Le droit
d'asile et l'Union européenne
par
Nabil Benbekhti
Assistant juridique - HCR
Résumé :
Avant que le Traité
d’Amsterdam n’en fasse une compétence communautaire, le droit d’asile a fait
l’objet de conventions régionales liant les Etats membres de l’Union européenne
et de textes relevant du domaine de la coopération politique au niveau
communautaire. Cependant, depuis la fin des années 80, les Etats européens ont
adopté une approche restrictive du droit d’asile, qu’ils tentent de transposer
en droit communautaire par le biais du processus d’harmonisation engagé en la
matière.
Abstract :
Before it
became a Community competency, asylum was regulated by regional conventions
signed between the member States of the European Union and by texts adopted in
the framework of political co-operation. However, since the end of the 80s,
European States have adopted a restrictive approach of asylum, which they are
trying to translate into Community Law through the ongoing harmonisation process.
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Depuis le Traité d'Amsterdam, le droit d'asile est
devenu une compétence communautaire, concurrente de celle des Etats membres, qui
relève du premier pilier et qui appartient au domaine plus large de la justice
et des affaires intérieures.
L'objectif de la Communauté européenne en cette matière est d'harmoniser les
législations nationales des Etats membres en développant des standards minimaux.
Les Etats membres ont en effet estimé que cette harmonisation était nécessaire
en vue de l'établissement et du fonctionnement d'un espace juridique commun.
Cependant, cette harmonisation réglementaire devra
nécessairement tenir compte des contraintes qui pèsent actuellement sur la
politique d'asile des Etats membres. Les textes préparés par la Commission
devront passer par le Conseil et il est difficile d'imaginer que les Etats
adopteront au sein de cet organe des positions moins restrictives que celles
qu'ils ont à l'heure actuelle au niveau national. Pour comprendre les enjeux de
l'harmonisation européenne du droit d'asile, il faut retenir que la Convention
relative au statut des réfugiés de 1951 (ci-après la Convention de 1951) a été
conçue essentiellement pour faire face aux conséquences humaines du deuxième
conflit mondial. Les limites temporelles et géographiques contenues dans
l'article 1 de la Convention, qui en circonscrivaient l'application aux
événements qui ont eu lieu en Europe avant 1951, n'ont été abolies qu'avec le
Protocole de 1967. Celui-ci rendait ainsi la Convention utilisable dans le
nouveau contexte géopolitique de l'époque, à savoir la guerre froide sur le
continent européen et les décolonisations en Afrique.
Depuis la chute du Mur de Berlin en novembre 1989,
les politiques d'asile des Etats membres de l'Union européenne ont connu
d'importantes mutations. Les facilités de circulation et de transit rendues
possibles par la libéralisation à l'Est, l'éclatement conflictuel de l'Union
soviétique et de la République fédérale socialiste de Yougoslavie, ainsi que les
nombreux conflits armés qui se sont développés depuis les années 90 en dehors du
continent européen, ont entraîné une augmentation des flux de population se
déplaçant de l'Est vers l'Ouest du continent et du Sud vers le Nord. Ces
tendances migratoires, combinées à une fermeture progressive par de nombreux
Etats membres des canaux d'immigration, notamment en ce qui concerne
l'immigration économique, ont conduit comme par un effet de vases communicants à
une augmentation importante du nombre de demandeurs d'asile.
Depuis lors, les personnes en quête de protection se trouvent mêlées à des
groupes d'individus qui ne fuient pas nécessairement des persécutions dans le
sens de la Convention de 1951. Face à cette confusion et à l'augmentation
corrélative du nombre de demandeurs d'asile, les Etats ont remis en cause
l'ensemble du système de protection et cherchent à réduire les demandes en
développant une interprétation restrictive du droit international des réfugiés.
Le processus d'harmonisation européenne s'inscrit
donc dans ce contexte d'après guerre froide. Quelle va être alors la teneur des
projets de directives et de règlements de la Commission européenne ? Quel impact
l'harmonisation européenne a-t-elle, ou aura-t-elle, sur le régime international
de protection des réfugiés qui découle de la Convention de 1951 ?
Il conviendra d'examiner les traits les plus
saillants de ce processus d'harmonisation en tenant également compte des moyens
par lesquels les Etats membres mettent en place cette politique d'asile. En
effet, on constate un glissement de cette matière du domaine de la coopération
intergouvernementale stricto sensu, c'est-à-dire en dehors du cadre
communautaire, vers une communautarisation à part entière, après une phase de
coopération politique dans le cadre du Conseil.
I. - Les premiers pas d'une politique d'asile
européenne
L'asile a pendant longtemps été tenu à l'écart des
différents processus de transfert de compétences qui ont jalonné la construction
européenne. Jusqu'à la fin des années 80, chaque Etat déterminait seul sa
politique d'asile et son interprétation de la Convention de 1951. Cependant, en
même temps que les mouvements de population changeaient de dynamiques, les Etats
européens en ont progressivement fait un objet de conventions régionales
multilatérales avant de l'intégrer directement dans les textes communautaires.
A. -
Les conventions régionales
C'est dans le Livre blanc de la Commission
européenne sur l'achèvement du Marché intérieur de juin 1985
que l'on trouve la première référence à l'asile dans le contexte communautaire.
Pour les auteurs du Livre blanc, l'abolition des frontières intérieures
entre les Etats membres passe par une harmonisation des règles relatives à
l'entrée et au séjour des ressortissants extra-communautaires. Dans ce contexte,
l'asile n'est que l'un des moyens par lequel un ressortissant
extra-communautaire pénètre sur le territoire des Etats membres. Cependant, pour
qu'aucun doute ne subsiste sur la qualité du statut octroyé par un Etat membre à
un réfugié circulant dans l'Union ou souhaitant s'établir dans un Etat membre
autre que celui qui lui a accordé le statut de réfugié, il est apparu nécessaire
de mettre en place des règles communes applicables en la matière par tous les
Etats membres. Telle est la raison d'être de la communautarisation progressive
de l'asile et de l'harmonisation du droit des réfugiés au niveau européen.
Le 14 juin 1985 fut signé en dehors du cadre
communautaire, à Schengen au Luxembourg, L'Accord européen sur la suppression
graduelle des contrôles aux frontières communes.
La Convention de mise en oeuvre de l'Accord de Schengen
contenait un chapitre sur la détermination de l'Etat responsable pour l'examen
d'une demande d'asile. L'Accord de Schengen organise en fait une "frontière
extérieure commune" aux Etats parties et, du fait de l'abolition des frontières
intérieures, met en place un mécanisme visant à identifier l'Etat qui aura la
charge d'examiner les demandes d'asile. L'idée essentielle est que l'Etat
compétent pour recevoir une demande d'asile est le premier sur le territoire
duquel le demandeur d'asile a pénétré – légalement ou non – lorsqu'il a franchi
la frontière commune.
Un tel mécanisme permet non seulement de mettre fin à la situation des
demandeurs d'asile "sur orbite",
pour lesquels aucun Etat ne s'estime compétent, mais il empêche également un
demandeur d'asile dont la demande a été rejetée définitivement par un Etat
partie de présenter une nouvelle demande dans un autre Etat partie.
Cette disposition pose de sérieux problèmes dès lors que tous les Etats parties
n'ont pas la même définition de la notion de réfugié et que certains
interprètent les dispositions de la Convention de 1951 de façon restrictive.
Ainsi par exemple, l'Allemagne considère que la persécution évoquée dans
l'Article 1 A (2) de la Convention de 1951 doit nécessairement émaner d'agents
étatiques pour que la personne qui en est victime puisse se voir reconnaître la
qualité de réfugié. Cependant, pour d'autres Etats, comme la France, la
persécution émanant d'agents non étatiques peut, dans une certaine mesure,
donner droit au statut de réfugié. Ainsi, un demandeur d'asile victime de
persécutions par des agents non étatiques se verra refuser toute protection s'il
dépose sa demande en Allemagne, alors que s'il pouvait la déposer ensuite en
France, elle lui serait vraisemblablement accordée.
Ces dispositions firent par la suite l'objet d'une
convention à part entière, la Convention déterminant l'Etat responsable de
l'examen des demandes d'asile dans l'un des Etats membres de la Communauté,
adoptée lors du Sommet européen de Dublin du 16 juin 1990 (ci-après la
Convention de Dublin). La Convention de Dublin est entrée en vigueur le 1er
septembre 1997 et reprend les critères de prise en charge contenus dans la
Convention de mise en oeuvre.
La Convention de Dublin, bien que ratifiée par les Quinze, est en réalité un
instrument juridique inter-gouvernemental qui ne relève pas du droit
communautaire stricto sensu.
Avant de présenter brièvement certaines des
dispositions de la Convention de Dublin, il convient de noter que l'effet
essentiel de ce texte est de transformer les différents ordres juridiques des
Etats parties en un espace unique, tout au moins en ce qui concerne l'asile. Un
demandeur d'asile pénétrant dans l'espace unique ainsi créé ne peut présenter sa
demande qu'à un seul Etat. Dans cet espace commun, la Convention de Dublin
transforme les 15 signataires de la Convention de 1951, en un seul débiteur des
obligations découlant de cette dernière.
Ainsi, la Convention de Dublin prévoit qu'un Etat
estimant qu'un demandeur d'asile relève d'un autre Etat
adresse à ce dernier une requête tendant à lui faire prendre en charge l'examen
de la demande d'asile. Cependant, un Etat non responsable de l'entrée d'un
demandeur sur le territoire commun peut tout de même décider d'examiner la
demande d'asile.
De même, afin de préserver l'unité de la famille, l'Etat qui a octroyé le statut
de réfugié aux membres de la famille d'un demandeur, est également tenu
d'examiner sa demande, même s'il est entré sur le territoire commun par le biais
d'un autre Etat. Les articles 5 et suivants de la Convention de Dublin
reprennent avec quelques nuances les critères de prise en charge établis par la
Convention de mise en oeuvre de l'Accord de Schengen.
Nous voyons donc à travers ces deux instruments
juridiques internationaux que le souci majeur des Etats membres de l'Union
européenne en matière d'asile est de rationaliser les demandes d'asile sur le
territoire commun. L'absence de compétence spécifique de la Communauté en la
matière n'a pas empêché ces efforts et c'est à travers les outils conventionnels
traditionnels que les Etats ont cherché à se répartir les responsabilités en
matière d'asile. L'absence de dispositions procédurales précises dans la
Convention de 1951 leur a permis de mettre en place un mécanisme original de
répartition des demandes d'asile. Cependant, le Haut Commissariat des Nations
Unies pour les Réfugiés (HCR) a maintes fois réitéré ses craintes de voir des
demandes d'asile rejetées par un Etat, alors qu'elles ne l'auraient pas été par
d'autres, en raison de la divergence d'interprétation de la notion de réfugié.
Dans un tel contexte, un mécanisme de répartition des demandes d'asile peut
poser problème vis-à-vis des dispositions de la Convention de 1951.
L'autre difficulté rencontrée par les Etats parties à la Convention de Dublin
concerne l'établissement de la preuve qu'un demandeur d'asile est entré sur le
territoire commun par un Etat déterminé. D'après l'article 7 de la Convention de
Dublin, c'est ce dernier qui est alors responsable pour examiner la demande,
mais cette détermination n'est pas toujours facile à établir.
Certains Etats membres de l'Union européenne ont alors suggéré que des
changements soient apportés à la Convention de Dublin au moment de sa
communautarisation, c'est à dire lors de sa transformation en un texte de droit
dérivé (voir infra, section II).
Il convient de s'attarder maintenant sur le Traité
de Maastricht et sa contribution à l'élaboration d'une politique d'asile
communautaire.
B. - Le
Traité de Maastricht
Le Titre VI du Traité de Maastricht sur l'Union
européenne inclut la politique d'asile dans la liste des matières d'intérêt
commun pour lesquelles les Etats membres devront coopérer.
C'est la première fois qu'un traité communautaire contient une référence
explicite à l'asile. Cependant, cette coopération en matière d'asile s'insère
dans le cadre plus large du domaine de la justice et des affaires intérieures et
relève ainsi du troisième pilier, celui que les Etats membres ne souhaitent pas
encore communautariser. Les textes adoptés sur cette base ne sont donc pas
juridiquement contraignants et gardent une forte empreinte intergouvernementale.
Ceci se traduit par la nature des textes qu’il est possible d’adopter en la
matière et aussi par un droit d'initiative ouvert non seulement à la Commission
mais aussi aux Etats membres. Ainsi l'article K.3 paragraphe 2 indique que les
textes pourront prendre la forme de positions communes, d'actions communes,
voire de conventions, juridiquement contraignantes celles-là.
Suite à la signature du Traité de Maastricht, les
Etats membres adopteront cinq textes importants :
-
La résolution relative aux demandes manifestement
infondées (Londres, 30 novembre et 1er décembre 1992) ;
-
Les conclusions relatives aux Etats où, en règle
générale, il n’existe pas de risques sérieux de persécution (Londres, 30
novembre et 1er décembre 1992) ;
-
La résolution relative à une approche harmonisée
des questions relatives aux pays tiers d’accueil (Londres, 30 novembre et 1er
décembre 1992) ;
-
La résolution du Conseil sur les garanties
minimales pour les procédures d’asile (Bruxelles, 20 juin 1995) ;
-
La position commune concernant l’application
harmonisée de la définition du terme réfugié au sens de l’article 1er
de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié
(Bruxelles, 4 mars 1996).
Les Etats membres ont également adopté un texte sur
les accords de réadmission et deux textes concernant les personnes déplacées.
La caractéristique essentielle commune à ces textes
est qu’ils ne relèvent pas de la nomenclature classique du droit communautaire
dérivé de l’article 249. C'est ainsi qu'ils prévoient une mise en œuvre souple
même si elle reste soumise à certains délais. Ainsi, par exemple, la résolution
sur les demandes d’asile manifestement infondées prévoit dans ses dispositions
finales que « les ministres sont convenus de s’efforcer d’adapter, si
besoin est, leur législation nationale et à y transposer les principes énoncés
dans la présente résolution dans les meilleurs délais, et au plus tard le 1er
janvier 1995 ».
Sur le plan du droit matériel, les Etats membres
consacrent pour la première fois dans des textes internationaux de nouveaux
concepts tels que le pays tiers sûr ou le pays d’origine sûr. Ce dernier est
défini comme étant celui dont viennent les réfugiés ou celui dans lequel les
circonstances ayant conduit à un exode de réfugiés ont cessé d’exister.
L’évaluation de ces circonstances se fait sur la base de critères comme
l’existence d’institutions démocratiques, le respect des droits de l’homme par
le pays en question ou encore sa stabilité politique.
Conclure qu'un individu provient d'un pays d'origine sûr entraîne le rejet de
l'examen de la demande d'asile. Quant au pays tiers sûr, c’est celui dans lequel
le demandeur d’asile aurait pu demander l’asile. Ce pays tiers sûr est
nécessairement un pays extra-communautaire dans lequel la Convention de 1951 est
respectée et où la demande d’asile doit donc être déposée. Là encore, l'Etat
membre qui détermine qu'un demandeur d'asile a transité par un pays tiers sûr
avant de lui présenter sa demande d'asile pourra rejeter celle-ci en considérant
que c'est au pays de transit de l'examiner.
La position commune concernant l’application
harmonisée de la définition du terme réfugié au sens de l’article 1er
de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés a
de même été l’occasion pour les Etats membres de définir des notions comme la
persécution non étatique, l’alternative interne de protection ou encore le terme
même de persécution, que les rédacteurs de la Convention de 1951 s’étaient
abstenus de définir. Sur toutes ces questions, la position commune reflète
l'approche restrictive adoptée par les Etats membres depuis le début des années
90. La persécution par des agents non étatiques ne pourra donner lieu à la
reconnaissance de la qualité de réfugié que si ceux-ci ont bénéficié d'une
complicité du gouvernement.
Aussi la position commune prévoit que l'Etat qui examine une demande d'asile
devra rechercher si la protection nationale n'est pas possible dans une autre
partie du territoire, en d'autres termes si le demandeur d'asile ne dispose pas
d'une alternative interne de protection.
On voit donc à travers cette description que les
deux premières étapes de l'élaboration d'une politique d'asile communautaire ont
été marquées d'une part par un processus intergouvernemental de coopération en
la matière (conventions régionales puis textes adoptés dans le cadre de la
coopération politique) et d'autre part par une transposition sur le plan
européen des approches restrictives adoptées depuis plus d'une décennie par les
Etats membres. Le souci majeur des Etats est donc de ne pas se lier par des
textes juridiquement contraignants et de réduire le nombre de demandeurs
d'asile.
Le Traité d'Amsterdam ouvre une nouvelle période
puisque la politique d'asile va désormais prendre la forme de textes de droit
dérivé classiques (règlements, directives). Si la méthode d'élaboration change,
il reste à voir si l'inspiration demeure la même.
II. - La politique communautaire d'asile depuis le
Traité d'Amsterdam
Le Traité d'Amsterdam, entré en vigueur le 1er
mai 1999, a opéré le transfert de la question de l'asile du troisième au premier
pilier de l'Union européenne. Ce changement de cadre juridique va se traduire
par la possibilité de réglementer la matière par des textes de droit
communautaire dérivé juridiquement contraignants.
A. -
La nouveau cadre juridique de la politique d'asile européenne
L'Article 63 du Traité instituant la Communauté
européenne (ci-après TCE), tel que modifié par le Traité d'Amsterdam, prévoit
que le Conseil arrête des mesures concernant :
-
les critères et mécanismes de détermination de
l'Etat responsable d'une demande d'asile,
-
les normes minimales régissant l'accueil des
demandeurs d'asile,
-
les normes minimales concernant les conditions que
doivent remplir les demandeurs d'asile pour prétendre au statut de réfugié,
-
les normes minimales en matière de procédure,
-
les normes minimales relatives à l'octroi d'une
protection temporaire,
-
les mesures tendant à assurer un équilibre entre
les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir des réfugiés.
L'initiative des propositions est partagée entre la
Commission et les Etats membres. Le Conseil doit adopter les textes à
l'unanimité. Cependant, après une période transitoire de cinq ans suivant
l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam, seule la Commission aura le droit de
soumettre des textes au Conseil et ce dernier devra aussi prendre une décision
quant au passage ou non au vote à la majorité qualifiée.
La Cour de Justice de Luxembourg est désormais compétente pour apprécier la
validité ou assurer l'interprétation des textes adoptés en la matière, mais dans
des conditions dérogatoires à celles prévues à l'article 234 du TCE.
Ces dispositions achèvent ainsi la
communautarisation du droit d'asile, tout au moins au-delà de la période
transitoire de cinq ans suivant l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam.
Pour ce qui est du fond, bien que la Communauté
européenne ne soit pas en tant que telle partie à la Convention de 1951, Le
Traité d'Amsterdam a expressément prévu que « le Conseil (…) arrête (…)
des mesures relatives à l'asile, conformes
à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et au Protocole du 31 janvier 1967
relatifs au statut des réfugiés ainsi qu'aux autres traités pertinents ».
Cependant, cette référence à la Convention de 1951 n'a pas empêché l'Espagne,
lors de la conclusion du Traité d'Amsterdam, de faire adopter un protocole sur
le droit d'asile pour les ressortissants des Etats membres de l'Union
européenne. Ce Protocole No. 29 dispose que les Etats membres de l'Union
européenne sont par leur seule appartenance à l'Union des Etats d'origine sûr,
insusceptibles de persécuter leurs ressortissants. Dès lors, une demande d'asile
présentée par un ressortissant communautaire dans un autre Etat membre de
l'Union doit être déclarée irrecevable. Ce protocole, que les autorités
espagnoles ont promu dans un pur souci de politique interne,
a été dénoncé par de nombreuses organisations non gouvernementales
comme étant une violation de la Convention de 1951. Le HCR, quant à lui, y a vu
une réserve géographique nouvelle, modifiant indirectement l'application
ratione loci et ratione personae de la Convention de 1951.
Comme la Convention de Dublin de juin 1990,
ce Protocole, qui constitue en droit international public un traité régional,
permet aux Etats signataires de s'affranchir d'une partie de leurs obligations
au titre d'un autre traité international de caractère universel - la Convention
de 1951. Il est par ailleurs regrettable que le HCR se soit contenté de formuler
de simples observations plutôt que d'essayer, par exemple, d'obtenir un avis
consultatif de la Cour internationale de Justice sur la question.
Les ambitions du Traité d'Amsterdam dans le domaine
de l'asile ont néanmoins été confirmées à l'occasion du Conseil européen de
Tampere des 15 et 16 octobre 1999. Lors de cette réunion spéciale consacrée à la
création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice dans l'Union
européenne, les chefs d'Etat et de gouvernement des Etats membres ont précisé
l'objectif de leur politique d'asile communautaire. Ainsi, il a été affirmé
qu'« à terme, les règles communautaires devraient déboucher sur une procédure
d'asile commune et un statut uniforme, valable dans toute l'Union, pour les
personnes qui se voient accorder l'asile ».
C'est donc sur la base de l'Article 63 du Traité
instituant la Communauté européenne et des conclusions du sommet de Tampere que
la Commission a engagé son travail législatif sur ce point.
B. - Les
projets de textes de la Commission européenne
Conformément à ce qui lui a été demandé au Conseil
européen de Tampere,
la Commission a élaboré un Tableau de bord pour l'examen des progrès réalisés en
vue de la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice dans
l'Union européenne. Ce Tableau de bord, qui est en fait un échéancier, a rythmé
le travail de la Commission, qui dès la fin de l'année 2001 avait été en mesure
de préparer tous les textes prévus à l'article 63 du TCE.
Certains de ces textes ont été définitivement
adoptés par le Conseil et sont aujourd'hui en vigueur, alors que d'autres sont
encore en discussion. Ainsi pour ce qui est des textes préparés par la
Commission, il convient de retenir :
-
La proposition de
directive du Conseil
relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait
du statut de réfugié dans les Etats membres (adoptée par la Commission le 20
septembre 2000) ;
-
La proposition de
directive
relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les
Etats membres (adoptée par la Commission en mai 2001) ;
-
La proposition de
règlement
établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre
responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats
membres par un ressortissant d'un pays tiers (Dublin II) (adoptée par la
Commission le 27 juillet 2001) ;
-
La proposition de
directive
relative aux conditions à remplir pour pouvoir prétendre au statut de réfugié
ou au bénéfice d'une protection subsidiaire (adoptée le 12 septembre 2001).
Il est à noter que, lors du Conseil européen de
Séville des 21 et 22 juin 2002, les chefs d'Etat et de gouvernement ont demandé
au Conseil d'approuver le règlement Dublin II avant décembre 2002, les normes
relatives aux conditions requises pour bénéficier du statut de réfugié et au
contenu de ce statut avant juin 2003 et les normes communes en matière de
procédure d'asile avant fin 2003.
Aucun des textes portant sur les éléments juridiques
essentiels du régime d'asile communautaire n'a donc encore été adopté. Les
instruments juridiques pour l'instant en vigueur portent sur des questions
matérielles concernant l'accueil et l'identification des réfugiés et leur
protection en cas d'afflux massif.
Le Conseil a ainsi définitivement adopté :
-
La décision
portant création du Fonds européen pour les réfugiés (FER), le 28 septembre
2000 ;
-
Le règlement
concernant la création du système "Eurodac", le 11 décembre 2000 ;
-
La directive
relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en
cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer
un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir
ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil, le 20 juillet
2001.
Le FER concerne le financement des efforts d'accueil
des Etats membres. Le Fonds soutient trois types d'action : l'accueil,
l'intégration et le rapatriement volontaire. Les financements sont répartis
proportionnellement au nombre de réfugiés et de demandeurs d'asile présents dans
chaque Etat membre. Le système "Eurodac" vise quant à lui à la mise en place
d'un mécanisme de comparaison des empreintes digitales des demandeurs d'asile
aux fins d'application efficace de la Convention de Dublin. Ce système sera
opérationnel à la fin 2002. Enfin, la directive sur l'afflux massif, entrée en
vigueur en août 2001,
mérite quelques développements supplémentaires. Elle vient combler un vide
juridique puisqu'elle sera applicable dans les situations de mouvements de
populations à grande échelle, comme ceux du Kosovo en 1999 ou en ex-Yougoslavie
pendant la guerre de 1992-1995. En effet, lorsqu'il y a un tel afflux de
population, il est pratiquement impossible de faire un examen individuel des
demandes d'asile. Le régime d'asile de droit commun découlant de la Convention
de 1951 est donc difficile à mettre en oeuvre. Aussi, pour faire face aux
arrivées massives de population provoquées par les guerres balkaniques des
années 90, les Etats européens, y compris ceux de l'Union européenne, ont alors
mis en place des régimes de protection temporaire (statut humanitaire le plus
souvent). Aucun texte de droit international ne réglemente cette question et ce
vide juridique a permis aux Etats de décider seuls si les personnes ainsi
protégées auraient le droit de travailler, d'envoyer leurs enfants à l'école,
etc. Surtout, la question de l'articulation entre ce régime applicable aux
situations d'urgence et le régime d'asile de droit commun s'est très vite posée.
Le statut humanitaire octroyé est donc précaire, dans la mesure où l'Etat décide
seul de sa mise en oeuvre et de sa cessation. Il apparaît de surcroît
particulièrement flou dans la mesure où les droits auxquels il donne accès
semblent mal définis.
Cette directive du Conseil est donc la bienvenue,
dans la mesure où elle réglemente en détail l'ensemble de ces questions. Elle
prévoit notamment que toutes les personnes fuyant un conflit armé, des violences
endémiques ou une situation de violations systématiques et généralisées des
droits de l'homme se verront octroyer une protection temporaire pour au maximum
deux ans dans les Etats de l'Union. Les personnes sous protection temporaire
reçoivent un titre de séjour et ont accès au marché du travail, à l'éducation et
aux services sociaux. Enfin, autre élément important, la protection temporaire
n'empêche pas de présenter une demande d'asile, qui devra être examinée dans le
cadre de la procédure de droit commun. Un refus du statut de réfugié ne met pas
fin à la protection temporaire, dont la personne concernée peut bénéficier
jusqu'au terme de la période fixée.
L'aspect original de cette directive tient au fait
que la décision de recourir à la protection temporaire revient au Conseil et non
aux Etats membres. Cette décision est prise sur proposition de la Commission,
cette dernière agissant de sa propre initiative ou sur demande d'un Etat membre.
Le Conseil décide en en tenant notamment compte de la situation dans le pays
tiers concerné et l'ampleur des mouvements éventuels de population.
Nous voyons donc à travers cet exemple que
l'harmonisation du droit d'asile au niveau européen permet également de parvenir
à un accord interétatique sur des problématiques juridiques nouvelles, sur
lesquelles un accord à un autre niveau - ONU, par exemple - n’aurait peut-être
pas été possible.
Pour ce qui est des propositions de textes encore à
l'étude, il faut mentionner la transformation de la Convention de Dublin en
règlement du Conseil. Quant à la proposition de directive relative aux
conditions à remplir pour pouvoir prétendre au statut de réfugié, elle constitue
véritablement la pièce centrale du régime d'asile de l'Union européenne. Si elle
reprend les aspects essentiels de la Convention de 1951, notamment la définition
de la notion de réfugié et les droits attachés à cette qualité, elle donne
également une définition de la persécution et contient des dispositions sur la
persécution par des agents non étatiques et l'alternative de la protection à
l'intérieur du pays d'origine. Nous avons vu que les Etats membres avaient déjà
abordé ces questions dans leur position commune de mars 1996 concernant
l’application harmonisée de la définition du terme réfugié au sens de
l’article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative
au statut des réfugiés.
La proposition de directive introduit donc ces notions dans le droit
communautaire et consacre leur existence en tant que principes juridiques.
La proposition de directive relative aux conditions
à remplir pour pouvoir prétendre au statut de réfugié introduit également dans
le droit communautaire la notion de protection subsidiaire. C'est une protection
dont doivent bénéficier les personnes qui ne peuvent pas se voir reconnaître la
qualité de réfugié, mais qui risquent néanmoins de subir des tortures ou des
traitements inhumains ou dégradants ou de graves violations des droits de
l'homme. Ces risques peuvent être individualisés ou résulter d'une menace
généralisée.
Par opposition au réfugié, qui doit faire état d'une crainte de persécution du
fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques
ou de son appartenance à un groupe social,
la personne qui souhaite bénéficier de la protection subsidiaire doit donc
simplement se contenter d'établir un risque de violation des droits de l'homme.
La protection subsidiaire est en fait une notion issue du droit international
des droits de l'homme. En effet, la Convention de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales de 1950 (ci-après la CEDH) dispose dans
son article 3 que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou
traitement inhumains ou dégradants ».
La Cour européenne des droits de l'homme a donné une application
extra-territoriale
de ce texte en l’interprétant dans un sens qui empêche les Etats parties de
renvoyer dans son pays d'origine un individu qui risquerait de subir de tels
traitements.
Cette jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme s'est
considérablement développée et a fait émerger, à côté de la protection basée sur
la Convention de 1951, une protection au titre des droits de l'homme.
Les Etats membres de l'Union européenne ont fini par prendre en compte cette
nouvelle réalité juridique dans leur entreprise d'harmonisation.
En conclusion, il
convient de faire un rapide bilan politique et juridique du processus
d'harmonisation de l'Union européenne. Bien que ce processus soit toujours en
cours, nous pouvons d'ores et déjà constater qu'il confirme les tendances
observées durant la phase précédant la signature du Traité d'Amsterdam. Les
Etats membres souhaitent en réalité voir décroître le nombre de demandes d'asile
en introduisant en droit communautaire des concepts nouveaux (pays tiers sûr,
pays d'origine sûr) et des mécanismes (tel que celui mis en place par la
Convention de Dublin) qui ont pour effet de réorienter les flux de demandeurs
d'asile, essentiellement vers l’extérieur du territoire communautaire. A cette
politique restrictive, que les Etats candidats à l’élargissement ont dû intégrer
au titre de l’acquis communautaire, fera certainement écho la politique
restrictive des régions extra communautaires. Il faut également mettre la
politique d'asile en perspective avec la politique générale en matière
d'immigration, pour se rendre compte de l’approche minimaliste adoptée en
matière d’accès au territoire de l’Union. Pour ce qui est de la méthode, on
observe une interaction originale entre le droit international conventionnel, le
droit communautaire, le droit interne et les différents instruments juridiques
et politiques de l'Union européenne. Du point de vue strictement juridique cette
fois, l'harmonisation a eu quatre effets majeurs : elle a permis la
transposition en droit communautaire des dispositions de la Convention de 1951,
la définition de certaines des notions de la Convention de 1951, l'ajout
d'éléments nouveaux absents du régime international de protection, et, enfin,
elle a permis aux Etats membres de contourner certaines de leurs obligations qui
découlent de ce régime international. Si après la deuxième guerre mondiale
l’institution de l’asile était considérée comme une valeur sociale digne de
consécration juridique, on peut, à la lumière du processus actuel
d’harmonisation européenne, se demander si tel est toujours le cas aujourd’hui.
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NOTES
Copyright : © 2002 Nabil Benbekhti. Tous droits réservés. Impression
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Benbekhti
Nabil. - "Le droit d'asile et l'Union européenne". - Actualité et
Droit International, octobre 2002. <http://www.ridi.org/adi>.
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