LE PROTOCOLE N° 13 A LA
CONVENTION EUROPENNE DES DROITS DE L’HOMME :
L’ABOLITION TOTALE ET DEFINITIVE DE LA PEINE DE MORT EN EUROPE ?
par
Elise Cornu et Sonia Parayre
Agents du Conseil de
l'Europe
Résumé :
L’entrée en vigueur, le 1er juillet 2003, du treizième protocole à la Convention
européenne des Droits de l’Homme portant abolition de la peine de mort en toutes
circonstances, c’est-à-dire en temps de paix comme en temps de guerre, constitue
l’aboutissement des efforts menés au sein du Conseil de l'Europe pour éradiquer
la peine de mort à l’échelle du continent européen. Ce nouveau protocole laisse
néanmoins une impression d’inachevé puisqu’il ne fait pas disparaître de la
Convention européenne des Droits de l’Homme l’autorisation du recours à la peine
de mort.
Développements récents : Depuis la rédaction de la présente contribution,
achevée le 5 mars 2003, la Cour européenne des droits de l’Homme a rendu, le 12
mars, son arrêt au fond dans l’affaire Öcalan. Il peut être consulté sur
le site de la Cour [www.echr.coe.int].
La Turquie ayant demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre,
l’arrêt de la Cour n’est pas définitif.
De même, nous n'avons eu connaissance de la date d'entrée en vigueur du
protocole qu'avec sa ratification par Andorre, le 26 mars 2003. Eu égard à
l'importance de cette date, nous avons exceptionnellement décidé de la porter
dans le texte qui ne la mentionnait pas dans sa version d'origine.
Enfin, le 3 avril 2003, la Serbie-Monténégro est
devenue le 45e Etat membre du Conseil de l'Europe et a signé les protocoles n° 6
et n° 13. – (7 avril 2003).
Impression
et citations : Seule la version
au format PDF fait référence. |
Le mouvement abolitionniste
amorcé depuis quelques décennies franchit une nouvelle étape avec l’entrée en
vigueur, le 1er juillet 2003, du treizième protocole à la Convention
européenne des Droits de l’Homme relatif à l’abolition de la peine de mort en
toutes circonstances.
Longtemps en effet, l’abolition visée par les textes de protection des droits de
l’homme concernait le temps de paix, les circonstances exceptionnelles de la
guerre justifiant de laisser aux Etats la faculté de prononcer et/ou d’exécuter
cette peine.
Or, en période de conflit
armé, les garanties sont d’autant plus importantes qu’elles sont difficiles à
appliquer. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe recommandait ainsi
depuis 1994 au Comité des Ministres l’élaboration d’un nouveau protocole
additionnel à la Convention abolissant la peine capitale en temps de paix comme
en temps de guerre. Elle soulignait que « rien ne peut justifier que l’on
inflige la peine capitale en temps de guerre, (…) les exécutions qui ont lieu en
temps de guerre visent, en effet, à dissuader d’autres personnes de commettre
des délits similaires et sont expédiées en général rapidement pour exercer leur
effet dissuasif. Il en résulte, dans l’atmosphère passionnelle de la guerre, une
absence de garanties juridiques et un risque accru d’exécuter un prisonnier
innocent ».
I. - L’ABOUTISSEMENT DE NOMBREUX EFFORTS VISANT A ERADIQUER LA
PEINE DE MORT DU CONTINENT EUROPEEN
La faculté reconnue aux
Etats membres du Conseil de l'Europe de prononcer ou d’appliquer la peine de
mort a progressivement disparu. Toutefois, malgré les textes élaborés et les
évolutions intervenues dans les Etats européens, l’inscription dans la
Convention européenne des Droits de l’Homme (ci-après « la Convention ») de
l’autorisation du recours à la peine de mort fragilise la protection du droit à
la vie exercée par la Cour européenne des Droits de l’Homme (ci-après « la
Cour »).
A. - L’autorisation sous conditions du recours à
la peine de mort : la Convention et le protocole n° 6
La Convention prévoit à
l’article 2, paragraphe 1, que « [l]a mort ne peut être infligée à quiconque
intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un
tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ».Cette autorisation du recours à la peine de mort doit être
replacée dans le contexte de l’époque. En effet, au moment de la rédaction de la
Convention, la plupart des Etats membres du Conseil de l'Europe appliquaient
toujours la peine de mort et les exécutions des criminels de guerre nazis
étaient encore présentes dans la mémoire collective.
La peine de mort comme exception au droit à la vie a donc été inscrite dans la
Convention.
La tendance abolitionniste
s’est ensuite progressivement renforcée en Europe pour aboutir, le 26 avril
1983, à l’ouverture à la signature du sixième protocole à la Convention qui
procède à l’abolition de la peine de mort en temps de paix. La guerre demeure
une situation dans laquelle une exception au droit à la vie est reconnue par
tous les traités multilatéraux de protection des droits de l’homme. Le protocole
n° 6 a toutefois la faiblesse de permettre la réintroduction de la peine de mort
en temps de guerre dans le système répressif des Etats.
Entré en vigueur le 1er
mars 1985, le protocole n° 6 a été ratifié par 41 des 44 Etats membres du
Conseil de l'Europe. L’Arménie, la Fédération de Russie et la Turquie l’ont
signé et appliquent des moratoires sur les exécutions capitales. L’engagement de
devenir Partie au protocole n° 6 est de plus devenu une condition d’adhésion à
l’Organisation non négociable
et, aujourd’hui, 32 des Etats membres ont aboli la peine de mort en toutes
circonstances.
Malgré l’adoption du
protocole n° 6 et l’évolution des législations et des pratiques des Etats
européens, la reconnaissance dans la Convention de la possibilité pour les Etats
d’appliquer la peine de mort sous certaines conditions a considérablement limité
la marge de manœuvre de la Cour.
La Cour n’a examiné, que
rarement
et de façon « indirecte », la conformité à la Convention de la peine capitale.
Ainsi, dans l’affaire Soering,
le requérant lui-même n’a pas prétendu que la peine de mort constituait un
traitement inhumain et dégradant et violait en soi l’article 3. Certes, la Cour
a rappelé une jurisprudence constante, en vertu de laquelle « la Convention est
un instrument vivant à interpréter (…) à la lumière des conditions de vie
actuelles [et la Cour] ne peut pas ne pas être influencée par l’évolution et les
normes communément acceptées de la politique pénale des Etats membres du Conseil
de l’Europe dans ce domaine ».
Cependant, victime du décalage entre les normes conventionnelles qu’elle se doit
d’appliquer et la réalité abolitionniste du continent européen, la Cour n’était
pas en mesure d’aller plus loin et de qualifier la peine de mort per se
de traitement inhumain et dégradant.
Dans la jurisprudence de la
Cour, le droit à la vie « constitue un attribut inaliénable de la personne
humaine et (…) forme la valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme ».
D’ailleurs, le protocole n° 13 s’inscrit parfaitement dans cette logique et vise
précisément la protection du droit à la vie.
Toutefois, ne pouvant protéger de façon directe le droit à la vie d’un individu
face à la peine de mort, la Cour témoigne d’une certaine audace dans
l’utilisation « ‘d’armes’ de substitution ».
Elle va ainsi renforcer, dans des cas où les faits sont d’une gravité certaine,
l’exigence des garanties procédurales accordées à l’individu par le biais de
l’article 6, paragraphe 1 (droit à un procès équitable) et/ou de l’article 13
(droit à un recours effectif).
Ce glissement procédural,
amorcé dans une jurisprudence récente,
a été confirmé dans l’affaire Öcalan, où la Cour est amenée, pour la
première fois, à examiner la conformité à la Convention du recours à la peine
capitale dans un Etat membre du Conseil de l’Europe. Dans cette affaire, la Cour
a demandé à l’Etat défendeur de prendre, en vertu de l’article 39 du Règlement
de la Cour, « toutes les mesures nécessaires pour que la peine capitale ne soit
pas exécutée, afin que la Cour puisse poursuivre efficacement l’examen de la
recevabilité et du fond des griefs que le requérant formule sur le terrain de la
Convention ».
Or, les mesures provisoires concernaient ici et pour la première fois un risque
de violation de l’article 6 de la Convention.
Dans cette affaire, la Cour
pourrait se référer au protocole n° 13 au titre de sa jurisprudence classique
sur l’évolution des conditions de vie actuelles et l’influence exercée par
« l’évolution et les normes communément acceptées de la politique pénale des
Etats membres du Conseil de l’Europe dans ce domaine ». Cependant, l’adoption du
protocole n° 13 risque de lui être d’un faible secours pour qu’elle considère
l’application de la peine capitale comme un traitement inhumain et dégradant, et
a fortiori comme une atteinte au droit à la vie. Ainsi, c’est davantage
la récente signature du protocole n° 6 par l’Etat mis en cause
qui permettra à la Cour de « neutraliser »
l’article 2 de la Convention. En effet, en tant qu’Etat signataire ‑ et même
s’il ne l’a pas encore ratifié ‑, la Turquie a l’obligation de ne pas priver de
son sens l’objet et le but du protocole, conformément à l’article 18 (a) de la
Convention de Vienne sur le droit des traités.
Le décalage entre la seconde
phrase de l’article 2, paragraphe 1, de la Convention et la position très
abolitionniste des pays européens est d’autant plus frappante que plus des deux
tiers des Etats membres du Conseil de l'Europe ont aboli la peine de mort en
toutes circonstances.
Franchir une nouvelle étape est devenu nécessaire et les conditions politiques
rendaient un tel projet réalisable.
B. ‑
L’abolition de la peine de mort en temps de guerre et de danger imminent de
guerre : le protocole n° 13
Lors de la Conférence
ministérielle réunie à Rome en novembre 2000 à l’occasion du 50e anniversaire de
la Convention, le Comité des Ministres a été invité à examiner la faisabilité
d’un nouveau protocole à la Convention excluant le recours à la peine de mort en
temps de guerre. Les négociations se sont alors déroulées très rapidement. Dès
le mois suivant, la Délégation suédoise a soumis au Comité des Ministres une
proposition de protocole dont l’étude a été confiée au Comité directeur pour les
droits de l’homme (CDDH). La phase d’examen de la faisabilité technique d’un tel
protocole n’a ainsi pas fait l’objet de réelles discussions, puisqu’un projet
était déjà prêt. Deux réunions du Comité d’experts pour le développement des
droits de l’homme (DH-DEV) ont suffi pour approuver le projet et le transmettre
au Comité des Ministres pour adoption.
Le protocole entrera en
vigueur le 1er juillet 2003. Son contenu et sa forme sont un calque
du protocole n° 6 : à l’exception de l’article 2, il en reprend en substance
toutes les dispositions.
Le protocole s’ouvre sur la
conviction des Etats membres signataires « que le droit de toute personne à la
vie est une valeur fondamentale dans une société démocratique, et que
l’abolition de la peine de mort est essentielle à la protection de ce droit et à
la pleine reconnaissance de la dignité inhérente à tous les êtres humains ». La
force de cette première affirmation est de clore définitivement le débat sur
l’abolition de la peine de mort entre les Etats membres du Conseil de l'Europe.
L’article 1, strictement
identique à celui du protocole n° 6, dispose que : « La peine de mort est
abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté ».
La version anglaise de la
première phrase diffère toutefois quelque peu (« the death penalty shall be
abolished ») et impose aux Etats l’obligation d’abolir la peine de mort
alors que la version française a une tonalité plutôt self-executing.
Le Juge Guillaume avait également décelé une inspiration moniste derrière la
formulation française et constatait qu’« elle ne fait pas obligation aux Etats
Parties d’abolir la peine de mort, mais procède elle-même à cette abrogation en
usant d’une rédaction qui semblerait à première vue plus appropriée pour une loi
interne que pour une convention internationale ».
Par la seconde phrase de
l’article 1 ‑ « Nul ne peut être condamné à une telle peine ni être exécuté » ‑,
les auteurs ont voulu souligner que le droit reconnu est un droit subjectif de
l’individu.
Tous les individus relevant de la juridiction des Etats Parties sont ainsi
protégés. Ils peuvent s’en prévaloir devant leurs juridictions nationales et
agir devant la Cour européenne.
La similarité de l’article 1
des deux protocoles a nécessité un éclaircissement. Le rapport explicatif du
protocole n° 6 précisait en effet que l’article 1 devait être lu conjointement
avec l’article 2, qui autorise le recours à la peine de mort en temps de guerre.
L’objet du protocole n° 6 était par conséquent limité à l’abolition de la peine
de mort en temps de paix, même si son titre ‑ « protocole concernant l’abolition
de la peine de mort » ‑ pouvait suggérer l’abolition en toutes circonstances.
Très logiquement, et afin de souligner l’apport du protocole n° 13, son rapport
explicatif fait également référence à une lecture combinée de l’article 1 et de
l’article 2, lequel interdit toute dérogation.
L’article 2 interdit en
effet de recourir aux dérogations relatives à l’état d’urgence prévues par
l’article 15 de la Convention.
Le protocole n° 6 contient la même disposition à l’article 3 mais le sens de
cette interdiction pose toutefois question. En effet, cela signifierait que,
contrairement à l’article 15, la peine de mort peut être prononcée et exécutée
en cas de guerre ou de danger imminent de guerre, mais pas en cas d’un autre
danger public menaçant la vie de la nation. La Cour n’a jamais eu à interpréter
cette disposition ni à identifier un danger public menaçant la vie de la nation
qui ne soit pas la guerre ou un danger imminent de guerre.
Le protocole n° 13 résout ce problème puisque son objet et son but sont d’abolir
la peine de mort en toutes circonstances, soit en temps de paix, de guerre, de
danger imminent de guerre et de danger public menaçant la vie de la nation. La
suppression de l’exception de l’article 2 du protocole n° 6 a permis de
présenter l’élaboration du protocole n° 13 comme visant à « combler les
lacunes »
contenues dans le protocole n° 6.
L’article 3 du protocole
n° 13, à l’instar de l’article 4 du protocole n° 6, interdit les réserves.
L’interdiction de la peine de mort a ainsi un caractère absolu. Dans la mesure
où les Etats avaient déjà la possibilité, en vertu de l’article 2, de limiter
l’abolition de la peine de mort aux actes commis en temps de paix, l’admission
de réserves ne pouvait que vider de son sens l’objet même du protocole n° 6.
Si le protocole n° 13
constitue une avancée historique dans le combat pour l’abolition de la peine
capitale, il laisse néanmoins certaines questions non résolues.
II. ‑ UN PROCESSUS INACHEVE
L’un des intérêts d’un
nouveau protocole résidait notamment dans la possibilité d’amender l’article 2
de la Convention. On peut ainsi regretter que la proposition d’amendement de la
Convention formulée par l’Assemblée parlementaire dès 1980 n’ait pas été retenue.
Certes le protocole permet de modifier la portée de la Convention et du
protocole n° 6, mais il ne va pas jusqu’au bout du processus en retirant
purement et simplement la possibilité de recours à la peine capitale du texte
originel.
A. ‑ Une portée limitée
Les rédacteurs du protocole
n° 13 souhaitaient donner à l’interdiction du recours à la peine de mort une
portée générale et garantir sa non-réintroduction dans les législations
nationales. La clause territoriale contenue dans le protocole n° 13 tend
toutefois à relativiser sa portée générale.
L’article 4 contient en
effet une clause qui permet aux Etats de désigner les territoires auxquels le
protocole s’appliquera. Le maintien de cette clause classique dans le protocole
a soulevé des questions dans la mesure où elle s’accorde mal avec l’interdiction
absolue du recours à la peine de mort. En effet, cela signifie concrètement que
la peine de mort peut continuer à être appliquée en temps de guerre sur les
territoires exclus du champ d’application du protocole par l’Etat concerné. Au
moment de sa ratification, le Danemark a ainsi exclu l’application du protocole
pour le Groenland et les Iles Féroé.
En vertu du paragraphe 3 de
l’article 4, « toute déclaration faite en vertu des deux paragraphes précédents
pourra être retirée ou modifiée, en ce qui concerne tout territoire désigné dans
cette déclaration, par notification adressée au Secrétaire Général. Le retrait
ou la modification prendra effet le premier jour du mois qui suit l'expiration
d'une période de trois mois après la date de réception de la notification par le
Secrétaire Général ». A la faculté de retrait reconnue aux Etats dans le
protocole n° 6 (article 5), a été ajoutée la possibilité de modifier la
déclaration.
Le rapport explicatif donne
de ce paragraphe 3 l’éclairage suivant : « cette clause a été incluse dans le
seul but de faciliter une ratification, une acceptation ou une approbation
rapide par les Etats concernés. L’objet du paragraphe 3 est de prévoir une
modification ou un retrait formel dans le cas où l’Etat Partie cesse d’assurer
les relations internationales de tout territoire désigné dans une telle
déclaration, mais en aucune manière de permettre à un Etat Partie de
réintroduire la peine de mort dans ce territoire ».
Même si le rapport explicatif fait œuvre pédagogique en précisant le but de
cette clause territoriale, il n’en demeure pas moins que la portée du protocole
est affaiblie.
Le projet de protocole
présenté par la Délégation suédoise reprenait les cinq paragraphes de la clause
territoriale du douzième protocole à la Convention portant interdiction de toute
discrimination (article 2).
Or, ses deux derniers paragraphes prévoient que la juridiction de la Cour sur
les territoires désignés n’est obligatoire que si l’Etat a fait une déclaration
en ce sens.
Très controversée,
cette proposition a finalement été écartée. En effet, le protocole n° 6 ‑ dont
le protocole n° 13 constitue le prolongement ‑ ne contenait pas de telles
dispositions. Il était donc impératif de les supprimer du projet de protocole
n° 13. Ce faisant, toute référence expresse à la possibilité pour les Etats de
ne pas reconnaître la juridiction de la Cour a été écartée. Les auteurs ont donc
pris soin de signaler au paragraphe 18 du rapport explicatif que « toutes les
dispositions de [la Convention] s’appliqueront aux articles 1 à 4 du Protocole.
Ces dispositions comprennent bien entendu le système de garantie instauré par la
Convention. Cela signifie, entre autres, qu’une déclaration faite en vertu des
paragraphes 1 ou 2 de l’article 4 du Protocole entraîne ipso facto
l’extension de la compétence de la Cour au territoire concerné ».
Outre la portée générale de
l’interdiction de la peine de mort, c’est également son caractère définitif qui
est fragilisé par les incertitudes qui entourent les dispositions applicables en
matière de dénonciation du protocole.
L’article 5 affirme le
caractère additionnel des dispositions contenues dans le protocole et
l’application en conséquence des dispositions générales de la Convention. Ainsi
aussi bien le mécanisme de contrôle que la clause de dénonciation contenue à
l’article 58 de la Convention s’appliquent.
L’article 58 prévoit que la
dénonciation ne peut intervenir qu’à l’expiration d’un délai de cinq ans après
l’entrée en vigueur de l’instrument conventionnel à son égard et moyennant un
préavis de six mois notifié au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe. Un
Etat Partie pourrait ainsi dénoncer le protocole n° 13 sans dénoncer en même
temps la Convention.
Les avis sont cependant
partagés sur ce point. Pierre-Henri Imbert soutient ainsi que les protocoles,
qu’ils soient additionnels ou d’amendement, font partie intégrante de la
Convention pour les Etats qui les ont ratifiés et qu’ils ne peuvent, par
conséquent, être dénoncés sans que la Convention soit également dénoncée.
La majorité des auteurs constate toutefois qu’il est communément admis en droit
international que ce qui distingue les protocoles additionnels des protocoles
d’amendement est que les premiers peuvent être dénoncés sans que cela n’implique
une dénonciation de la Convention.
Le choix d’un protocole
additionnel n’est peut-être pas étranger à ces considérations et il n’est pas
exclu que certains Etats aient préféré cette formule plutôt que celle d’un
protocole d’amendement afin de se préserver une possibilité plus praticable de
dénoncer l’interdiction du recours à la peine de mort. En effet, seul un
protocole d’amendement aurait rempli l’objectif de non-réintroduction poursuivi
par les rédacteurs du protocole n° 13. Ainsi, pour décider que le protocole n° 6
ne contient pas de dispositions contraires à la Constitution française, le
Conseil constitutionnel relevait, dans une décision du 22 mai 1985, qu’il peut
être dénoncé. Louis Favoreu en déduira que : « Cela signifie certainement que
c’est une des conditions, pour lui, de la compatibilité de l’accord avec la
Constitution, et donc qu’un accord non susceptible d’une dénonciation dans un
délai raisonnable ne serait pas compatible avec la Constitution, du moins s’il
comporte des limitations de souveraineté ».
Dans la mesure où ces débats
sur les possibilités d’une dénonciation séparée avaient précisément surgi à
propos du protocole n° 6,
il peut être regretté que l’élaboration du protocole n° 13 n’ait pas été
l’occasion de clarifier ce point. La complexité de la question et la pression
d’un calendrier d’élaboration serré expliquent peut-être que cette question
n’ait pas été examinée.
B. ‑ Les conséquences
juridiques de la nature additionnelle du protocole
Lors de l’élaboration du
protocole n° 6, le choix de l’instrument juridique avait été largement discuté.
Un amendement de la Convention a été envisagé. Or, pour entrer en vigueur, un
protocole d’amendement doit en principe être ratifié par tous les Etats Parties
à la Convention. Les Etats abolitionnistes ne représentaient alors qu’une petite
majorité et cette solution risquait de trop retarder l’entrée en vigueur voire
la rendre impossible.
L’option retenue a donc été celle d’un protocole additionnel qui entrerait en
vigueur avec un nombre restreint de ratifications. L’interdiction qu’il contient
pourrait ainsi être rapidement introduite dans le droit international positif,
même si son champ d’application géographique devait rester quelque temps réduit.
Vingt ans plus tard, plus
des deux tiers des Etats membres ont aboli la peine de mort en toutes
circonstances. Il devenait important de supprimer l’exception du protocole n° 6
relative au recours à la peine de mort en temps de guerre et de danger imminent
de guerre. C’est ce qu’entend réaliser le protocole n° 13. Pourtant, il ne
supprime pas cette exception puisqu’il n’amende pas le protocole n° 6. Il ne
fait que la « neutraliser », tout comme le protocole n° 6 a neutralisé l’article
2 de la Convention.
Les rédacteurs du protocole
n° 13 ont directement entamé leurs travaux sur le contenu et la rédaction d’un
projet de protocole additionnel sans examiner la faisabilité d’un protocole
d’amendement. Saisie pour avis par le Comité des Ministres du projet de
protocole, l’Assemblée parlementaire a pourtant insisté, en vain, pour que la
deuxième phrase de l’article 2 de la Convention qui prévoit toujours la peine de
mort soit supprimée. Elle a notamment proposé un « protocole ‘hybride’ qui
prenne tout d’abord la forme d’un protocole additionnel pour se transformer en
protocole d’amendement une fois entré en vigueur dans tous les Etats parties à
la Convention ».
Cette proposition de
protocole « hybride » aurait pu constituer une base intéressante de réflexion.
Le protocole n° 13 aurait contenu une clause prévoyant que son article 1
s’intégrera à la Convention lorsqu’il aura été ratifié par tous les Etats
Parties à la Convention. L’interdiction des réserves contenue dans le protocole
aurait également été intégrée à la Convention comme exception à son article 57.
Plusieurs clauses permettent
de pallier une entrée en vigueur tardive qui constitue le principal reproche
adressé à la technique du protocole d’amendement.
La première est la clause de
mise en application anticipée ou provisoire.
Elle permet aux Etats contractants, c’est-à-dire aux Etats ayant exprimé leur
consentement définitif à être liés par le protocole, de le mettre en œuvre sans
attendre sa ratification par tous les Etats Parties à la Convention.
La deuxième est la clause
d’entrée en vigueur automatique.
A l’expiration d’un certain délai et sauf objection d’un nombre à déterminé
d’Etats, le protocole entre automatiquement en vigueur.
La troisième est l’entrée en
vigueur du protocole d’amendement par un nombre limité de ratifications.
La critique qui peut être adressée à cette technique est de faire coexister deux
versions de l’article 2 de la Convention. Toutefois, la situation actuelle,
c’est-à-dire la superposition de textes (article 2 de la Convention, protocoles
n° 6 et n° 13), n’est pas forcément moins complexe que la coexistence de deux
versions de l’article 2. De plus, pour les Etats ayant ratifié le protocole
d’amendement l’abolition de la peine de mort serait devenue quasi-définitive.
Pour pouvoir réintroduire la peine de mort, ces Etats n’auraient en effet eu
comme seule voie que de dénoncer la Convention dans son intégralité. Or, la
participation d’un Etat au Conseil de l'Europe est aujourd’hui directement liée
à sa qualité d’Etat Partie à la Convention. La procédure d’exclusion prévue à
l’article 8 du Statut du Conseil de l'Europe pourrait parfaitement être engagée
contre lui. Il ne pourrait ainsi ratifier à nouveau la Convention qu’après avoir
été réadmis au Conseil de l'Europe et donc qu’après s’être engagé à abolir la
peine de mort comme tout autre Etat candidat à l’adhésion depuis 1994. Enfin, si
un protocole d’amendement avait été adopté, après sa ratification par tous les
Etats Parties à la Convention, l’intégration dans la Convention de
l’interdiction de faire une réserve à l’abolition de la peine de mort aurait
permis d’empêcher qu’un Etat ne dénonce la Convention pour la ratifier à nouveau
avec une réserve à cette disposition de l’article 2 amendé.
La proposition de
l’Assemblée parlementaire a été rapidement rejetée par les Délégués chargés de
préparer les décisions du Comité des Ministres. Ils ont en effet estimé que
l’effet juridique recherché par rapport à l’article 2 de la Convention serait
obtenu de la même manière par un protocole additionnel. Or, ce que souhaitait
l’Assemblée parlementaire était l’amendement de la Convention, ce qu’un
protocole additionnel n’est, par définition, pas destiné à réaliser.
Si cette proposition de
protocole « hybride » pouvait paraître originale, elle a ‑ nous semble-t-il ‑ le
mérite de jeter un peu de lumière sur les zones d’ombre que contient le
protocole. Les relations entre le protocole n° 13, le protocole n° 6 et la
Convention ne sont en effet pas réellement tranchées. Même si le protocole n° 13
a tous les aspects d’un protocole additionnel, lorsque, dans quelques années,
tous les Etats Parties à la Convention l’auront ratifié, ne viendra-t-il pas
de facto amender la Convention ? Qu’adviendra-t-il alors du protocole n° 6 ?
En effet, dans la mesure où
le protocole n° 13 couvre l’abolition de la peine de mort en temps de paix et de
guerre, le protocole n° 6 perdra sa singularité quand tous les Etats Parties à
la Convention seront devenus Parties au protocole n° 13. Dans l’intervalle, il
reste utile pour les Etats qui n’ont aboli la peine de mort qu’en temps de paix
et pour les Etats « rétentionnistes » qui commenceraient par n’abolir la peine
de mort qu’en temps de paix. Même une fois le protocole n° 13 ratifié par tous
les Etats, le maintien du protocole n° 6 pourrait être utile pour les Etats
Parties au protocole n° 13 qui rétabliraient la peine de mort en temps de
guerre. Ils pourraient dénoncer le protocole n° 13 mais resteraient liés par le
protocole n° 6 pour les actes commis en temps de paix.
Enfin, il est peu probable
qu’en l’état, la Cour puisse à l’occasion de l’affaire Öcalan « revisiter
Soering et constater que ces valeurs européennes de portée universelle sont
désormais reprises dans sa jurisprudence »
puisque tous les Etats membres n’ont pas ratifié le protocole n° 6 et que
l’article 2 de la Convention n’est pas amendé. La Cour n’est ainsi toujours pas
en mesure de qualifier la peine de mort de traitement inhumain et dégradant ou
de dire qu’elle viole l’article 2 de la Convention.
La tâche de
« neutralisation » de l’article 2 de la Convention demeure jusqu’à aujourd’hui
extrêmement difficile et exigerait de la Cour une interprétation très dynamique
et audacieuse.
Lorsque le protocole n° 13 aura été largement ratifié, la voie de l’amendement
de jure de la Convention sera ‑ à n’en pas douter ‑ ouverte, et c’est en
ce sens que le protocole n° 13 n’est pas « le pas ultime ».
En attendant, si le protocole n° 13 se limite à prendre acte des évolutions
intervenues dans les législations et la pratique des Etats membres du Conseil de
l'Europe, il pourra néanmoins constituer un instrument utile d’incitation pour
les Etats qui n’ont pas encore aboli la peine de mort en temps de guerre.
* * *
NOTES
La Convention est toutefois en retrait par rapport à d’autres traités
internationaux, élaborés par la suite il est vrai, notamment le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques (article 6) et la
Convention américaine relative aux droits de l’homme (article 4).
Voir les affaires répertoriées par Gilbert GUILLAUME, « Protocole n° 6,
articles 1 à 4 », in Louis-Edmond PETTITI, Emmanuel DECAUX et
Pierre-Henri IMBERT (dir.), La Convention européenne des droits de l’homme,
commentaire article par article, 2ème éd., Paris, Economica,
1995, pp. 1071-1072.
C’est ce qu’a souligné avec force et justesse le Juge de Meyer dans son
opinion concordante à l’arrêt Soering c./ Royaume-Uni du 7 juillet
1989, Série A, n°161.
Voir notamment Gérard COHEN-JONATHAN, La Convention Européenne des Droits
de l’Homme, Paris, Economica, 1989, p. 279. Notez qu’en droit
international humanitaire, l’exigence du respect de garanties procédurales
dans un procès dont l’issue peut être une condamnation à mort est devenue une
norme coutumière en temps de guerre (Anne SOULELIAC, « Peine de mort et Droit
international », L’Astrée, 2001, n° 16, p. 36).
Indications en mesures provisoires prononcées par la Cour le 30 novembre 1999.
L’article 39 du Règlement de la Cour relatif aux mesures provisoires prévoit
que : « 1. La chambre ou, le cas échéant, son président peuvent, soit à la
demande d’une partie ou de toute autre personne intéressée, soit d’office,
indiquer aux parties toute mesure provisoire qu’ils estiment devoir être
adoptée dans l’intérêt des parties ou du bon déroulement de la procédure. 2.
Le Comité des Ministres en est informé. 3. La chambre peut inviter les parties
à lui fournir des informations sur toute question relative à la mise en œuvre
des mesures provisoires recommandées par elle ».
Jérôme Benzimra-Hazan souligne que « [r]éalisant l’irradiation « du noyau
dur » des droits de l’homme dans la procédure, les mesures provisoires rendent
ainsi le procès équitable indissociable du droit à la vie, et il est alors
difficile de savoir si, en l’absence d’un tel enjeu vital pour le requérant,
la Cour aurait indiqué de telles mesures » (op. cit.).
Article 15, paragraphe 1 : « En cas de guerre ou en cas d'autre danger public
menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des
mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la
stricte mesure où la situation l'exige et à la condition que ces mesures ne
soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit
international ».
DH-DEV (2001) 6, Rapport de la 28ème réunion, 10-12 octobre 2001,
§§ 3-4. Devant le groupe de travail DH-DEV, Pierre‑Henri IMBERT a ainsi
souligné que l’économie générale du protocole n°12 n’est pas du tout adaptée
au contexte précis de l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances
et ne répond pas à l’exigence d’abolition définitive de cette peine.
“[R]evisit Soering and see that these universal European values are now
translated into its jurisprudence”, William A. SCHABAS, op. cit.,
p. 278 (traduit par nous).
Copyright : © 2003 Elise Cornu et Sonia Parayre. Tous droits réservés. Impression
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officiel de citation :
CORNU Elise et PARAYRE
Sonia. - « Le protocole n° 13 à la Convention européenne des Droits de l’Homme :
l’abolition totale et définitive de la peine de mort en Europe ? ». -
Actualité et Droit International, avril 2003. (http://www.ridi.org/adi).
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