56 ANS PLUS TARD - UN AUTRE POINT DE VUE SUR LE
CONFLIT ISRAELO-ARABE
par
David Ruzié
Professeur émérite des
Universités
Résumé :
Il est de bon ton de rendre
Israël responsable de l’absence de paix. Or, faut-il rappeler que voici 56 ans,
tous les Etats arabes voisins du territoire de la Palestine, alors encore placé
sous mandat, s’opposèrent et encouragèrent la population arabe de ce territoire
à s’opposer au plan de partage adopté par l’Assemblée générale des Nations
Unies ?
Impression
et citations : Seule la version
au format PDF fait référence.
|
Il est de bon ton de rendre
Israël responsable de l’absence de paix.
Or, faut-il rappeler que
voici 56 ans, tous les Etats arabes voisins du territoire de la Palestine, alors
encore placé sous mandat, s’opposèrent et encouragèrent la population arabe de
ce territoire à s’opposer au plan de partage adopté par l’Assemblée générale des
Nations Unies ?
Certes, on fera alors
remarquer que l’Etat juif était apparemment « avantagé » par ce plan, puisqu’il
se voyait attribuer une part plus importante (55,5 %) que le futur Etat arabe.
Mais, d’une part, une partie importante allouée à l’Etat juif était constituée
par l’étendue désertique du Neguev, alors que le futur Etat arabe aurait dû
s’établir en Cisjordanie, à l’époque, territoire agricole particulièrement
fertile. D’autre part et surtout, il faut tenir compte de la décision
unilatérale prise par la Grande-Bretagne de partager, en 1922, le mandat qui lui
avait été confié sur la Palestine, conduisant, ainsi, à la création de la
Transjordanie. Pratiquement, d’ailleurs, la population du nouvel Etat, créé en
1922, fut alimentée pour plus de la moitié, au fil des ans, par une population
venant de Cisjordanie. Et quand on s’interroge sur la légitimité d’un Etat juif,
on occulte une présence constante, même limitée, de juifs dans cette région,
tout au long des siècles, et surtout, le fait que dès 1872, donc avant
l’avènement du mouvement sioniste, la population juive à Jérusalem était
majoritaire.
Et lorsqu’on parle de la
« colonisation » par Israël, on omet généralement d’évoquer l’annexion de la
Cisjordanie par la Transjordanie en 1949 et on ne pose pas la question de savoir
pour quelles raisons, entre 1949 et 1967, le mouvement nationaliste palestinien
‑ pour autant qu’il existât à l’époque ‑ n’a pas réclamé à l’Egypte et à la
Jordanie la création d’un Etat palestinien sur ces territoires. Bien évidemment,
on se garde, également, de rappeler, le « triple non » du sommet arabe de
Khartoum, en 1967, à la proposition israélienne de restituer les territoires
placés sous l’autorité israélienne au terme de la Guerre de six jours.
Il n’est peut-être pas
inutile, d’ailleurs, de s’interroger sur la situation de ces fameux territoires
occupés.
Car, la méthode Coué n’ayant
pas cours en droit international, il ne suffit pas de répéter à l’envi que la
Cisjordanie et la bande de Gaza sont des « territoires occupés » par Israël pour
que cela soit exact et corresponde à la définition qu’en donne le droit
international.
Si l’on se réfère à un
ouvrage, certes relativement ancien, mais qui fait encore autorité en la matière
le Dictionnaire de la terminologie du droit international, qui fut publié
en 1960 sous la direction de l’ancien président de la Cour internationale de
Justice, le Professeur Jules Basdevant, l’occupation est un « terme employé
pour désigner la présence de forces militaires d’un Etat sur le territoire d’un
autre Etat, sans que ce territoire cesse de faire partie de celui-ci ».
Or, la Cisjordanie et la bande de Gaza (qui faisaient initialement parties de
l’empire ottoman avant la 1ère guerre mondiale) ne relevaient pas
régulièrement de la souveraineté d’un autre Etat, lorsque les troupes
israéliennes s’y sont installées, après la guerre de 6 jours. Certes, la
Transjordanie de l’époque avait, en 1949, après la guerre d’indépendance
d’Israël, prétendu annexer la Cisjordanie, pour se transformer en Jordanie.
Mais, seuls la Grande-Bretagne et le Pakistan avaient reconnu cette « annexion »
qui était manifestement contraire aux dispositions de la convention d’armistice
israélo-jordanienne de 1949. Celle-ci, conformément aux règles régissant la
portée d’un armistice, mesure provisoire de caractère militaire, ne pouvait
porter « préjudice quel qu’il soit, aux droits, revendications et prétentions de
l’une des parties » (art. 2-2). La Ligue arabe n’accepta, d’ailleurs, de
renoncer à exclure la Jordanie de ses rangs qu’après que cet Etat eut fait
savoir que « la partie arabe de la Palestine annexée par la Jordanie était en
dépôt entre ses mains, jusqu’à ce que la question de Palestine soit résolue
complètement dans l’intérêt de ses habitants ». L’Egypte, respectueuse sur ce
point du droit international n’entendit jamais annexer la bande de Gaza et se
borna à la placer sous son autorité.
Et, lorsqu’en juin 1967,
après avoir pris de vitesse l’Egypte, la Syrie et la Jordanie, Israël est
effectivement sorti des limites de la « ligne verte » déterminée par les accords
d’armistice, il pouvait prétendre agir dans le cadre d’une action de légitime
défense en plaçant, à son tour, sous son autorité d’une part, la Judée et la
Samarie que la Jordanie avait donc illégalement annexées et la bande de Gaza
administrée par l’Egypte, ces deux pays étant sur le point d’agresser l’Etat
d’Israël. Rappelons que l’Egypte avait, en mai 1967, non seulement décidé de
bloquer l’accès du détroit de Tiran (permettant d’accéder à Eilat), alors
qu’Israël avait prévenu que ce serait un « casus belli », le canal de Suez étant
déjà également interdit à la navigation à destination ou en provenance d’Israël,
mais, de plus, elle s’apprêtait à attaquer Israël. Quant aux Jordaniens, ils
tentèrent de profiter de ce qu’Israël était attaqué au sud, par l’Egypte et au
nord par la Syrie, pour s’engager dans le conflit, négligeant les conseils de
prudence que lui avaient pourtant prodigués les Israéliens, qui leur avaient
fait savoir qu’ils n’avaient nullement l’intention de s’en prendre à eux. Mais,
le roi Hussein espérait profiter de l’occasion pour s’emparer non seulement de
toute la ville de Jérusalem, dont il n’avait pris qu’une partie (la partie est),
sans pourtant d’ailleurs en faire sa capitale, mais également d’une partie ‑
peut-être même la totalité ‑ du territoire israélien.
Cette action était
d’ailleurs tout à fait conforme à la Charte des Nations Unies, qui reconnaît le
« droit naturel de légitime défense » (article 51) et qui ne condamne le recours
à la force que « de manière incompatible avec les buts des Nations Unies » (art.
2-4).
Certes, une action de
légitime défense n’autorise pas, par elle-même, à fonder la souveraineté d’un
Etat sur un territoire, mais aucun gouvernement israélien n’a jamais prétendu
annexer la totalité des territoires ainsi placés sous son autorité. C’est
précisément sur le sort définitif de ces territoires, jusqu’à présents placés
sous un régime relativement complexe d’autonomie, négocié avec l’O.L.P., que
devraient porter les futures négociations avec les Palestiniens.
Or, le débat sur la nature
juridique de la présence israélienne en Cisjordanie et à Gaza a une incidence au
regard de la IVe convention de Genève de 1949 relative à la protection des
personnes civiles en temps de guerre,
dont une partie est consacrée à la situation des populations civiles dans les
« territoires occupés ». Car, d’un strict point de vue juridique cette
convention n’est pas applicable dans ces deux zones, puisqu’il ne s’agit pas de
« territoires occupés », tels que les définit le droit international.
Mais ce débat ne présente
aucun intérêt pratique, les autorités israéliennes ayant toujours fait savoir
que si elles contestaient l’applicabilité formelle de la IVe convention, elles
entendaient bien en respecter l’esprit. C’est ainsi que si, dans certains cas,
les autorités israéliennes procèdent à des internements, des expulsions
individuelles ou encore des destructions d’immeubles ces mesures sont conformes
aux impératifs de sécurité que reconnaissent plusieurs dispositions de la
convention. L’article 64 autorise, notamment, la puissance occupante à prendre
des « dispositions qui sont indispensables » afin d’assurer, notamment, « la
sécurité de la Puissance occupante, soit des membres et des biens des forces ou
de l’administration d’occupation, ainsi que des établissements et des lignes de
communications utilisés par elle ». Il est curieux qu’on n’ait jamais relevé que
selon l’article 68 de cette même convention, les autorités israéliennes seraient
en droit ‑ dans certaines circonstances ‑ d’appliquer la peine de mort ‑ ce
qu’elles n’ont d’ailleurs jamais eu l’intention de faire.
L’argument relatif au refus
d’Israël de reconnaître le droit au retour des réfugiés palestiniens est tout
aussi fallacieux. Car on omet d’évoquer à la fois l’exode tout aussi massif des
juifs des Etats arabes (Irak, Syrie, Egypte) et surtout le refus des Etats
arabes d’intégrer les réfugiés palestiniens sur leur territoire, comme l’ont
fait, respectivement, les Indiens, les Pakistanais et les Allemands. Cette
intégration aurait dû être d’autant plus facile que bon nombre d’habitants
arabes de la Palestine étaient venus des Etats voisins (Liban, Syrie, notamment)
s’établir dans le territoire sous mandat, attirés par le dynamisme économique
qui animait ce territoire, sous les efforts conjugués de la puissance mandataire
et des immigrants juifs.
Et lorsqu’on s’interroge sur
les chances d’une paix véritable, à moyen terme, sinon à court terme ‑ les
actions terroristes conduisant Israël à mettre l’accent sur les impératifs de
sécurité ‑, il semble qu’en mettant l’accent sur un conflit israélo-palestinien
on omette volontairement la dimension israélo-arabe de ce conflit (sans le
soutien de certains Etats arabes, le terrorisme palestinien ne pourrait
perdurer). Car, on est en droit de se demander si le véritable obstacle à
l’établissement de la paix au Moyen-Orient, avec la reconnaissance de la
légitimité de l’existence de l’Etat d’Israël, ne réside dans le fait que la
contrepartie tout aussi légitime de cette existence devrait être la
reconnaissance d’un Etat palestinien par les Etats arabes. Or, c’est là que « le
bât blesse ». En effet, les Etats arabes ne sont pas prêts à admettre un nouvel
Etat arabe, construit sur le modèle d’Israël, c’est à dire un Etat véritablement
démocratique, où, notamment, les femmes seraient acceptées à part entière… Comme
il leur est difficile de le dire, il leur est plus facile de faire en sorte que
le conflit israélo-palestinien se poursuive, éloignant ainsi l’avènement d’un
Etat palestinien, qui déstabiliserait le monde arabe (au même titre que les
revendications nées en Hongrie, en Tchécoslovaquie et finalement en Pologne
menaçaient, autrefois, le modèle soviétique, d’où les réactions de Moscou).
* * *
NOTES
Copyright : © 2003 David Ruzié. Tous droits réservés. Impression
et citations : Seule la version
au format PDF fait référence.
Mode
officiel de citation :
RUZIÉ David. - « 56 ans plus
tard - Un autre point de vue sur le conflit israélo-arabe ». - Actualité et Droit
International, novembre 2003. [http://www.ridi.org/adi].
|
|