étude d’impact sur l’environnement avant d’autoriser la mise en service de l’usine MOX, concernaient une violation supposée du droit communautaire. Or, en vertu des articles 292 CE et 193 CEEA, ces questions ne pouvaient être soumises qu’à la Cour de justice des Communautés européennes[11]. Finalement, l’argumentation du Royaume-Uni sur l’applicabilité de l’article 282 revenait à faire le reproche à l’Irlande de se livrer à un véritable forum shopping, de choisir une juridiction particulière en fonction de ses chances d’obtenir satisfaction sur un point donné[12].

 

L’Irlande n’a pas eu de mal à démontrer que les différends dont elle avait saisi ou envisageait de saisir ces trois juridictions ne se recouvraient pas. Chacune des demandes portait sur un point précis, à savoir l’accès à l’information dans le cadre OSPAR et la réalisation d’une étude d’impact adéquate conformément au droit communautaire. La demande dont était saisi le tribunal arbitral constitué en vertu de l’annexe VII portait quant à elle sur des griefs que ni le tribunal arbitral OSPAR, ni la Cour de justice des Communautés européennes n’auraient pu trancher étant donné qu’ils concernaient l’application et l’interprétation de la Convention sur le droit de la mer[13]. Par ailleurs, mis à part les hypothèses de demandes strictement identiques, l’Irlande faisait valoir qu’un Etat est toujours libre d’invoquer des droits qu’il tire des instruments dont il est partie[14].

 

A une époque qui voit se multiplier les conventions portant en partie ou en totalité sur les mêmes domaines, l’éclaircissement des conditions d’application de l’article 282 revêt une importance déterminante pour l’avenir du système de règlement des différends prévu par la Convention sur le droit de la mer. Dans ce contexte, la question qui se pose est celle de savoir si un différend relevant non seulement de la Convention sur le droit de la mer, mais également d’autres conventions peut être soumis cumulativement aux procédures juridictionnelles prévues par chacune de ces conventions ou bien si, dans un tel cas, l’article 282 fait écran. Plusieurs hypothèses sont alors envisageables. Ainsi, une première interprétation de l’article 282 permettrait de défendre l’idée que dans le cas d’un chevauchement des obligations matérielles découlant de la Convention sur le droit de la mer et d’un accord général, régional ou bilatéral prévoyant une procédure obligatoire de règlement des différends aboutissant à une décision obligatoire, cette dernière prévaudrait sur la procédure de règlement des différends prévue par la Convention si et seulement si les différends étaient identiques[15]. Ceci n’est visiblement pas le cas dans l’affaire de l’Usine MOX, puisque ni les droits et obligations découlant de la Convention OSPAR et de la Convention sur le droit de la mer, ni les griefs de l’Irlande à l’encontre du Royaume-Uni n’apparaissent comme étant identiques. Une autre interprétation, plus restrictive, de l’article 282 conduirait à considérer qu’en présence d’une demande fondée sur des droits et obligations similaires ou identiques contenus à la fois dans la Convention sur le droit de la mer et dans d’autres accords généraux, régionaux ou bilatéraux, l’article 282 serait inapplicable parce que ces instruments internationaux auraient une existence propre et séparée[16]. Ceci signifierait que le terme « accord » utilisé à l’article 282 ne recouvrirait pas les accords qui prévoient une procédure obligatoire de règlement des différends aboutissant à une décision obligatoire, dès lors qu’elle porterait uniquement sur les dispositions de cet accord et non sur celles de la Convention sur le droit de la mer, quand bien même les droits et obligations objets du litige seraient similaires ou identiques[17]. Il s’agirait là d’une interprétation qui réduirait de manière significative les cas d’application de l’article 282[18], mais qui, d’après ses défenseurs, serait fidèle à la lettre et à l’objectif de cet article ainsi que de la Partie XV de la Convention[19].

 

Le Tribunal a choisi cette dernière interprétation. Il a en effet logiquement considéré que les accords mentionnés à l’article 282 devaient être des accords portant sur l’interprétation ou l’application de la Convention sur le droit de la mer elle-même, ce que ne sont ni la Convention OSPAR, ni les Traités CE ou EURATOM. De plus, quand bien même les accords en question contiendraient « des droits et obligations similaires ou identiques aux droits et obligations énoncés dans la Convention, les droits et obligations contenus dans lesdits accords [auraient] une existence propre, différente de celle des droits et obligations énoncés dans la Convention » et pourraient être interprétés de manière différente « compte tenu, notamment, des différences entre leurs contextes, objets et buts respectifs, de la pratique ultérieure des parties et des travaux préparatoires »[20]. Il s’agit là d’une importante contribution à la clarification des conditions d’application de l’article 282. Le Tribunal prend ainsi partie pour une interprétation restrictive de cet article qui limite les cas dans lesquels un Etat pourrait s’en prévaloir avec quelque chance de succès, puisqu’il faudrait pour cela que les différends concernant l’interprétation ou l’application de la Convention sur le droit de la mer soient recouverts par la définition des différends visés par l’accord général, régional ou bilatéral[21].

 

Par ce biais, le Tribunal renforce la présomption de compétence du tribunal arbitral constitué en vertu de l’annexe VII et, par la même occasion, sa propre compétence dans la cadre de l’article 290-5.

 

 

B. - Le Tribunal adopte une position classique sur l’obligation de procéder à des échanges de vues

 

 

L’article 282 n’est pas le seul moyen que peuvent invoquer les Etats pour contester la saisine de l’une des juridictions compétentes pour régler les différends entre les Parties à la Convention sur le droit de la mer. L’article 283-1 prévoit en effet une obligation de procéder « promptement à des échanges de vues concernant le règlement du différend par la négociation ou par d’autres moyens pacifiques ». Cet article laisse donc aux parties en litige le choix du moyen de règlement de celui-ci parmi la vaste panoplie que connaît le droit international[22]. L’essentiel est bien qu’il y ait eu échanges de vues, formule propre à la Convention de 1982 et qui peut être assimilée à des consultations.

 

Sur ce point, comme sur bien d’autres, l’argumentation des parties témoigne de désaccords profonds. L’Irlande considérait ainsi que les échanges de correspondances et les rencontres entre responsables irlandais et britanniques, initiés dès la fin de 1999 et qui s’étaient par la suite échelonnés tout au long de l’année 2001, se rattachaient à l’exigence de procéder à des échanges de vues. A ces occasions, l’Irlande avait demandé au Royaume-Uni des garanties concernant la suspension de la mise en service imminente de l’usine afin de permettre aux parties de régler le différend relatif au respect des obligations s’imposant au Royaume-Uni en vertu de la Convention sur le droit de la mer. Ce dernier n’ayant pas donné de réponses qui puissent satisfaire l’Irlande, celle-ci estimait que les échanges de vues avaient abouti à une impasse et que rien ne l’empêchait désormais de recourir au tribunal arbitral[23]. Le Royaume-Uni, pour sa part, contestait l’existence même d’un échange de vues au sens de l’article 283. Il estimait en effet que les correspondances échangées avec l’Irlande n’exprimaient pas de manière suffisamment précise sa demande de procéder à un échange de vues afin de parvenir au règlement d’un différend qu’elle n’aurait, en outre, pas clairement rattaché à l’application de la Convention sur le droit de la mer[24].

 

Au cœur du problème soumis au Tribunal se retrouvait donc la question de savoir à partir de quel moment l’obligation de procéder à des échanges de vues, préalable à tout recours au règlement juridictionnel prévu par la Convention, pouvait être considérée comme remplie. Cette question n’est pas nouvelle. Ainsi, la Cour permanente de Justice internationale a déjà eu l’occasion d’affirmer que « […] l’appréciation de l’importance et des chances de réussite d’une négociation diplomatique est essentiellement relative. Une négociation ne suppose pas toujours et nécessairement une série plus ou moins longue de notes et de dépêches ; ce peut être assez qu’une conversation ait été entamée ; cette conversation a pu être très courte : tel est le cas si elle a rencontré un point mort, si elle s’est heurtée finalement à un non possumus ou à un non volumus péremptoire de l’une des Parties et qu’ainsi il est apparu avec évidence que le différend n’est pas susceptible d’être réglé par la négociation diplomatique »[25]. De même, la Cour internationale de Justice a estimé que « le fait que dans le passé les négociations collectives aient abouti à une impasse et le fait que les écritures et les plaidoiries des Parties dans la présente procédure aient clairement confirmé que cette impasse demeure obligent à conclure qu’il n’est pas raisonnablement permis de penser que de nouvelles négociations puissent aboutir à un règlement »[26]. Il faut que la négociation entre les parties « ait un sens, ce qui n’est pas le cas lorsque l’une d’elles insiste sur sa propre position sans envisager aucune modification »[27].

 

Face aux appréciations divergentes des parties rappelées dans l’ordonnance, le Tribunal a adopté une position des plus classiques. Mais, contrairement au tribunal arbitral dans l’affaire du Thon à nageoire bleue, il ne se prononce pas sur les consultations qui se sont déroulées entre les parties ni sur le caractère adéquat ou non de l’invocation par l’Irlande de la Convention sur le droit de la mer lors de ces consultations. Par une formule d’une brièveté remarquable, le Tribunal juge simplement qu’ « un Etat Partie n’a pas l’obligation de poursuivre un échange de vues, lorsqu’il arrive à la conclusion que les possibilités de parvenir à un accord ont été épuisées »[28]. Le Tribunal a vraisemblablement estimé que l’impossibilité d’un accord entre les parties ressortait manifestement de leurs positions difficilement conciliables attestées par les échanges de correspondances et les plaidoiries. Mais, sur ce point comme sur d’autres, une motivation moins lapidaire n’aurait sans doute pas nui à la qualité de l’ordonnance.

 

A l’issue de ces considérations et après avoir vérifié que la première condition posée par l’article 290-5 était bien remplie, le Tribunal pouvait conclure que le tribunal arbitral constitué en vertu de l’annexe VII aurait, prima facie, compétence pour connaître du différend. Il lui restait alors à se prononcer sur la nécessité de prescrire des mesures conservatoires.

 

 

II. - Le Tribunal évalue l’urgence de la situation pour prescrire les mesures conservatoires

 

 

Les mesures conservatoires sont des mesures exceptionnelles dont la prescription est laissée à l’appréciation discrétionnaire de la juridiction saisie, comme l’indique d’ailleurs le texte même de l’article 290 selon lequel cette juridiction « peut prescrire toutes mesures [qu’elle] juge appropriées en la circonstance ». Saisi dans l’attente de la constitution d’un tribunal arbitral, le Tribunal international du droit de la mer doit alors vérifier, en vertu de l’article 290-5, si l’urgence de la situation rend la prescription de telles mesures nécessaire. L’affaire de l’Usine MOX lui donnait ainsi l’occasion de préciser le critère d’urgence et son applicabilité aux mesures sollicitées par le demandeur, comme à celles qu’il choisit de prescrire de son propre chef.

 

 

A. - Le Tribunal apprécie le caractère urgent des mesures sollicitées par le demandeur

 

 

La question qui se posait au Tribunal portait sur le fait de savoir si les circonstances nécessitaient la prescription des mesures conservatoires demandées par l’Irlande. Le point central lors de l’examen de cet aspect de l’affaire était celui des effets réels et potentiels de la mise en service de l’usine MOX sur l’environnement et la santé. L’Irlande demandait en effet au Tribunal d’adopter des mesures aux termes desquelles le Royaume-Uni devrait retarder les débuts de l’activité de l’usine comme les transports de substances, matières ou déchets radioactifs à destination ou au départ du complexe de Sellafield. A l’appui de sa demande, l’Irlande faisait valoir que les activités de l’usine, qui devaient commencer le 20 décembre 2001, auraient des conséquences importantes pour l’ensemble de la région concernée. Selon l’Irlande, la mise en service de l’installation conduirait à des émissions et des rejets, opérationnels ou accidentels, de substances radioactives dans l’environnement, en particulier dans la mer d’Irlande. Dans un contexte où les événements du 11 septembre étaient encore présents dans tous les esprits, l’Irlande invoquait en outre la grande vulnérabilité des installations britanniques à des attaques terroristes dont les effets pourraient être désastreux[29]. Le critère d’urgence de la situation, exigence centrale pour la prescription de mesures conservatoires dans le cadre de l’article 290-5, devait être rapproché, selon l’Irlande, des conditions posées par l’article 290-1, à savoir que le Tribunal peut prescrire des mesures conservatoires « pour préserver les droits respectifs des parties en litige ou pour empêcher que le milieu marin ne subisse de dommages graves ». Pour cela, l’Irlande ne devait pas uniquement démontrer qu’à défaut d’obtenir les mesures conservatoires sollicitées, la mise en service de l’usine MOX pourrait léser les droits qu’elle détient en vertu de la Convention ou causer des dommages à l’environnement marin, mais il lui fallait également convaincre le Tribunal que l’urgence de la situation justifiait que la prescription de telles mesures ne pouvait attendre la constitution du tribunal arbitral prévu à l’annexe VII. Selon l’argumentation de l’Irlande, les débuts d’activité de l’usine, prévus pour le 20 décembre 2001, constitueraient en eux-mêmes un acte irréversible préjudiciable aux droits qu’elle invoquait, c’est-à-dire une violation des articles 192 à 194, 197, 206, 207 et 211 à 213 de la Convention, articles concernant la protection et la préservation du milieu marin. L’exploitation de l’usine et l’augmentation induite des transports de matières dangereuses à destination ou au départ du complexe de Sellafield causeraient ainsi non seulement des préjudices irréparables aux droits de l’Irlande, mais également des dommages graves et irréversibles à l’environnement de la mer d’Irlande, qui subirait une importante pollution radioactive du fait des rejets, émissions et fuites de substances traitées par l’usine[30].

 

Si l’analyse faite par le Royaume-Uni des conditions posées par l’article 290-5 pour la prescription des mesures conservatoires est assez proche de celle de l’Irlande, les conclusions de celle-ci sont en revanche loin d’être partagées. Le Royaume-Uni considérait ainsi que les exigences combinées des articles 290-5 et 290-1 imposaient au demandeur de démontrer, d’une part, l’existence d’un événement critique dont la survenance pourrait causer un préjudice suffisamment important à ses droits ou un dommage grave au milieu marin, d’autre part, la réalité du risque de préjudice ou de dommage et non pas simplement son caractère hypothétique, et enfin que le risque de préjudice ou de dommage ne permettrait pas d’attendre la constitution du tribunal arbitral prévu à l’annexe VII[31]. C’est précisément la preuve de ce risque de préjudice ou de dommage qui ferait défaut, les allégations de l’Irlande selon lesquelles la mise en service de l’usine MOX conduirait à un accroissement de la pollution radioactive du milieu marin n’apparaissant en aucune manière fondées. De plus, l’imminence d’un accord sur la composition du tribunal arbitral et le fait que les débuts de l’activité de l’usine MOX ne conduiraient pas à des transports maritimes supplémentaires de substances radioactives à destination ou au départ du site de Sellafield avant l’été 2002, voire avant le mois d’octobre 2002, démontreraient l’absence d’urgence de la situation et donc l’inutilité de la prescription de mesures conservatoires.

 

Etant donné la nature de l’affaire, qui posait d’importantes questions écologiques et de santé publique, il était prévisible que le Tribunal soit en présence d’oppositions tranchées entre les parties en litige. Mais, par-delà les problèmes scientifiques et techniques soulevés à cette occasion[32], le Tribunal était avant tout attendu sur celles de l’urgence et des conditions de prescription des mesures conservatoires dans le cadre de l’article 290-5. Après l’affaire du Thon à nageoire bleue, l’affaire de l’Usine MOX lui donnait ainsi une nouvelle occasion de développer sa jurisprudence dans ce domaine bien particulier. Force est cependant de constater que le Tribunal semble préférer la politique des petits pas pour préciser sa jurisprudence, optant pour une motivation elliptique, gage vraisemblable d’une adoption de l’ordonnance à l’unanimité, qui rend d’autant plus nécessaire et instructive la lecture des opinions de juges. Dès le début de son raisonnement, le Tribunal avait pourtant clairement lié les exigences de l’article 290-5 à celles de l’article 290-1[33], estimant que les premières devaient être lues à la lumière des secondes, ajoutant que « conformément à l’article 290, paragraphe 5, de la Convention, les mesures conservatoires peuvent être prescrites, en attendant la constitution du tribunal arbitral prévu à l’annexe VII, si le Tribunal considère que l’urgence de la situation l’exige, en ce sens que des actes préjudiciables aux droits de l’une ou l’autre partie pourraient se produire ou que le milieu marin pourrait subir des dommages graves avant la constitution du tribunal arbitral prévu à l’annexe VII »[34]. A cet égard, le Tribunal affine sa jurisprudence issue de l’affaire du Thon à nageoire bleue et confirme une position qui, bien que devant tenir compte des particularités du mécanisme de règlement des différends de la Convention sur le droit de la mer, rejoint celle de la Cour internationale de Justice. Dans l’affaire du Passage par le Grand-Belt, la Cour avait en effet considéré que « les mesures conservatoires visées à l’article 41 du Statut sont indiquées « en attendant l’arrêt définitif » de la Cour au fond et ne sont par conséquent justifiées que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il est probable qu’une action préjudiciable aux droits de l’une ou de l’autre Partie sera commise avant qu’un tel arrêt définitif ne soit rendu »[35]. Après cette utile précision, il aurait été bien venu que le Tribunal apportât également d’autres éclaircissements. En effet, si les exigences de l’article 290-5 doivent être complétées par celles posées à l’article 290-1, le Tribunal ne semble cependant pas disposer de la même latitude lorsqu’il est saisi sur le fondement du premier. Il lui faut, dans cette hypothèse, se prononcer sur la demande de prescription de mesures conservatoires tout en gardant à l’esprit qu’une autre juridiction sera, par la suite, saisie de l’affaire et que la période à laquelle s’applique la notion d’urgence est celle qui précède la constitution du tribunal arbitral et ne va pas au-delà[36]. Mais le Tribunal n’entre pas dans ces détails concernant l’urgence et ne définit pas les droits dont l’Irlande peut demander la protection[37]. Il ne caractérise pas non plus l’importance du préjudice que risque de subir le demandeur, même si les opinions de plusieurs juges mentionnent un préjudice irréparable[38], conformément à la jurisprudence de la Cour internationale de Justice[39]. Ainsi, après avoir rappelé les arguments respectifs des parties, le Tribunal en arrive de manière plutôt abrupte à la conclusion selon laquelle « eu égard aux circonstances de l’espèce, le Tribunal ne juge pas que l’urgence de la situation exige la prescription des mesures conservatoires sollicitées par l’Irlande, pour la courte période qui précédera la constitution du tribunal arbitral prévu à l’annexe VII »[40]. Deux raisons peuvent expliquer une telle solution.

 

Premièrement, et même si ce point ne transparaît pas réellement dans son ordonnance, le Tribunal a pu considérer que l’Irlande n’avait pas apporté la preuve de l’urgence de la situation, en ne justifiant pas que la mise en service de l’usine MOX risquait de causer un préjudice irréparable aux droits qu’elle invoquait ou des dommages graves au milieu marin dans le laps de temps précédant la constitution du tribunal arbitral (à savoir entre décembre 2001 et, vraisemblablement, février 2002[41]). L’invocation par l’Irlande du principe de précaution en soutien de son argumentation sur l’urgence de la situation n’a pas non plus convaincu le Tribunal. L’Irlande prétendait, en effet, que le principe de précaution devait être appliqué pour interpréter la notion d’urgence figurant à l’article 290-5[42]. Le rejet, implicite, par le Tribunal de l’applicabilité de ce principe, doit sans doute être attribué au fait que l’examen de l’affaire en était au stade des mesures conservatoires. Or, aux incertitudes persistantes sur le statut du principe en droit international, sur son contenu ainsi que sur les conséquences qui s’y attachent, s’ajoute une question déterminante : en admettant l’applicabilité du principe à ce stade, le Tribunal ne se verrait-il pas contraint non seulement de prescrire des mesures conservatoires de manière systématique, mais également d’aborder des questions concernant le fond de l’affaire[43] ? Pourtant, l’argumentation de l’Irlande n’est pas dénuée de tout intérêt. On ne peut, en effet, s’empêcher de penser au rôle que le principe de précaution serait susceptible de jouer dans le cadre des mesures conservatoires, car l’un des problèmes majeurs qui se posent au demandeur à ce stade d’une affaire est celui de la détention d’informations suffisantes pour appuyer sa position concernant le caractère grave, voire irréversible, des dommages à l’environnement du fait des activités envisagées ou menées par le défendeur. En outre, si le principe était interprété comme impliquant un renversement de la charge de la preuve, imposant à la partie dont les activités sont en cause de prouver que les risques de dommages sont inexistants, la juridiction disposerait d’un pouvoir accru pour protéger l’environnement[44].

 

Deuxièmement, le fait que les représentants britanniques aient assuré le Tribunal lors des audiences qu’il n’y aurait pas de « transports supplémentaires par mer de substances radioactives à destination ou en provenance de Sellafield du fait de la mise en service de l’usine MOX » avant octobre 2002[45], a été considéré par le Tribunal comme un engagement unilatéral liant le Royaume-Uni et relativisant d’autant l’urgence de la situation. Ce dernier point n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’affaire du Passage par le Grand-Belt dans laquelle la Cour internationale de Justice avait refusé d’indiquer les mesures conservatoires demandées par la Finlande. En s’appuyant sur ce qu’elle avait considéré comme un engagement unilatéral du Danemark, elle déclarait ainsi que, « prenant acte des assurances données par le Danemark selon lesquelles aucune obstruction matérielle du chenal Est ne se produira avant la fin de l’année 1994, et tenant compte du fait que la procédure sur le fond dans la présente affaire devrait normalement être menée à son terme auparavant, [la Cour] est d’avis qu’il n’a pas été établi que les travaux de construction porteront atteinte pendente lite au droit revendiqué »[46].

La combinaison des deux justifications évoquées ci-dessus permet d’expliquer pourquoi le Tribunal, agissant dans le cadre délimité par l’article 290-5, a choisi de ne pas prescrire les mesures conservatoires demandées par l’Irlande au premier rang desquelles figurait le report de la mise en service de l’usine MOX. Le Tribunal n’en est cependant pas resté là. Il a, en effet, estimé nécessaire de faire application de l’article 89-5 de son Règlement qui lui permet de prescrire des mesures totalement ou partiellement différentes de celles qui sont sollicitées pour rappeler aux parties l’importance de certains principes de droit international, tels que l’obligation de coopérer.

 

 

B. - Le Tribunal se fonde implicitement sur l’urgence de la situation pour imposer une obligation de coopérer aux parties

 

 

L’affaire de l’Usine MOX a été l’occasion pour le Tribunal d’affirmer clairement le rôle fondamental joué par le principe de coopération dans la protection de l’environnement marin. Il réagit par ce biais à ce qu’il considère comme une absence évidente de coopération entre les parties, dont témoignent d’ailleurs les pièces de procédure écrites ainsi que les plaidoiries. L’Irlande reprochait ainsi au Royaume-Uni d’avoir autorisé la mise en service de l’usine en violation des obligations qui s’imposaient à lui en vertu des articles 123 (coopération entre Etats riverains de mers fermées ou semi-fermées) et 197 (coopération au plan mondial ou régional) de la Convention. Le devoir de coopération imposait aux autorités britanniques de procéder à des consultations et à des échanges d’informations, ainsi que de tenir dûment compte des préoccupations irlandaises concernant les activités de l’usine et de ses conséquences potentielles pour l’environnement de la mer d’Irlande[47]. Pour le Royaume-Uni, en revanche, la violation de l’obligation de coopérer, à supposer que cette violation existe, ce que le défendeur contestait, n’aurait pas de caractère irréversible et ne devrait pas servir de fondement à la prescription des mesures conservatoires. Par ailleurs, des consultations avaient été organisées et des informations suffisantes avaient été fournies sur le fonctionnement de l’usine, aussi bien dans le cadre bilatéral que dans les institutions internationales auxquelles participent les deux Etats, telles que la Commission OSPAR ou la Communauté européenne[48].

 

Dans son ordonnance, le Tribunal a visiblement estimé que l’attitude des parties en litige rendait la prescription de mesures conservatoires nécessaire afin de préserver leurs droits respectifs et d’éviter une aggravation ou une extension du différend. Sans le mentionner explicitement, il semble donc considérer que la condition d’urgence prévue par l’article 290-5 est vérifiée et, par là même, faire une distinction entre des droits matériels invoqués par l’Irlande pour lesquels il a considéré que les conditions de prescription de mesures conservatoires n’étaient pas remplies, et des droits procéduraux, au premier rang desquels figure le devoir de coopération, qui nécessiteraient une protection particulière[49]. Le dispositif de l’ordonnance laisse d’ailleurs transparaître l’urgence de la situation, lorsque le Tribunal prescrit aux parties de « coopérer et, à cette fin, [de] procéder sans retard à des consultations […] »[50]. Par ailleurs, et bien qu’il soit limité par le cadre dans lequel il se prononce, c’est-à-dire celui de l’article 290-5, le Tribunal saisit cette occasion pour contribuer au renforcement et au développement d’une règle de droit essentielle, à savoir l’obligation de coopérer pour la protection du milieu marin. Après son ordonnance dans l’affaire du Thon à nageoire bleue, il démontre une nouvelle fois qu’il entend marquer sa jurisprudence par une prise en compte des problèmes environnementaux. Mais, alors que dans l’exposé des motifs et le dispositif de l’ordonnance précitée le Tribunal souhaitait davantage de coopération entre les parties et avec les Etats tiers à l’instance[51], dans l’affaire de l’Usine MOX, il impose une obligation de coopérer aux parties en litige. Le Tribunal lie l’obligation de coopération à la prudence et à la précaution qui, juge-t-il, « exigent que l’Irlande et le Royaume-Uni coopèrent »[52]. Cette importance donnée à l’obligation de coopérer est justifiée par le fait qu’elle « constitue, en vertu de la partie XII [de la Convention sur le droit de la mer] et du droit international général, un principe fondamental en matière de prévention de la pollution du milieu marin »[53]. Il faut noter à cet égard que la mention du droit international général, qui ne semblait pas nécessaire, assure à l’obligation de coopération une assise qui dépasse la seule Convention sur le droit de la mer[54]. Par ailleurs, le Tribunal ne se contente pas d’insister sur le rôle de ce principe procédural. Il précise le contenu de l’obligation et en identifie les corollaires : la consultation, l’information et la coordination pour l’adoption de mesures de prévention des atteintes au milieu marin et de réaction face aux situations critiques[55]. Se plaçant résolument dans la perspective d’une meilleure protection de l’environnement marin, le Tribunal met à la charge des parties une obligation de « procéder sans retard à des consultations dans le but : a) d’échanger des informations supplémentaires concernant les conséquences possibles, pour la mer d’Irlande, de la mise en service de l’usine MOX ; b) de surveiller les risques ou les effets qui pourraient découler ou résulter, pour la mer d’Irlande, des opérations de l’usine MOX ; c) d’adopter, le cas échéant, des mesures pour prévenir une pollution du milieu marin pouvant résulter des opérations de l’usine MOX »[56]. Enfin, il renforce encore ces obligations par l’utilisation de l’article 95-1 du Règlement du Tribunal en vertu duquel les parties sont tenues de lui soumettre un rapport et des informations sur la mise en œuvre des mesures prescrites[57]. Si le Tribunal n’aborde pas la question, sans doute prématurée à ce stade de l’affaire, de l’applicabilité de l’obligation de procéder à une étude d’impact sur l’environnement, préférant utiliser l’expression « surveiller les risques » (« monitor risks » dans la version anglaise) à celle d’ « évaluer l’impact », il n’en trace pas moins une ligne de conduite que devront suivre les Etats. Ce faisant, il donne à l’obligation de coopération un caractère concret auquel se rattachent des conséquences directes pour la prévention des atteintes à l’environnement et la sauvegarde des intérêts communs[58].

 

* * *

 

Au fil des affaires qui lui sont soumises, le Tribunal poursuit le développement de sa jurisprudence. Dixième affaire inscrite au rôle du Tribunal depuis son entrée en fonction en 1996, l’affaire de l’Usine MOX lui a permis une nouvelle fois de démontrer qu’il peut parvenir rapidement à une décision dans le cadre des procédures urgentes, qu’il s’agisse, comme ici, d’une demande de prescription de mesures conservatoires ou d’une demande de prompte mainlevée de l’immobilisation d’un navire et de prompte libération de son équipage. L’adoption de l’ordonnance du 3 décembre 2001 à l’unanimité est, par ailleurs, un élément supplémentaire contribuant au renforcement de son autorité.

 

L’apport de cette ordonnance est double. Elle illustre le rôle qu’est amené à jouer le Tribunal dans la tentative de maîtriser les effets de la multiplication et de l’éclatement des procédures juridictionnelles internationales portant sur le droit de la mer. Le Tribunal apporte ainsi une importante contribution au débat sur la bonne administration de la justice internationale. Par ailleurs, l’ordonnance place au cœur de son dispositif une obligation générale de coopérer dont le Tribunal impose le respect par le biais des mesures conservatoires. Il en fait une règle minimale mais fondamentale servant, dans les cas d’urgence, à circonscrire le différend et, dans toutes les hypothèses, à prévenir les atteintes à l’environnement.

 

Néanmoins, des ombres demeurent au tableau. Les unes sont imputables au Tribunal auquel il peut être reproché, dans l’affaire qui lui était soumise, de n’avoir pas toujours motivé sa décision de manière suffisamment claire et explicite. Le souci de rassembler une majorité aussi large que possible et de renforcer ainsi l’autorité de la juridiction n’y est sans doute pas étranger. Les autres, plus préoccupantes, sont imputables aux Etats qui semblent malheureusement cantonner le Tribunal aux procédures urgentes alors qu’il a déjà eu l’occasion de prouver sa capacité à régler un différend au fond.

 

 

 


NOTES

 

Nota : Les documents relatifs au Tribunal international du droit de la mer (TIDM) sont disponibles sur le site Internet du Tribunal : http://www.tiddm.org. Abréviations – ASIL : American Society of International Law ; ILM : International Legal Materials ; RJE : Revue Juridique de l'Environnement ; SFDE : Société Française pour le Droit de l’Environnement ; ITLOS : International Tribunal for the Law of the Sea ; ZaöRV : Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht.

[1] Pour le texte, voir La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (10 décembre 1982), Paris, La documentation française, Notes et études documentaires, n° 4703-4704, 1983. Disponible aussi sur le site Internet des Nations Unies à l'adresse : http://www.un.org/french/law/los/unclos/closindx.htm.

[2] TIDM, ordonnance du 27 août 1999, affaires du Thon à nageoire bleue (Nouvelle-Zélande c. Japon ; Australie c. Japon).

[3] Pour un exemple de différend soumis à la fois au Tribunal international du droit de la mer et à une autre instance de règlement des différends, voir l’affaire concernant la Conservation et l'exploitation durable des stocks d'espadon dans l'océan Pacifique Sud-Est opposant le Chili et la Communauté européenne. Sur cette affaire, cf. les commentaires de M. Orellana, "The EU and Chile Suspend the Swordfish Case Proceedings at the WTO and the International Tribunal for the Law of the Sea", ASIL Insights, February 2001 (http://www.asil.org/insights.htm) et J. Neumann, "Die materielle und prozessualle Koordination völkerrechtlicher Ordnungen – Die Problematik paralleler Streitbeilegungsverfahren am Beispiel des Schwertfisch-Falls", ZaöRV, 2001, pp. 529-576.

[4] Aux termes de l’article 32 de la Convention OSPAR, « tout différend entre des Parties contractantes relatif à l’interprétation ou l’application de la Convention, et qui n’aura pu être réglé par les Parties au différend par un autre moyen tel que l’enquête ou une conciliation au sein de la Commission, est, à la requête de l’une de ces Parties contractantes, soumis à arbitrage dans les conditions fixées au présent article ». La Convention OSPAR ainsi que les autres textes adoptés dans le cadre de cette Convention sont disponibles sur le site Internet de la Commission OSPAR à l’adresse suivante : http://www.ospar.org.

[5] Voir la Demande de l’Irlande, par. 136 ; plaidoirie de M. McDowell, ITLOS/PV.01/06, p. 6 ; communiqué de presse du ministre irlandais, M. Jacob, datant du 26 octobre 2001, disponible sur le site Internet du gouvernement irlandais à l’adresse suivante : http://www.irlgov.ie/tec/press01/october26th01.htm. Sur le différend dans le cadre OSPAR, voir le compte rendu de la réunion du Comité substances radioactives 2001 (Numéro de référence : RSC 01/14/1-F), par. 8.3 et le compte rendu de la réunion de la Commission OSPAR 2001 (Numéro de référence : OSPAR 01/18/1-F), par. 5.7-5.27.

[6] Directive 85/337/CEE du 27 juin 1985, JOCE, n° L 175/40 du 5 juillet 1985.

[7] Voir par exemple le communiqué de presse du ministre irlandais, M. Jacob, datant du 3 décembre 2001 et disponible sur le site Internet du gouvernement irlandais à l’adresse suivante : http://www.irlgov.ie/tec/press01/december3rd01.htm.

[8] Voir la Demande de l’Irlande, par. 126 ; TIDM, ordonnance du 3 décembre 2001, par. 26.

[9] TIDM, ordonnance du 27 août 1999, affaires du Thon à nageoire bleue (Nouvelle-Zélande c. Japon ; Australie c. Japon).

[10] Exposé en réponse du Royaume-Uni, par. 163-165 ; plaidoirie de M. Plender, ITLOS/PV.01/08, pp. 16-18 ; TIDM, ordonnance du 3 décembre 2001, par. 40.

[11] Exposé en réponse du Royaume-Uni, par. 166-168 ; plaidoirie de M. Plender, ITLOS/PV.01/08, pp. 18-19 ; TIDM, ordonnance du 3 décembre 2001, par. 41-42.

[12] Dans sa plaidoirie, M. Plender estime ainsi que « […] l’Irlande a choisi votre Tribunal parce qu’elle trouvait que vos pouvoirs et votre diligence convenaient beaucoup mieux à ses objectifs que ceux d’autres cours et d’autres tribunaux ». Voir ITLOS/PV.01/08, p. 21.

[13] Voir la Demande de l’Irlande, par. 136-237 ; plaidoirie du Professeur Lowe, ITLOS PV.01/07, p. 4-8 ; TIDM, ordonnance du 3 décembre 2001, par. 45-47.

[14] Voir la plaidoirie du Professeur Lowe, ITLOS PV.01/09, p. 11.

[15] Dans ce sens, voir l’opinion individuelle du juge Jesus, par. 3-8. Cette interprétation est également avancée par le Professeur Lowe dans la plaidoirie. Voir ITLOS/PV.01/09, p. 11.

[16] Voir dans ce sens l’opinion individuelle du juge Wolfrum, p. 2.

[17] Voir l’opinion individuelle du juge Treves, par. 2-6, particulièrement éclairante sur la question de l’interprétation de l’article 282.

[18] Critique formulée par le juge Jesus dans son opinion individuelle, par. 2.

[19] Voir les opinions individuelles respectives des juges Wolfrum, p. 1 et Treves, par. 4. De l’avis de ce dernier, l’article 282 a une double fonction, à savoir d’éviter les cas de litispendance et de concentrer dans le cadre d’une seule et même procédure l’ensemble des questions d’application et d’interprétation de la Convention sur le droit de la mer posées par un différend. Voir l’opinion individuelle du juge Treves, par. 5-6.

[20] TIDM, ordonnance du 3 décembre 2001, par. 50 et 51.

[21] Le juge Treves considère que trois types d’accords entreraient dans ce cadre : un accord mentionnant expressément les différends concernant l’interprétation et l’application de la Convention sur le droit de la mer ; un accord sur le règlement des différends en général, tel que l’acceptation sans réserves par les deux parties de la compétence obligatoire de la Cour internationale de Justice en vertu de l’article 36-2 de son Statut ; un accord portant sur le règlement de catégories de différends incluant ceux relatifs à l’interprétation et l’application de la Convention sur le droit de la mer. Voir l’opinion individuelle du juge Treves, par. 3.

[22] Voir l’énumération contenue à l’article 33-1 de la Charte des Nations Unies.

[23] Demande de l’Irlande, par. 48-54 et 132-134. Dans sa plaidoirie, le Professeur Lowe estime ainsi qu’ « il y a un moment où l’urgence prévaut sur une répétition de positions inflexibles ». Voir ITLOS/PV.01/07, p. 9.

[24] Exposé en réponse du Royaume-Uni, par. 186-196 ; plaidoirie de M. Plender, pp. 21-22.

[25] CPJI, arrêt du 30 août 1924, affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine (Grèce/Royaume-Uni), série A, n° 2, p. 13.

[26] CIJ, arrêt du 21 décembre 1962, affaires du Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), C.I.J. Recueil 1962, p. 345.

[27] CIJ, arrêt du 20 février 1969, affaire du Plateau continental de la mer du Nord (RFA/Danemark ; RFA/Pays-Bas), C.I.J. Recueil 1969, par. 85 a).

[28] TIDM, ordonnance du 3 décembre 2001, par. 60. Dans sa sentence du 4 août 2000 dans l’affaire du Thon à nageoire bleue (Nouvelle-Zélande c. Japon ; Australie c. Japon), le tribunal arbitral avait estimé : « Negotiations have been prolonged, intense and serious. Since in the course of those negotiations, the Applicants invoked UNCLOS and relied upon provisions of it, while Japan denied the relevance of UNCLOS and its provisions, those negotiations may also be regarded as fulfilling another condition of UNCLOS, that of Article 283, which requires that, when a dispute arises between States Parties concerning UNCLOS’ interpretation or application, the parties to the dispute shall proceed expeditiously to an exchange of views regarding its settlement by negotiation or other peaceful means. Manifestly, no settlement has been reached by recourse to such negotiations, at any rate, as yet ». Voir sentence arbitrale, 4 août 2000, affaire du Thon à nageoire bleue (Nouvelle-Zélande c. Japon ; Australie c. Japon), par. 55, texte in ILM, 2000, p. 1389.

[29] Demande de l’Irlande, par. 140-148.

[30] Voir la plaidoirie du Professeur Lowe, ITLOS/PV.01/07, pp. 10-13 et ITLOS/PV.01/09, pp. 12-13. Sur les risques de pollution radioactive, voir la demande de l’Irlande, par. 26-43 et la plaidoirie de M. Fitzsimons, ITLOS/PV.01/06, pp. 12-18.

[31] Exposé en réponse du Royaume-Uni, par. 142-152.

[32] La Cour internationale de Justice avait déjà été confrontée à ce type de problèmes dans une affaire posant, elle aussi, d’importantes questions environnementales. Voir CIJ, arrêt du 25 septembre 1997, affaire du Projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), C.I.J. Recueil 1997, par. 140-1. Dans l’affaire de l’Usine MOX, voir sur ce point la déclaration collective des juges Caminos, Yamamoto, Park, Akl, Marsit, Eiriksson et Jesus, p. 1.

[33] L’article 290-1 prévoit que « si une cour ou un tribunal dûment saisi d’un différend considère, prima facie, avoir compétence en vertu de la [partie XV de la Convention] ou de la section 5 de la partie XI, cette cour ou ce tribunal peuvent prescrire toutes mesures conservatoires qu’il juge appropriées en la circonstance pour préserver les droits respectifs des parties en litige ou pour empêcher que le milieu marin ne subisse de dommages graves en attendant la décision définitive ».

[34] TIDM, ordonnance du 3 décembre 2001, par. 64.

[35] CIJ, ordonnance du 29 juillet 1991, affaire du Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark), C.I.J. Recueil 1991, par. 23.

[36] Sur ces points et sur la distinction entre les exigences respectives des articles 290-5 et 290-1, voir l’opinion individuelle du juge Mensah, p. 2-5. Voir également les critiques appuyées du juge ad hoc Székely dans son opinion individuelle, par. 21, qui semblent directement viser le raisonnement défendu par le juge Mensah.

[37] Des regrets concernant la trop grande brièveté de la motivation sont exprimés par plusieurs juges. Voir l’opinion individuelle du juge Mensah, p. 6 ; l’opinion individuelle du juge Treves, par. 7 et 8 ; l’opinion individuelle du juge ad hoc Székely, par. 20.

[38] Voir l’opinion individuelle du juge Anderson, p. 4 ; l’opinion individuelle du juge Mensah, p. 1 ; l’opinion individuelle du juge ad hoc Székely, par. 2.

[39] Voir, par exemple, CIJ, ordonnance du 8 décembre 2000, affaire relative au Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), par. 69 (disponible sur le site Internet de la Cour : http://www.icj-cij.org).

[40] TIDM, ordonnance du 3 décembre 2001, par. 81.

[41] Certains juges sont plus explicites sur cette question. Voir la déclaration collective des juges Caminos, Yamamoto, Park, Akl, Marsit, Eiriksson et Jesus, p. 1 ; l’opinion individuelle du juge Mensah, p. 5 ; l’opinion individuelle du juge Anderson, p. 5 ; l’opinion individuelle du juge Treves, par. 8.

[42] Voir la Demande de l’Irlande, par. 97-101. Il faut noter que l’argumentation de l’Irlande sur ce point aurait sans doute nécessité des développements plus conséquents. Sur le principe de précaution et son utilisation devant d’autres juridictions internationales, voir par exemple Ch. Nouzha, "Réflexions sur la contribution de la Cour internationale de Justice à la protection des ressources naturelles", RJE, 2000, pp. 400-405 et les références bibliographiques indiquées.

[43] Dans ce sens, voir l’opinion individuelle du juge Wolfrum, p. 5.

[44] Cette idée a été défendue par le juge Weeramantry dans son opinion dissidente jointe à l’ordonnance du 22 septembre 1995 de la Cour internationale de Justice dans l’affaire de la Demande d’examen de la situation au titre du paragraphe 63 de l’arrêt rendu par la Cour le 20 décembre 1974 dans l’affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), C.I.J. Recueil 1995, pp. 342 et 343. Le juge Weeramantry estimait ainsi que : « lorsqu’une partie allègue devant la Cour d’éventuels dommages, de caractère irréversible, qu’une autre partie est en train de causer ou menace de causer à l’environnement, il peut être difficile au demandeur de produire des moyens de preuve ou de réfutation, vu que la plupart des informations nécessaires sont probablement détenues par la partie qui cause ou menace de causer les dommages. Ce n’est que si un principe juridique est élaboré pour résoudre cette difficulté en matière de preuve que le droit peut remplir sa fonction de protection de l’environnement. C’est ainsi qu’a été conçu, dans le cadre du droit de l’environnement, ce que l’on appelle désormais le « principe de précaution » […] La Nouvelle-Zélande a fait tout son possible pour fournir des éléments à la Cour, mais c’est la France qui détient effectivement les renseignements. Le principe entre alors en jeu pour justifier l’examen par la Cour de la demande néo-zélandaise et la mise en œuvre immédiate des moyens dont elle dispose pour parer, à titre provisoire, à la menace de dégradation de l’environnement, jusqu’à ce qu’elle ait reçu des preuves scientifiques complètes propres à réfuter les affirmations de la Nouvelle-Zélande ». Il faut également noter qu’au sein du Tribunal, le juge Wolfrum, tout en étant opposé à l’utilisation du principe de précaution au stade des mesures conservatoires, se prononce clairement en faveur du renversement de la charge de la preuve : « Il n’y a pas d’accord général quant aux conséquences de l’application de ce principe, si ce n’est que la charge de la preuve concernant l’impact possible d’une activité donnée est renversée. C’est à l'Etat qui désire entreprendre ou poursuivre une activité particulière de prouver qu’elle ne causera aucun dommage, et non à l’autre partie de prouver qu’elle en causera ». Voir l’opinion individuelle du juge Wolfrum, p. 5.

[45] Voir les déclarations de M. Goldsmith, ITLOS/PV.01/07, p. 16 et de M. Plender, ITLOS/PV.01/09, pp. 18 et 24.

[46] CIJ, ordonnance du 29 juillet 1991, affaire du Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark), C.I.J. Recueil 1991, par. 27.

[47] Voir la Demande de l’Irlande, par. 56-81 ; plaidoirie du Professeur Sands, ITLOS/PV.01/06, pp. 31-34 et ITLOS/PV.01/07, pp. 1-3.

[48] Voir la plaidoirie de M. Goldsmith, ITLOS/PV.01/08, pp. 29-30.

[49] Voir l’opinion individuelle du juge Treves, par. 7.

[50] Point 1 du dispositif. Italiques ajoutés.

[51] Voir l’ordonnance du 27 août 1999, par. 77 et 78 : « Considérant que, de l’avis du Tribunal, les parties devraient, dans ces conditions, agir avec prudence et précaution et veiller à ce que des mesures de conservation efficaces soient prises dans le but d’empêcher que le stock du thon à nageoire bleue ne subisse des dommages graves; Considérant que les parties devraient redoubler d’efforts visant à coopérer avec d‘autres participants à la pêche au thon à nageoire bleue en vue d’assurer la conservation du stock et de promouvoir son exploitation optimale » ; voir également le point e) du dispositif : « L’Australie, le Japon et la Nouvelle-Zélande devraient reprendre les négociations sans délai en vue de parvenir à un accord sur des mesures pour la conservation et la gestion du thon à nageoire bleue ».

[52] TIDM, ordonnance du 3 décembre 2001, par. 84. Voir également le point 1 du dispositif, dans lequel le Tribunal prescrit que les parties « doivent coopérer ». Le Tribunal avait déjà utilisé la formule « prudence et précaution » au paragraphe 77 de son ordonnance du 27 août 1999 dans l’affaire du Thon à nageoire bleue.

[53] TIDM, ordonnance du 3 décembre 2001, par. 82.

[54] Le juge Wolfrum qualifie cette obligation de « norme fondamentale [l’expression de "Grundnorm" dans le texte original anglais est encore plus explicite] de la partie XII comme du droit international coutumier de la protection de l’environnement » et estime que « le Tribunal considère que l’obligation de coopérer est le principe fondamental du droit international de l’environnement ». Voir l’opinion individuelle du juge Wolfrum, pp. 6 et 7. Le Professeur Kiss estimait quant à lui que la Convention « est imprégnée de l’idée fondamentale que les Etats doivent coopérer en toutes circonstances ». Voir A. Kiss, "La protection de la mer dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (10 décembre 1982)" in SFDE, Droit de l’environnement marin – Développements récents, Paris, Economica, 1988, p. 24.

[55] Sur l’obligation générale de coopération et les règles procédurales qui la complètent, voir J. Sohnle, Le droit international des ressources en eau douce – solidarité contre souveraineté, Thèse, Université Strasbourg III, 2000, pp. 476-520.

[56] TIDM, ordonnance du 3 décembre, point 1 du dispositif. Voir également le paragraphe 84 de l’ordonnance.

[57] Le rapport de l’Irlande a été remis au Tribunal le 17 décembre 2001. Voir le communiqué de presse du ministre irlandais, M. Jacob, datant du 17 décembre 2001 sur le site Internet du gouvernement irlandais à l’adresse suivante : http://www.gov.ie/tec/press01/december17th01.htm.

[58] Le juge Wolfrum estime à ce propos que « l’obligation de coopérer dénote un changement important dans l’orientation générale de l’ordre juridique international. Elle fait contrepoids au principe de la souveraineté des Etats et assure que les intérêts de la communauté soient pris en considération face aux intérêts individuels des Etats ». Voir l’opinion individuelle du juge Wolfrum, p. 7.

 


 

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NOUZHA Ch. - "L’affaire de l’Usine MOX (Irlande c. Royaume-Uni) devant le Tribunal international du droit de la mer : quelles mesures conservatoires pour la protection de l’environnement ?". - Actualité et Droit International, mars 2002. [http://www.ridi.org/adi].

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