LA RESOLUTION 1441 DU 8
NOVEMBRE 2002
DU CONSEIL DE SECURITE DES NATIONS UNIES
SUR L'IRAK
par
Robert Charvin
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l'Université de Nice - Sophia Antipolis
Le Conseil de sécurité, dont la
compétence spécialisée définie par la Charte des Nations Unies est d'assurer le
maintien ou le rétablissement de la paix, n'est soumis à aucun "contrôle de
légalité" : rien ne permet de garantir que ses résolutions, adoptées à
l'initiative des membres permanents, soient conformes à l'esprit et à la lettre
de la Charte.
C'est ainsi que sa "sensibilité" aux diverses
menaces à l'encontre de la paix ou recours à la force armée est variable : il
suffit de comparer son traitement de la question israélo-palestinienne (en
rupture avec les résolutions de l'Assemblée générale) et celui de la question de
l'Irak. A quatre-vingt onze reprises, les résolutions du Conseil de sécurité
n'ont pas été respectées (la Turquie et Israël, alliés privilégiés des
Etats-Unis, sont largement bénéficiaires de "l'indulgence" des Nations Unies)
sans provoquer de réaction. La "coïncidence" entre les préoccupations
stratégiques des Etats-Unis et celles du Conseil de sécurité est presque totale.
La résolution 1441 du 8 novembre 2002 en est une illustration particulièrement
significative : son contenu est celui du projet américain légèrement aménagé
afin de surmonter les susceptibilités des autres membres permanents, et son
inscription à l'ordre du jour tient compte prioritairement de la date des
élections américaines au Congrès.
1) Le 1er "considérant" de ladite
résolution indique que le précédent de l'agression irakienne contre le Koweït et
le "non-respect" des précédentes résolutions fondent la conviction du Conseil de
sécurité que l'Irak constitue une menace pour la paix et la sécurité
internationales. Aucun autre organe des Nations Unies n'a cru devoir faire le
même constat. Il faut dire que lorsque l'Assemblée générale dans d'autres cas
(embargo de Cuba ou de la Libye) a manifesté son désaccord avec les positions du
Conseil de sécurité, celui-ci n'en a tenu aucun compte. Les Etats-Unis, qui ont
les moyens de convaincre tous les autres membres du Conseil de sécurité, font de
l'instance chargée du maintien de la paix le "juge et partie" du respect des
résolutions adoptées. C'est ainsi que le non respect de la résolution du Conseil
de sécurité relative à la mission devant être envoyée à Djénine à propos des
actes de répression commis par Israël n'a suscité aucune réaction.
La résolution 1441 ne manque pas, conformément aux
souhaits des Etats-Unis, de rappeler que la résolution 678 (1990) avait autorisé
les Etats membres à user de tous les moyens nécessaires pour faire respecter les
résolutions visant à rétablir la paix et la sécurité dans la région. Il va de
soi, cependant, que ces "moyens nécessaires" ne peuvent être employés que dans
le cadre de la légalité fixée par la Charte. C'est ainsi que les bombardements
fréquents par l'aviation anglo-américaine, comme par exemple, ceux des
installations pétrolières de Bassora le 1er décembre 2002, qualifiés
de "mesures d'autodéfense face aux menaces irakiennes", sont une violation
ouverte de la légalité internationale. La doctrine américaine de la
"préemption", visant à agir militairement par anticipation, reprise de la
théorie israélienne de la "légitime défense préventive", constitue elle-même une
menace pour la paix et la sécurité internationales sans susciter la moindre
réaction des Nations Unies.
La résolution 1441 insiste sur le fait que l'Irak
n'a pas respecté ses obligations en matière de désarmement tout en empêchant à
plusieurs reprises l'accès aux sites désignés par la Commission spéciale des
Nations Unies (puis par la Commission de contrôle, de vérification et
d'inspection) et par l'AIEA, conformément aux résolutions 687 (1991) et 1264
(1999). Cependant, la neutralité des instances chargées de ces contrôles n'est
en rien garantie : de multiples incidents ont révélé l'extrême partialité des
inspecteurs et des divers organismes (Comité des réparations, Comité "Pétrole
contre Nourriture") étrangers à l'esprit d'une organisation internationale
chargée du maintien de la paix, du droit au développement et de la dignité
humaine : les démissions successives et accusatrices de responsables onusiens
tels Messieurs Halliday et Von Sponeck en portent témoignage.
L'appréciation des inspecteurs en désarmement et de
l'AIEA est donc incontrôlable : leur responsabilité n'est pas engagée devant une
instance représentant véritablement la communauté internationale telle que
l'Assemblée générale. L'absence de contradictoire et les déficits démocratiques
de la structure même de l'ONU hypothèquent lourdement l'efficacité de telles
instances onusiennes dont l'honnêteté et l'objectivité sont mises en cause.
Malgré les dénonciations de pratiques inhumaines venues des Nations Unies
elles-mêmes, la résolution 1441 fait référence à une question étrangère au
désarmement, celle des droits de l'homme. Diverses résolutions du Conseil ont en
effet été adoptées visant à "mettre fin à la répression de la population
civile", à "autoriser l'accès des organisations humanitaires internationales à
toutes les personnes ayant besoin d'aide" et à régler les séquelles du conflit
avec le Koweït.
La question des droits de l'homme dans l'ordre
international est plus complexe que ne le laissent penser les partisans de
"l'ingérence humanitaire". En tout état de cause, l'Etat irakien n'est pas le
seul à ne pas respecter les droits de ses nationaux alors qu'il est le seul à
être placé, à ce propos, sous la menace d'une intervention armée.
L'indifférence (notamment onusienne) manifestée
depuis un demi-siècle vis-à-vis des droits de l'homme en Palestine et dans bien
d'autres pays fait perdre tout crédit aux exigences de la résolution 1441 comme
à celles qui ont précédé sur ce sujet (686, 687, 1284). A ce propos, de nombreux
Etats du Tiers monde dénoncent la politique des "deux poids, deux mesures". La
mise en exergue de la question humanitaire vise seulement à légitimer devant
l'opinion occidentale la rigueur des exigences à l'encontre des autorités
irakiennes.
La résolution 1441, dans le but de ne pas heurter
les Etats non permanents du Conseil de sécurité et la majorité des Etats membres
des Nations Unies, ne manque pas de "réaffirmer" son "attachement à la
souveraineté et à l'intégrité territoriale" de l'Irak. Cet hommage formel est un
paradoxe : les Etats-Unis, unilatéralement, exercent un contrôle sur une partie
de l'espace aérien irakien, mettent en œuvre une sorte de protectorat sur la
partie de l'Irak à majorité kurde, alors que cette population kurde (victime
d'un véritable massacre en 1988) n'avait jamais, jusqu'alors, préoccupé les
Etats-Unis ou les grandes puissances, et procèdent, comme cela a été
précédemment souligné, à des bombardements périodiques ! De plus, depuis plus
d'une décennie, les grandes puissances (souveraines de facto) ont entrepris pour
servir le processus de mondialisation de supprimer toute effectivité au principe
de "l'égale souveraineté des Etats", disposition pourtant fondamentale de la
Charte, avec l'assentiment de la doctrine occidentale dominante.
2) A la suite de ces divers considérants préalables,
la résolution 1441 s'affirme être "la dernière possibilité" laissée à l'Irak
pour s'acquitter de ses obligations en matière de désarmement (alinéa 1 et 1
bis). La Charte des Nations Unies insiste pourtant sur la priorité absolue et
sans précision de délais à la recherche de solutions pacifiques de conciliation
(article 33-1). Les Nations Unies ont une mission de paix et non de justicier !
Au contraire, la résolution 1441, adoptée dans l'urgence à l'instigation des
Etats-Unis, se présente comme un véritable ultimatum (alinéa 1-1 bis, 3 et 4),
alors que rien ne permet d'affirmer à priori que l'Irak se prépare à une
nouvelle agression dont l'invraisemblance résulte d'une dizaine d'années
d'embargo ayant fait régressé l'économie nationale de plus de cinquante ans.
L'alinéa 4 de la résolution précise que toute
"fausse information" fournie par l'Irak, toute "omission" dans ses déclarations,
"tout acte témoignant d'une mauvaise volonté dans la coopération avec les
Nations Unies" constituent une "nouvelle violation" des obligations de l'Irak. A
défaut de contradictoire, c'est l'évaluation unilatérale des instances
onusiennes qui décide du respect ou du non respect de l'alinéa 4. Lorsqu'on sait
la forte présomption de culpabilité qui pèse sur l'Irak selon les Etats-Unis, il
apparaît que l'alinéa 4 peut être interprété au gré des opportunités politiques
choisies par les Etats-Unis et leurs alliés. Nul ne peut en effet définir avec
rigueur ce qui est une information "fausse", ou un comportement manifestant une
volonté de "non coopération"…
Rien n'est précisé sur les conséquences du non
respect par l'Irak de l'alinéa 4. Les Etats-Unis considèrent qu'ils n'ont aucun
besoin de revenir devant le Conseil de sécurité pour décider du recours à la
force armée. Malgré les demandes (timides) de la France, l'alinéa 4 prévoit
seulement que le Conseil de sécurité sera informé "aux fins d'évaluation". La
faiblesse de réaction de l'ensemble des Etats membres du Conseil de sécurité
laisse augurer que les Etats-Unis seuls décideront des suites à donner à ce qui
pourrait être considéré comme une violation de la résolution 1441 par l'Irak.
L'acceptation par l'Irak de l'alinéa 7 permet à la
Commission de contrôle et à l'AIEA d'inspecter tous les sites qu'elles
souhaitent, sans aucune limite. Mais l'alinéa 8 dont l'interprétation peut être
partiale et unilatérale, prévoit que l'Irak a l'obligation de "n'accomplir aucun
acte d'hostilité" ni d'exercer aucune "menace" à l'encontre de tout membre des
Nations Unies et de l'AIEA. Les notions "d'hostilité" et surtout de "menace"
n'ayant aucune définition juridique, il est parfaitement loisible de "constater"
des actes ou des comportements de cette nature à tout moment.
La mission d'inspection peut donc s'interrompre à
tout moment sur une simple appréciation subjective d'un inspecteur ou sur
décision des Etats-Unis, ce qui montre que l'inspiration dominante de la
résolution 1441 n'est ni le désarmement ni la paix, mais la prise de contrôle
total de l'Irak par la liquidation du régime actuel.
Le Conseil de sécurité et ses instances, ainsi que
l'AIEA favorisent ainsi l'hégémonisme unilatéral des Etats-Unis et de leurs
alliés, quelles que soient les réticences de ces derniers.
Ils offrent aux Etats-Unis et à leur désir de guerre
une couverture institutionnelle plus facilement admissible pour l'opinion
internationale que le recours direct et unilatéral à la force armée. Loin
d'avoir été accueillis favorablement, tous les reculs et toutes les acceptations
des autorités irakiennes sont présentés par les Etats-Unis et leurs alliés comme
des manœuvres de retardement, ce qui conduit à penser que l'Irak n'a pour seule
option que de choisir son mode de capitulation devant les Etats-Unis. La
pratique des grandes puissances s'avère ainsi très éloignée des facilités de
réintégration dans la société internationale offertes par les Alliés à
l'Allemagne et au Japon après la Seconde Guerre mondiale : il est vrai que
l'anticommunisme était à l'époque déterminant. Le Conseil de sécurité n'a
pourtant pas la mission légale de procéder à la liquidation des Etats membres
des Nations Unies dont le régime - quel qu'il soit - n'est pas conforme aux
souhaits des grandes puissances.
Toutefois, la résolution 1441 et sa mise en œuvre ne
font pas que menacer l'Irak, elles menacent aussi la crédibilité et l'existence
de l'ONU, tout comme la longue mise à l'écart de l'Allemagne et de l'URSS de la
Société des Nations a contribué à sa disparition : la majorité des Etats et
surtout des peuples de la société internationale perçoivent dans les Nations
Unies (à défaut de leur démocratisation) un instrument des grandes puissances
plus qu'une organisation chargée du maintien de la paix et du développement.
Comme l'écrit le professeur Richard Falk, professeur
à l'Université de Princeton (E.U.), "l'ONU a accepté d'être enrôlée pour faire
le sale boulot de l'agression armée".
Les juristes occidentaux, à quelques exceptions
près, sont néanmoins d'une étrange indifférence…
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CHARVIN Robert. - « La
résolution 1441 du 8 novembre 2002 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur
l'Irak ». - Actualité et Droit International,
décembre 2002. (http://www.ridi.org/adi).
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