LE
PATRIMOINE CULTUREL IRAQUIEN A L’EPREUVE
DE L’INTERVENTION
MILITAIRE DU PRINTEMPS 2003
par
Hirad Abtahi
Juriste auprès des Chambres,
Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY)
Résumé :
Les parties au conflit armé
en Iraq au printemps 2003 étaient tenues de protéger, entre autres,
l'exceptionnel patrimoine culturel dont regorge ce territoire. Cette étude
examine l’applicabilité à ce conflit armé des règles du ius in bello et
du droit international pénal qui protègent le patrimoine culturel. Cette étude
vise également à examiner l'étendue de l'application, dans le cadre de ce
conflit, du droit réglementant les relations entre les Etats en période de
paix.
Abstract :
The
parties to the spring 2003 armed conflict that occurred in Iraq were under the
obligation to protect, inter alia, the rich cultural heritage located in
that territory. This study envisages the applicability, to this armed conflict,
of those rules of ius in bello and of international criminal law which
were likely to protect that cultural heritage. This study also seeks to examine
the extent to which the peace-time regime's protective norms were applicable to
that conflict.
Note :
Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux de l’auteur en sa capacité
personnelle et ne sont pas nécessairement ceux du TPIY ni ceux des Nations
Unies.
Note importante : Cet article est une co-publication des revues
Actualité et Droit
International et
Monde Iranien et Droit
International.
Impression
et citations : Seule la version
au format PDF fait référence.
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Terre de prophètes, la
Mésopotamie constitue l’un des hauts lieux du Croissant fertile qui, s’étendant
de l’Iran à l’Egypte, vit la naissance, entre autres, de l’agriculture, de
l’alphabet, de codes de lois et de l’urbanisation. C’est de la ville d’Our,
située près de l’embouchure de l’Euphrate, que partit Abraham à destination de
Canaan, vers 1800-1700 av. J.-C. Berceau des civilisations bibliques assyrienne
et babylonienne, cette région connut la brève occupation d’Alexandre le
Macédonien, avant de devenir, à travers Ctésiphon, la capitale multiséculaire de
l’empire perse. Avec la destruction de ce dernier par les Arabes au 7e siècle,
Ctésiphon céda la place à la proche Bagdad qui prospéra sous le califat
abbasside durant l’âge d’or de l’Islam. Un âge d’or qui vit l’éclosion des hauts
lieux de l’islam chiite, tels Nadjaf et Karbala, le minaret en spirale de
Samara, ville sacrée des chiites duodécimaux où disparut vers 874 Mahdi, l’Imam
des Temps. Ainsi, regorgeant de quelque dix mille sites archéologiques,
architecturaux et spirituels,
le territoire de l’Iraq constitue l’une des mémoires les plus anciennes de
l’humanité.
Comme toute construction
humaine, ce patrimoine culturel – déjà ancien et donc fragile – devient
particulièrement vulnérable lors des conflits armés. En effet, bien que la
technologie moderne permette la sophistication de l’armement de précision, il
n’en demeure pas moins que le potentiel de destruction croissant de celui-ci
génère des forces d’une puissance accrue, comme durant la deuxième guerre du
golfe Persique
de 1991 où, malgré les technologies avancées d’armement, le patrimoine
mésopotamien de l'Iraq souffrit, entre autres, du souffle des explosions ou de
l'usage des bombes à dépression FAE (Fuel Air Explosive). Parallèlement,
il faut garder à l’esprit que de nombreux objectifs stratégiques se trouvaient à
proximité de ces vestiges : ainsi Babylone et le vieux Palais abbasside
avoisinaient, respectivement, l'usine de Scud d'Al Hillah et le ministère
iraquien de la défense.
Dans la région de Bagdad, le gigantesque mais fragile arc du palais de Ctésiphon
(4e siècle) jouxtait des usines sensibles.
Plus au sud, la Ziggourat d’Our se trouvait près d'un aérodrome militaire,
tandis que Bassora, ville de Sinbad le marin, ne put échapper aux dommages
collatéraux, conformément au bilan dressé par l’UNESCO en 1998.
Au nord, des maisons traditionnelles à Kirkouk, ainsi qu’une église du 10e
siècle à Mossoul furent également endommagées.
Le 19 mars 2003 débuta
l’intervention militaire en vue du désarmement et du changement de régime de
l’Iraq. Aussi soigneusement eut-elle été préparée, cette campagne militaire aura
comporté un certain nombre de risques au regard de l’immense patrimoine culturel
éparpillé sur le territoire de l’Iraq. Ainsi, des organismes tels le Comité
international du Bouclier Bleu, ICOMOS et l’UNESCO ont rappelé l’existence de ce
risque, avant même le début des hostilités.
A la suite du déclenchement des hostilités, le Directeur général de l’UNESCO a
indiqué que plusieurs édifices culturels iraquiens, notamment à Bagdad, Mossoul
et Tikrit avaient été endommagés.
La composante aérienne de l’attaque a comporté des frappes dites
« chirurgicales », exécutées par des missiles de grande précision lancés à
partir de navires et de sous-marins situés dans la mer Méditerranée, la mer
Rouge et le golfe Persique, mais aussi le recours aux aéronefs, tels les
bombardiers B 52.
Sans nier l’évidente primauté de
la protection de la vie humaine lors des conflits armés, il faut garder à
l’esprit le fait que les objets à caractère civil, en particulier le patrimoine
culturel, bénéficient, comme cette étude le démontrera, de la protection
d’instruments juridiques internationaux. Il est ainsi nécessaire de réaliser
qu’au delà de l’appauvrissement de la vie culturelle du pays dont le patrimoine
culturel est endommagé, c’est la communauté internationale tout entière qui
portera les séquelles de la destruction de ce patrimoine. En effet, chaque
civilisation résulte d’interactions avec d’autres civilisations, et
l’appauvrissement culturelle d’une civilisation donnée n’équivaut-elle pas à
celui de l’humanité toute entière ?
La présente étude indiquera
brièvement les modalités de protection du patrimoine culturel lors du conflit
armé international mené en Iraq. Ce type de protection s’effectue principalement
à travers les instruments réglementant le ius in bello. Ce droit comprend
le droit dit de La Haye (qui détermine les droits et devoirs des belligérants
dans la conduite des opérations militaires et limite le choix des moyens de
nuire à l'ennemi) et le droit dit de Genève (qui a pour objet la sauvegarde des
militaires hors de combat, de la population civile et plus généralement de tous
ceux qui ne participent pas aux hostilités). Depuis la création des tribunaux
pénaux internationaux ad hoc, et surtout depuis l’entrée en vigueur, le 1er
juillet 2002, du Statut de la Cour pénale internationale (CPI), le droit pénal
international est venu étoffer ce dispositif juridique.
Le respect, par les parties au
conflit, des normes protectrices énoncées dans cette étude devait, a priori,
permettre de minimiser les risques de dommages infligés au patrimoine culturel
situé sur le territoire iraquien. Ces normes protectrices opèrent de façon
directe (I) et indirecte (II).
I. – LA PROTECTION DIRECTE DU
PATRIMOINE CULTUREL
La protection directe du
patrimoine culturel signifie la référence directe à celui-ci, en tant qu’objet
explicitement bénéficiaire de la protection de normes juridiques
internationales. Sous cet angle, le patrimoine culturel englobe généralement les
bâtiments consacrés à la religion, à l'enseignement, à l'art, à la science ou à
l'action caritative, ainsi que les monuments historiques.
A. - Le Règlement annexé à la
Convention (IV) de La Haye de 1907
L’article
56 du Règlement annexé à la Convention (IV) de La Haye de 1907 dispose :
« Les biens des communes, ceux
des établissements consacrés aux cultes, à la charité et à l'instruction, aux
arts et aux sciences, même appartenant à l'Etat, seront traités comme la
propriété privée.
Toute saisie, destruction ou
dégradation intentionnelle de semblables établissements, de monuments
historiques, d’œuvres d'art et de science, est interdite et doit être
poursuivie ».
Ce qui rend cet instrument
– presque centenaire – particulièrement remarquable au regard de cette étude est
le fait qu’il fasse une référence directe à certaines composantes du patrimoine
culturel. Ainsi, l’on verra que cette formulation se retrouvera dans le Statut
de la CPI. Il faut cependant garder à l’esprit que cette disposition se trouve
dans la Section III, intitulée « de l’autorité militaire sur le territoire de
l’Etat ennemi ».
La Convention (IV) de La Haye de
1907 faisant partie du droit international coutumier,
les problèmes de forme ayant trait aux signatures et ratifications des
belligérants ne se posent pas. Il est à noter que d’après le Secrétaire général
des Nations Unies :
« la partie du droit
international humanitaire conventionnel qui est sans aucun doute devenue partie
du droit international coutumier est le droit applicable aux conflits armés qui
fait l’objet d’instruments suivants : les Conventions de Genève du 12 août 1949
pour la protection des victimes de guerre, la Convention de La Haye (IV)
concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et les Règles y annexées
du 18 octobre 1907, la Convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide du 9 décembre 1948 et le statut du tribunal militaire international
du 8 août 1945 ».
Cette affirmation du Secrétaire
général revêt d’autant plus d’importance qu’elle s’est faite dans le cadre de
son rapport adressé au Conseil de sécurité des Nations Unies qui, en l’adoptant,
institua le Tribunal international pénal pour l’ex-Yougoslavie (TPIY).
B. - La Convention de La Haye
de 1954
A la suite des ravages du
patrimoine culturel européen durant la deuxième guerre mondiale, la communauté
internationale demanda à l’UNESCO d’élaborer une convention, qui fut adoptée à
La Haye en 1954.
Le Préambule de la Convention de La Haye de 1954 reflète le concept de
responsabilité commune de la communauté internationale pour la sauvegarde du
patrimoine culturel mondiale, en disposant :
« Convaincues que les atteintes
portées aux biens culturels, à quelque peuple qu'ils appartiennent, constituent
une atteinte au patrimoine culturel de l’humanité entière, étant donné que
chaque peuple apporte sa contribution à la culture mondiale ;
Considérant que la conservation
du patrimoine culturel présente une grande importance pour tous les peuples du
monde et qu'il importe d'assurer à ce patrimoine une protection internationale
[...] ».
L’article Premier énumère les
biens qu'il faut considérer comme culturels indépendamment de leur origine ou de
leur propriétaire : ceux qui présentent une valeur artistique, historique ou
archéologique (article 1 (a)) ; ceux qui, tout en ne possédant pas ladite
valeur, servent à exposer ou à abriter des objets du groupe précédent (article
1 (b)) ; et enfin ceux qui comprennent un nombre important d'objets appelés les
« centres monumentaux », c’est-à-dire les quartiers de villes ou les villes
entières (article 1 (c)).
Le régime de la protection
accordé par la Convention de La Haye de 1954 est dual. D'une part existe la
protection générale accordée aux biens qui correspondent à la définition de
biens culturels. Elle consiste à les sauvegarder et les respecter (articles 3 et
4), et à opérer un partage de responsabilité entre les belligérants. L'Etat
détenteur de l'objet s’engage, en temps de paix, à prendre les mesures
nécessaires en vue de protéger le bien culturel contre « les effets
prévisibles » du conflit (article 3) ; et à ne pas l’utiliser à des fins qui
pourraient l'exposer « à une destruction ou à une détérioration en cas de
conflit armé » ; tandis que la partie adverse est tenue de s'abstenir de « tout
acte d’hostilité » et de « toute mesure de représailles » à
l’égard du bien protégé (article 4 (1) et (4)). Ainsi, il est intéressant de
noter les allégations du Brigadier général Brooks, selon lesquelles
des équipements militaires iraquiens
auraient été stationnés à proximité
de la voûte du délicat et fragile arc de Ctésiphon, site bénéficiant du
signe distinctif de la Convention de La Haye de 1954.
Dans cette même optique, c’est-à-dire l’interdiction d’utiliser le patrimoine
culturel à des fins qui pourraient l'exposer « à une destruction ou à une
détérioration en cas de conflit armé », il faudrait signaler que bien que
portant sur son toit le sigle protecteur de la Convention de La Haye de 1954, le
Musée de Bagdad, dont la collection aurait dépassé les 100 000 pièces dans la
période précédant les hostilités, se situait à proximité d’un ministère, d’une
gare routière et du bâtiment de la radio et de la télévision.
Ces bâtiments étaient-ils susceptibles de constituer un objectif militaire
légitime ? Qu’elle soit négative ou positive, la réponse à cette question
imposait une obligation aux belligérants, c’est-à-dire l’obligation de protéger
ces sites.
D'autre part, il faut évoquer la
protection spéciale qui consiste en la protection de biens culturels jouissant
d'une immunité absolue. Ces deux catégories de protections connaissent
l’exception de la nécessité militaire, énoncée aux articles 4 (2) et 11 (1) et
(2).
Il est à signaler que suite à son adoption le 26 mars 1999, le Deuxième
Protocole à la Convention de La Haye de 1954 apporte des compléments à la
Convention de La Haye de 1954, y compris l’introduction de la « protection
renforcée », ou encore des sanctions en cas de violations graves à l’égard des
bien culturels.
Pour que la Convention de La
Haye de 1954 soit applicable, encore faut-il que les belligérants l’aient
ratifiée, ce qui est le cas de l’Iraq, mais pas des Etats-Unis ni du Royaume-Uni.
C. - La Convention sur le
Patrimoine mondial
L’article 1 de la Convention sur
le patrimoine mondial, dont le dépositaire est l’UNESCO, définit le patrimoine
culturel comme :
« - Les monuments : œuvres
architecturales, de sculpture ou de peinture monumentale, éléments ou structures
de caractère archéologique, inscriptions, grottes et groupes d’éléments, qui ont
une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l’art ou
de la science ;
- Les
ensembles : groupes de constructions isolées ou réunies, qui, en raison de leur
architecture, de leur unité, ou de leur intégration dans le paysage, ont une
valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l’art ou de
la science ;
- Les sites : œuvres de l’Homme
ou œuvres conjuguées de l’Homme et de la nature, ainsi que les zones y compris
les sites archéologiques qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point
de vue historique, esthétique, ethnologique ou anthropologique ».
L'article 6 (1) dispose que le
patrimoine inscrit sur la liste « constitue un patrimoine universel pour la
protection duquel la communauté internationale tout entière a le droit de
coopérer ».
L'article 6 (3) prohibe toute action délibérée des Etats parties dont la
conséquence serait « susceptible d'endommager directement » ou même
« indirectement » les sites correspondant à la Convention sur le Patrimoine
mondial. Ainsi, la prohibition s’opère dès lors qu'un site répertorié par cette
Convention est endommagé directement ou indirectement par l'action d'un Etat
partie.
Concernant l’Iraq, durant les hostilités à l’étude, seul le site de l’antique
ville romano-iranienne d’influence hellénique de Hatra (3e siècle avant l’ère
chrétienne) figurait sur la Liste du Patrimoine mondial, encore qu’il faille
mentionner l’existence d’une « liste indicative » soumise par l’Iraq à l’UNESCO
en l’an 2000, sur laquelle figurait non seulement Hatra, mais également sept
autre sites que l'Iraq considère comme prioritaires en vue d'une inscription
dans les prochaines années.
Pour ce qui est de l’état des
ratifications, les trois principaux Etats parties au conflit en Iraq sont
parties à cette convention. Cependant, se pose la question de son applicabilité
ou non en période de conflit armé. Loin d’être évident, il s’agit là d’un
problème fondamental et controversé. Il est toutefois possible de déceler des
indices soutenant l’existence d’un lien entre cette convention et un contexte de
conflit armé. Ainsi, dans les années 1990, en vue de renforcer la protection
spéciale de la Convention de La Haye de 1954, l’UNESCO a invité les Etats
parties à la fois à cette convention et à la Convention sur le Patrimoine
mondial – dont les sites sont inscrits sur la liste de cette dernière – à
étudier la possibilité de les inscrire au Registre international des biens
culturels sous protection spéciale. Un autre argument soutenant l'applicabilité,
en période de conflits armés, de la Convention sur le Patrimoine mondial est
fourni par la pratique étatique. Par exemple, lors de l’encerclement de
Dubrovnik – dont la Vieille Ville figurait sur la liste du patrimoine mondial –
par les forces armées lors du conflit en ex-Yougoslavie, le Directeur général de
l'UNESCO y envoya deux observateurs permanents pour y hisser le drapeau de
l'ONU, afin de démontrer l'intérêt de la communauté internationale pour la
préservation de ce site. Une approche quelque peu similaire a d’ailleurs été
adoptée par l’UNESCO dans le cadre du conflit à l’étude. Ainsi, d’après le
directeur adjoint de la culture à l’UNESCO, la liste des sites importants ainsi
que des documents cartographiques de l’Iraq ont été remis aux Américains.
Ceci témoigne encore une fois de la perception, du moins par l’UNESCO, de
l’applicabilité, en période de conflits armés, de la Convention sur le
Patrimoine mondial.
D. - Le Protocole I de 1977
Situé au chapitre III – « Biens
de caractère civil » ‑, l'article 53 du Protocole I de 1977 dispose :
« Sans préjudice des
dispositions de la Convention de La Haye du 14 mai 1954 (...) et d'autres
instruments pertinents, il est interdit :
a. de commettre tout acte
d’hostilité dirigé contre des monuments historiques, les œuvres d'art ou les
lieux de culte qui constituent le patrimoine culturel ou spirituel des peuples ;
b. d'utiliser ces biens à
l'appui de l'effort militaire ;
c. de faire de ces biens l'objet
de représailles ».
L’on constate que non seulement
cette disposition énumère les composantes du patrimoine culturel ‑ rappelant la
Convention (IV) de La Haye de 1907 ‑ mais encore elle établit un lien avec,
entre autres, la Convention de La Haye de 1954. De manière remarquable, la
disposition impose aux belligérants l’obligation de ne pas utiliser le
patrimoine culturel « à l’appui de l’effort militaire ». A cet égard, dans le
cadre du conflit à l’étude, il faut noter que les belligérants se sont rejetés
mutuellement la responsabilité d’allégations de dommages infligés aux mosquées
de deux des haut-lieux de l’Islam Chiite que sont Nadjaf et Karbala, où sont
enterrés les Imams Ali et Hossein. Les autorités iraquiennes soutenant que les
Américains avaient pris ces mosquées pour cibles, les Américains affirmant que
les Iraquiens avaient utilisé celles-ci à des fins militaires, et les autorités
chiites affirmant que les Américains n’avaient pas attaqué ces lieux saints.
A cela il faut ajouter les combats qui ont eu lieu autour de la mosquée d’Imam
al-Adham, située au nord du centre-ville de Bagdad, d’où ‑ d’après l’armée
américaine ‑ les forces ennemies tiraient.
Les normes protectrices énoncées
à l’article 53 sont complétées par l'article 85 (d), « répression des
infractions graves au présent Protocole », qui
considère comme infraction grave :
« d. Le fait de diriger des
attaques contre des monuments historiques, les œuvres d'art ou les lieux de
culte clairement reconnus qui constituent le patrimoine culturel ou spirituel
des peuples et auxquels une protection spéciale a été accordée en vertu d'un
arrangement particulier, par exemple dans le cadre d'une organisation
internationale compétente, provoquant ainsi leur destruction sur une grande
échelle, alors qu'il n'existe aucune preuve de violation par la partie adverse
de l'article 53, alinéa b, et que les monument historiques, œuvres d'art et
lieux de culte en question ne sont pas situés à proximité immédiate d'objectifs
militaires ; (...) »
Ainsi, s’il était établi que les
sites endommagés jouissaient d'une protection spéciale au sens du Protocole I de
1977, qu'ils avaient subi une destruction à grande échelle ‑ à condition qu'ils
ne soient pas situés à proximité immédiate d'objectifs militaires ‑ alors les
dommages infligés à ces sites constitueraient une infraction grave au Protocole
I de 1977, c’est-à-dire des crimes de guerre.
Pour que le Protocole I de 1977
soit applicable, encore faut-il déterminer lequel des belligérants y était
partie lors des hostilités. Ainsi, à la différence du Royaume-Uni, l’Iraq et les
Etats-Unis n’étaient pas parties au Protocole I de 1977.
E. - Le Statut de la Cour pénale
internationale
L’article 8 (2) (b) (ix) du
Statut de la CPI qualifie de crimes de guerre commis dans un contexte de conflit
armé international :
« b) Les autres violations
graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans
le cadre établi du droit international, à savoir, l'un quelconque des actes
ci-après :
(…)
ix) Le fait de lancer des
attaques délibérées contre des bâtiments consacrés à la religion, à
l'enseignement, à l'art, à la science ou à l'action caritative, des monuments
historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades ou des blessés sont
rassemblés, pour autant que ces bâtiments ne soient pas des objectifs
militaires ;
(…) ».
Tout comme la Convention (IV) de
La Haye de 1907 et le Protocole I de 1977, cet article se réfère explicitement
aux composantes du patrimoine culturel. Par ailleurs, l’article 8 (2) (b) (ix)
témoigne de l’importance du patrimoine culturel en le plaçant au même niveau que
celui des hôpitaux et de lieux de rassemblement de malades.
L’Iraq et les Etats-Unis ne sont
pas parties au Statut de la CPI. En revanche, le Royaume-Uni étant partie au
Statut, la Cour est compétente pour connaître des actes commis par ses
ressortissants engagés dans les hostilités. D’où la prudence particulière
s’imposant aux troupes britanniques eu égard au Statut de la CPI.
II. -
PROTECTION INDIRECTE
Développé à partir de la seconde
moitié du 19e siècle, le droit des conflits armés est resté essentiellement
anthropocentrique. Par conséquent, à l’exception des dispositions citées
précédemment, la protection du patrimoine culturel s'effectue essentiellement
par des dispositions protégeant la propriété privée ou la population civile : il
s’agit donc d’une protection indirecte.
A. - Le Règlement annexé à la
Convention (IV) de La Haye de 1907
La Clause Martens qui figure au
Préambule du Règlement annexé à la Convention (IV) de La Haye de 1907,
ainsi que l’article 22 qui codifie le principe selon lequel « les belligérants
n'ont pas un droit illimité quant au choix des moyens de nuire à l'ennemi »,
sont des dispositions susceptibles de protéger le patrimoine culturel dans le
cadre de cette étude.
Vient ensuite l'article 23 (g),
qui interdit :
« de détruire ou de saisir des
propriétés ennemies, sauf les cas où ces destructions ou ces saisies seraient
impérieusement commandées par les nécessités de la guerre ».
Si cette disposition prohibe les
saisies et destructions de la propriété ennemie, elle assujettit en revanche la
prohibition à la nécessité militaire. Malgré cette faiblesse – due au caractère
subjectif de cette notion ‑, cette disposition peut être considérée comme
protectrice du patrimoine culturel en tant que composante de la propriété de
l'ennemi.
Mais c'est en réalité l'article
55 qui est pertinent. Cet article dispose :
« L'Etat
occupant ne se considérera que comme administrateur et usufruitier des édifices
publics, immeubles, forêts et exploitations agricoles appartenant à l'Etat
ennemi et se trouvant dans le pays occupé. Il devra sauvegarder le fonds de ces
propriétés et les administrer conformément aux règles de l'usufruit ».
Dans cette disposition plusieurs
points retiennent l'attention. Tout d'abord, partant des termes « édifices
publics et immeubles », il est possible de considérer le patrimoine culturel
comme composante de la propriété de l'ennemi. Ensuite la disposition envisage le
cas de figure d’occupation, où la puissance occupante n'est que
« [l’]administrateur et [l']usufruitier » de la propriété ennemie. En d’autres
termes, la puissance occupante a le droit de jouir de tous les avantages
découlant de l'utilisation de la propriété de la puissance occupée, mais en même
temps elle se doit de respecter les obligations y afférentes. Or, le patrimoine
culturel constituant un sous-ensemble de cette propriété, il incombe à la
puissance occupante l'obligation de le protéger, ce qui a pour corollaire la
prohibition de l'endommager et/ou piller.
Tout cela nécessite évidemment de déterminer le statut des puissances non
iraquiennes eu égard aux portions du territoire iraquien sous leur contrôle,
dans les différentes phases temporelles durant et après les opérations
militaires.
Dans le cadre de la présente
étude, certaines villes iraquiennes ont connu de nombreux pillages dont
l’ampleur s’est intensifiée, en particulier, avec le vide d’autorité créé à la
suite de la chute de Bagdad. Si ces pillages ont concerné dans un premier temps
les édifices gouvernementaux et les hôpitaux, ils ont été suivis par le pillage
du musée archéologique de Bagdad, avec des dégâts se chiffrant à plusieurs
milliards de Dollars.
Après une longue fermeture avant la deuxième guerre du golfe Persique, ce musée
avait été inauguré en avril 2000, et contenait d’inestimables objets remontant à
l’ère Sumérienne (3 500 av. J.-C.),
comprenant, entre autres, d’irremplaçables statues, d’objets du cimetière d'Our,
de bas-reliefs et de 5 000 tablettes où étaient portées les plus anciennes
écritures connues.
Suite auxdits pillages, le Directeur général de l’UNESCO a adressé un courrier
aux autorités américaines, soulignant « l’urgence qu’il y avait à préserver des
collections et un patrimoine considérés comme l’un des plus riches du monde »,
insistant en particulier « sur la nécessité d’assurer la protection militaire du
Musée archéologique de Bagdad et du Musée de Mossoul ».
La même demande fut formulée auprès des autorités britanniques concernant plus
particulièrement la région de Bassorah.
Le Directeur général semblait ainsi considérer que lesdites forces avaient
l’obligation de protéger le patrimoine culturel iraquien, peut-être au sens de
la Convention (IV) de La Haye de 1907. A cet égard, il est intéressant de noter
l’engagement du secrétaire d'Etat américain à protéger le patrimoine iraquien et
à réparer les dégâts provoqués par le pillage du musée archéologique de Bagdad :
« Les Etats-Unis sont conscients de leurs
responsabilités et nous allons prendre un rôle prépondérant dans le respect des
antiquités en général, et de ce musée en particulier ».
Toujours dans la même optique, mentionnons la réunion d’experts
à l’UNESCO le 17 avril 2003, à l’issue
de laquelle une
déclaration a été émise, demandant, entre autres, « aux forces de la coalition
de respecter les principes de la [Convention de La Haye de 1954] et de ses deux
protocoles », suivi de six recommandations « à tous les responsables de l’ordre
civil en Iraq ».
A cela, il faut ajouter l’appel de
protection lancé par le Directeur général de l’UNESCO,
face aux destructions et incendies de la Bibliothèque et des Archives nationales
à Bagdad, de même que la Bibliothèque des Corans du ministère du Culte, dans
lesquels des siècles de manuscrits et autres archives auraient péri.
B. - La Convention de Genève
IV de 1949
Préoccupée par la tâche
importante de la protection des victimes de la deuxième guerre mondiale, cette
convention ne mentionne pas le patrimoine culturel en tant que tel. Cependant,
deux de ses dispositions ‑ les articles 53 et 147 ‑ s’appliquent à cette étude.
Situé dans la Section III intitulée « Territoires occupés », l'article 53
dispose :
« Il est interdit à la puissance
occupante de détruire des biens mobiliers ou immobiliers, appartenant
individuellement ou collectivement à des personnes privées, à l'Etat ou à des
collectivités publiques, à des organisations sociales ou coopératives, sauf dans
les cas où ces destructions seraient rendues absolument nécessaires par les
opérations militaires ».
Cette disposition n'est pas sans
rappeler l'article 23 (g) du Règlement annexé à la Convention (IV) de La Haye de
1907 commenté plus haut. Cependant, l'article 53 ne s’applique qu’aux
territoires occupés, dont la définition et l’application ‑ controversées même au
cas par cas ‑ constituent un obstacle en soi, quant à la protection du
patrimoine culturel. Ainsi, dans le cadre de la présente étude, à supposer que
les forces armées ayant déclenché les opérations militaires constituaient une
« puissance occupante » au sens de la Convention de Genève IV de 1949, et que
l’on se trouvait dans des territoires occupés, il pourrait être soutenu qu’elles
n’ont pas cherché à « détruire » le patrimoine en question. D’ailleurs, ces
forces n’ont pas été accusées d’avoir participé à la destruction de ces biens,
soit personnellement, soit intentionnellement, bien que certains acteurs ‑ tels
le Directeur général de l’UNESCO ou la directrice du musée archéologique de
Bagdad ‑
semblent avoir considéré que les forces en question avaient l’obligation de
veiller à la protection desdits biens du désordre faisant suite à l’absence
temporaire des pouvoirs publics.
Puis vient l'article 147
‑ intitulé « infractions graves » ‑ qui dispose :
« Les infractions graves visées
à l'article précédent sont celles qui comportent l'un ou l'autre des actes
suivants, s'ils sont commis contre des personnes ou des biens protégés par la
Convention : (...) la destruction et l'appropriation des biens non justifiées
par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon
illicite et arbitraire ».
Donc, dans ce cas de figure, la
destruction en question doit être, en particulier, effectuée « sur une grande
échelle » et non justifiée par la nécessité militaire. Les modalités de cette
protection ont par ailleurs été amplement expliquées par le TPIY, dans l’affaire
Kordic, où la Chambre de Première instance a indiqué que constitue une
infraction grave, la destruction sur une grande échelle, de biens :
« i) lorsque les biens détruits
entrent dans une catégorie à laquelle les Conventions de Genève de 1949
accordent une protection générale, qu’ils soient ou non situés sur un territoire
occupé, et lorsque l’auteur de cet acte a agi dans l’intention de détruire les
biens en question, ou que ces biens ont été détruits par l’effet de son
imprudence et du peu de cas qu’il faisait de leur destruction probable, ou
ii) lorsque les biens détruits
sont protégés par les Conventions de Genève du fait qu’ils se trouvent sur le
territoire occupé et lorsque cette destruction est exécutée sur une grande
échelle, et
iii) lorsque la destruction
n’est pas justifiée par des nécessités militaires et que l’auteur de cet acte a
été animé par l’intention de détruire les biens en question , ou que ces biens
ont été détruits par l’effet de son imprudence et du peu de cas qu’il faisait de
leur destruction probable ».
L’avantage du recours à la
Convention de Genève IV de 1949 réside dans son statut de norme coutumière,
permettant d’éviter les problèmes de forme propres au droit international
conventionnel, tel l’état des ratifications. Cependant, il faut tenir compte du
fait que cette protection est sujette, en particulier, à la nécessité militaire
et à l’existence d’un conflit armé à caractère international.
Au-delà du fait que l’article
147 de la Convention IV de Genève de 1949 incrimine certaines infractions
graves, c’est son incorporation dans le Statut de la CPI qui illustre son
importance.
C. - Le Protocole I de 1977
Intitulé
« Protection générale des biens de caractère civil », l’article 52 du Protocole
I de 1977
dispose :
« 1. Les biens de caractère
civil ne doivent pas être l’objet ni d’attaques ni de représailles. Sont biens
de caractère civil tous les biens qui ne sont pas des objectifs militaires au
sens du paragraphe 2.
2. Les attaques doivent être
strictement limitées aux objectifs militaires. En ce qui concerne les biens, les
objectifs militaires sont limités aux biens qui, par leur nature, leur
emplacement, leur destination ou leur utilisation apportent une contribution
effective à l’action militaire et dont la destruction totale ou partielle, la
capture ou la neutralisation offre en l’occurrence un avantage militaire précis.
3. En cas de doute, un bien qui
est normalement affecté à un usage civil, tel qu’un lieu de culte, une maison,
un autre type d’habitation ou une école, est présumé ne pas être utilisé en vue
d’apporter une contribution effective à l’action militaire ».
Si cet article porte
principalement sur la distinction entre les biens à caractère civil et les
objectifs militaires, il n’en demeure pas moins qu’il englobe indirectement le
patrimoine culturel.
D. - Le Statut de la CPI
L’article 8 (2) (a) du Statut de
la CPI qualifie de « crimes de guerre » :
« a) Les infractions graves aux
Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir l'un quelconque des actes
ci-après lorsqu'ils visent des personnes ou des biens protégés par les
dispositions des Conventions de Genève :
(…)
iv) La destruction et
l'appropriation de biens, non justifiées par des nécessités militaires et
exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire ;
(…) ».
Si l’article 8 (2) (a) (iv)
incorpore une disposition conventionnelle, l’article 8 (2) (b) qualifie
également de « crimes de guerre » :
« b) Les autres violations
graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans
le cadre établi du droit international, à savoir, l'un quelconque des actes
ci-après :
(…)
ii) Le fait de lancer des
attaques délibérées contre des biens civils, c'est-à-dire des biens qui ne sont
pas des objectifs militaires ;
(…)
iv) Le fait de lancer une
attaque délibérée en sachant qu'elle causera incidemment des pertes en vies
humaines ou des blessures parmi la population civile, des dommages aux biens de
caractère civil ou des dommages étendus, durables et graves à l'environnement
naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l'ensemble de
l'avantage militaire concret et direct attendu ;
v) Le fait d'attaquer ou de
bombarder, par quelque moyen que ce soit, des villes, villages, habitations ou
bâtiments qui ne sont pas défendus et qui ne sont pas des objectifs militaires ;
(…)
xiii) Le fait de détruire ou de
saisir les biens de l'ennemi, sauf dans les cas où ces destructions ou saisies
seraient impérieusement commandées par les nécessités de la guerre ;
(…)
xvi) Le pillage d'une ville ou
d'une localité, même prise d'assaut ;
(...) ».
Cet article incorpore ainsi non
seulement d’autres dispositions conventionnelles, mais également et surtout des
normes de droit international coutumier qui offrent une protection au patrimoine
culturel, comme en témoignent les dispositions énumérées ci-dessus. En effet,
les composantes du patrimoine culturel constituent des biens de caractère civil
de l’ennemi. En tout état de cause, le patrimoine culturel peut également être
incorporé dans « des villes, villages, habitations ou bâtiments ». Enfin, il est
fondamental de tenir compte de la prohibition de « saisir » et l’interdiction du
« pillage » de la propriété ennemie, dont le patrimoine culturel constitue une
composante.
CONCLUSION
Les développements précédents
illustrent l’existence, en période de conflits armés, de normes juridiques
protectrices du patrimoine culturel. Cette protection connaît néanmoins deux
atténuations : d’une part, les problèmes de forme (principalement l’état des
ratifications) inhérents au droit international conventionnel ; d’autre part, le
fait que le droit international semble fournir avec parcimonie une protection
directe au patrimoine culturel.
Cependant, il faut noter que la protection indirecte ne présente pas
nécessairement de désavantages. Ainsi, elle fournit au patrimoine culturel une
protection adéquate, dans la mesure où elle permet d’éviter le problème de
l’identification ou non des sites. De plus, lorsqu’elle revêt le statut de droit
coutumier, la protection indirecte permet de contourner les problèmes de forme
propres au droit conventionnel, en particulier, la question de l’état des
ratifications.
En tout état de cause, au delà
d’instruments tels que Le Règlement annexé à la Convention (IV) de La Haye de
1907 ou la Convention de Genève IV de 1949 ‑ dotés du statut de norme
coutumière ‑ il est indispensable de mentionner deux normes coutumières ayant
trait à la conduite des hostilités, dont le respect peut assurer la protection,
entre autres, du patrimoine culturel. Il s’agit des principes de distinction et
de proportionnalité. Le principe de distinction prohibe les attaques frappant
indistinctement les objectifs militaires, les personnes civiles et les biens à
caractère civil.
Dans le cadre de la présente étude, ce principe consiste donc à effectuer une
distinction entre les biens de caractère civil ‑ le patrimoine culturel ‑ et les
objectifs militaires.
Le principe de proportionnalité autorise, quant à lui, uniquement les moyens de
combats proportionnels à l'objectif et nécessaires pour l’atteindre. Ainsi, il
incombe aux belligérants l’obligation de ne pas attaquer un objectif militaire
si les dommages collatéraux prévisibles sont disproportionnés par rapport à
l'avantage militaire recherché.
Bien que la présente étude se
penche surtout sur les normes juridiques réglementant la conduite des
hostilités, il n’exclut pas le recours au droit international pénal, tel qu’il
se matérialise dans le Statut de la CPI. En effet, l’existence des normes
protectrices couvertes par sa compétence ratione materiae constitue en
soi une mesure protectrice préventive. En tout état de cause, la pratique du
TPIY illustre le fait qu’il est possible d’accuser, de poursuivre, de juger et
de condamner les individus ayant commis, entre autres, des crimes de guerre sous
forme de ravages infligés au patrimoine culturel.
Toutefois, il ne faut pas
omettre de signaler que la destruction du patrimoine culturel ne constitue pas
nécessairement une contravention aux normes précitées, dans la mesure où il est
indispensable de tenir compte de l’intention des personnes menant les opérations
militaires, mais également de concepts tel que les dommages collatéraux.
Enfin, il faut noter que le principe de nécessité militaire atténue
l’effectivité des principes de distinction et de proportionnalité, dans la
mesure où les contours ambigus de son champ d’interprétation permettent de
l’invoquer afin de tenter de justifier les abus.
De manière plus générale, il
faut espérer que, d’une part le patrimoine culturel situé sur le territoire d’un
belligérant donné ne soit pas utilisé par celui-ci à des fins militaires, et
d’autre part, ceux des belligérants qui mènent des hostilités sur son territoire
respectent les principes de distinction et de proportionnalité. Le respect
combiné de ces normes est à même d’assurer une meilleure protection à la fois de
la précieuse vie humaine, et de ses irremplaçables créations.
Enfin, si cette étude n’a pas
envisagé les problèmes d’importation, d’exportation et de transfert de propriété
illicites
‑ phénomène courant en période d’hostilités, particulièrement à la fin de
celles-ci ‑ il n’en demeure pas moins que l’Iraq, qui avait déjà connu ce
problème à la suite de la deuxième guerre du golfe Persique, semble également
avoir fait l’expérience à l’occasion du conflit armé de mars-avril 2003, du fait
du sort encore indéterminé des objets pillés, entre autres, au musée
archéologique de Bagdad.
Sur la base des informations
disponibles au moment de la rédaction de cette étude, il semblerait que les
forces armées ayant déclenché les opérations militaires de 2003 ont respecté les
règles de conduite des hostilités quant à la protection du patrimoine culturel.
Malheureusement, ledit respect a été réduit au néant par le fait qu’on n’ait pas
vigoureusement empêché les immenses pillages et destructions des institutions
culturelles envisagées dans cette étude.
* * *
NOTES
« Les sites religieux utilisés comme boucliers, selon les GI », Le Monde,
4 avril 2003,
La Convention de Genève IV de 1949 relative à la protection des personnes
civiles en temps de guerre.
Cette disposition n'est pas sans rappeler le Principe VI (b) du Statut du TMI,
en déclarant que « la destruction et l'appropriation des biens non justifiées
par des nécessités militaires » est un crime de guerre. La vraie différence
entre le Principe VI (b) et l'article 147 est que celui-ci précise que les
destructions doivent avoir été exécutées « sur une grande échelle et de façon
illicite, rendant par la même la définition plus restrictive ».
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