LA GUERRE ANGLO-AMERICAINE
CONTRE L’IRAK ET LE DROIT INTERNATIONAL
« APOCALYPSE LAW »
par
Robert Charvin
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l'Université de Nice-Sophia Antipolis
Doyen Honoraire de la Faculté de Droit, des Sciences Politiques, Economiques et
de Gestion de Nice
Résumé :
La
stratégie américaine se refuse à tout enfermement dans le cadre de la légalité
internationale. Il s'agit pour l'administration républicaine d'en nier le
contenu et l'utilité au nom d'une morale internationale plus malléable. Il
s'agit aussi de restreindre la compétence des Nations Unies à des fonctions
subordonnées de type caritatives et humanitaires chargées exclusivement
d'accompagner l'unilatéralisme hégémonique des Etats-Unis et de leurs alliés
satellisés. La seconde guerre du Golfe consacre ainsi un profond recul du droit
international jusqu'à un stade proche de ce qu'il était au XIXe siècle et au
début du XXe.
Note :
Ce texte sera aussi publié dans Les Cahiers de l’Orient (Paris). Sa
rédaction a été achevée le 13 avril 2003.
Impression
et citations : Seule la version
au format PDF fait référence. |
L'absence de démocratie dans les
divers pays du monde n'est pas un phénomène nouveau : si la démocratie est en
effet un requis, elle n'est nulle part un acquis, en dépit du discours convenu.
Le cas irakien n'a donc rien d'exceptionnel.
Le niveau de développement,
l'héritage historique, l'aire culturelle et l'occupation dans la société
internationale d'une position hégémonique ou au contraire dépendante, favorisent
un autoritarisme affiché et direct fréquent au Sud ou « l'oppression délicate »,
forme politique sophistiquée régnant dans les pays du Nord.
Cette absence de démocratie en
Irak n'explique en rien la stratégie de l'administration Bush et du Parti
républicain, dont les références idéologiques sont très proches d'un
fondamentalisme chrétien et dont les intérêts sont étroitement liés à divers
lobbies de l'armement et du pétrole.
Ainsi, la politique de l'administration Bush poursuit la politique impériale
menée par les Etats-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale,
tout en accentuant certains traits dogmatiques et violents, aggravés par la
structure unipolaire de la société internationale depuis la fin de l'URSS.
Il y a aujourd'hui une
« question américaine » qui constitue une menace économique, politique,
militaire et en un mot civilisationnelle pour le monde entier, l'Europe n'y
échappant pas. La guerre contre l'Irak, survenant après les interventions armées
en Yougoslavie et en Afghanistan, en est une claire illustration.
Les différentes composantes de
cette « question » sont les suivantes :
- les
références idéologiques des Etats-Unis sont de nature religieuse et se réclament
de la protection divine (en dépit des condamnations pontificales) ;
- l'endettement
de 5 000 milliards de dollars des Etats-Unis (soit le double de celui de tous
les pays du Sud) et l'affaiblissement relatif de leur puissance économique dans
le monde stimulent des pratiques de pillage ouvert
(avec la main mise des entreprises américaines sur la « reconstruction » de
l'Irak et sur son pétrole);
- le
messianisme américain traditionnel transformant la démocratie en produit
d'import-export s'accompagne désormais du recours systématique à la force armée
contre les pays pauvres. Cette guerre aux pauvres
qui s'affirme, après les longues décennies d'ingérence en Amérique du Sud
principalement, s'inscrit dans la logique d'un hégémonisme unilatéral qui se
nourrit de 52 % des ressources de l'ensemble de la planète.
Cette violence répétée contre
les pays pauvres a de nombreux avantages :
- la
victoire militaire est assurée (ce qui est « bon » pour le prestige des
gouvernants) et le coût humain pour les vainqueurs est limité
;
- toute
expérience populaire dans un pays ou un autre susceptible de réussir son
développement hors de la mouvance américaine peut être liquidée directement afin
que soit évitée toute contamination d'un « contre-exemple »,
précédée ou pas d'un embargo et d'une campagne de discrédit
;
- la
création de boucs émissaires dans l'ordre international, choisi au gré des
opportunités, favorise les politiques « d'union sacrée » au sein de la société
américaine et conforte le leadership sur les « alliés » européens (qui sont
aussi des concurrents) ;
- le
leadership sur les « alliés » vise, à l'occasion de chaque crise, à empêcher la
constitution d'un « pôle » européen autonome jouant le rôle d'un contre-pouvoir
économique et politique dans la société internationale.
Aussi la stratégie américaine se
refuse à tout enfermement dans le cadre de la légalité internationale élaborée
pourtant par les puissances occidentales. Il s'agit pour l'administration
républicaine d'en nier le contenu et l'utilité au nom d'une morale
internationale suffisamment malléable, quitte à envisager la refondation
ultérieure d'un droit international au service d'une mondialisation libérale
favorable aux firmes transnationales.
Il s'agit aussi de restreindre
la compétence des Nations Unies à des fonctions subordonnées de type caritatives
et humanitaires chargées exclusivement d'accompagner l'unilatéralisme
hégémonique des Etats-Unis et de leurs alliés satellisés. La seconde guerre du
Golfe consacre ainsi un profond recul du droit international jusqu'à un stade
proche de ce qu'il était au XIXe siècle et au début du XXe.
I. – LES
OUTILS DE « DEVEROUILLAGE » DU DROIT INTERNATIONAL : LES DROITS DE L’HOMME ET
L’ANTI-TERRORISME
Durant des décennies, les
Grandes Puissances ont violé la légalité internationale, tout en affirmant le
contraire, par le biais d'interprétations certes abusives des normes en vigueur
mais qui, en fait, prouvaient leur existence et leur importance. Il en a été
ainsi, par exemple, de la référence constante faite par les Etats-Unis et l'URSS
au principe de la souveraineté à l'occasion des interventions lui imposant des
limitations aboutissant à le nier.
Dès la fin des conflits de
décolonisation « libérant » les puissances occidentales de tout complexe et de
toute crainte de mise en cause, la question des droits de l'homme a été mise en
exergue dans l'ordre international. Les droits de l'homme ont été
instrumentalisés, selon les opportunités, pour servir tout d'abord la cause de
l'anticommunisme, puis une politique de récupération des espaces perdus dans la
société internationale. Alors que jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, il était
hors de question de soulever le problème des droits de l'homme dans les
relations internationales (voir, par exemple, les développements du professeur
Le Fur, titulaire de la Chaire de droit international de la Faculté de Droit de
Paris dans son Précis de droit international public, Paris, Dalloz,
1931), « l'humanitaire » est devenu ces dernières décennies le fondement
(apparent) de tous les litiges internationaux.
Sans faire progresser
effectivement les droits humains dans la réalité sociale et politique des
différents pays, cette instrumentalisation a permis, avec efficacité, de faire
« sauter les verrous » d'une interprétation « trop » stricte de la légalité
internationale. « Au nom » des droits de l'homme,
relevant d'un « fuzzy law »,
ce qui était rigoureusement banni par le droit international devenait possible :
un « soft law » justifié par ses fins s'est ainsi élaborée,
insatisfaisant pour les juristes préoccupés de légalité mais utile pour les
politiciens à la recherche de légitimité.
Plus efficace encore,
l'anti-terrorisme, succédant pour l'essentiel au « droitdel'hommisme » pour
partie décrédibilisé par son usage abusif, discriminatoire et susceptible de se
retourner contre ses protagonistes,
devient l'outil le plus souple qui soit en raison de son indétermination et du
caractère invérifiable des assertions gouvernementales à son propos pour
justifier la suspension (peut-être définitive) des principes juridiques
fondamentaux. C'est le retour à la devise la plus archaïque fondée sur « la fin
justifie les moyens ».
II. – LE REJET PAR LES
ETATS-UNIS DES LIMITATIONS CONVENTIONNELLES
Tout Empire refuse de
contenir l'exercice de ses pouvoirs dans des limites préétablies. A la
différence du monde bipolaire (Est-Ouest) qui structurait la société
internationale en un jeu complexe de pouvoirs et contre-pouvoirs, le monde
unipolaire (Etats-Unis et satellites) tend à rejeter toute régulation n'ayant
pas l'aval de l'hyper puissance unique. Les Etats-Unis ne font, en la matière,
qu'affirmer avec plus d'arrogance que par le passé, leurs positions.
Le nombre de traités
fondamentaux non ratifiés est significatif. On peut citer, par exemple, le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, les
deux Protocoles relatifs aux droits civils et politiques, les Protocoles I et II
additionnels aux Conventions de Genève de 1949, respectivement relatifs à la
protection des victimes des conflits armés internationaux et à la protection des
victimes des conflits armés non internationaux, la Convention des Nations Unies
sur le droit de la mer, la Convention des Nations Unies sur les droits de
l'enfant, le Protocole de Kyoto sur les changements climatiques, les traités
interdisant les essais nucléaires et les mines antipersonnel, le statut de la
Cour pénale internationale de 1998… La Charte des Nations Unies elle-même n'est
plus qu'un vague ensemble de dispositions donnant quelques orientations non
impératives pour la conduite de l'Etat américain vis-à-vis de la paix,
essentiellement utiles pour la « couverture juridique » éventuelle qu'elles
peuvent procurer à sa diplomatie.
Par contre, les Etats-Unis
ont élaboré des lois extraterritoriales (Lois Helms-Burton et d'Amato-Kennedy
de 1996) censées s'appliquer hors du territoire américain dans un élan
d'unilatéralisme juridique impérial !
III. – LA DISSOLUTION DES
PRINCIPES FONDAMENTAUX DU DROIT INTERNATIONAL
Les Etats-Unis ont procédé
de manière progressive afin d'imposer une sorte de pratique coutumière de plus
en plus éloignée des principes fondamentaux du droit international.
Dans cette œuvre de
dissolution, qui a débuté ouvertement en 1990, les Etats-Unis ont bénéficié de
l'appui de leurs alliés qui ont successivement admis de multiplies entorses aux
dispositions de la Charte des Nations Unies. Elles avaient en réalité été
pratiquées antérieurement, par exemple, à propos du conflit israélo-palestinien,
retiré par les seuls Etats-Unis de la compétence des Nations Unies (qui avaient
pourtant fixé son cadre juridique par de nombreuses résolutions) au seul
détriment des droits reconnus du peuple palestinien.
Malgré le retrait progressif
des alliés européens (consacré par les positions franco-allemandes lors de la
seconde guerre du Golfe) vis-à-vis d'une radicalisation illicite des Etats-Unis,
la doctrine juridique européenne dominante a développé un soutien sans faille
aux positions américaines. Le « bettatisme »,
en particulier, né en appui d'un mitterrandisme kouchnérien, a rendu en
France dans les milieux juridiques un important service aux positions
étasuniennes et plus généralement à la désuétude du principe nodal de
non-ingérence de la Charte des Nations Unies. Son « exploit » a consisté à faire
dire implicitement aux dispositions de la Charte exactement le contraire de ce
qu'elle dit explicitement et à en ruiner l'économie globale. L'ingérence dite
humanitaire a permis aux Grandes Puissances de n'avoir plus à prendre en
considération la fragile barrière juridique que représentait à leur
interventionnisme le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des
Etats dès lors qu'elles invoquaient les droits de l'homme.
Cette ingérence a pu ensuite
fonder la « légitimité » de l'agression pure et simple pourtant condamnée en
droit international dès lors qu'est invoquée la menace terroriste ou la
possession d'armes de destruction massive par ceux-là mêmes qui pourtant sont
les seuls (ou presque) à les posséder réellement. Ce sont les fondements
officiels de l'agression américaine contre l'Irak qui étaient pourtant soumis
depuis plus de dix ans à un embargo et à de multiples contrôles réduisant sa
souveraineté.
Paradoxalement, le première
puissance mondiale, sans rivale militaire et financier, a pu ainsi invoquer la
« légitime défense » vis-à-vis de l'Irak en lui adjoignant la notion de
« prévention » qui fait de la notion purement défensive un concept radicalement
offensif.
Calquée sur une conception
israélienne très antérieure, la notion de « légitime défense préventive » ruine
le principe majeur du droit international déclarant illicite le recours à la
force armée à l'exception de l'unique cas où un Etat subit une agression armée
d'un autre Etat et est fondé en droit, en conséquence, à se défendre.
Le droit humanitaire
lui-même, en dépit de sa promotion momentanée et artificielle, n'a plus de
portée pratique. Le CICR a dénoncé depuis longtemps la dangereuse confusion
entre le militaire et l'humanitaire. Avec les bombardements répétés sur les
personnes et les biens civils, assimilés à des dommages « collatéraux », notion
purement propagandiste sans substance juridique, et la disparition dans la
pratique américaine de la notion de prisonnier de guerre (avec l'enfermement des
présumés Talibans à Guantanamo), les responsables américains, outre leur qualité
d'agresseurs, sont passibles des sanctions pour crimes de guerre et crimes
contre l'humanité prononcés par la justice internationale (des tribunaux ad hoc
jusqu'à la Cour pénale internationale). Les ressortissants américains
bénéficient cependant d'une irresponsabilité internationale totale proche des
immunités dont bénéficient les diplomates. Les autorités américaines n'acceptent
ni la compétence de la Cour pénale internationale, ni celle des tribunaux
nationaux pour leurs ressortissants responsables d'infractions pénales (cf. les
exemples fréquents en Corée du Sud, en Italie et plus généralement dans les pays
où sont installées des bases militaires).
Les deux guerres du Golfe
ont été l'occasion pour l'armée américaine d'utiliser des armes interdites
(uranium appauvri,
bombes à fragmentation, etc.) ; elles témoignent que seuls les Etats
sélectionnés par les Etats-Unis et leurs alliés comme relevant de l'Axe du Mal
se voient interdire la production, le commerce et l'usage de certaines armes.
Dans la pratique, ce ne sont plus certains types d'armes qui sont réputés
illicites, mais les objectifs poursuivis avec elles.
C'est ainsi la désuétude du
principe de l'égalité des Etats devant la loi internationale, amorcée avec le
traité discriminatoire de non-prolifération des armes nucléaires, réservant le
monopole de l'arme suprême à quelques puissances en nombre restreint.
IV. – LA RESTAURATION D’INSTITUTIONS
ARCHAÏQUES
La pratique internationale
des Grandes Puissances, en premier lieu des Etats-Unis, est de réhabiliter des
institutions qui avaient disparu avec la fin de la colonisation.
Il en est ainsi, par
exemple, du protectorat et du mandat que la Société des Nations (SdN) avaient
mis en œuvre durant l'entre-deux-guerres. Le « mandat » concernait après la
Première Guerre mondiale les colonies retirées à l'Allemagne et à l'Empire
Ottoman vaincus, et placées sous l'autorité des puissances mandataires désignées
par la SdN. Les peuples passant ainsi d'une soumission à une autre étaient
considérés comme « n'étant pas capables de se diriger eux-mêmes ». La longue
gestion occidentale du Moyen-Orient (Syrie, Liban pour la France, Irak,
Palestine et Transjordanie pour la Grande Bretagne) est directement responsable
de la division artificielle de la région (par exemple, celle séparant le Koweït
de l'Irak), de la nature des régimes politiques qui s'y sont succédés et du
chaos actuel.
Quant à la Charte des
Nations Unies, adoptée à une époque où sévissait encore la domination coloniale,
elle a prévu le régime de tutelle visant à enlever au Japon vaincu ses
responsabilités antérieures et à prolonger le régime du mandat. L'ONU est censée
désigner les Etats administrant les populations sous tutelle. Pour les
territoires encore colonisés, il ne s'agissait pour les puissances occidentales
que d'exercer « la mission sacrée d'assurer le progrès politique, économique et
social des populations » de ces territoires et de « développer les capacités »
de s'administrer elles-mêmes.
Dans le cas de la Bosnie, du
Kosovo, de l'Afghanistan et de l'Irak, il y a retour à ce mode de gestion qui
semblait avoir disparu avec l'affirmation du principe de libre détermination des
peuples. Ouvertement, les Etats-Unis et leurs alliés considèrent que certains
peuples ne sont pas majeurs et que les Etats « civilisés » sont fondés à les
désarmer (en vertu de leur dangerosité primitive) et à les administrer dans le
cadre de structures multilatérales occidentales ou sous direction américaine
unilatérale.
Le droit international du
XIXe et du début du XXe distinguait déjà les Etats civilisés, dont le droit
international régissait les relations, et les peuples « barbares » ou
« sauvages » vis-à-vis desquels les règles de droit international étaient
inapplicables.
On constate que la position
contemporaine des Etats-Unis est très proche des conceptions
occidentalocentristes des siècles passés.
V. – LE SERVICE MINIMAL
DES INSTITUTIONS DES NATIONS UNIES
La Charte des Nations Unies
a retiré la compétence de guerre aux Etats : tout recours unilatéral à la force
armée est illicite à la seule exception de la légitime défense. Un faisceau de
procédures est prévu pour éviter à tout prix le conflit armé ou le stopper s'il
est enclenché. Seul le Conseil de sécurité – dont la composition reflète la
situation de l'après-guerre – peut assurer le maintien de la paix, assisté d'un
seul outil adéquat : des forces de police internationale, placées sous la
direction d'un Comité d'état major lui-même international, ce qui permet un
véritable contrôle et un réel suivi des opérations menées sur le terrain.
Quant à l'Assemblée
générale, seul organe représentatif de la « communauté internationale » – qui ne
peut se réduire à quelques grandes puissances comme les médias n'hésitent pas à
le dire – elle est chargée de compétences générales, notamment en matière de
développement et de régulation des relations pacifiques entre Etats.
Le Secrétaire général a pour
fonction de prendre les initiatives nécessaires au maintien de la paix et la
Cour internationale de Justice de statuer sur les responsabilités des Etats.
Ce partage des
responsabilités est balayé par la pratique des Etats-Unis et de leurs alliés
depuis 1990. L'OTAN s'est substituée à toutes les autres institutions en
Afghanistan et en Irak.
Le Conseil de sécurité s'est
transformé en champ clos de batailles procédurales non pour assurer le maintien
de la paix mais pour sauvegarder la couverture onusienne à l'interventionnisme
occidental : le combat de la France, en particulier, n'a pas été axé
essentiellement sur la nécessité de respecter les obligations de la Charte
visant au maintien de la paix par la recherche (sans exigence de délais) de
toutes les voies d'une solution négociée aux litiges avec l'Irak, mais sur la
conscience qu'il était dangereux à long terme pour l'Occident de renoncer aux
fondements légaux de ses politiques interventionnistes.
L'Assemblée générale et le
Secrétariat général ont été d'une presque totale passivité.
Le recours à la force armée
par les seuls Etats-Unis et Grande-Bretagne est pourtant une violation flagrante
de la Charte et le Conseil de sécurité devrait en avoir été saisi.
Comme le souligne Noam
Chomsky,
la guerre américaine contre l'Irak est un test : celui de la « guerre
préventive ». Tout pays concurrent potentiel des Etats-Unis peut être attaqué,
en vertu d'une « nouvelle norme » dont l'Irak est la première victime. La
désuétude de la Charte des Nations Unies semble désormais très avancée.
La tentative de récupération
des Nations Unies est tout au contraire basée sur une éventuelle réconciliation
euro-américaine concernant l'administration de l'Irak, dans la tradition la plus
classique du partage entre puissances coloniales du XIXe siècle.
L'inédit est le rôle qui se
dessine pour les Nations Unies dont la fonction semble devoir se limiter à
l'humanitaire. Les responsables démissionnaires des Nations Unies dans ce
domaine (Halliday, Von Spotten) ont déjà dénoncé durant l'embargo
l'instrumentalisation des Nations Unies. Le service minimum que les Nations
Unies doivent ainsi assurer, malgré leur incapacité à empêcher la guerre et à en
sanctionner les responsables, a pour avantage de couvrir à posteriori les
violations massives de légalité (agression armée, bombardements illicites,
administration illégale d'un Etat souverain membre de l'ONU).
On peut faire l'hypothèse,
en conclusion, qu'une forme nouvelle de barbarie est en marche à l'échelle
planétaire à l'instigation des Etats-Unis, mais avec la complicité de nombreux
Etats du Nord et du Sud, qui ont fait la démonstration sans considération pour
leur peuple opposé massivement à la guerre, que la démocratie n'est vivante que
lorsqu'elle est sans grande portée.
La mondialisation
néolibérale peut conjuguer l'absence de droit international politique, laissant
tous pouvoirs de sanction et d'élimination aux grandes puissances occidentales,
et le développement d'un droit international économique, de plus en plus
rigoureux
pour contraindre au respect des « lois du marché », qui conduisent
progressivement à l'établissement dans chaque secteur économique de monopoles
privés.
Toutefois, la guerre contre
l'Irak, menée par les seuls Etats-Unis et leur allié britannique, peut ainsi,
selon la thèse d'E. Tood
« révéler au monde l'impuissance » américaine. La victoire militaire contre
l'Irak a en effet pour contre partie une profonde défaite politique : l'opinion
internationale s'est massivement prononcée contre la volonté démonstratrice
d'omnipotence des Etats-Unis.
Cette défaite politique peut
cependant avoir un impact contradictoire. Elle peut décrédibiliser « l'utopie
vivante du capitalisme » incarnée par les Etats-Unis et favoriser ainsi, en
particulier au Sud, l'abandon d'un mimétisme sans perspective. Elle peut aussi,
particulièrement dans les pays occidentaux, préparer l'avènement d'un nouveau
type de société très éloigné des formes démocratiques connues depuis 1945.
L'accoutumance au spectacle
de la barbarie violente, fusse-t-elle accompagnée des plus hautes technologies
et de l'interdépendance du recours à la force armée et des hausses sur les
marchés financiers,
est dangereuse : les massacres de la Première Guerre mondiale et la décadence
morale ont créé les conditions de l'avènement des fascismes et du nazisme.
Les souffrances du peuple
irakien donne pleine actualité au cri de Gilbert Cesbron : « Ce siècle appelle
au secours, mais il ne sait pas qui ».
* * *
NOTES
Copyright : © 2003 Robert Charvin. Tous droits réservés. Impression
et citations : Seule la version
au format PDF fait référence.
Mode
officiel de citation :
CHARVIN Robert. -
« La guerre anglo-américaine contre l’Irak et le droit international :
"Apocalypse Law" ». - Actualité et Droit International,
avril 2003. (http://www.ridi.org/adi).
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