L'ONU ET L'IRAK II
par
Rafâa Ben Achour
Professeur à la
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis
Résumé :
L'ONU
est entrée avec la deuxième guerre du Golfe, déclenchée de manière unilatérale
par les États-Unis, le 20 mars 2003, dans une nouvelle phase de turbulences. L'Organisation
mondiale a échoué à empêcher la guerre et ses conséquences tragiques pour le
peuple irakien. Après la guerre, l'ONU
n'est
non seulement pas parvenue à s'imposer
encore comme premier responsable du rétablissement de la paix malgré une
réanimation de son rôle, mais surtout, elle a largement contribué à légaliser le
fait accompli américain.
Impression
et citations : Seule la version
au format PDF fait référence.
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Créée au lendemain de la
deuxième guerre mondiale, l’Organisation des Nations Unies repose sur un certain
nombre d’idéaux nobles, ambitieux et généreux dont notamment et surtout, l’idéal
de « préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en
l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances ».
Pour atteindre cet idéal, les « peuples des Nations Unies » se sont
engagés, par le biais de leurs gouvernements « à accepter des principes et
instituer des méthodes garantissant qu’il ne sera pas fait usage de la
force des armes, sauf dans l’intérêt commun » et « à recourir aux
institutions internationales pour favoriser le progrès économique et social de
tous les peuples ».
Les buts et principes de l’ONU
ne sont qu’une traduction de cette volonté de conjurer définitivement le démon
de la guerre. En effet, le but premier de l’ONU est de « maintenir la paix et
la sécurité internationales ». De ce fait, la nouvelle organisation mondiale
est avant tout une organisation des Nations unies contre la guerre :
contre la guerre passée, mais aussi contre les guerres futures qu’il s’agit de
prévenir, en agissant sur leurs causes, et le cas échéant, de stopper en
réprimant les actes d’agression.
Dans le but du maintien de la
paix et de la sécurité internationales, les membres de l’ONU doivent non
seulement coexister les uns avec les autres en paix, mais aussi agir de concert
pour que règnent entre eux des « relations amicales » fondées sur le
respect de la souveraineté et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
C’est donc logiquement que la
guerre est mise hors la loi. Non seulement le recours à l’emploi de la force est
prohibé, mais aussi la menace de l’emploi de la force est proscrite, de même que
la légitime défense est strictement réglementée. Quant à la pseudo légitime
défense préventive, elle constitue purement et simplement une hérésie.
Pour donner effet à
l’interdiction de la menace ou de l’emploi de la force, la Charte a créé un
système, dit de « la sécurité collective » qui a pour noyau le Conseil de
sécurité. Cet organe bénéficie du monopole du recours légitime à la force armée
et assume au nom de la communauté internationale, à l’exclusion de tout Etat ou
de tout autre organe, « la responsabilité principale du maintien de la paix
et de la sécurité internationales ».
Malheureusement, le système de
la sécurité collective a très peu fonctionné et a été tenu en échec par la
guerre froide, ce qui n’a pas manqué de ternir l’image de l’ONU pendant plus de
quarante ans.
Une fois la guerre froide
terminée, l’ONU
a connu un
renouveau certain concrétisé notamment par la solution de plusieurs conflits
régionaux nés lors de la période de la guerre froide (Angola, Afghanistan,
Namibie, Cambodge, Mozambique, Somalie, etc.), la réunion du Conseil de sécurité
au niveau des Chefs d’État et de gouvernement le 21 juillet 1992, la tenue du
sommet du millénaire, l’adoption des agendas de la paix et du développement.
Cette nouvelle ère
de l’ONU n’a malheureusement pas duré longtemps. En effet, l’Organisation
mondiale est entrée avec la deuxième guerre du Golfe, déclenchée de manière
unilatérale par les États-Unis, le 20 mars 2003, après avoir échoué à obtenir
une autorisation du Conseil de sécurité semblable à celle donnée en 1990 par la
résolution 678, dans une nouvelle phase de turbulences. La guerre américaine a
jeté pendant des mois des doutes sur le rôle de l’ONU, sur sa crédibilité et sur
sa capacité à assumer ce pourquoi elle a été créée en 1945 à savoir : le
maintien de la paix et de la sécurité internationales et la lutte contre
l’agression. Citons à titre d’illustration de ce sentiment, ce passage du
rapport annuel de M. Kofi Annan présenté à l’ouverture de la 57ème
session : « Dans
le domaine de la paix et de la sécurité, le moins qu’on puisse dire est que
l’année écoulée n’a pas été une année facile pour les Nations Unies. La guerre
d’Iraq a mis à rude épreuve le principe de la sécurité collective et la force
morale de l’Organisation. Rares sont les moments de ses 58 années d’histoire où
son avenir a inspiré tant de doutes ».
Avant le
déclenchement des hostilités, l’ONU a certes résisté au diktat américain, mais
elle a échoué à empêcher la guerre et ses conséquences tragiques pour le peuple
irakien.
Mais après la guerre, l’ONU n’est non seulement pas parvenue à s’imposer encore
comme premier responsable du rétablissement de la paix malgré une réanimation de
son rôle (II), mais surtout, elle a largement contribué à légaliser le fait
accompli américain (I).
I. – LA RECONNAISSANCE DU FAIT ACCOMPLI AMERICAIN
Après la
chute du régime irakien le 9 avril 2003, les États-Unis ont opposé une fin de
non recevoir à tous les appels lancés, même par leurs alliés les plus fidèles
(Espagne et Royaume-Uni) à confier à l’ONU la gestion de l’après guerre. Dans
l’esprit des dirigeants américains, les États-Unis avaient remporté une victoire
militaire dont les dividendes devaient leur revenir à eux seuls. Le seul rôle de
l’ONU consisterait dans la fourniture de l’aide humanitaire sous le contrôle du
Pentagone.
Mais la
situation d’après guerre s’est révélée beaucoup plus compliquée que ne le
croyaient les Américains. Ces derniers confrontés à des problèmes de sécurité,
de ravitaillement, de santé publique, seront obligés de faire des concessions à
l’ONU et de lui accorder un rôle de plus en plus important.
Dans un
premier temps, les États-Unis ont demandé à ce que le Conseil de sécurité se
contente de lever les sanctions en vigueur contre l’Irak depuis 1990, mais les
membres du Conseil ont réussi à faire dépendre la levée des sanctions de la
reconnaissance d’un rôle accru à l’ONU. En contrepartie, les États-Unis ont
obtenu une reconnaissance officielle de leur occupation de l’Irak. C’est ainsi
que la résolution N° 1483 du 22 mai 2003
a pu être adoptée.
La
résolution 1483 (2003)
Le 22
mai 2003, la diplomatie américaine a obtenu la revanche qu’elle recherchait à
l’ONU. En effet, deux mois à peine après avoir déclenché la guerre sans
autorisation du Conseil de sécurité, les États-Unis sont parvenus à amener le
Conseil à donner une certaine légitimité à leur guerre, puisque l’instance
onusienne a été amenée à leur confier dans la résolution 1483 la reconstruction
de l’Irak qu’ils ont détruit, l’exploitation des ressources pétrolières qu’ils
voulaient contrôler et l’organisation en coopération avec l’ONU d’un processus
politique devant amener à des élections et à la formation d’un gouvernement
démocratique.
La
résolution 1483 ne fait en réalité qu’entériner la prise de contrôle de l’Irak
par la « puissance occupante » dénommée désormais « l’Autorité »
au lieu de placer l’Irak sous une administration internationale, à l’instar de
ce qui s’est passé avec succès au Timor oriental ou au Kosovo, ou, pourquoi pas,
sous tutelle de l’ONU.
Dans
cette résolution, le Conseil de sécurité adhère donc à la demande américaine et
décide la levée des sanctions imposées à l’Irak « à l’exception des
interdictions frappant la vente ou la fourniture à l’Iraq d’armes et de matériel
connexe ». Le Conseil dans cette même résolution instaure une phase de
sortie du programme « pétrole contre nourriture » d’une durée de six mois
après laquelle le programme sera dissout et prévoit le transfert des soldes des
comptes séquestres du programme « aussitôt que possible au Fonds de
développement pour l’Irak » géré par « les puissances occupantes agissant
sous un commandement unifié » appelées dans la résolution « l’Autorité ».
Enfin, la résolution attribue un rôle à l’ONU plus important que celui qui lui
était réservé initialement avec la nomination d’un Représentant spécial « qui
aura la responsabilité de faire régulièrement rapport au Conseil sur les
activités qu’il mènera au titre de la présente résolution, de coordonner
l’action des Nations Unies au lendemain du conflit en Irak, d’assurer la
coordination des efforts déployés par les organismes des Nations Unies et les
organisations internationales fournissant une aide humanitaire et facilitant les
activités de reconstruction en Iraq et ce, en coordination avec l’autorité, de
venir en aide à la population iraquienne ». Le représentant spécial est
aussi appelé à œuvrer « sans relâche avec l’Autorité, le peuple iraquien et
les autres entités concernées au rétablissement des institutions nationales et
locales ou à la création de telles institutions, permettant la mise en place
d’un gouvernement représentatif […] reconnu par la communauté internationale ».
La
victoire remportée par la diplomatie américaine suite au vote, le 22 mai 2003 de
la résolution 1483 sera suivie d’une autre réalisée le 16 octobre 2003, suite au
vote unanime de la résolution N° 1511.
La
résolution 1511 (2003)
Moyennant une petite concession accordée à l’ONU, les États-Unis sont parvenus
une deuxième fois à faire triompher leurs thèses et à obtenir le feu vert de la
communauté internationale pour la mise en place d’une la force multinationale à
laquelle les États membres de l’ONU sont appelés à « fournir une assistance
[…] y compris des forces militaires », et surtout pour en assurer seuls le
commandement à l’exclusion de l’ONU ou toute autre autorité. Dans la résolution,
le Conseil de sécurité « considère que la sécurité et la stabilité
conditionnent l’aboutissement du processus politique […] et l’aptitude de
l’application de la résolution 1483 (2003), et autorise une force
multinationale, sous commandement unifié, à prendre toutes les mesures
nécessaires pour contribuer au maintien de la sécurité et de la stabilité en
Iraq ».
La
résolution 1511 accède à une autre exigence américaine et ne fixe aucun délai à
« l’Autorité provisoire de la coalition » pour transférer la direction
des affaires irakiennes aux Irakiens. En effet, la résolution prend soin de
souligner ce que la résolution 1483 a déjà consacré à savoir que « l’Autorité
provisoire de la coalition (l’Autorité) exerce à titre temporaire les
responsabilités, pouvoirs et obligations au regard du droit international
applicable qui sont reconnus et énoncés dans la résolution 1483 (2003) » et
la résolution d’ajouter que cet exercice n’est enserré dans aucun calendrier et
n’obéit à aucun délai et qu’il se poursuivra « [j]usqu’à ce qu’un
gouvernement représentatif internationalement reconnu soit mis en place par le
peuple iraquien et assume les responsabilités de l’Autorité ». La seule
obligation, à vrai dire très peu contraignante, mise à la charge des États-Unis
consiste à rendre compte au Conseil de sécurité « selon qu’il conviendra et
tous les six mois au moins, des efforts et des progrès accomplis » par la
force multinationale. Par ailleurs, le Conseil « décide de réexaminer les
besoins et la mission de la force multinationale […] un an au plus tard à
compter de la date de la présente résolution ». D’ici cette date, beaucoup
d’eau du Tigre et de l’Euphrate aura coulé sous les ponts de Bagdad.
Parallèlement aux États-Unis, le Conseil de gouvernement irakien, mis en place
par l’Autorité, reçoit dans la résolution une nouvelle légitimation, puisque le
Conseil de sécurité « [s]e félicite de la réaction positive qu’a inspirée à
la communauté internationale […] la mise en place du Conseil de gouvernement
largement représentatif » et « [a]ppuie les efforts que fait le
Conseil de gouvernement pour mobiliser le peuple iraquien […] ». Le
qualificatif de représentatif utilisé déjà par la résolution N° 1500 du 14 août
2003,
pour ce Conseil ne manque pas d’étonner tout observateur de l’attitude ferme
affichée ces dernières années à l’égard des gouvernements non issus d’élections
« honnêtes et périodiques ». Ainsi, le Conseil de sécurité délivre une
présomption de représentativité et de respectabilité à une autorité sans pouvoir
réel installée par des forces d’occupation. Un délai aussi souple que celui fixé
aux Américains est imparti au Conseil, puisque ce dernier est invité « à lui
communiquer, au plus tard le 15 décembre 2003 […] un calendrier et un programme
aux fins de rédaction d’une nouvelle constitution ». Il s’agit donc
simplement de présenter un calendrier. Quant au processus de rédaction de la
constitution il pourra durer des années.
La
résolution 1511 donne satisfaction aux États-Unis sur un dernier point. Il
s’agit du leitmotiv de la politique américaine depuis le 11 septembre 2001,
c’est-à-dire le terrorisme. La série d’attentats perpétrés aux mois d’août,
septembre et octobre 2003 sont condamnés « sans hésitation » et une « demande »
est adressée « aux États membres d’empêcher que des terroristes empruntent
leur territoire pour pénétrer en Iraq, que des armes leur soient livrées et
qu’ils bénéficient d’appui financier » et « qu’il importe de renforcer à
cet égard la coopération des pays de la région, en particulier des voisins de
l’Iraq ». Il n’y a certes aucune référence explicite à la Syrie, mais il
n’est pas besoin de démonstrations savantes pour deviner qui est visé par cette
disposition.
La Syrie a pourtant voté la résolution.
Ainsi,
les États-Unis qui n’avaient besoin de revenir à l’ONU que pour faire lever les
sanctions ont réussi à obtenir d’une part deux résolutions de légitimation et de
légalisation de portée beaucoup plus vaste que leurs prétentions initiales et
d’autre part à neutraliser le front du refus des membres permanents et non
permanents du Conseil de sécurité. L’axe Paris, Berlin, Moscou l’ex « camp de
la paix » ne tenait plus à se trouver de nouveau en confrontation avec les
maîtres du monde.
Malgré
ces deux victoires, les Américains seront obligés de revenir à l’ONU et de lui
reconnaître un rôle encore plus important.
II. –
LA REANIMATION DE L’ONU
Cantonnée au début à un rôle strictement humanitaire et de gestion du programme
« pétrole contre nourriture »,
l’ONU a vu son rôle s’affirmer d’une résolution à une autre. La situation sur le
terrain, de plus en plus intenable par les seuls Américains d’une part et la
volonté de briser la coalition franco germano russe d’autre part ont incité
l’administration américaine à jeter du lest et à reconnaître à l’ONU,
initialement mise en quarantaine en raison de son refus d’autoriser le recours
unilatéral à la force, un certain rôle. La réanimation de l’ONU sera progressive
mais toujours très en deçà des exigences de la stricte légalité internationale.
La
résolution 1483 (2003)
C’est
par la résolution 1483 que l’ONU est timidement réintroduite sur la scène
irakienne. Dans cette résolution, le Conseil « [d]emande au Secrétaire
général de désigner un représentant spécial pour l’Iraq »
qui n’a en réalité que peu de pouvoirs, car outre son rôle de coordonnateur de
l’action humanitaire, il est chargé d’œuvrer « sans relâche avec l’Autorité,
le peuple iraquien et les autres parties concernées à la création et au
rétablissement d’institutions nationales et locales […] ».
En
réalité, ce n’est qu’avec l’adoption de la résolution N° 1500 le 14 août 2003
que l’ONU fera sa véritable résurrection. Tout d’abord, le rôle de l’ONU est
qualifié dans le préambule de « crucial » alors que les Etats-Unis ne
voulaient entendre parler que d’un rôle « vital ». Ensuite, et c’est le
plus important, une « Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Iraq »
est créée pour une période initiale de 12 mois. Conformément aux propositions
contenues dans le rapport du Secrétaire général en date du 15 juillet 2003. Ce
dernier avait prévu, du fait de l’étendue des responsabilités qui seraient
confiées à la mission de la doter d’un personnel civil dont l’effectif
dépasserait 300 personnes.
La
résolution 1511 (2003)
Avec la
résolution 1511, un pas supplémentaire est franchi. En effet, le Conseil de
sécurité « se déclare résolu à ce que l’organisation des Nations Unies,
agissant par l’intermédiaire du Secrétaire général, de son Représentant spécial
et de la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Iraq, renforce son rôle
crucial en Iraq […] ». Ainsi, le mandat de l’ONU, sans dépasser le cadre
étroit tracé par la résolution 1483, s’étend petit à petit et l’ONU se trouve de
nouveau impliquée dans l’affaire irakienne.
La
question qui se pose au terme de cette analyse des différentes résolutions du
Conseil de sécurité consécutives à la chute du régime de Saddam Hussein,
consiste à savoir si la réanimation de l’ONU doit être rattachée à un geste de
bonne volonté des États-Unis ou au contraire parce que ces derniers, de plus en
plus embourbés en Irak,
n’ont plus le choix et ne peuvent plus se passer du concours de l’ONU pour
pouvoir se désengager quelque peu. La réanimation est-elle une revitalisation de
l’ONU et débouchera-t-elle sur un regain de crédibilité de l’Organisation
mondiale ? Nous ne pouvons que l’espérer malgré tous les doutes que nous
éprouvons. Soyons aussi optimiste que le Secrétaire général lorsqu’il affirme :
« Et pourtant,
l’ONU sortira plus forte de cette épreuve si, portant un regard lucide sur ce
qui s’est passé, nous réfléchissons à ce que nous voulons qu’elle devienne et
commençons à agir en conséquence ».
* * *
NOTES
Copyright : © 2003 Rafâa Ben Achour. Tous droits réservés. Impression
et citations : Seule la version
au format PDF fait référence.
Mode
officiel de citation :
BEN ACHOUR Rafâa. - « L'ONU
et l'Irak II ». - Actualité et Droit
International, novembre 2003. [http://www.ridi.org/adi].
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