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L'ONU ET L'IRAK
 

par

Rafâa Ben Achour

Professeur
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis

 

 

Résumé : Que ce soit lors de la première guerre (1991) ou lors de la deuxième guerre du Golfe (2003), l'ONU, à travers ses organes les plus en vue ‑ à savoir le Conseil de sécurité, le Secrétaire général et l'Assemblée générale ‑, fait un profil bas et brille par sa passivité, son absence et son silence. En effet, le Conseil de sécurité a renoncé à assumer sa « responsabilité principale de maintien de la paix et de la sécurité internationales ». Quant au Secrétaire général, il a fait preuve d'une étonnante et curieuse promptitude à accepter le fait accompli.

Impression et citations : Seule la version au format PDF fait référence.

 

 

Que ce soit lors de la première guerre (1991) ou lors de la deuxième guerre du Golfe (2003), l'ONU, à travers ses organes les plus en vue ‑ à savoir le Conseil de sécurité, le Secrétaire général et l'Assemblée générale ‑, fait un profil bas et brille par sa passivité, son absence et son silence. En effet, le Conseil de sécurité a renoncé à assumer sa « responsabilité principale de maintien de la paix et de la sécurité internationales »[1]. Quant au Secrétaire général, il a fait preuve d'une étonnante et curieuse promptitude à accepter le fait accompli.

 

 

I. – LA DEMISSION DU CONSEIL DE SECURITE

 

 

Depuis le 2 août 1990, date de l'invasion du Koweït par les troupes irakiennes, plusieurs organes de l’ONU ‑ dont notamment le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale, le Secrétaire général ‑ ont consacré une partie importante de leurs activités à cette question. En nous en tenant au seul Conseil de sécurité, cet organe a adopté sur cette question un grand nombre de résolutions, de rapports, de déclarations du Président du Conseil.

 

La première résolution en date fut la résolution n° 660 adoptée le 2 août 1990. Agissant en vertu des articles 39 et 40 de la Charte des Nations Unies, le Conseil de sécurité, après avoir constaté dans cette résolution que l'invasion du Koweït par l'Irak constitue « une rupture de la paix », a promptement et fort justement « condamné l'invasion » et « exigé que l'Irak retire immédiatement et inconditionnellement toutes ses forces pour les ramener aux positions qu'elles occupaient le 1er août 1990 ».

 

L'une des dernières en date est la résolution 1441 du 8 novembre 2002[2] dans laquelle le Conseil de sécurité, agissant toujours en vertu du chapitre VII de la Charte, « décide (…) d'accorder à l'Irak (…) une dernière possibilité de s'acquitter des obligations en matière de désarmement qui lui incombent en vertu des résolutions pertinentes du Conseil, et décide en conséquence d'instituer un régime d'inspection renforcé dans le but de parachever de façon complète et vérifiée le processus de désarmement établi par la résolution 687 (1991) et les résolutions ultérieures ». Dans cette résolution, le Conseil adresse un certain nombre d'avertissements à l'Irak et détermine avec précision le mandat de la Commission de vérification et de contrôle et celui de l'AIEA. Enfin, dans cette même résolution, le Conseil « décide de demeurer saisi de la question ».

 

Compte tenu du nombre impressionnant de résolutions adoptées par le Conseil de sécurité sur la question irakienne, une première observation s'impose. Elle découle d'une simple analyse de la succession de la production normative du Conseil. Nous constatons en effet, qu'à certaines périodes, la production des résolutions connaît une certaine surchauffe, immédiatement suivie d'un long silence. Cela s'est vérifié notamment entre le moment d'adoption de la résolution n° 678 du 29 novembre 1990, autorisant les États membres qui coopèrent avec le gouvernement koweïtien à user « de tous les moyens nécessaires » pour faire respecter et appliquer les résolutions du Conseil de sécurité dans la crise entre l'Irak et le Koweït si, au 15 janvier 1991, l'Irak n'a pas pleinement appliqué ces résolutions et le moment de la cessation des opérations militaires. Tout de suite après l'adoption de cette résolution, le Conseil de sécurité est entré en hibernation et a préféré ne pas s'impliquer alors même que selon ses propres termes il demeurait « saisi de la question ». Le Conseil a dû attendre le 2 mars 1991 pour « prendre note » de la suspension de toutes les opérations militaires offensives qui avaient été menées contre l'Irak par la coalition conduite par les États-Unis.

 

Cette même attitude de passivité et de silence se remarque dans la conjoncture actuelle. En effet, depuis l'adoption de la célèbre résolution n° 1441 au mois de novembre 2002, le Conseil de sécurité n'a plus adopté de résolutions quant à la situation en Irak[3], alors même qu'il avait déclaré dans cette même résolution, ainsi qu'il l'avait fait en 1991, qu'il demeurait « saisi de la question ».

 

Mais plus grave encore que cette panne de résolutions, le Conseil de sécurité n'a pas estimé nécessaire de se réunir, comme le voudrait sa mission, dès le 20 mars 2003 pour prendre les mesures appropriées alors même qu'une rupture de la paix avait eu lieu. De ce fait, le Conseil de sécurité a failli à sa mission principale de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Comme en 1991, il a préféré la passivité à l'action.

 

Le Conseil de sécurité aurait pu, dès l'annonce par le Président Bush de sa décision de recourir à la guerre sans l'autorisation de l'ONU, envisager d'adresser un avertissement solennel aux États-Unis sous forme de résolution prise en vertu du chapitre VII de la Charte constatant que les propos du Président américain constituent une menace de rupture de la paix et de la sécurité internationales susceptible de déclencher contre les États-Unis et leurs alliés britanniques les sanctions prévues par les articles 40 et suivants de la Charte. Bien évidemment une telle résolution n'aurait pas pu être adoptée. Les États-Unis auraient usé contre elle de leur droit de veto.

 

Dans ce cas, et compte tenu du blocage du Conseil de sécurité par le veto, un recours à la résolution de l'Assemblée générale n° 377 (V) du 3 novembre 1950 « Union pour le maintien de la paix » ‑ dite Résolution Achesson[4] ‑ aurait pu être envisagé pour charger l'Assemblée générale de la question. En effet, en vertu de cette résolution « dans tout cas où paraît exister une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d'agression et où, du fait que l'unanimité n'a pu se réaliser entre ses membres permanents, le Conseil de sécurité manque de s'acquitter de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, l'Assemblée générale examinera immédiatement la question afin de faire aux membres les recommandations appropriées sur les mesures collectives à prendre, y compris, s'il s'agit d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression, l'emploi de la force armée en cas de besoin pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ».

 

La possibilité de recours à la résolution Achesson est toujours d'actualité. En effet, si le Conseil de sécurité appelé à siéger le 25 mars 2003 à la demande de la Ligue des États arabes et du Mouvement des pays non alignés, se trouve dans une situation de blocage en raison du veto, l'Assemblée générale pourrait être appelée à se substituer à lui et à mettre ainsi fin à cette impression de démission de l'ONU face à une guerre déclenchée au mépris de la Charte et de la légalité internationale.

 

 

II. – L’EXCES DE POUVOIRS DU SECRETAIRE GENERAL

 

 

Le Secrétaire général de l'ONU est le plus haut fonctionnaire de l'Organisation (Art. 97 de la Charte). En réalité, il est beaucoup plus que cela. Il remplit en effet un rôle politique et diplomatique de la plus haute importance. Élu par tous les membres de l'ONU, sur recommandation du Conseil de sécurité, il bénéficie d'une confiance telle qu'il se trouve investi d'une autorité internationale indéniable pour imposer les idéaux, les buts et les principes de l'ONU. Aux yeux de l'opinion publique mondiale, il incarne l'ONU. Ses fonctions exigent de lui une grande fermeté. Mais le Secrétaire général doit veiller à ce que ses relations avec les pays membres soient toujours correctes sans cependant verser dans l'alignement voire même la soumission aux diktats des pays membres. L'histoire des Nations Unies a retenu le nom du Suédois Dag Hammarskjöld pour avoir été un Secrétaire général convaincu de sa mission et prêt à contrecarrer toutes les tentatives faites par certains États de le réduire au silence ou de d'influencer sa manière de remplir ses fonctions. Dans le sens contraire, l'histoire a très vite fait d'oublier, le premier Secrétaire général de l'organisation, le Norvégien Trygvelie qui a été un instrument docile entre les mains de l'un des membres permanents du Conseil de sécurité.

 

Relativement à la question irakienne, l'actuel Secrétaire général, M. Kofi Annan, après avoir déployé des efforts louables pour la reprise de la coopération entre l'Irak et l'ONU en vue du contrôle des armes de destruction massive et après avoir fait un certain nombre de déclarations prônant la solution diplomatique, a semble-t-il très vite fait de se soumettre à la volonté belliqueuse des États-Unis. En effet, dès avant le 17 mars 2003, il a commencé à réduire les effectifs du personnel de l'ONU et à organiser le rapatriement des experts en désarmement et les casques bleus stationnés sur la frontière entre l'Irak et le Koweït, alors qu'il n'avait reçu aucun mandat à cet effet ni du Conseil de sécurité, ni d'un autre organe.

 

Mais le Secrétaire général ne s'est pas arrêté à ce stade. En effet, dès l'annonce par le Président Bush dans son discours du 17 mars 2003 de sa ferme détermination de déclencher la guerre contre l'Irak, le Secrétaire général, de sa propre initiative, s'est dépêché d'ordonner aux experts de l'ONU et aux casques bleus qui étaient restés sur le terrain, de quitter d'urgence l'Irak, ordre qui a été exécuté avec une efficacité et une célérité qui ne caractérisent pas souvent l'ONU et ses interventions. En l'espace de quelques heures, tout le personnel de l'ONU était transféré à Chypre et l'Irak abandonné à son triste sort. Les États-Unis pouvaient déclencher les hostilités en toute quiétude et avec une bénédiction tacite du Secrétaire général.

 

On rétorquera que le Secrétaire général est responsable de la sécurité et de l'intégrité physique des experts et des troupes de l'ONU. Nul ne songera à le contester. Mais, le plus haut fonctionnaire de l'ONU aurait dû temporiser et en référer au Conseil de sécurité avant de prendre toute décision. Faut-il rappeler que les experts et les casques bleus qui ont été envoyés en Irak, l'ont été par le Conseil de sécurité, que leur mandat a été défini par le Conseil de sécurité et que, à chaque fois que leur mandat venait à échéance, c'est le Conseil de sécurité, et non le Secrétaire général de l'ONU, qui le prorogeait et qui fixait une nouvelle échéance. En s'abstenant d'ordonner le retrait rapide des experts et des troupes internationales sans autorisation du Conseil de sécurité, M. Kofi Annan a outrepassé ses pouvoirs et a surtout fourni aux États-Unis un terrain bien nettoyé pour effectuer leur agression.

 

Par ailleurs, depuis le déclenchement des hostilités par la coalition anglo-américaine, M. Kofi Annan a gelé ‑ sans autre forme de procès ‑ le programme « pétrole contre nourriture », prenant ainsi le risque de contribuer à la catastrophe humanitaire aujourd'hui latente en Irak. Comme le mandat des experts et des casques bleus, le programme « pétrole contre nourriture » a été décidé par le Conseil de sécurité et il a été régulièrement reconduit par le Conseil de sécurité. Ainsi, par sa résolution 1447 du 4 décembre 2002, le Conseil de sécurité a décidé « que les dispositions de la résolution 986 (1995), à l’exception de celles qui figurent aux paragraphes 4, 11 et 12, et les dispositions des paragraphes 2, 3 et 6 à 13 de la résolution 1360 (2001), et sous réserve du paragraphe 15 de la résolution 1284 (1999) et des autres dispositions de la présente résolution, demeureront en vigueur pendant une nouvelle période de 180 jours, commençant à 0 h 1 (heure de New York), le 5 décembre 2002 ». Par sa résolution 1454 du 30 décembre 2002, le Conseil de sécurité a approuvé, avec effet le 24 décembre 2002, une nouvelle modification de la liste des produits, tout en précisant comme d'habitude qu'il demeurait « saisi de la question ». Alors en vertu de quel mandat le Secrétaire général a-t-il gelé le programme depuis le début des hostilités ? [5]

 

Une autre question se pose à propos de l'attitude du Secrétaire général. Face à la situation, chaque jour un peu plus dramatique de l'Irak, comment expliquer la passivité de M. Annan alors que l'article 99 de la Charte lui confère la faculté d'« attirer l'attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui, à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationale ». A moins que, aux yeux du Secrétaire général, l'affaire irakienne ne soit pas de nature à mettre en danger la paix et la sécurité internationales !

 

Ainsi, « broyé par le droit international » selon la formule de Mme le Professeur Monique Chemillier-Gendreau, l'Irak se trouve aujourd'hui broyé par la machine de guerre des États-Unis avec la bienveillance de l'ONU beaucoup plus préoccupée des lendemains de la guerre (gestion de la catastrophe humanitaire attendue) que par le présent et la nécessité d'arrêter l'agression.

 

 

* * *

 

 


NOTES

 

[1] Article 24 de la Charte des Nations Unies.

[2] D'autres résolutions relatives notamment au programme dit pétrole contre nourriture furent adoptées par la suite. Il s'agit des résolutions n° 1443 (2002), 1447 (2002) et 1454 (2002). Les résolutions du Conseil de sécurité sont disponibles sur le site des Nations Unies, à la page : http://www.un.org/french/documents/scres.htm.

[3] Nous omettons ici volontairement les résolutions relatives au programme « pétrole contre nourriture ».

[4] Du nom de son inspirateur, le Secrétaire d'État américain, Dean Achesson.

[5] Réuni à partir du 25 mars 2003, à la demande des Etats membres de la Ligue des Etats arabes et du mouvement des pays non alignés pour discuter de la situation en Irak, le Conseil de sécurité adopta le 28 mars 2003 la résolution n° 1472, dans laquelle, agissant en vertu du chapitre VII de la Charte et sans se prononcer sur le fond de l’affaire il a pris « note de la décision prise par le Secrétaire général, le 17 mars 2003, de retirer le personnel des Nations Unies et le personnel humanitaire chargé d’appliquer le programme « pétrole contre nourriture » créé par la résolution 986 (1995)  » et a estimé « que, compte tenu de la situation exceptionnelle qui existe actuellement en Iraq, il convient (…) d’apporter à titre provisoire et exceptionnel des aménagements techniques et temporaires au programme [pétrole contre nourriture] de façon à assurer l’exécution des contrats approuvés conclu par le gouvernement iraquien » et « autorisé le Secrétaire général » à prendre un certain nombre de mesures en ce sens.

Par cette résolution qui ne traite le problème que d’un point de vue strictement humanitaire, le Conseil  passe, encore une fois, sous silence la qualification de la situation créée par le déclenchement de la guerre le 20 mars 2003 par les Etats-Unis. La seule qualification que le Conseil a estimé bon de retenir est celle d’exceptionnelle. Exceptionnelle par rapport à quelle critère ou à quel étalon ? La résolution ne le dit pas !

 


 

Copyright : © 2003 Rafâa Ben Achour. Tous droits réservés.

Impression et citations : Seule la version au format PDF fait référence.

Mode officiel de citation :

BEN ACHOUR Rafâa. - « L'ONU et l'Irak ». - Actualité et Droit International, avril 2003. [http://www.ridi.org/adi].

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