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LES ACTIONS ENTREPRISES A L'EGARD
DES RESSORTISSANTS FRANÇAIS
DETENUS A GUANTANAMO BAY
 

par

Nabil Benbekhti

Assistant juridique au Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés

 

 

Résumé : Les initiatives diplomatiques et judiciaires concernant les ressortissants français détenus sur la base navale américaine de Guantanamo demeurent à ce jour infructueuses. Alors que les autorités françaises cherchent à obtenir la garantie que ces ressortissants recevront un traitement judiciaire conforme aux principes applicables en la matière, les avocats de certains d'entre eux veulent obtenir leur libération pure et simple. Ils considèrent en effet que la détention sur la base navale de Guantanamo est arbitraire et constitue donc une violation grave des libertés individuelles.

 

Abstract : The diplomatic and judicial initiatives concerning the French nationals currently detained on the american navy base of Guantanamo have remained unsuccessful to date. While the French authorities are seeking guarantees that these nationals will receive a judicial treatment compliant with the applicable principles, the lawyers of some of them want to obtain their release from detention. Indeed, they consider that such detention is arbitrary and therefore constitutes a serious violation of civil liberties.

 

Notes importantes : Les vues exprimées ici sont personnelles à leur auteur et ne constituent donc pas des positions officielles des Nations Unies. Cet article a été rédigé en janvier 2003 et réactualisé en février 2004 avant d’être publié.

 

Impression et citations : Seule la version au format PDF fait référence.

 

 

Voici plus de deux ans que les Etats Unis ont transféré sur leur base militaire de Guantanamo Bay, à Cuba, près de 150 personnes capturées en Afghanistan à l'occasion de l'opération « Liberté Immuable ». Le nombre de détenus se monte aujourd'hui à environ 625[1]. Après une première période d'incertitude, les autorités américaines ont clarifié leur position concernant le statut juridique des personnes détenues et leur traitement judiciaire.

 

Ainsi, sans entrer dans les détails, il convient d'indiquer que ces personnes sont actuellement détenues sur la base du President's Military Order du 13 novembre 2001[2]. D’après ce texte, c’est le président des Etats-Unis lui-même qui détermine souverainement quels individus suspectés d’être membres d’Al-Qaeda peuvent être capturés et transférés à Guantanamo. Le 7 février 2002, les autorités américaines ont précisé qu’il y avait deux catégories de détenus : les Talibans ‑ membres des anciennes forces armées Afghanes ‑ et les terroristes d’Al-Qaeda. Elles ont également annoncé que, bien que n'étant pas des prisonniers de guerre, les combattants du régime taliban pourront bénéficier de certaines des dispositions de la Troisième Convention de Genève de 1949 sur le traitement des prisonniers de guerre. En revanche, les membres d'Al-Qaeda ne sont à leurs yeux ni des prisonniers de guerre, ni des personnes susceptibles de bénéficier de ladite Convention. En effet, pour les Etats-Unis, Al-Qaeda est un groupe terroriste étranger dont les membres sont des « combattants ennemis ». En outre, le 21 mars 2002, le Département américain de la Défense a adopté le Military Commission Order No. 1[3] prévoyant la mise en place de commissions militaires chargées de juger non seulement les membres d'Al-Qaeda, mais aussi toutes les personnes impliquées dans des actes de terrorisme international contre les Etats-Unis ainsi que les personnes protégeant sciemment ces terroristes[4].

 

Malgré les précisions apportées par les autorités américaines sur le statut juridique des prisonniers de Guantanamo, les commentateurs juridiques et les praticiens du droit commencent à s'interroger sur les bases légales de cette état de fait et sur ses conséquences[5]. La situation est d'autant plus troublante que parmi ces prisonniers se trouvent un certain nombre de ressortissants français, dont le sort reste incertain. L'objet de cet article est de faire un bilan des actions politiques, diplomatiques et juridiques entreprises par les autorités politiques françaises, ainsi que par d’autres parties intéressées, à l'égard de ces nationaux capturés à l'étranger et détenus sur une base américaine par l'armée des Etats-Unis.

 

 

I. – LES DEMARCHES POLITIQUES ET DIPLOMATIQUES DES AUTORITES FRANCAISES

 

 

Avant de prendre position sur le statut juridique et le traitement physique et judiciaire des prisonniers français, les autorités françaises ont dû confirmer la présence de ces derniers sur la base américaine de Guantanamo.

 

 

A. - L'identification et le statut juridique des ressortissants français

 

 

Dès le mois de janvier 2002, une mission conduite par le Ministère français des Affaires étrangères s'est rendue aux Etats-Unis, puis à Cuba, pour vérifier la nationalité des personnes se déclarant comme françaises[6]. Au terme de cette première mission, le Ministère des Affaires étrangères a officiellement confirmé, le 30 janvier de cette même année, la présence de deux français. Suite à un nouveau transfert de prisonniers par les autorités américaines, le Ministère des Affaires étrangères a conduit une deuxième mission au mois de mars 2002[7]. Cette dernière mission a permis de confirmer la présence de quatre autres ressortissants français. Il faut remarquer le caractère ad hoc de cette procédure dans la mesure où la mission d'identification n'a pas été confiée à la représentation diplomatique française aux Etats-Unis. Enfin, une troisième mission s'est rendue à Guantanamo en janvier 2004 et a permis d'identifier un septième ressortissant français[8].

 

Les missions avaient un mandat très strict se limitant à la confirmation de la présence de Français à Guantanamo. Elles n'avaient pour objectif ni de déterminer le statut juridique des prisonniers, ni d'obtenir des autorités américaines des éclaircissements quant aux faits qui leur sont reprochés. A aucun moment la France ne s'est donc prononcée sur le statut juridique de ses ressortissants, alors que cette question détermine les obligations des Etats-Unis à leur égard. Les autorités françaises se limitent à déclarer que « quel que soit leur statut et quelle que soit leur nationalité, nous souhaitons que les prisonniers détenus à Guantanamo bénéficient de toutes les garanties reconnues par le droit international »[9]. Cette ligne diplomatique ne changera pas[10].

 

Quelles sont ces garanties internationales ? Sont-elles actuellement respectées par les Etats-Unis ? La France ne le dit pas.

 

Certes, les Etats-Unis ont reconnu l'applicabilité de la Troisième Convention de Genève aux opérations militaires contre l'Afghanistan. Cependant, ni les anciens membres des forces armées talibanes ni les membres d'Al-Qaeda ne sont considérés comme des prisonniers de guerre[11]. Or, cette détermination a été faite par l'exécutif américain et non, comme le veut l'article 5 de la Troisième Convention de Genève par « un tribunal compétent ». Le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) s'est quant à lui rendu à Guantanamo en janvier 2002 et a déclaré que le statut juridique de chacun des détenus devait être précisé individuellement. Le CICR admet qu'il existe un différend entre lui et les Etats Unis quant aux procédures à appliquer pour déterminer que les personnes détenues n'ont pas droit au statut de prisonnier de guerre. En effet, conformément aux articles 4 et 5 de la Troisième Convention de Genève[12], faute de détermination contraire, les détenus doivent bénéficier de ce statut.

 

 

B. - La position de la France quant au traitement et au sort de ses ressortissants

 

 

Là encore, la France a adopté une attitude minimaliste. Les trois missions conduites par le Ministère français des Affaires étrangères n'avaient pas pour objectif d'examiner les conditions de détention[13]. Même si la France souhaite que les détenus bénéficient de toutes les garanties internationales, les autorités françaises estiment que c'est au CICR d'indiquer si les conditions de détentions sont conformes aux Conventions de Genève[14].

 

Le CICR a, pour sa part, conclu avec les autorités américaines un accord lui permettant de rendre visite aux détenus et de s'assurer qu'ils sont traités avec humanité. Par ailleurs, les autorités américaines ont indiqué que les détenus de Guantanamo pourront jouir de certains des « privilèges » accordés aux prisonniers de guerre. Les indications des autorités américaines montrent que se sont surtout les « privilèges » relatifs au traitement physique des prisonniers qui seront octroyés. Les conclusions du CICR sont cependant confidentielles, conformément à sa pratique, afin de ne pas compromettre son accès aux prisonniers.

 

Le dispositif judiciaire applicable aux détenus de Guantanamo a été prévu dès novembre 2001 par le President’s Military Order. Ce texte prévoit que les personnes ainsi détenues devront être déférées devant des commissions militaires. Le 21 mars 2002, le Département de la Défense adoptait le Military Commission Order No. 1 mettant en place les commissions militaires prévues par le President’s Military Order. Ce sont clairement des tribunaux d'exception qui ont été mis en place par les Etats-Unis et devant lesquels pourront être déférés les français détenus à Guantanamo.

 

La France a là aussi exprimé sa position assez tôt. Le Ministre des Affaires étrangères a ainsi déclaré, le 30 janvier 2002, qu'il serait préférable que les français soient jugés en France[15]. Cette préférence s'est muée en opposition, la France déclarant nettement qu'elle s'opposait au jugement des Français par des tribunaux américains[16]. La condition sine qua non d'un jugement reste cependant une mise en accusation par des tribunaux français, permettant de formuler une demande d'extradition auprès des Etats-Unis. C'est ce que confirment les autorités françaises lorsqu'elles déclarent qu'un « jugement effectif en France suppose une initiative en ce sens de l'autorité judiciaire »[17].

 

Cette ultime déclaration montre que malgré les nombreuses imperfections juridiques qui entachent les actions américaines dans cette affaire, les autorités françaises souhaitent traiter cette situation d'un point de vue strictement judiciaire. Il reste à voir si cette approche est la plus à même d'assurer un traitement équitable aux ressortissants français.

 

 

II. – LES PROCEDURES JUDICIAIRES

 

 

Parallèlement aux démarches diplomatiques, un certain nombre de procédures judiciaires ont été engagées ‑ ou sont susceptibles d’être engagées ‑, que ce soit par ou contre les détenus de Guantanamo Bay. Aux Etats Unis, les détenus sont passibles des commissions militaires mises en place par le Département de la Défense. Il faut aussi mentionner les procédures entamées devant les juridictions américaines par un petit groupe de détenus et qui éclairent sur la situation juridique de tous. Enfin, il conviendra d’examiner les actions judiciaires et les autres initiatives engagées en France.

 

 

A. – Les procédures engagées aux Etats-Unis

 

 

Alors qu’il a fallut attendre février 2004 pour que les deux premiers prisonniers détenus à Guantanamo Bay soient enfin formellement inculpés devant les commissions militaires[18], il convient de s’attarder quelque peu sur les traits les plus saillants de cette institution. Ainsi, le Military Commission Order No. 1 prévoit que les commissions militaires seront compétentes pour juger ‑ notamment ‑ des violations des lois de la guerre et des actes de terrorisme international commis à l’encontre des Etats-Unis[19]. Les membres de ces commissions militaires seront désignés par le Secrétaire d’Etat à la Défense ou par une autorité nommée par lui. Ces membres devront tous appartenir aux forces armées américaines[20]. Les accusés se verront offrir d’office les services d’un avocat militaire, également membre des forces armées américaines. Ils pourront néanmoins choisir un avocat civil supplémentaire, qu’ils devront sélectionner parmi une liste d’avocats habilités à plaider devant les commissions militaires. Les avocats civils n’auront cependant pas nécessairement accès aux éléments de preuve classifiés ou aux sessions des commissions tenues à huis clos[21]. La procédure, quant à elle, est à deux degrés. La deuxième instance, le Review Panel, dont les membres sont désignés de la même façon que ceux des commissions militaires, est chargé de détecter les erreurs de droit que pourraient commettre les commissions militaires[22].

 

C’est le président des Etats-Unis ‑ ou le secrétaire d’Etat à la Défense si le président l’a ainsi décidé ‑ qui revoit et approuve en dernière instance les décisions des commissions militaires. Il peut commuer une condamnation en acquittement, mais pas l’inverse. Il peut également décider de condamner un détenu pour une infraction moins grave que celle retenue par la commission militaire. Il peut enfin atténuer, commuer, différer ou suspendre tout ou partie de la peine infligée au condamné[23]. En ce qui concerne les peines, il est inquiétant ‑ et contraire aux principes du droit pénal ‑ de noter qu’aucune peine précise n’est attachée aux différentes infractions pour lesquelles les commissions militaires sont compétentes. Aucun minima n’est fixé, les condamnés sont passibles de la peine de mort, de la réclusion criminelle à perpétuité ou de toute autre sanction que les commissions estiment appropriées[24].

 

Ce bref examen du dispositif des commissions militaires révèlent que l’indépendance du mécanisme n’est pas complètement garantie. De plus, le principe de légalité des délits et des peines est pour sa part sérieusement mis à mal tant les crimes et les peines sont définis de manière large. Il n’est donc pas du tout évident que ceux des détenus qui seront déférés devant les commissions militaires bénéficient avec cette procédure d’un procès juste et équitable. De plus, lors d’une conférence de presse tenue au Pentagone le 21 mars 2002[25], il a été clairement indiqué que les personnes jugées par les commissions militaires, mais contre lesquelles aucune condamnation ne sera prononcée, ne seront pas nécessairement remises en liberté. Quant aux personnes qui ne seront pas traduites devant les commissions militaires, elles ne seront pas non plus nécessairement remises en liberté.

 

Lors d’une procédure initiée cette fois par un groupe de détenus visant à leur libération pour cause de détention arbitraire, la Cour du District de Columbia s’est déclarée incompétente car, d’après elle, la base américaine de Guantanamo ne fait pas partie du territoire américain. Ainsi, bien que les forces armées américaines soient présentes à Guantanamo en vertu d’un traité de cession à bail qui donne aux Etats-Unis juridiction et contrôle total sur la portion de territoire dans laquelle se situe la base[26], la Cour de District de Columbia a décidé que ce territoire n’était pas sous souveraineté américaine. Dès lors, les demandeurs ne relèvent pas de la compétence des cours américaines. La Cour a néanmoins indiqué que l’absence de compétence ratione loci ne signifie pas absence de droits pour les détenus de Guantanamo. Ainsi, dans une formulation approximative, la Cour précise que « [...] this opinion [...] should not be read as stating that these aliens do not have some form of rights under international law »[27]. C’est seulement la sanction du non respect de ces droits qui ne relève pas, d’après la Cour, des juridictions américaines[28]. Cette décision a été confirmée en appel, les juges considérant que c'est Cuba et non les Etats Unis qui exerce la souveraineté sur Guantanamo Bay[29]. L'affaire a été portée devant la Cour Suprême, qui doit maintenant définitivement déterminer si les juridictions nationales américaines ont ou non compétence pour se prononcer sur le cas des détenus de Guantanamo[30].

 

Les Français détenus à Guantanamo peuvent donc considérer que les voies de droit disponibles aux Etats-Unis sont, pour l'instant, au mieux des impasses, au pire des mécanismes dont l’indépendance et l’effectivité peuvent légitimement être questionnées. Trouveront-ils en France des procédures judiciaires plus à même de les éclairer sur leur sort ?

 

 

B. – Les procédures engagées en France

 

 

Seuls deux des sept détenus Français de Guantanamo ont pour l’instant initié des procédures judiciaires en France. La première, qui s’est soldée par un échec, visait à leur faire reconnaître le statut de prisonnier de guerre. En effet, bien que les autorités américaines aient déclaré détenir à Guantanamo deux catégories de personnes, les Talibans qu’ils considèrent comme des membres d’une armée régulière ennemie et les membres d’Al Qaeda qui sont des combattants ennemis ‑ notion sui generis ‑, il est pour l’instant encore difficile de savoir qui est détenu à quel titre. Pour autant, le 31 octobre 2002, le tribunal de Paris s’est déclaré incompétent pour octroyer le statut de prisonnier de guerre à deux des Français de Guantanamo. Pour le tribunal, c’est aux autorités américaines de faire cette détermination, les détenus Français se trouvant sous leur juridiction[31]. Ainsi le lien de nationalité ne suffit pas en l’espèce pour rendre les tribunaux français compétents.

 

La deuxième procédure initiée en France par les représentants de ces deux détenus de Guantanamo est un plainte contre X déposée à Lyon le 14 novembre 2002 pour détention illégale, enlèvement, séquestration et atteinte aux libertés[32]. Cette plainte s'est cependant heurtée à une ordonnance de refus d'informer le 14 février 2003, confirmée en appel le 20 mai 2003. Cette procédure est en outre compliquée par le fait que le défendeur à cette action est nécessairement le gouvernement américain en la personne de son Président. A ce titre, les chances de succès de cette demande étaient quelque peu limitées du fait de l’immunité de juridiction dont jouissent les Etats et les chefs d’Etat étrangers devant les juridictions françaises[33].

 

La troisième procédure judiciaire est une information judiciaire ouverte en novembre 2002 par la section antiterroriste du parquet de Paris à l’encontre des six détenus français ‑ à l’époque ‑ de Guantanamo[34]. Paradoxalement, c’est peut-être la seule procédure qui permettra le retour en France des détenus Français. En effet, si la France a évoqué à plusieurs reprises son souhait de voir ses ressortissants jugés en France, les autorités américaines ont pour leur part indiqué qu’elles étaient prêtes à extrader certains prisonniers à condition qu’ils soient jugés dans leurs pays d’origine[35]. Cette solution permettrait au moins un jugement par des tribunaux français de droit commun qui pourront ainsi déterminer ‑ nous l’espérons plus sereinement ‑ si les Français détenus à Guantanamo ont commis des actes criminels. Cependant, faute de pouvoir accéder aux prisonniers et surtout en l'absence de volonté de coopération des autorités américaines qui jusqu'à présent n'ont pas répondu aux demandes d'information du gouvernement français, cette procédure n'a que très peu progressé[36].

 

Il convient également de signaler que le 12 décembre 2002 le Bâtonnier de Paris, M. Paul-Albert Iweins, a indiqué qu'il se commettait d'office pour trois des détenus français de Guantanamo[37]. A ce titre, il a demandé aux autorités américaines de pouvoir rendre visite aux détenus, demande qui est pour l'instant restée sans suite[38]. Cette initiative montre ainsi l'inquiétude que suscite chez les avocats français la situation juridique exceptionnelle qui prévaut à Guantanamo. Le Bâtonnier a aussi mobilisé de nombreux barreaux étrangers, les incitant à initier des actions judiciaires similaires à celles introduites en France. Enfin, le Bâtonnier a également décidé de saisir de cette question le Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations Unies. Ce dernier a formulé un avis en mai 2003, dans lequel il considère la détention de trois français et d'un espagnol comme arbitraire et contraire aux articles 9 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Pacte International sur les Droits Civils et Politiques[39].

 

 

CONCLUSION

 

 

Il apparaît donc qu’en l’état actuel des choses les détenus de Guantanamo ont peu de chance de voir aboutir rapidement aux Etats-Unis une procédure judiciaire visant à contester le traitement qui leur est infligé et à faire tomber la qualité de « combattants ennemis » qui leur a été conférée. Or à ce jour, après plus de deux ans de détention, leur implication dans des actes de guerre ou de terrorisme n’est pas encore été établie de manière formelle. S’agissant des procédures judiciaires en France, nous avons vu que si la première s’est soldée par un échec, celle visant à faire libérer les détenus semble tout aussi vaine. Enfin, la conduite de l’information judiciaire ouverte en France par la section antiterroriste bute sur les difficultés d’accès aux détenus, les impératifs de sécurité américains et le manque de coopération des autorités américaines. De plus, les institutions onusiennes de protection des droits de l'homme qui ont été saisies jusqu'à présent ‑ le groupe de travail sur la détention arbitraire et le rapporteur spécial de l'ONU sur la torture[40] ‑ ne sont malheureusement pas des instances juridictionnelles de nature à pouvoir obliger les Etats-Unis à changer leur approche.

 

Face à l’ineffectivité des recours judiciaires, les démarches diplomatiques des autorités politiques françaises sont donc essentielles pour obtenir des Etats-Unis qu’ils adoptent une logique judiciaire dans leur traitement des prisonniers de Guantanamo Bay et qu'ils les traitent de façon conforme au droit international. C’était d’ailleurs tout le sens des demandes de clarification que le Ministre français de la Justice a faites à son homologue américain en novembre 2002 et en mai 2003[41]. Cependant, force est de constater que l'approche diplomatique n'a, elle non plus, pour l'instant rien donné

 

La situation qui prévaut à Guantanamo est certainement unique en son genre dans la mesure où, en réponse aux actes terroristes du 11 septembre 2001, les autorités américaines ont adopté une logique qui n’est pas tout à fait une logique de guerre, ni une logique policière et judiciaire classique. Du point de vue du droit, cette démarche sui generis porte sérieusement atteinte aux garanties juridiques dont doivent bénéficier les individus mis en cause à un titre ou à un autre. Cette approche qui se situe en dehors des concepts juridiques existants est d’autant plus problématique que les autorités américaines ont à maintes reprises déclaré que la « guerre contre le terrorisme » n’avait aucun terme précis et risquait donc de durer longtemps. Ainsi, quel que soit le sort final des détenus français de Guantanamo, nous pouvons d’ores et déjà affirmer, à l'instar de la Cour d'appel de Londres dans une affaire concernant un ressortissant anglais[42], que les autorités américaines ont violé de nombreuses règles de droit international, notamment celles qui interdisent à un Etat de droit de maintenir en détention des individus pendant plus de deux ans sans les déférer devant un tribunal pour déterminer leur culpabilité ou les laisser consulter un avocat.

 

 

* * *

 


NOTES

 

[1] Communiqué de presse de la Base navale de Guantanamo du 28 octobre 2002.

[2] Military Order of November 13, 2001, Detention, Treatment, and Trial of Certain Non-Citizen in the War Against Terrorism, 66 FR 57833 (November 16, 2001). Secrétariat d'Etat à la Défense <www.defenselink.mil>.

[3] Military Commission Order No. 1, Procedures for Trials by Military Commissions of Certain Non-United States Citizens in the War Against Terrorism, March, 21 2002. Secrétariat d'Etat à la Défense <www.defenselink.mil>.

[4] Fact Sheet du Département américain de la défense, 21 mars 2002.

[5] Voir notamment Philippe WECKEL, « Le Statut incertain des détenus sur la base américaine de Guantanamo », RGDIP, 2002-2 ; Sarah PELLET, « De la raison du plus fort ou comment les Etats-Unis ont (ré)inventé le droit international et leur droit constitutionnel », Actualité et Droit International, juin 2002 <http://www.ridi.org/adi>. Cf. également les déclarations et les décisions de l’ordre des avocats de Paris, in Le Monde, 12 décembre 2002.

[6] La mission s'est rendue à Guantanamo du 26 au 29 janvier 2002. Cf. déclaration du porte-parole du Quai d'Orsay, 30 janvier 2002. Les déclaration du porte-parole et les points de presse du Quai d’Orsay sont disponibles dans la rubrique « Actualités » du site du Ministère français des Affaires étrangères <http://www.france.diplomatie.fr>.

[7] La deuxième mission s'est déroulée du 26 au 31 mars 2002. Cf. point de presse du Quai d'Orsay, 2 Avril 2002.

[8] Cette dernière mission a visité Guantanamo du 19 au 24 janvier 2004. Cf. point de presse du Quai d'Orsay, 20 février 2004.

[9] Réponses du porte-parole du Quai d'Orsay aux questions du point de presse, 31 octobre 2002.

[10] Cf. point de presse du Quai d'Orsay du 20 février 2004.

[11] Cf. service de presse de la Maison Blanche, Fact Sheet on the Status of Detainees at Guantanamo, 7 février 2002.

[12] Communiqué de presse du CICR, 9 février 2002.

[13] Points de presse du Quai d'Orsay du 5 février 2002 et du 26 mars 2002.

[14] Point de presse du Quai d'Orsay du 5 février 2002.

[15] Déclaration faite sur France-Info le 30 janvier 2002.

[16] Point de presse du Quai d'Orsay, 26 mars 2002.

[17] Point de presse du Quai d'Orsay, 26 mars 2002.

[18] Il s'agit d'un Soudanais et d'un Yéménite. Cf. Secrétariat d'Etat à la Défense <www.defenselink.mil>.

[19] Cf. Section 4 du President’s Military Order, qui précise que les actes de terrorisme sont ceux qui cause un préjudice aux Etats Unis, à leurs ressortissants, leur économie, leur politique étrangère, ou leur sécurité nationale. Cf. également Section 3 du Military Commission Order No. 1, Fact Sheet du Département de la défense, 21 mars 2002.

[20] Section 2 et 4 du Military Commission Order No. 1.

[21] Section 4 (C), ibidem.

[22] Section 6 (H), Para. 4, ibidem.

[23] Section 6 (H), Para. 6, ibidem.

[24] Section 6 (G), ibidem.

[25] Cf. Secrétariat d'Etat à la Défense; <www.defenselink.mil>.

[26] Le Traité du 23 février 1903 entre les Etats Unis et Cuba prévoit en effet que « (...) the United States shall exercise complete jurisdiction and control over and within said areas... ». Cf. texte du traité sur <www.yale.edu/lawweb/avalon/amerdipl.htm>.

[27] C’est nous qui soulignons. « […] cette opinion […] ne doit pas amener à considérer que ces étrangers ne bénéficient pas de certains droits en droit international ». Traduction de l’auteur.

[28] Rasul et autres c/ Bush et Odah et autres c/ Etats Unis, 31 juillet 2002. 

[29] International Herald Tribune, 13 mars 2003.

[30] International Herald Tribune, 13 novembre 2003.

[31] Le Monde, 2 novembre 2002.

[32] Le Monde, 19 novembre 2002.

[33] A l'occasion d’une action pénale intentée à l'encontre du chef de l’Etat Libyen, la Cour de cassation avait déjà eu l'occasion de rappeler que « la coutume internationale s'oppose à ce que les chefs d'Etat en exercice puissent […] faire l'objet de poursuites devant les juridictions pénales d'un Etat étranger ». Arrêt n° 1414 du 13 mars 2001 de la Chambre criminelle de la Cour de cassation <http://www.courdecassation.fr/agenda/arrets/arrets/00-87215.htm>.

[34] Le Monde, 19 novembre 2002.

[35] Voir conférence de presse du Département de la défense, 21 mars 2002.

[36] Le Monde, 21 et 22 mai 2003. Points de presse du Quai d'Orsay du 7 novembre 2003 et du 20 février 2004.

[37] Communiqué de presse de l’ordre des Avocats à la Cour de Paris, 12 décembre 2002. Disponible sur <www.avocatparis.org>. 

[38] Information obtenue lors d'une discussion avec le service des relations internationales de l'Ordre des Avocats à la Cour de Paris.

[39] Avis No. 5/2003 du Groupe de Travail sur la détention arbitraire de l'ONU, E/CN.4/2004/3/Add.1 (disponible sur <www.unhchr.ch>). Cf. aussi communiqué de presse de l'Ordre des Avocats à la Cour de Paris du 4 juin 2003, disponible sur <www.avocatparis.org>.

[40] Ce dernier a été saisi le 6 octobre 2003 par les avocats de quatre des détenus français de Guantanamo. Cf. Le Monde, 15 octobre 2003.

[41] Le Monde, 19 novembre 2002 et 22 mai 2003.

[42] Abbasi and another v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs & Secretary of State for Home Department, Court of Appeal, 6th November 2002 <http://www.courtservice.gov.uk/judgmentsfiles/j1354/abassi_judgment.htm>. Cf. notamment Para. 107  : "We have made clear our deep concern that, in apparent contravention of fundamental principles of law, Mr Abbasi may be subject to indefinite detention in territory over which the United Sates has exclusive control with no opportunity to challenge the legitimacy of his detention before any court or tribunal" (« Nous avons exprimé clairement notre profonde inquiétude à l'égard du fait que, en contradiction évidente avec les principes fondamentaux du droit international, M. Abbasi puisse faire l'objet d'une détention illimitée dans un territoire sur lequel les Etats-Unis exercent un contrôle exclusif, sans qu'il ait la possibilité de contester la légalité de sa détention devant une cour ou un tribunal ». Traduction de l’auteur).

 


 

Copyright : © 2003 2004 Nabil Benbekhti. Tous droits réservés.

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Mode officiel de citation :

BENBEKHTI Nabil. - « Les actions entreprises à l’égard des ressortissants français détenus à Guantanamo Bay ». - Actualité et Droit International, mars 2004. <http://www.ridi.org/adi>.

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