LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
ET LA MISE EN ŒUVRE DU DROIT INTERNATIONAL DE L'ENVIRONNEMENT
par
Paul Tavernier
Professeur à l'Université de
Paris XI
Faculté Jean Monnet à Sceaux
Directeur du CREDHO-Paris
Sud
Résumé :
La Cour européenne des
droits de l'Homme suscite les espoirs de certains défenseurs de l'environnement,
mais aussi leur déception. Ces espoirs et cette déception sont sans doute tous
les deux à la fois excessifs et injustes. Certes, la contribution apportée par
la Cour européenne des droits de l'Homme à la mise en œuvre du droit
international de l'environnement reste limitée du fait des caractéristiques de
cette branche du droit, mais aussi des spécificités du mécanisme d’application
de la Convention. La jurisprudence de Strasbourg offre cependant une
contribution indirecte intéressante en ce domaine et les évolutions récentes de
celle-ci constituent un apport prometteur et de plus en plus précis à la mise en
œuvre du droit international de l'environnement.
Abstract :
The European Court of Human Rights both arouses expectations and leads to
disappointment for environment advocates. Both are undoubtedly excessive and
unfair. It is true that the European Court of Human Rights’ contribution to the
implementation and enforcement of international environmental law is limited,
due to the characteristics of IEL and the peculiarities of the ECHR mechanism.
Nevertheless, the developing case-law in this area constitutes a promising and
interesting contribution: although still indirect, it is becoming more and more
precise and concrete.
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La Cour européenne des droits de l'Homme suscite les espoirs de
certains défenseurs de l'environnement, mais aussi leur déception. Ces espoirs
et cette déception sont sans doute tous les deux à la fois excessifs et
injustes. En effet, la place que le système de Strasbourg peut occuper pour la
mise en œuvre (enforcement) du droit international de l'environnement est certes
modeste, mais néanmoins non négligeable. Elle n'est pas comparable à celle que
joue effectivement la Cour de Justice des Communautés européennes qui est
appelée à se fonder sur des normes beaucoup plus précises et plus concrètes.
Elle pourrait être davantage rapprochée de celle des juridictions
constitutionnelles dans l'ordre interne qui ne disposent que de normes
constitutionnelles très générales et peu développées en matière de protection de
l'environnement.
Nous essaierons de montrer tout
d'abord pourquoi la Cour européenne des droits de l'Homme apporte une
contribution limitée à la mise en œuvre du droit international de
l'environnement (I), puis nous nous attacherons à mettre en lumière comment la
jurisprudence de Strasbourg offre cependant une contribution indirecte
intéressante en ce domaine ; ce faisant nous nous efforcerons de dégager les
évolutions récentes de cette jurisprudence qui se développe et représente un
apport de plus en plus précis à la mise en œuvre du droit international de
l'environnement (II).
I. – UNE CONTRIBUTION LIMITEE
Plusieurs facteurs expliquent pourquoi la contribution de la Cour
européenne des droits de l'Homme reste limitée en ce qui concerne la mise en
œuvre du droit international de l'environnement. Ces facteurs tiennent à la
nature même de cette branche du droit, mais aussi aux caractères propres de la
Convention européenne des droits de l'Homme et de son mécanisme d'application.
A. - Les caractéristiques du droit international de
l'environnement
Bien que l'on trouve en droit
international, comme en droit interne, des traces anciennes du souci de protéger
l'environnement, le développement du droit international de l'environnement est
encore relativement récent.
La préoccupation de l'environnement n'est apparue clairement dans les relations
internationales qu'avec la Conférence de Stockholm de 1972 réunie sous l'égide
des Nations Unies. Celle-ci a adopté la Déclaration de Stockholm, restée célèbre
et qui est à la base du droit international de l'environnement. C'est dire le
caractère relativement récent de cette branche du droit international,
qui s'est beaucoup développée depuis lors, mais qui n'existait pas encore en
1950 au moment où la Convention européenne des droits de l'Homme était adoptée,
ni même en 1959 lorsque la Cour de Strasbourg est entrée en fonction. Alors que
celle-ci élaborait les principes de sa jurisprudence dans les années soixante et
soixante-dix, aidée en cela de manière efficace par la Commission, le droit
international de l'environnement n'existait pas encore, sinon sous forme
embryonnaire. Il n'est donc pas étonnant de constater que la Convention
européenne ne fait aucune allusion au droit de l'environnement, ni au droit à
l’environnement. Certains considèrent cela comme une lacune, mais aucun
protocole à la Convention n'a jusqu'à présent remédié à cette situation.
Une seconde caractéristique du
droit international de l'environnement est qu'il s'agit souvent de droit « mou »
(soft law) reposant sur la proclamation de normes et règles dont la portée
pratique n'est pas toujours facile à déterminer. C'est la raison pour laquelle
les principes de Stockholm ont été accueillis avec scepticisme par les juristes
positivistes, mais aussi par les Etats, même lorsque ceux-ci étaient
relativement précis, comme le fameux principe 21. Certes le droit international
de l'environnement s'est progressivement « durci » (hard law) et comporte
maintenant un corps de règles juridiques relativement complet (dans le cadre
universel et régional), mais la part du « droit mou » reste relativement
importante. Or le « droit mou » de l'environnement est difficilement
sanctionnable par une juridiction internationale, notamment une juridiction
chargée d’assurer la protection des droits de l'Homme comme la Cour européenne.
Une troisième caractéristique du
droit international de l'environnement réside dans son écartèlement entre des
principes très généraux (principe de précaution par exemple) et une
réglementation technique extrêmement précise, détaillée, très diversifiée et
propre à chaque secteur d'activités, les normes étant peu transposables d'un
secteur à l'autre. Les conventions internationales ont mis en place des régimes
très spécifiques, par exemple pour lutter contre les diverses pollutions
maritimes (par les hydrocarbures, par les déchets nucléaires, etc.). Dans un
cadre régional, la Communauté européenne a élaboré un corps de règles très
abondantes sous la forme de nombreuses directives dont le respect effectif est
contrôlé de manière efficace par la Cour de Justice des Communautés européennes.
Les directives communautaires sont en effet des normes souples, comparables dans
une certaine mesure aux conventions-cadres,
mais qui constituent néanmoins du droit suffisamment « dur » pour offrir à la
Cour de Luxembourg une base solide lui permettant de développer sa
jurisprudence. La Cour de Strasbourg est évidemment dans une situation très
différente.
B. - Les caractères propres
du mécanisme d’application de la Convention européenne des droits de l’Homme
Les mécanismes d’application de
la Convention européenne sont extrêmement sophistiqués et se développent sans
cesse. La Cour, depuis 1998, est accessible à toute personne relevant de la
juridiction d’un Etat partie (44 Etats actuellement), ce qui correspond à plus
de 850 millions de personnes (sans compter les groupements et personnes morales)
sur un territoire s’étendant de l’Atlantique jusqu’à … Vladivostok.
L’application des arrêts de la Cour, qui peut accorder une satisfaction
équitable (article 41), est surveillée par le Comité des Ministres (article 46 §
2), et depuis peu également par l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe.
Les mécanismes de Strasbourg ouvrent donc potentiellement de vastes perspectives
pour les défenseurs de l’environnement. Toutefois la Cour européenne n’est
compétente qu’à certaines conditions. Celles-ci concernent tant sa compétence
ratione personae, que sa compétence ratione loci et ratione
temporis, mais surtout ratione materiae. Or, même si la jurisprudence
de Strasbourg est libérale, ces conditions limitent beaucoup la portée de
l’intervention de la Cour en matière d’environnement.
Pour ce qui est de la compétence
personnelle, tant en ce qui concerne l’Etat défendeur que la personne
requérante, le recours est largement ouvert. Les requêtes individuelles, selon
l’article 34, peuvent émaner de toute personne physique, sans condition de
nationalité, mais aussi de toute organisation non gouvernementale ou groupe de
particuliers. Or on connaît le rôle très important joué sur le plan interne et
international par les ONG en matière de protection de l’environnement.
Toutefois, ces ONG doivent faire la preuve qu’elles sont victimes d’une
violation de la Convention ou de ses protocoles, ce qui limite les possibilités
de recours.
La compétence ratione
temporis peut soulever des difficultés dans un domaine où les violations
(pollutions, nuisances) résultent souvent de faits successifs ou continus plus
que de faits instantanés. Or la notion de violation continue, consacrée depuis
longtemps par la jurisprudence de la Commission, reste floue comme en témoignent
certains arrêts récents de la Cour.
De même, la compétence
ratione loci est limitée, ainsi que la Cour l’a rappelé dans la décision du
12 décembre 2001 relative à la requête Bankovic et autres c/ Belgique et
seize autres Etats.
Dans cette affaire, six ressortissants yougoslaves avaient saisi la Cour à la
suite du bombardement par les pays de l’OTAN du siège de la radiotélévision
serbe (RTS) à Belgrade le 23 avril 1999, dans le cadre de la campagne de frappes
aériennes menée contre la République fédérale de Yougoslavie pendant le conflit
du Kosovo. Ce bombardement avait causé la mort de seize personnes, seize autres
étant gravement blessées. Bien que dans cette affaire les requérants n’aient pas
invoqué le droit à l’environnement, mais le droit à la vie, cette affaire est
intéressante car les bombardements de l’OTAN ont causé d’importants dommages à
l’environnement, qui ont d’ailleurs été mentionnés dans les requêtes de la
République fédérale de Yougoslavie devant la Cour internationale de Justice
contre dix Etats de l’OTAN. La Cour de Strasbourg a déclaré la requête
Bankovic irrecevable en posant très nettement les limites à sa compétence
ratione loci. Selon elle, « l’article 1er de la Convention doit
passer pour refléter cette conception ordinaire et essentiellement territoriale
de la juridiction des Etats, les autres titres de juridiction étant
exceptionnels et nécessitant chaque fois une justification spéciale, fonction
des circonstances de l’espèce » (§ 61 de la décision). Elle souligne que sa
jurisprudence « n’admet qu’exceptionnellement qu’un Etat contractant s’est livré
à un exercice extraterritorial de sa compétence » (§ 71 de la décision) et elle
conclut que « la Convention est un traité multilatéral opérant … dans un
contexte essentiellement régional, et plus particulièrement dans l’espace
juridique des Etats contractants, dont il est clair que la RFY ne relève pas.
Elle n’a donc pas vocation à s’appliquer partout dans le monde, même à l’égard
du comportement des Etats contractants » (§ 80 de la décision).
Certes la décision Bankovic
ne concerne pas les problèmes d’environnement, mais les formules utilisées par
la Cour insistent sur les limites territoriales de sa compétence, alors que les
phénomènes d’environnement (nuisances, pollution, notamment pollution à longue
distance)
sont des phénomènes transfrontaliers, comme l’avait montré il y a longtemps déjà
l’affaire classique de la Fonderie de Trail.
Toutefois le principal obstacle
au développement d’une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme
en matière d’environnement tient aux limites de sa compétence ratione
materiae. En effet, comme nous l’avons déjà signalé, le droit à
l’environnement ne figure pas dans les droits protégés énumérés dans la
Convention et il n’a pas été ajouté dans les protocoles. C’est la raison pour
laquelle de nombreuses requêtes touchant à la protection de l’environnement ont
été rejetées par la Commission, puis par la Cour, pour incompétence ratione
materiae. On peut citer notamment les décisions de la Commission dans les
affaires Dr S. c/ RFA du 5 août 1960 (problème des essais nucléaires), X.
et Y. c/ RFA du 13 mai 1976 (utilisation d’un marais à des fins militaires),
X. c/ RU du 12 juillet 1978 (dommages subis à la suite d’une campagne de
vaccination), Guerra et 39 autres femmes c/ Italie du 6 juillet 1995
(usine polluante).
Dans toutes ces affaires, les requérants invoquaient une violation du droit à la
vie (article 2), mais les requêtes ont été déclarées irrecevables pour
incompétence ratione materiae.
Il est donc remarquable, compte
tenu de toutes ces limitations et de tous ces obstacles, que la Cour européenne
des droits de l’Homme ait néanmoins réussi à développer une jurisprudence
intéressante en matière de protection de l’environnement.
II.
– UNE CONTRIBUTION INTERESSANTE ET PROMETTEUSE
Le droit à l’environnement ne
figurant pas dans le catalogue des droits protégés par la Convention, la
jurisprudence de Strasbourg ne peut contribuer qu’indirectement à la protection
de l’environnement (A). Toutefois, cette contribution devient de plus en plus
précise et efficace (B).
A. - Une
contribution indirecte
Malgré le caractère très
dynamique de l’interprétation de la Convention par la Cour (recours à des
notions autonomes, découverte de droits inhérents, utilisation de
l’interprétation évolutive, etc.),
la Cour ne saurait s’appuyer directement sur un texte. La protection de
l’environnement par la Convention ne peut donc être qu’indirecte, par
l’intermédiaire de droits reconnus dans la Convention, c’est-à-dire grâce à la
protection par « ricochet », largement utilisée dans d’autres domaines,
notamment pour les étrangers menacés d’expulsion, d’extradition ou autres
mesures d’éloignement.
La protection indirecte de
l’environnement peut se réaliser par l’intermédiaire de droits substantiels
(articles 2, 3, 8, 10 et 1er du Protocole I principalement), mais
aussi par le truchement des droits processuels (essentiellement l’article 6 et
le droit à un procès équitable ou, éventuellement, l’article 13 relatif à
l’exigence d’un recours effectif).
Les requérants peuvent invoquer
l’article 6 § 1 et le droit à ce que leur cause soit entendue dans un délai
raisonnable. Ils l’ont fait dans des affaires concernant l’environnement, par
exemple dans l’affaire Zimmermann et Steiner c/ Suisse (arrêt du 13
juillet 1983) : la Cour a constaté la violation mais n’a pas accordé de
réparation pour le dommage moral allégué (question du bruit et de la pollution
de l’air imputables au trafic de l’aéroport de Zurich-Kloten). La question de
l’absence d’accès à la juridiction a été assez fréquemment invoquée en matière
d’environnement : affaire Arrondelle c/ Royaume-Uni (bruit de l’aéroport
de Gatwick, décision de la Commission sur la recevabilité du 15 juillet 1980 et
rapport du 13 mai 1983 constatant le règlement amiable), affaire Baggs
c/ Royaume-Uni (bruit de l’aéroport d’Heathrow, décision sur la recevabilité
du 16 octobre 1985 et rapport constatant le règlement amiable du 8 juillet
1987), affaire Zander c/ Suède (arrêt du 25 novembre 1993, concerne la
pollution de l’eau potable), etc. On peut citer aussi l’arrêt Geouffre de la
Pradelle du 16 décembre 1992 dans lequel la France a été condamnée pour
manque de clarté de la loi (il s’agissait d’une procédure de classement comme
site pittoresque sur la base de la loi de 1930).
L’article 13 relatif au droit à
un recours effectif offre également des possibilités intéressantes, comme l’a
montré l’affaire Powell et Rayner, finalement très décevante, puisque,
contrairement à la Commission qui avait reconnu une violation de l’article 13,
la Cour n’en a constaté aucune dans son arrêt du 21 février 1990.
Quant aux droits substantiels
énoncés dans la Convention, ils peuvent aussi assurer indirectement une
protection au profit des requérants en matière d'environnement. L'article 2 et
le droit à la vie est fréquemment invoqué par les requérants, mais le grief a
été le plus souvent jugé irrecevable, soit comme manifestement mal fondé, soit
pour d'autres raisons, notamment pour non épuisement des voies de recours
interne (affaire Guerra, en particulier, décision du 6 juillet 1995). Les
requérants ont aussi invoqué l'article 3, l'atteinte à l'environnement pouvant
représenter un traitement inhumain ou dégradant à défaut de pouvoir être
considérée comme une torture. Dans l'affaire Lopez Ostra c/ Espagne, la
Commission a admis la recevabilité du grief fondé sur l'article 3, mais la Cour
dans son arrêt du 9 décembre 1994 a refusé de reconnaître une violation de cette
disposition : même si les conditions dans lesquelles la requérante et sa famille
avait vécu, au voisinage d'une station d'épuration, étaient des conditions très
difficiles, elles ne pouvaient être considérées comme un traitement dégradant au
sens de l'article 3.
C'est surtout l'article 8 de la
Convention, relatif à la vie privée et familiale, qui est invoqué par les
requérants et qui a donné l'occasion aux organes de Strasbourg de protéger
indirectement les atteintes à l'environnement. On peut citer de nombreuses
affaires à cet égard. Les affaires Arrondelle et Baggs déjà
mentionnées qui se sont terminées par des règlements amiables, sans contestation
formelle de la violation de l'article 8. Dans l'affaire G. et E. c/ Norvège
concernant des Lapons qui protestaient contre la construction d'une centrale
hydroélectrique devant entraîner l'immersion d'une vallée où ils chassaient et
pêchaient, la Commission (décision du 3 octobre 1983) a considéré que
l'ingérence dans le droit des requérants était justifiée, au regard de l'article
8 § 2 (nécessité pour assurer le bien-être économique du pays). Les nuisances
occasionnées par les centrales nucléaires ont également été invoquées par
plusieurs requérants : dans l'affaire S. c/ France (relative à des
nuisances sonores occasionnées par une centrale située dans la vallée de la
Loire), la Commission a cependant considéré, compte tenu de l'indemnisation
obtenue, que l'ingérence n'était pas disproportionnée. Mais c'est surtout l'affaire
Lopez Ostra qui a permis à la Cour (arrêt du 9 décembre 1994) de sanctionner
une violation de l'article 8 en raison des nuisances intolérables causées par la
proximité d'une station d'épuration. En ce qui concerne le bruit des aéroports,
domaine privilégié de la jurisprudence en ce domaine, la Grande-Bretagne avait
échappé à une condamnation dans l'affaire Powell et Rayner à propos de
l'aéroport d'Heathrow mais elle vient d'être condamnée pour les nuisances
sonores dues aux vols de nuit dans ce même aéroport : il s'agit de l'arrêt
Hatton du 2 octobre 2001.
Une autre disposition de la
Convention offre une possibilité intéressante de protection indirecte en matière
d'environnement, c'est l'article 10. En effet, la liberté d'expression comprend
la liberté de recevoir ou de communiquer des informations. La question était au
cœur de l'affaire Guerra et autres c/ Italie (arrêt du 19 février 1998).
L'article 1er du
Protocole I protégeant le droit de propriété a été également invoqué assez
souvent en liaison avec des problèmes d'environnement, mais jusqu'ici presque
toujours sans succès : affaires G et E c/ Norvège déjà citée ; M.
c/ Autriche (décision de la Commission du 4 octobre 1984 concernant la
construction d'une centrale électrique), George Vearncombe et autres
c/ Royaume-Uni et RFA (décision de la Commission du 18 janvier 1989,
relatives aux nuisances sonores à proximité d'un champ de tir), S. c/ France
déjà citée. Toutefois, dans l'affaire Chassagnou c/ France, la Cour a
reconnu l'existence d'une violation de l'article 1er du Protocole I
du fait de la loi Verdeille relative à la chasse. Elle a constaté également une
violation de l'article 14 (discrimination entre grands et petits propriétaires)
et une violation de l'article 11 consacrant la liberté négative d'association et
par là même, selon certains, elle a admis implicitement en quelque sorte un
droit à l'objection de conscience en matière cynégétique.
La protection indirecte assurée
par diverses dispositions de la Convention en matière d'environnement est donc
assez variable, mais ce qui mérite d’être relevé, c'est que cette protection se
développe et devient de plus en plus concrète et efficace.
B. - Une
contribution de plus en plus précise et efficace
L'intérêt de la jurisprudence et
son apport essentiel en matière de protection de l'environnement se sont
concentrés sur quelques articles de la Convention et notamment sur l'article 8
relatif à la protection de la vie privée et familiale et sur l'article 10
concernant le droit à l'information. Si la jurisprudence concernant l'article 8
est d'ores et déjà prometteuse car elle a donné lieu à des arrêts remarquables,
les décisions se fondant sur l'article 10 ont pour le moment posé les premiers
éléments d'une jurisprudence qui devrait, souhaitons-le, se développer dans
l'avenir. En revanche, la Cour n'a pas, jusqu'à présent, exploité toutes les
possibilités ouvertes par les articles 2 et 3 et sa jurisprudence reste sur ce
point décevante.
L'évolution des organes de
Strasbourg à propos de l'article 8 en matière d'environnement a été tout à fait
remarquable. Dans l'affaire Powell et Rayner, la Cour, prisonnière des
décisions de la Commission, avait encore restreint le champ de son examen et
avait posé le problème sur le terrain très subtile et peu convaincant des griefs
défendables : la protection des requérants devenait doublement indirecte,
puisque l'article 8 ne pouvait être invoqué qu'en liaison avec l'article 13
(droit à un recours effectif). La Cour a admis que l'article 8 entrait en ligne
de compte, mais, estimant que la Grande-Bretagne pouvait invoquer la
contribution au « bien-être économique du pays » apportée par les grands
aéroports internationaux, elle a finalement estimé qu'il n'y avait pas de grief
défendable « quant au bruit des avions volant à une altitude raisonnable et dans
le respect des règles de trafic aérien » (§ 46 de l'arrêt). Cette décision a
certainement déçu les défenseurs de l'environnement, mais elle ne fermait pas la
porte à un arrêt ultérieur qui leur donnerait satisfaction dans une autre
affaire. En effet, l'arrêt Hatton et autres c/ Royaume-Uni a non
seulement reconnu la violation de l'article 8 dans une espèce très proche bien
que différente (la Cour a souligné les différences, en particulier le fait qu'il
s'agissait de vols de nuit). Cet arrêt pose des principes très importants pour
le droit de l'environnement.
La Cour affirme que
l'Etat doit chercher les solutions alternatives minimales et effectuer les
enquêtes et études nécessaires pour y parvenir : « It considers that States are
required to minimise, as far as possible, the interference with these rights, by
trying to find alternative solutions and by generally seeking to achieve their
aims in the least onerous way as regards human rights. In order to do that, a
proper and complete investigation and study with the aim of finding the best
possible solution which will, in reality, strike the right balance should
precede the relevant project »
(§ 97 de l'arrêt).
Sur ce point, le juge ad hoc
britannique, Sir Brian Kerr, a exprimé un total désaccord, récusant le précédent
Lopez Ostra. Le juge Jean-Paul Costa, dans son opinion séparée explique pourquoi
il a beaucoup hésité à voter en faveur de la violation. Soulignant qu'il est
très attaché à l'intérêt général, et renvoyant à son opinion dissidente dans l'affaire
Chassagnou, il a finalement penché en faveur des requérants car il s'est
déclaré sensible aux préoccupations environnementalistes. L'arrêt Hatton
apporte en effet une contribution non négligeable, après l'arrêt Lopez Ostra,
à la construction et au développement du droit de l'environnement. On pourrait y
voir, d’une certaine manière, la consécration d’une obligation pesant sur l’Etat
de mener une étude d’impact, comme cela est prévu par certaines législations
nationales et certains textes internationaux.
Cet arrêt va donc beaucoup plus
loin que l'arrêt Guerra c/ Italie du 19 février 1998, salué à juste titre
comme un grand succès par les défenseurs de l'environnement.
Pourtant la décision de la Cour, aussi audacieuse fût-elle, restait assez
limitée. La Cour a refusé de reconnaître au profit des individus une obligation
générale d'information pesant sur l'Etat en matière d'environnement sur la base
de l'article 10, mais elle a déplacé ex officio le problème sur le
terrain de l'article 8 et elle a admis une obligation limitée d'information afin
de garantir le droit au respect de la vie privée et familiale. En définitive, la
Cour a constaté la violation de l'article 8, ce qui l'a dispensée d'examiner le
grief fondé sur l'article 2.
La démarche de la Cour est donc
très progressive, à la fois prudente et audacieuse : elle s'avère finalement
progressiste et prometteuse pour ceux qui attachent de l'importance à la défense
de l'environnement.
CONCLUSION : VERS LA RECONNAISSANCE D’UN DROIT A L’ENVIRONNEMENT
DANS LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME ?
La jurisprudence des organes de
Strasbourg, Commission et Cour, a apporté une contribution, certes restreinte
par les conditions dans lesquelles ces organes peuvent intervenir, mais en
définitive tout à fait remarquable dans la perspective de la mise en œuvre du
droit international de l’environnement. Cette jurisprudence peut encore se
développer. Toutefois, elle trouvera probablement ses limites et on peut se
demander s’il ne faudrait pas envisager l’élaboration d’un protocole pour
consacrer un véritable droit à l’environnement dans la Convention européenne des
droits de l’Homme. Les avis sont partagés sur ce point : certains y sont
défavorables,
d’autres, au contraire, accueillent cette idée positivement.
Quelques auteurs pensent que la Convention, telle qu’elle est interprétée par la
Cour, consacre déjà un droit à l’environnement.
Quoi qu’il en soit, l’apport
spécifique du mécanisme de la convention européenne des droits de l’Homme à la
mise en œuvre du droit international de l’environnement se situe dans un
contexte très différent, mais complémentaire de l’œuvre, par ailleurs digne
d’éloges, réalisée par les Communautés européennes et l’Union européenne,
laquelle a été couronnée récemment par l’adoption de l’article 37 de la Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne, rappelé par le juge Costa dans
son opinion séparée pour l’affaire Hatton, et selon lequel : « Un niveau
élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent
être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe
du développement durable ». Cette disposition est incluse dans le chapitre
consacré aux droits de solidarité et s’inscrit dans une perspective
programmatoire, fort différente des mécanismes de la Convention européenne qui
visent à assurer la garantie effective de droits individuels.
* * *
NOTES
Voir Alexandre KISS, « Les traités-cadres : une technique juridique
caractéristique du droit international de l’environnement », Annuaire
français de droit international, 1993, pp. 792-797.
Copyright : © 2003 Paul Tavernier. Tous droits réservés. Impression
et citations : Seule la version
au format PDF fait référence.
Mode
officiel de citation :
TAVERNIER Paul. - « La Cour
européenne des droits de l’Homme et la mise en œuvre du droit international de
l’environnement ». - Actualité et Droit International, juin 2003. (http://www.ridi.org/adi).
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