DU DROIT INTERNATIONAL AU
DROIT IMPERIAL ?
REFLEXIONS SUR LA GUERRE CONTRE L’IRAK
par
Slim Laghmani
Professeur à la Faculté des
Sciences juridiques, Politiques et Sociales de Tunis
Résumé :
La qualification juridique
de la guerre déclenchée contre l’Irak le 20 mars 2003 ne fait pas mystère. C’est
un recours illicite à la force armée qui constitue une violation de l’article 2
§ 4 de la Charte des Nations Unies, une agression au sens de la
résolution 3314 (XXIX) adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 14
décembre 1974 et certainement un crime d’agression au sens du statut de la Cour
pénale internationale. Pourtant aucune de ces qualifications n’a pu ni ne peut
produire d’effets juridiques hormis la légitime défense individuelle. L’auteur
croit pouvoir expliquer cette vanité du droit international par une résurrection
d’un droit impérial qui tient en échec le droit international.
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et citations : Seule la version
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1. - La signification (ou
qualification) juridique de la guerre déclenchée contre l’Irak le 20 mars 2003
ne fait pas mystère. C’est un recours illicite à la force armée qui constitue
une violation de l’article 2 § 4 de la Charte des Nations Unies,
une agression au sens de la résolution 3314 (XXIX) adoptée par l’Assemblée
générale des Nations Unies le 14 décembre 1974 et certainement un crime
d’agression au sens du statut de la Cour pénale internationale.
2. - Le droit international ne
prévoit, en effet, que deux cas de recours licite à la force armée : les mesures
de coercition armées décidées par le Conseil de sécurité sur la base de
l’article 42 de la Charte des Nations Unies en cas de menace contre la paix,
d'une rupture de la paix ou d’un acte d’agression
et la légitime défense sur la base de l’article 51 de la Charte des Nations
Unies.
Or, dans le cas qui nous intéresse, nous ne nous trouvons dans aucune des deux
situations.
a. - D’abord, et c’est une
lapalissade, aucun des Etats coalisés (Etats-Unis d’Amérique, Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, Pologne, Australie) n’a été victime d’une
agression perpétrée par l’Irak. On ne peut non plus admettre la doctrine de la
légitime défense préventive développée par la nouvelle stratégie de sécurité
nationale des Etats-Unis adoptée par Georges W. Bush en septembre 2002 en
vertu de laquelle « [l]es Etats-Unis s’efforceront constamment de rallier
l’appui de la Communauté internationale, mais ils n’hésiteront pas à agir seuls,
s’il le faut pour exercer leur droit de légitime défense préventivement contre
ces terroristes afin de les empêcher de porter atteinte au peuple et à la nation
américaine ».
Il n’y aucune place en droit international pour une telle conception de la
légitime défense. La défense n’est légitime que « dans le cas où un
Membre des Nations Unies est l'objet d'une agression armée » (article
51 de la Charte des Nations Unies) et non l’objet de la simple éventualité ou
même de la forte probabilité de la survenance d’une agression. Cela a, du reste,
été confirmé par la Cour internationale de Justice (C.I.J.) qui a déclaré dans
l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci : « [d]ans le cas de la légitime défense individuelle, ce
droit ne peut être exercé que si l’intéressé a été victime d’une
agression armée ».
b. - La guerre n’a pas non plus
pour base une décision du Conseil de sécurité. En effet, le projet de résolution
modifié
déposé par l’Espagne, les Etats-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord le 24 février 2003 qui tendait à constituer
une telle base juridique n’a pas été soumis au vote. Par ailleurs, on ne peut
accepter la thèse américaine en vertu de laquelle la résolution 1441 adoptée par
le Conseil de sécurité le 8 novembre 2002 constitue une base suffisante pour
recourir à la guerre contre l’Irak.
Cette thèse peut s’appuyer sur
certains passages de la résolution 1441 (2002). D’abord sur le quatrième
considérant de son préambule qui rappelle « que sa résolution 678 (1990) a
autorisé les Etats membres à user de tous les moyens nécessaires pour faire
respecter et appliquer la résolution 660 (1990) et toutes les résolutions
pertinentes adoptées ultérieurement pour rétablir la paix et la sécurité
internationales dans la région », ensuite, sur le onzième considérant du
préambule qui rappelle « que, dans sa résolution 687 (1991) il a déclaré
qu’un cessez-le-feu reposerait sur l’acceptation par l’Iraq des dispositions de
cette résolution, y compris des obligations imposées à l’Iraq par ladite
résolution », enfin sur le paragraphe 13 du dispositif de la résolution 1441
qui rappelle « dans ce contexte qu’il a averti à plusieurs reprises l’Iraq
des graves conséquences auxquelles celui-ci aurait à faire face s’il continuait
à manquer à ses obligations ». Une analyse combinée de ces trois passages
laisse à penser que l’autorisation du recours à la force armée contre l’Irak
existe déjà en vertu de la résolution 678 (1990) et que, depuis, la situation
est celle d’un cessez-le-feu conditionné par le respect par l’Irak des
obligations qui lui ont été imposées notamment par la résolution 687 (1991). La
résolution 1441 (2002) n’aurait fait que rappeler cette situation et dès lors
les « graves conséquences » auxquelles elle fait allusion consistent dans
la levée du cessez-le-feu conditionnel décidé par la résolution 687 (1991) s’il
est avéré que l’Irak continue à méconnaître ses obligations. Les Etats-Unis
n’auraient donc pas besoin d’une nouvelle résolution autorisant le recours à la
force armée : la guerre déclenchée le 20 mars 2003 se fonde sur la résolution
678 du 29 novembre 1990 rappelée par la résolution 1441 (2002).
Cette interprétation doit être
rejetée car elle repose sur une lecture sélective de la résolution 1441 (2002)
qui trahit sa signification globale. En effet, le Conseil a décidé
« d’accorder à l’Iraq par la présente résolution une dernière possibilité de
s’acquitter des obligations en matière de désarmement qui lui incombent en vertu
des résolutions pertinentes du Conseil », ce qui signifie clairement que
l’apport spécifique de la résolution 1441 (2002) est d’être la « planche de
salut » de l’Irak et non pas un simple rappel de l’épée de Damoclès qui menace
l’Irak. De plus, la résolution n’a pas laissé l’appréciation du degré
d’exploitation par l’Irak de cette « dernière possibilité » à la
discrétion des Etats membres, mais a décidé « en conséquence d’instituer un
régime d’inspection renforcé dans le but de parachever de façon complète et
vérifiée le processus de désarmement établi par la résolution 687 (1991) et les
résolutions ultérieures du Conseil ». En d’autres termes, il revient à la
COCOVINU et à l’A.I.E.A. d’enquêter et éventuellement de vérifier l’effectivité
du désarmement. La Commission et l’ A.I.E.A. sont par ailleurs, en vertu des
paragraphes 4, 5 et 11, tenues de rendre compte au Conseil de leurs activités et
notamment de rapporter « au Conseil aux fins de qualification » les
« fausses informations ou [les] omissions dans les déclarations soumises par
l’Iraq » (§ 4) ainsi que de « lui signaler immédiatement toute ingérence
de l’Iraq dans les activités d’inspection ainsi que tout manquement de l’Iraq à
ses obligations en matière de désarmement » (§ 11). A aucun moment, la
résolution ne fait intervenir les Etats dans le mécanisme qu’elle a institué.
L’établissement de la matérialité des faits relève de la compétence exclusive de
la Commission et de l’AIEA et la qualification des faits comme violation ou non
des obligations de l’Irak relève exclusivement de la compétence du Conseil de
sécurité. En effet, c’est ce dernier qui sur la base « d’un rapport
conformément aux paragraphes 4 ou 11 ci-dessus [se réunit immédiatement] afin
d’examiner la situation ainsi que la nécessité du respect intégral de toutes ses
résolutions pertinentes en vue de préserver la paix et la sécurité
internationales » (§ 12). Toute décision relative aux « graves
conséquences » (§ 13) doit être prise « dans ce contexte » (§ 13),
c’est-à-dire dans le cadre des dispositions du paragraphe 12 ainsi que le veut
le respect des règles élémentaires de l’exégèse.
3. - La guerre contre l’Irak ne
peut pas non plus être justifiée par son motif apparent et hyper médiatisé :
« la libération du peuple irakien ». Le même argument fut utilisé par le Vietnam
pour renverser le régime des Khmers rouges au Cambodge (décembre 1978 - janvier
1979) et par la Tanzanie pour renverser le régime de Idi Amin Dada en Ouganda
(mars - avril 1979). Nous sommes là, en vérité, aux confins du droit et déjà
dans le domaine de la morale ou de la doctrine classique de la « guerre juste ».
L’argument avancé vise, en effet, plus à légitimer la guerre qu’à la fonder en
droit, or, l’apport du droit international contemporain est d’avoir réduit la
notion de guerre juste à celle de guerre légale. Le droit international ne
consacre aucun droit à l’ingérence démocratique et encore moins un droit à la
guerre pour ce motif. La C.I.J. a été plus qu’affirmative à ce propos dans
l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci : « ... La Cour ne saurait concevoir la création d'une règle
nouvelle faisant droit à une intervention d'un État contre un autre pour le
motif que celui-ci aurait opté pour une idéologie ou un système politique
particulier ».
En droit international, la démocratie est une expression du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes, inverser cette logique et imposer la démocratie, si tant
est que cela soit en pratique possible, c’est disposer de la volonté du peuple,
c’est donc méconnaître son droit à l’autodétermination.
4. - La guerre contre l’Irak est
une violation du principe de l’interdiction de l’emploi de la force. Elle est
une agression au sens de la résolution 3314 (XXIX) adoptée par l’Assemblée
générale des Nations Unies le 14 décembre 1974 qui dispose dans son article 1er :
« [l]’agression est l’emploi de la force armée par un
État contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l'indépendance
politique d'un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte
des Nations Unies ainsi qu'il ressort de la présente définition ».
5. - Agression donc. La
qualification juridique de la guerre contre l’Irak qui s’impose en droit
international ne manque toutefois pas de provoquer chez le juriste comme chez le
commun des mortels un sourire désabusé. C’est que cette qualification est une
déclaration platonique. Elle n’a aucune incidence concrète. En droit, une
qualification ne vaut que par le régime juridique qu’elle détermine et donc par
les actions auxquelles elle ouvre droit. C’est ce qui distingue le jugement
juridique du jugement moral, le jugement juridique n’est pas une fin en soi.
Pourtant dans le cas de la guerre contre l’Irak rien ne distingue le jugement
juridique du jugement moral car aucune des conséquences que le droit
international impute à la qualification d’agression ne peut être mise en œuvre à
part, évidemment, la légitime défense individuelle qui, d’une part, est
illusoire étant donnée la disproportion flagrante des forces en présence et qui,
d’autre part, selon les termes mêmes de l’article 51 de la Charte des Nations
Unies, est un « droit naturel ».
Ni la légitime défense
collective, ni la sécurité collective ne sont pensables contre l’hyper puissance
d’un Etat par ailleurs membre permanent du Conseil de sécurité.
On ne peut non plus sérieusement songer à une procédure pénale car, d’une part,
les Etats-Unis n’ont pas ratifié le Statut de la Cour pénale internationale
et parce que, d’autre part, ce statut n’a précisément pas défini le crime
d’agression.
La qualification comme agression de la guerre contre l’Irak a, toutefois, une
vertu qui n’est précisément pas juridique. Elle permet, en effet, de condamner
cette guerre en évitant le recours à des logiques de guerre des cultures, des
civilisations ou des religions qui ne pourraient être appréciées et exploitées
que par les agresseurs, en d’autres termes, la qualification juridique
d’agression équivaut à un jugement moral laïque.
6. - Reste à s’interroger sur la
signification de la vanité du droit international.
a. - Ce que nous nommons
aujourd’hui « droit international » est un ordre juridique dont les premiers
éléments ont commencé à apparaître à la fin du moyen âge et qui s’est structuré
au milieu du XVIIe siècle avec les traités de Westphalie. Depuis, il s’est
évidemment développé, transformé, mais sans que ne soit remise en cause sa
structure fondamentale de droit interétatique. Au droit de la coexistence
originel s’est surajouté un droit de la coopération, sur le droit relationnel
s’est greffé un droit institutionnel,
mais la cohérence globale est restée inchangée.
b. - L’apparition du droit
international est co-substantiellement liée à l’émergence d’une société
internationale composée d’Etats au sens moderne du terme, c’est-à-dire des
entités politiques se définissant comme souveraines à l’intérieur et dans les
limites d’un territoire. La spécificité de la société internationale par
rapport à l’organisation du Monde qui la précédait tient à son pluralisme de
droit, l’Etat acceptant par définition, par sa définition même,
l’existence légitime au-delà de ses frontières d’autres entités politiques se
définissant elles-mêmes par leurs limites. Ce type d’organisation n’abolit pas
les possibilités de conflits et de guerres, mais, en ligne générale, les
conflits portent sur les limites, non sur l’existence même de l’Etat. C’est donc
la nature même de cette société internationale qui a dicté les principes qui
gouvernent l’ordre juridique, la souveraineté et l’égalité, et la logique qui
anime sa formation, l’accord qui « est l’expression de la souveraineté et sa
coordination avec d’autres souverainetés ».
c. - Il faut également signaler
une autre caractéristique, non moins fondamentale de cette société
internationale. Elle était ‑ en gros et de manière générale ‑ constituée
d’entités équilibrées économiquement et militairement, en ce sens que les écarts
entre les plus puissants et les moins puissants n’étaient pas très importants.
Une Cité Etat comme Venise pouvait tenir tête à un grand Royaume. Il en
demeurera ainsi jusqu’à la fin du XIXe siècle.
A cet équilibre général et
relatif, il faut ajouter un équilibre particulier et plus exact entre les Etats
les plus puissants de chaque époque : le Sultanat ottoman, et l’Espagne durant
la première moitié du XVIe siècle ; l’Espagne, la France et la Suède du milieu
du XVIe siècle au milieu du XVIIe siècle, la France et l’Autriche du milieu du
XVIIe siècle au milieu du XVIIIe siècle, La France et la Grande-Bretagne
du milieu du XVIIIe siècle à la fin du XIXe siècle, les Etats-Unis d’Amérique et
l’Union soviétique de la fin de la Deuxième Guerre Mondiale jusqu’à la fin des
années quatre-vingt.
Cet équilibre général et cet
équilibre particulier ont été la condition de possibilité de l’effectivité
(relative) du droit international. Le respect du droit international n’était pas
lié à un sentiment d’obligation ou à un attachement moral à ce droit, mais au
jeu de la réciprocité rendu possible par l’équilibre. Chaque acteur était
conscient de ce que la violation du droit international en vue de réaliser des
intérêts propres légitimait la violation du droit international par d’autres
acteurs pour la réalisation d’intérêts contraires.
Ce qui précède ne signifie
évidemment pas l’absence de crise ou de guerre. Les plus graves étaient dues à
une rupture de l’équilibre et à ce qu’un Etat ait cru en son pouvoir d’imposer
son hégémonie aux autres : Louis XIV, Napoléon Bonaparte, Guillaume II, Hitler
ont tour à tour été bercés par cette illusion, mais le fait est qu’à chacune de
ces aventures, les autres Etats se sont ligués pour mettre fin aux prétentions
hégémoniques et rétablir l’équilibre. C’est ce fait que la doctrine nomme
principe d’équilibre.
7. - Les deux équilibres
mentionnés plus haut ont successivement disparu. L’équilibre général a disparu,
au plan militaire suite à l’invention de l’arme nucléaire ; il a également
disparu au plan économique avec la décolonisation et l’intégration dans la
société internationale d’Etats nouveaux. Depuis, un énorme écart, qui ne cesse
de se creuser, sépare le Nord du Sud. L’équilibre particulier, c’est-à-dire
l’équilibre de la terreur garanti par la dissuasion nucléaire a disparu à la
suite de l’effondrement de l’Union soviétique. Il en est résulté une
incontestable suprématie américaine qui s’explique, d’une part, par la
supériorité technologique et militaire des Etats-Unis et, d’autre part, par la
faiblesse multiforme des concurrents potentiels : l’Europe politique et
militaire est inexistante, la Russie n’est que l’ombre de l’URSS, la Chine fait
profil bas, se prépare et attend son heure.
Cette suprématie a pris depuis
la fin de la bipolarisation deux formes. Elle s’est, d’abord, affirmée comme
leadership
et s’est accommodé du multilatéralisme et elle s’est, dans un deuxième temps,
révélée comme hégémonie
et s’est repliée sur l’unilatéralisme.
Le multilatéralisme « qui suit une voie combinant supériorité et
collaboration »
était évident lors de la première guerre contre l’Irak (1991), il était à la
fois total et institutionnel. Il a décliné avec la guerre contre la Serbie
(1999) puisque cette guerre s’est faite contre la volonté de la Russie et de la
Chine et, dans un premier temps, en dehors des Nations Unies. Le passage du
multilatéralisme à l’unilatéralisme a eu lieu à la suite du 11 septembre 2001.
Le 20 septembre, le Président américain déclarait lors d’une réunion conjointe
du Congrès que « tout Etat, partout dans le monde, doit adopter une
position : soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes. A
partir de ce jour, tout Etat qui continue d’abriter ou de soutenir le terrorisme
sera considéré par les Etats-Unis d’Amérique comme un régime hostile ».
L’unilatéralisme a été mis en œuvre en Afghanistan (2001), les Etats-Unis ont
agi seuls, mais avec la bénédiction des Nations Unies
et l’accord tacite sinon exprès de la plupart des Etats. Il sera de nouveau mis
en œuvre contre l’Irak les Etats-Unis ayant agi presque seuls, contre la volonté
des Nations Unies et contre la volonté de certains de leurs alliés les plus
proches (l’Allemagne et la France).
8. - Au total, le Monde vit
aujourd’hui une rupture de l’équilibre qu’il n’a pas connue depuis des siècles.
Il faut en effet remonter à l’ère des Empires pour constater une situation
comparable, le Monde d’Alexandre, d’Auguste ou de Hârûn al-Rachîd, avec, en
plus, un formidable développement militaire, technologique et économique. Il
nous semble précisément que le concept d’Empire peut à la fois caractériser les
Etats-Unis et le système mondial qu’ils tentent de mettre en place.
a. - Le concept d’Empire a été
récemment remis à l’honneur par un ouvrage de Michael Hardt et d’Antonio Negri.
Il y est redéfini comme un « appareil décentralisé et déterritorialisé de
gouvernement qui intègre progressivement l’espace du monde entier à l’intérieur
de ses frontières et en perpétuelle expansion » … « L’Empire émerge aujourd’hui
comme le centre qui soutient la mondialisation des réseaux de production et
tisse une toile largement enveloppante pour essayer d’englober toutes les
relations de pouvoir dans son ordre mondial... ».
Nous ne retiendrons pas ce concept d’Empire parce qu’il ne nous semble pas
correspondre à la réalité. La mondialisation n’a pas secrété un pouvoir propre
dont on peut dire qu’il a historiquement dépassé la forme politique
institutionnelle et centralisée que représentent les Etats. Les Etats demeurent,
partout, les médiateurs incontournables des pouvoirs diffus des réseaux issus de
la mondialisation. S’agissant particulièrement des Etats-Unis, on peut même
suivre Serge Sur quant il écrit : « [i]l existe aujourd’hui un Etat-nation,
les Etats-Unis, qui n’est en aucune façon atteint par ces phénomènes. Ils
maîtrisent très largement leurs multinationales, ne se laissent pas
impressionner par les ONG et ont toujours su vivre avec un certain nombre de
groupes incontrôlés ».
Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de constater l’efficacité avec
laquelle les Etats-Unis d’Amérique ont pu mobiliser les réseaux financiers dans
leur lutte contre le réseau al-Qaïda à la suite du 11 septembre.
Il nous semble que le concept
classique d’empire reste opérationnel pour comprendre la réalité actuelle.
L’empire s’entend dans ce sens comme un « système politique doté d’un centre
fort et institutionnalisé prétendant, par ce biais, à la mobilisation des
ressources et des énergies en faveur non pas seulement de la protection d’une
culture au sens strict du terme, mais de la promotion d’un projet de nature
universaliste ».
Les Etats-Unis se définissent précisément comme cela. Leur projet est bien, au
plan du discours, d’universaliser leur culture. Cela a été clairement dit par le
Président des Etats-Unis lors de sa présentation de la nouvelle stratégie de
sécurité américaine : « Les États-Unis tireront parti des possibilités qui
s'offrent à eux en cette conjoncture pour étendre les bénéfices de la liberté au
monde entier. Nous nous emploierons à porter l'espoir de la démocratie, du
développement, des libres marchés et du libre échange aux quatre coins du monde.
Les États-Unis se tiendront aux côtés de tout pays déterminé à bâtir un avenir
meilleur en cherchant à offrir les avantages de la liberté à son peuple ».
Par ailleurs, leur ambition est bien, au plan pratique, la domination
universelle, la nouvelle stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis
le revendique : « Les États-Unis jouissent d'une puissance et d'une influence
sans précédent et inégalées dans le monde. Reposant sur la foi dans les
principes de la liberté et de la valeur d'une société libre, cette situation est
assortie de responsabilités, d'obligations et de possibilités sans parallèle. La
force de notre nation doit être employée pour promouvoir un équilibre des
puissances qui privilégie la liberté ».
L’Irak a fait les frais de ce projet impérial de « remodelage de
l’environnement global ».
b. - Par ailleurs, le système
mondial que les Etats-Unis tentent d’instituer est bien un système impérial au
sens classique du terme. Le système impérial n’est pas un système colonial, il
n’implique pas nécessairement, contrairement à ce que semble penser Serge Sur,
une « domination territoriale »,
il s’accommode parfaitement de la persistance d’entités politiques nominalement
indépendantes. Témoin en est l’organisation de l’Empire romain.
Au faîte de sa puissance, Rome classait les peuples en peuples amis (amicci
populi romane), peuples alliés (socii populi romane) et peuples
vaincus (detitii).
On notera l'absence, dans la classification romaine, de la catégorie « peuples
ennemis ». Cela s'explique : au summum de sa puissance, Rome n'avait
pas d'ennemis constitués en Peuples. C’est un peu ce qui se passe sous nos
yeux : Les Etats-Unis classent les Etats en Etats amis (les démocraties
occidentales), en Etats alliés (contre le terrorisme), en Etats vaincus. En
d'autres termes, les États-Unis considèrent qu'ils sont sur le point de réaliser
la pax americana et que les seuls ennemis qu'ils ont sont ceux que les
Romains appelaient les barbares, et que les Etats-Unis nomment
aujourd'hui « les terroristes » ou « les Etats voyous » ou « l’axe du mal ».
9. - Si l’on admet ce paradigme
impérial, l’on dispose peut-être d’une clef de compréhension de l’ineffectivité
du droit international, car précisément le droit international est impensable
dans une logique impériale. L’Empire se définissant et se légitimant par son
projet de domination mondiale, il n’y a aucune place pour la coexistence des
Etats sur la base du principe de l’égalité souveraine. Cela ne signifie pas que
l’Empire ne pense pas ses relations avec les autres peuples en terme de droit,
au contraire, de par l’histoire, tous les Empires ont développé un droit
spécifique applicable à leurs relations avec les autres peuples, droit naturel
selon les Grecs,
jus gentium selon les Romains, syar
selon les musulmans.
Toutefois ce droit était constitué d’un ensemble de règles que l’Empire imposait
aux autres peuples. Un droit interne à usage externe dirions-nous aujourd’hui
avec cette différence, importante, que ce droit était présenté et vécu par
l’Empire comme naturel, commun ou révélé, c’est-à-dire, dans tous les cas,
objectif, indépendant de la volonté de l’Empire qui ne faisait que l’appliquer.
10. - Ne sommes-nous pas en
train d’assister à la résurrection de cette structure antique et médiévale du
droit des gens ?
a. - La logique impériale
explique le mépris américain pour le droit international et le nombre
impressionnant de traités fondamentaux qui n'ont pas été ratifiés par les
Etats-Unis.
La prétention impériale explique également le mépris américain pour les Nations
Unies
ainsi que les Etats « vieux »
et moins vieux qui s’opposent aux desseins des Etats-Unis.
b. - La logique impériale
explique également que le droit des relations internationales américaines est,
de plus en plus, un droit interne. Certes, cela en soi n’est pas nouveau,
« [p]our les Américains, écrit Serge Sur, le droit international est une
projection extérieure de leur droit interne. Ils considèrent qu’il y a un
ensemble juridique homogène et que le droit américain comporte une branche
externe qui détermine leurs relations internationales ».
Ce qui est nouveau c’est que le droit interne qui régit les relations
internationales américaines est, de plus en plus souvent, une négation des
principes fondamentaux du droit international. Les exemples à l’appui de cette
thèse ne manquent pas : Les lois Helms-Burton (12 mars 1996), et d'Amato-Kennedy
(8 août 1996), interdisant le commerce avec Cuba, la Libye et l’Iran sous peine
de sanctions, l’interdiction s’appliquant aux sociétés quelle que soit leur
nationalité ce qui est une violation du droit international.
Le Military Order du 13 novembre 2001 qui « permet de soumettre les
personnes détenues sur la base de Guantanamo à la juridiction des tribunaux
militaires d’exception (Military Commissions) »
dans l’ignorance la plus totale des prescriptions des Conventions de Genève du
12 août 1949 ratifiées par 190 Etats y compris les Etats-Unis eux-mêmes. L’American
Service-Member’s Protection Act adopté par le Congrès le 24 juillet 2002 et
promulgué le 2 août 2002 qui permet au Président des Etats-Unis d’utiliser
tous les moyens nécessaires et appropriés pour parvenir à la libération de
tout membre des forces armées américaines qui serait détenu ou emprisonné par,
pour le compte de, ou sur demande de la Cour pénale internationale.
Il faut également relever le Projet de loi sur « la culpabilité de la Syrie »
(« The Syria accountability act of 2002 ») déposé en septembre 2002 devant
la Chambre des Représentants et le Sénat, tendant à décider des sanctions
économiques contre la Syrie si elle ne met pas fin à son soutien aux groupes
terroristes, au développement d’armes de destructions massives, à la violation
des sanctions contre l’Irak et à l’occupation militaire du Liban,
le 18 septembre 2002, le Département d’Etat et la Maison Blanche avaient demandé
au Congrès « de renoncer à ce projet à l’encontre d’un pays qui coopère d’une
manière efficace contre la menace d’Al-Qaïda ».
L’exécutif américain a cependant repris à son compte, ces derniers jours, les
accusations lancées par le Congrès, ce qui annonce, peut-être, une réactivation
de la procédure d’adoption de la loi.
La guerre contre l’Irak n’est
qu’une étape de plus dans cette voie. Sa licéité repose, aux yeux des
Etats-Unis, d’abord et avant tout, sur le droit américain. Elle repose d’abord
sur « la loi sur la Libération de l’Iraq (Iraq Liberation Act) adoptée le 1er
octobre 1998 et promulguée par le Président Clinton le 31 octobre 1998 ».
Président qui fit, le 15 novembre 1998, la déclaration suivante :
« Let me say again what we want and what we will work for is a government in
Iraq that represents and respects its people, not represses them, and one
committed to live in peace with its neighbors ».
Elle repose,
ensuite, sur l’autorisation par le Congrès du recours à la guerre, même en
dehors d’une résolution du Conseil de sécurité et pour défendre la sécurité
nationale des Etats-Unis contre la menace que fait peser sur elle l’Irak.
On comprend alors la déclaration du chef d’Etat américain en vertu de laquelle
une autorisation du Conseil de sécurité pour recourir à la guerre contre l’Irak
est « utile mais pas nécessaire ».
Même l’après-guerre semble devoir être régi par le droit interne américain.
Déjà, les premiers marchés de reconstruction de l’Irak ont été ouverts et
accordés à des entreprises américaines sur la base d’une procédure accélérée qui
déroge au droit commun américain et qui est en contravention avec le droit de l’OMC
relatif aux marchés internationaux. Par ailleurs, l’ONU semble devoir être
écartée de la reconstruction politique et économique de l’Irak.
Le droit international s’est
transformé dans la pratique américaine en un jus gentium impérial qui ne
prend même pas la peine de se donner à voir comme un droit objectif. Il est
fondé ‑ comme l’indique le texte de la nouvelle Stratégie nationale de
sécurité des Etats-Unis ‑ « sur un internationalisme typiquement
américain qui reflète l’amalgame de nos valeurs et de nos intérêts
nationaux ».
Les valeurs et les intérêts américains sont, on le voit, présentés comme tels.
Un tel discours s’explique par le fait que les Américains sont pris par leur
propre discours et qu’ils se sont convaincus de ce que leurs valeurs et leurs
intérêts sont universels : ce qui est bon pour les Etats-Unis est bon pour le
Monde. A bien y réfléchir, nous assistons à l’émergence d’un discours
objectiviste d’un type nouveau qui se fonde sur le caractère indiscutablement
vrai des valeurs américaines (démocratie, droits de l’homme) et le caractère
universellement utile de la réalisation des intérêts américains.
Il n’est donc pas étonnant dans
ces conditions que le droit international soit réduit, comme le disait Hegel,
dans une autre perspective il est vrai, à un pur devoir-être.
11. - Le mouvement vers la
ré-institution d’un jus gentium impérial est-il irréversible ? Cela
dépend à notre sens de plusieurs facteurs.
a. - Cela dépend, d’abord, de la
question de savoir si la tentation impériale survivra à l’actuelle
administration américaine. Sur ce point, une réponse affirmative nous semble
devoir s’imposer. Certes, l’actuelle administration affiche avec arrogance les
prétentions américaines, mais on aurait tort de trop personnaliser la politique
étrangère américaine. Les prétentions américaines n’ont pas été créées ex
nihilo par l’actuelle administration, ni ne sont le fait d’un petit groupe
d’extrémistes religieux. Elles sont inscrites dans la structure même de l’Etat
américain qui a les moyens militaires et technologiques de défendre et d’imposer
partout dans le monde et contre tout Etat des intérêts économiques menacés et
des équilibres financiers compromis.
On ne voit pas pourquoi il y renoncerait. On pourrait, par contre, espérer une
réaction de la société civile, de l’opinion publique et de l’électeur
américains. Je doute, toutefois, qu’elle puisse être massive et décisive. Le 11
septembre a causé un traumatisme tel que, à moyen terme en tout cas, il est
difficile de prévoir un mouvement comparable à la contestation de la guerre du
Vietnam. L’Américain moyen lit les événements et la politique étrangère de son
pays à travers la grille du 11 septembre et n’y voit que de l’auto-protection
alors qu’il voyait dans la guerre du Vietnam une entreprise impérialiste.
b. - Cela dépend, ensuite, de
l’organisation des forces de résistance à l’Empire américain à l’échelle
internationale par la consolidation de l’alliance qui semble se dessiner entre
la France, l’Allemagne et la Russie inaugurée par la déclaration tripartite du
10 février 2002 et confirmé par le sommet de Saint-Pétersbourg des 11 et 12
avril 2003. Les trois pays opposent, en effet, la logique du droit international
à celle du droit impérial. Mais cette consolidation ne sera possible que s’il se
confirme que l’alliance ne s’explique pas, uniquement, par une convergence
conjoncturelle des intérêts des trois Etats à propos de l’Irak, mais aussi et
surtout par l’émergence d’une réelle conscience post-bipolaire, c’est-à-dire par
la prise de conscience par les puissances moyennes de ce que les contradictions
majeures n’opposent désormais ni l’Ouest à l’Est, ni même le Nord au Sud, mais
sont intrinsèques au monde industrialisé et opposent les trois pôles économiques
qui le composent et que, partant, la lutte contre le terrorisme, le conflit des
cultures, la guerre aux dictatures… ne sont que des épiphénomènes, voire des
dérivatifs. Le monde arabo-musulman n’est pas un des termes de la contradiction,
il en est un des objets ou des enjeux. Une telle prise de conscience et une
telle consolidation de l’Alliance seraient à même de permettre une restauration
de l’équilibre à l’échelle du Globe et garantirait l’effectivité minimum
nécessaire à l’existence même du droit international.
La réalisation de cette
hypothèse nous semble, toutefois, improbable à court terme. Les stratégies
nationales européennes,
ne sont pas complètement sorties des schèmes de la bipolarisation. L’Europe
considère encore les Etats-Unis comme le leader et le protecteur d’un monde
occidental uni contre un ennemi extérieur, un ersatz de l’ex bloc soviétique que
l’on n’arrive pas à nommer précisément : terrorisme, islamisme, dictatures,
dirigisme économique… L’Europe ne se rend pas clairement compte de ce que la
bipolarisation est bel et bien enterrée. Les Etats-Unis ne se définissent plus
comme le leader du monde occidental, mais prétendent à une domination mondiale
et, par rapport à cette prétention, l’Europe est un obstacle non un allié.
L’Europe ne se rend pas clairement compte que la guerre contre l’Irak visait
moins le régime irakien que les deux autres pôles économiques qui concurrencent
et menacent l’Empire américain : l’Europe et l’Asie du Sud Est.
Un contrôle à l’échelle planétaire des ressources énergétiques donne, en effet,
aux Etats-Unis un formidable atout dans ses rapports avec ces deux pôles et
accroît considérablement leur pouvoir de négociation. Il permet aux Etats-Unis
de faire face à la décomposition de son système économique si tant est que ce
système soit, comme l’affirme Emmanuel Todd, en décomposition.
c. - Le dernier facteur qui
pourrait contrecarrer les visées impériales américaines est la démocratisation
des régimes politiques du monde arabe et musulman ciblé par l’Empire américain.
Cela peut sembler paradoxal parce que c’est précisément ce qu’exigent les
Etats-Unis d’Amérique, mais le paradoxe n’est qu’apparent. En effet, l’exigence
démocratique américaine est un pur discours démenti par la manière avec laquelle
les Etats-Unis ont géré la reconstruction politique de l’Afghanistan et par la
manière avec laquelle les Etats-Unis entendent gérer la reconstruction politique
de l’Irak. Dans les deux cas, en pratique, la démocratie se réduit à un
pluralisme ethnique et/ou confessionnel qui compromet lourdement l’évolution
vers la démocratie. Ce dont il est question ici ce n’est pas une démocratie de
façade qui est un acte de soumission, mais une démocratie authentique qui est
une arme de résistance. Lors de la guerre contre l’Irak, seules des démocraties
ont tenu tête aux Etats-Unis et les Américains n’ont pas pu aller outre la
décision du Parlement turc interdisant le passage de l’armée américaine par leur
territoire. On peut même dire que ce qui a manqué à Saddam Hussein ce ne sont ni
les armes, ni les soldats, mais les citoyens et il n’y a pas de citoyens sans
démocratie. Il faut bien voir que je ne parle pas ici de nationalistes qui se
définissent par leur appartenance à une Nation, hypothétique dans le cas de
l’Irak, mais de citoyens, c’est-à-dire de personnes se définissant par leur
appartenance à une communauté politique et donc disposés à lutter pour préserver
cette communauté politique. Il était donc naturel de voir s’écrouler, avec
l’appareil d’Etat iraquien, toute forme de résistance civile à l’occupant. La
leçon à tirer de cette guerre est que l’appareil d’Etat, aussi puissant qu’il
soit, ne tient pas lieu de Peuple et que la meilleure défense d’un Etat et d’un
régime politique c’est l’universalité des citoyens.
Résistance des Etats, résistance
des peuples
sont les conditions indispensables du déclin de l’Empire américain et de son
jus gentium, mais encore faut-il les réaliser.
* * *
NOTES
CHAUMONT (Ch.) "Cours général de droit international public", R.C.A.D.I.,
1970, I, T. 129, pp. 343-527, voir p. 417.
Suite à l’Union avec l’Irlande en 1801 le nom officiel du pays sera
« Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et de l'Irlande ». En 1922, à la suite de
la création de l'État libre d'Irlande, ce nom fut changé en « Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ».
.
« On entend par là une disposition des choses, au moyen de laquelle aucune
puissance ne se trouve en état de prédominer absolument et de faire la loi aux
autres » VATTEL (E. de) (1714-1768), Le droit des gens ou les principes de
la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des Nations et des
souverains (1758),
Carnegie Endowment for International Peace,
Washington, 1916, L. II, Ch. 3, § 47.
Voir dans ce sens Paul-Marie de la Gorce, Le Dernier Empire : le XXIe
siècle sera-t-il américain ?, Paris, Grasset, 1996.
« Le leadership suppose qu’un ensemble de pays s’unissent volontairement sous
la direction d’un seul, considéré comme un guide », SUR (S.) « Peut-on parler
d’une hégémonie américaine ? », in Travaux et Recherches de l’IFRI,
Observation et théorie des relations internationales, II, Paris, IFRI,
2001, pp. 79-101, voir p. 84.
« (…) là où le leadership repose sur un esprit de collectivité, un esprit
multilatéral, l’hégémonie repose sur une culture de la soumission. Il faut que
les pays s’y plient totalement et volontairement », SUR (S.), article cité,
p. 84.
L’unilatéralisme comme le multilatéralisme sont des instruments de politique
étrangère et non des fins de celle-ci. La puissance dominante préfère le
multilatéralisme chaque fois qu’il est possible, c’est-à-dire dans tous les
cas où la réalisation de la stratégie internationale de la puissance dominante
peut faire l’objet d’une décision et d’une mise en oeuvre collectives, mais la
puissance dominante se replie sur l’unilatéralisme quand cela n’est pas
possible. En aucun cas, la puissance dominante ne renonce à ses fins par
respect des moyens. Cf. SUR (S.), article cité, pp. 85-86.
HARDT (M.), NEGRI (A.), Empire,
Paris, éd. Exils, 2000, p. 17 et p. 44.
SUR (S.), article cité, pp. 89-90.
« Aperçu sommaire de la Stratégie internationale des Etats-Unis », Département
d’Etat, Programme d’information internationale, <http://usinfo.state.gov/français/>.
C’est nous qui soulignons.
HARDT (M.) « Le second Empire, ou le 18 Brumaire de George W. Bush »,
Samizdat, 11 avril 2003, <http://infos.samisdat.net>.
SUR (S.), article cité, p. 83-84.
ou de l’Empire musulman : « les pays d'Islam se répartissent en trois
catégories : le territoire sacré, le Hedjaz et tout ce qui est en
dehors de l'un et de l'autre lui-même divisé en quatre catégories :
terres vivifiées par les musulmans, terres de convertis, terres gagnées par la
force, terres acquises par un traité de paix, soit que la propriété en passe
aux musulmans soit qu'elle reste à ses habitants contre paiement de l'impôt du
kharâj ». Al-MAWARDÎ, Les statuts gouvernementaux, Trad. Fagnan,
Paris, éd.
Sycomore, 1982, p. 333. Mohamed Hamidullah ne distingue pas
moins de neuf types de territoires soumis à la domination musulmane :
“- Regular parts of dominions and condominiums... ; Tributary
independent States... ; Nominally dependent States ; Protected
States... ; Sphere of influence... ; Neutralization and no man's
land...”, HAMIDULLAH (M.), Muslim Conduct of State, Lahore, 1945, pp.
90-96.
Dans le traité de la République, Cicéron fait dire à Lélius : « Il
existe une loi vraie, c’est la droite raison, conforme à la nature, répandue
dans tous les êtres, toujours d’accord avec elle-même, non sujette à périr…
Cette loi n’est pas autre à Athènes, autre à Rome, autre aujourd’hui, autre
demain, c’est une seule et même loi immuable, éternelle qui régit toutes les
nations et en tout temps » (CICERON, De la République, Livre 3 : XXII,
voir aussi, Les lois, Livre 1 : V, VI, VII, XV, XVI, Livre 2 : IV, V,
IX, XIV, XV, Livre 3 : I, Paris, Garnier-Flammarion, 1965). Cette loi, Cicéron
l’appelle indifféremment loi naturelle ou jus gentium : « Ce n’est pas
seulement par la nature, c’est-à-dire le droit des gens… » (CICERON, Des
devoirs, Livre 3 : V, Paris, Garnier-Flammarion, 1967, p. 218) et la
distingue soigneusement des « lois propres aux nations et qui assurent le
maintien de l’Etat » (Ibid., loc. cit.).
Les siyar ont été définis par Al-Serkhassî (m. en 1101 après J.-C.)
dans sa monumentale compilation al-Mabsût (Le traité) à
l'occasion de son commentaire du Kitâb al-siyar de Al-Sheybâni (m. 804
ap. J.-C.) comme signifiant « les règles de comportement des musulmans dans
leurs relations avec les non-musulmans, qu'ils soient de ceux avec lesquels
nous sommes en guerre ou de ceux qui nous sont liés par des pactes et, parmi
ces derniers, les protégés (musta’minîn) et tributaires (ahl
al-dhimma) ou avec les apostats (murtaddîn)... ou avec les
schismatiques (ahl al-baghy) » (cité par KHADDURI (M.) Introduction à
Al-Mabsût, (en langue arabe), Beyrouth, Dâr al-Muttahida li al-Nashr,
1970, p. 55). C’est nous qui traduisons.
Voir à propos de ce discours sur le droit : LAGHMANI (S.), Éléments
d'histoire de la philosophie du droit, T. I, La nature, la Révélation et le
Droit, Tunis, F.N.R.S. - Cérès Production, 1993, et sur l’histoire du
droit des gens : LAGHMANI (S.), « Le droit des gens est-il nécessairement
international ? Réflexions sur l'histoire du droit des gens », Revue
Tunisienne de Droit, 1986, pp. 209-253, et 1987, pp. 155-232.
Voir LAGHMANI (S.), « Faut-il rire du droit international ou le pleurer ? ». -
Actualité et Droit International <http://www.ridi.org/adi>,
février 2003, § 6 : le Pacte international relatif aux droits économiques
sociaux et culturels, les deux Protocoles facultatifs relatifs au pacte
international relatif aux droits civils et politiques, les Protocoles I et II
additionnels aux Conventions de Genève du 12 août 1949 respectivement relatifs
à la protection des victimes des conflits armés internationaux et à la
protection des victimes des conflits armés non internationaux, la Convention
des Nations Unies sur le droit de la mer, la Convention des Nations Unies sur
les droits de l'enfant, le Protocole de Kyoto sur les changements climatiques,
le traité interdisant les essais nucléaires, le Statut de la Cour pénale
internationale...
PELLET (A.) « Malaise dans la guerre : à quoi sert l’ONU ? », Le Monde,
15 novembre 2001.
PELLET (S.) « De la raison du plus fort ou comment les Etats-Unis on
(ré)inventé le droit international et leur droit constitutionnel »,
Actualité du droit international, juin 2002, p. 6, <http://www.ridi.org/adi>.
H.R. 4775, Title II, Sec. 2008 (a) Authority : “The President is authorized to
use all means necessary and appropriate to bring about the release of
any person described in subsection (b) who is being detained or imprisoned by,
on behalf of, or at the request of the International Criminal Court”.
Souligné et traduit par
nous.
ALBERT (S.), « Les représailles armées et "l’ingérence démocratique" des
Etats-Unis en Irak », Actualité et Droit International, janvier 1999, <http://www.ridi.org/adi>.
Joint Resolution to Authorize the Use of United States Armed Forces, 10
octobre 2002, <http:/www.whitehouse.gov>
:
“SEC. 3.
AUTHORIZATION FOR USE OF UNITED STATES ARMED FORCES.
(a)
AUTHORIZATION. The President is authorized to use the Armed Forces of the
United States as he determines to be necessary and appropriate in order to
(2) enforce all
relevant United Nations Security Council Resolutions regarding Iraq.”
HEGEL,
Les principes de la philosophie du droit, trad. Kaan, Paris, Gallimard,
1940, réédition 1972, pp. 358-359.
Voir : TODD (E.), Après l’Empire. Essai sur la décomposition du système
américain, Paris, Gallimard, 2002.
Il s’agit évidemment des positions officielles, mais même la doctrine est
partagée à ce propos. Voir à titre d’exemple les deux thèses soutenues dans la
dernière livraison de la revue Internationale Politik und
Gesellschaft (2003-1) : CALLEO (David P.), « Balancing America : Europe’s
International Duties » (pp. 43-60) et BERTRAM (Christoph), « Europe’s Best
Interest : Staying Close to Number One » (pp. 61-70).
Michael Hardt écrit dans ce sens : « Ce qui est abondamment clair dans la
nouvelle doctrine US des frappes préventives et dans la restructuration
politique globale est la tentative de subordination radicale des puissances
aristocratiques … En fait, la lutte entre les Etats-Unis et les Nations Unies,
les efforts des USA pour diviser et affaiblir l’Europe, et les conflits au
sein de l’ONU sont bien plus proches du noyau essentiel des développements en
cours que la guerre en Iraq elle-même », HARDT (M.), « Le second Empire, ou le
18 Brumaire de George W. Bush », Samizdat, 11 avril 2003, <http://infos.samisdat.net>.
Copyright : © 2003 Slim Laghmani. Tous droits réservés. Impression
et citations : Seule la version
au format PDF fait référence.
Mode
officiel de citation :
LAGHMANI Slim. -
« Du droit international au droit impérial ? Réflexions sur la guerre
contre l'Irak ». - Actualité et Droit International,
avril 2003. (http://www.ridi.org/adi).
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