LES
ACTIONS ENTREPRISES A L'EGARD
DES RESSORTISSANTS FRANÇAIS
DETENUS A GUANTANAMO BAY
par
Nabil Benbekhti
Assistant juridique au Haut
Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés
Résumé :
Les initiatives
diplomatiques et judiciaires concernant les ressortissants français détenus sur
la base navale américaine de Guantanamo demeurent à ce jour infructueuses. Alors
que les autorités françaises cherchent à obtenir la garantie que ces
ressortissants recevront un traitement judiciaire conforme aux principes
applicables en la matière, les avocats de certains d'entre eux veulent obtenir
leur libération pure et simple. Ils considèrent en effet que la détention sur la
base navale de Guantanamo est arbitraire et constitue donc une violation grave
des libertés individuelles.
Abstract :
The diplomatic
and judicial initiatives concerning the French nationals currently detained on
the american navy base of Guantanamo have remained unsuccessful to date. While
the French authorities are seeking guarantees that these nationals will receive
a judicial treatment compliant with the applicable principles, the lawyers of
some of them want to obtain their release from detention. Indeed, they consider
that such detention is arbitrary and therefore constitutes a serious violation
of civil liberties.
Notes importantes :
Les vues exprimées ici sont personnelles à leur auteur et ne constituent donc
pas des positions officielles des Nations Unies. Cet article a été rédigé en
janvier 2003 et réactualisé en février 2004 avant d’être publié.
Impression
et citations : Seule la version
au format PDF fait référence.
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Voici plus de deux ans que les
Etats Unis ont transféré sur leur base militaire de Guantanamo Bay, à Cuba, près
de 150 personnes capturées en Afghanistan à l'occasion de l'opération « Liberté
Immuable ». Le nombre de détenus se monte aujourd'hui à environ 625.
Après une première période d'incertitude, les autorités américaines ont clarifié
leur position concernant le statut juridique des personnes détenues et leur
traitement judiciaire.
Ainsi, sans entrer dans les
détails, il convient d'indiquer que ces personnes sont actuellement détenues sur
la base du President's Military Order du 13 novembre 2001.
D’après ce texte, c’est le président des Etats-Unis lui-même qui
détermine souverainement quels individus suspectés d’être membres d’Al-Qaeda
peuvent être capturés et transférés à Guantanamo. Le 7 février 2002, les
autorités américaines ont précisé qu’il y avait deux catégories de détenus : les
Talibans ‑ membres des anciennes forces armées Afghanes ‑ et les terroristes d’Al-Qaeda.
Elles ont également annoncé que, bien que n'étant pas des prisonniers de guerre,
les combattants du régime taliban pourront bénéficier de certaines des
dispositions de la Troisième Convention de Genève de 1949 sur le traitement des
prisonniers de guerre. En revanche, les membres d'Al-Qaeda ne sont à leurs yeux
ni des prisonniers de guerre, ni des personnes susceptibles de bénéficier de
ladite Convention. En effet, pour les Etats-Unis, Al-Qaeda est un groupe
terroriste étranger dont les membres sont des « combattants ennemis ». En outre,
le 21 mars 2002, le Département américain de la Défense a adopté le Military
Commission Order No. 1
prévoyant la mise en place de commissions militaires chargées de juger non
seulement les membres d'Al-Qaeda, mais aussi toutes les personnes impliquées
dans des actes de terrorisme international contre les Etats-Unis ainsi que les
personnes protégeant sciemment ces terroristes.
Malgré les précisions apportées
par les autorités américaines sur le statut juridique des prisonniers de
Guantanamo, les commentateurs juridiques et les praticiens du droit commencent à
s'interroger sur les bases légales de cette état de fait et sur ses conséquences.
La situation est d'autant plus troublante que parmi ces prisonniers se trouvent
un certain nombre de ressortissants français, dont le sort reste incertain.
L'objet de cet article est de faire un bilan des actions politiques,
diplomatiques et juridiques entreprises par les autorités politiques françaises,
ainsi que par d’autres parties intéressées, à l'égard de ces nationaux capturés
à l'étranger et détenus sur une base américaine par l'armée des Etats-Unis.
I. –
LES DEMARCHES POLITIQUES ET DIPLOMATIQUES DES AUTORITES FRANCAISES
Avant de prendre position sur le
statut juridique et le traitement physique et judiciaire des prisonniers
français, les autorités françaises ont dû confirmer la présence de ces derniers
sur la base américaine de Guantanamo.
A. - L'identification
et le statut juridique des ressortissants français
Dès le mois de janvier 2002, une
mission conduite par le Ministère français des Affaires étrangères s'est rendue
aux Etats-Unis, puis à Cuba, pour vérifier la nationalité des personnes se
déclarant comme françaises.
Au terme de cette première mission, le Ministère des Affaires étrangères a
officiellement confirmé, le 30 janvier de cette même année, la présence de deux
français. Suite à un nouveau transfert de prisonniers par les autorités
américaines, le Ministère des Affaires étrangères a conduit une deuxième mission
au mois de mars 2002.
Cette dernière mission a permis de confirmer la présence de quatre autres
ressortissants français. Il faut remarquer le caractère ad hoc de cette
procédure dans la mesure où la mission d'identification n'a pas été confiée à la
représentation diplomatique française aux Etats-Unis. Enfin, une troisième
mission s'est rendue à Guantanamo en janvier 2004 et a permis d'identifier un
septième ressortissant français.
Les missions avaient un mandat
très strict se limitant à la confirmation de la présence de Français à
Guantanamo. Elles n'avaient pour objectif ni de déterminer le statut juridique
des prisonniers, ni d'obtenir des autorités américaines des éclaircissements
quant aux faits qui leur sont reprochés. A aucun moment la France ne s'est donc
prononcée sur le statut juridique de ses ressortissants, alors que cette
question détermine les obligations des Etats-Unis à leur égard. Les autorités
françaises se limitent à déclarer que « quel que soit leur statut et quelle
que soit leur nationalité, nous souhaitons que les prisonniers détenus à
Guantanamo bénéficient de toutes les garanties reconnues par le droit
international ».
Cette ligne diplomatique ne changera pas.
Quelles sont ces garanties
internationales ? Sont-elles actuellement respectées par les Etats-Unis ? La
France ne le dit pas.
Certes, les Etats-Unis ont
reconnu l'applicabilité de la Troisième Convention de Genève aux opérations
militaires contre l'Afghanistan. Cependant, ni les anciens membres des forces
armées talibanes ni les membres d'Al-Qaeda ne sont considérés comme des
prisonniers de guerre.
Or, cette détermination a été faite par l'exécutif américain et non, comme le
veut l'article 5 de la Troisième Convention de Genève par « un tribunal
compétent ». Le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) s'est quant à lui
rendu à Guantanamo en janvier 2002 et a déclaré que le statut juridique de
chacun des détenus devait être précisé individuellement. Le CICR admet qu'il
existe un différend entre lui et les Etats Unis quant aux procédures à appliquer
pour déterminer que les personnes détenues n'ont pas droit au statut de
prisonnier de guerre. En effet, conformément aux articles 4 et 5 de la Troisième
Convention de Genève,
faute de détermination contraire, les détenus doivent bénéficier de ce statut.
B. - La position de
la France quant au traitement et au sort de ses ressortissants
Là encore, la France a adopté
une attitude minimaliste. Les trois missions conduites par le Ministère français
des Affaires étrangères n'avaient pas pour objectif d'examiner les conditions de
détention.
Même si la France souhaite que les détenus bénéficient de toutes les garanties
internationales, les autorités françaises estiment que c'est au CICR d'indiquer
si les conditions de détentions sont conformes aux Conventions de Genève.
Le CICR a, pour sa part, conclu
avec les autorités américaines un accord lui permettant de rendre visite aux
détenus et de s'assurer qu'ils sont traités avec humanité. Par ailleurs, les
autorités américaines ont indiqué que les détenus de Guantanamo pourront jouir
de certains des « privilèges » accordés aux prisonniers de guerre. Les
indications des autorités américaines montrent que se sont surtout les
« privilèges » relatifs au traitement physique des prisonniers qui seront
octroyés. Les conclusions du CICR sont cependant confidentielles, conformément à
sa pratique, afin de ne pas compromettre son accès aux prisonniers.
Le dispositif judiciaire
applicable aux détenus de Guantanamo a été prévu dès novembre 2001 par le
President’s Military Order. Ce texte prévoit que les personnes ainsi
détenues devront être déférées devant des commissions militaires. Le 21 mars
2002, le Département de la Défense adoptait le Military Commission Order No.
1 mettant en place les commissions militaires prévues par le President’s
Military Order. Ce sont clairement des tribunaux d'exception qui ont été mis
en place par les Etats-Unis et devant lesquels pourront être déférés les
français détenus à Guantanamo.
La France a là aussi exprimé sa
position assez tôt. Le Ministre des Affaires étrangères a ainsi déclaré, le 30
janvier 2002, qu'il serait préférable que les français soient jugés en France.
Cette préférence s'est muée en opposition, la France déclarant nettement qu'elle
s'opposait au jugement des Français par des tribunaux américains.
La condition sine qua non d'un jugement reste cependant une mise en
accusation par des tribunaux français, permettant de formuler une demande
d'extradition auprès des Etats-Unis. C'est ce que confirment les autorités
françaises lorsqu'elles déclarent qu'un « jugement effectif en France suppose
une initiative en ce sens de l'autorité judiciaire ».
Cette ultime déclaration montre
que malgré les nombreuses imperfections juridiques qui entachent les actions
américaines dans cette affaire, les autorités françaises souhaitent traiter
cette situation d'un point de vue strictement judiciaire. Il reste à voir si
cette approche est la plus à même d'assurer un traitement équitable aux
ressortissants français.
II.
– LES PROCEDURES JUDICIAIRES
Parallèlement aux démarches
diplomatiques, un certain nombre de procédures judiciaires ont été engagées ‑ ou
sont susceptibles d’être engagées ‑, que ce soit par ou contre les détenus de
Guantanamo Bay. Aux Etats Unis, les détenus sont passibles des commissions
militaires mises en place par le Département de la Défense. Il faut aussi
mentionner les procédures entamées devant les juridictions américaines par un
petit groupe de détenus et qui éclairent sur la situation juridique de tous.
Enfin, il conviendra d’examiner les actions judiciaires et les autres
initiatives engagées en France.
A. – Les procédures
engagées aux Etats-Unis
Alors qu’il a fallut attendre
février 2004 pour que les deux premiers prisonniers détenus à Guantanamo Bay
soient enfin formellement inculpés devant les commissions militaires,
il convient de s’attarder quelque peu sur les traits les plus saillants de cette
institution. Ainsi, le Military Commission Order No. 1 prévoit que les
commissions militaires seront compétentes pour juger ‑ notamment ‑ des
violations des lois de la guerre et des actes de terrorisme international commis
à l’encontre des Etats-Unis.
Les membres de ces commissions militaires seront désignés par le Secrétaire
d’Etat à la Défense ou par une autorité nommée par lui. Ces membres devront tous
appartenir aux forces armées américaines.
Les accusés se verront offrir d’office les services d’un avocat militaire,
également membre des forces armées américaines. Ils pourront néanmoins choisir
un avocat civil supplémentaire, qu’ils devront sélectionner parmi une liste
d’avocats habilités à plaider devant les commissions militaires. Les avocats
civils n’auront cependant pas nécessairement accès aux éléments de preuve
classifiés ou aux sessions des commissions tenues à huis clos.
La procédure, quant à elle, est à deux degrés. La deuxième instance, le
Review Panel, dont les membres sont désignés de la même façon que ceux des
commissions militaires, est chargé de détecter les erreurs de droit que
pourraient commettre les commissions militaires.
C’est le président des
Etats-Unis ‑ ou le secrétaire d’Etat à la Défense si le président l’a ainsi
décidé ‑ qui revoit et approuve en dernière instance les décisions des
commissions militaires. Il peut commuer une condamnation en acquittement, mais
pas l’inverse. Il peut également décider de condamner un détenu pour une
infraction moins grave que celle retenue par la commission militaire. Il peut
enfin atténuer, commuer, différer ou suspendre tout ou partie de la peine
infligée au condamné.
En ce qui concerne les peines, il est inquiétant ‑ et contraire aux principes du
droit pénal ‑ de noter qu’aucune peine précise n’est attachée aux différentes
infractions pour lesquelles les commissions militaires sont compétentes. Aucun
minima n’est fixé, les condamnés sont passibles de la peine de mort, de la
réclusion criminelle à perpétuité ou de toute autre sanction que les commissions
estiment appropriées.
Ce bref examen du dispositif des
commissions militaires révèlent que l’indépendance du mécanisme n’est pas
complètement garantie. De plus, le principe de légalité des délits et des peines
est pour sa part sérieusement mis à mal tant les crimes et les peines sont
définis de manière large. Il n’est donc pas du tout évident que ceux des détenus
qui seront déférés devant les commissions militaires bénéficient avec cette
procédure d’un procès juste et équitable. De plus, lors d’une conférence de
presse tenue au Pentagone le 21 mars 2002,
il a été clairement indiqué que les personnes jugées par les commissions
militaires, mais contre lesquelles aucune condamnation ne sera prononcée, ne
seront pas nécessairement remises en liberté. Quant aux personnes qui ne seront
pas traduites devant les commissions militaires, elles ne seront pas non plus
nécessairement remises en liberté.
Lors d’une procédure initiée
cette fois par un groupe de détenus visant à leur libération pour cause de
détention arbitraire, la Cour du District de Columbia s’est déclarée
incompétente car, d’après elle, la base américaine de Guantanamo ne fait pas
partie du territoire américain. Ainsi, bien que les forces armées américaines
soient présentes à Guantanamo en vertu d’un traité de cession à bail qui donne
aux Etats-Unis juridiction et contrôle total sur la portion de territoire dans
laquelle se situe la base,
la Cour de District de Columbia a décidé que ce territoire n’était pas sous
souveraineté américaine. Dès lors, les demandeurs ne relèvent pas de la
compétence des cours américaines. La Cour a néanmoins indiqué que l’absence de
compétence ratione loci ne signifie pas absence de droits pour les
détenus de Guantanamo.
Ainsi, dans une formulation
approximative, la Cour précise que « [...] this opinion [...] should not be
read as stating that these aliens do not have some form of rights under
international law ».
C’est seulement la sanction du non
respect de ces droits qui ne relève pas, d’après la Cour, des juridictions
américaines.
Cette décision a été confirmée en appel, les juges considérant que c'est Cuba et
non les Etats Unis qui exerce la souveraineté sur Guantanamo Bay.
L'affaire a été portée devant la Cour Suprême, qui doit maintenant
définitivement déterminer si les juridictions nationales américaines ont ou non
compétence pour se prononcer sur le cas des détenus de Guantanamo.
Les Français détenus à
Guantanamo peuvent donc considérer que les voies de droit disponibles aux
Etats-Unis sont, pour l'instant, au mieux des impasses, au pire des mécanismes
dont l’indépendance et l’effectivité peuvent légitimement être questionnées.
Trouveront-ils en France des procédures judiciaires plus à même de les éclairer
sur leur sort ?
B. – Les procédures
engagées en France
Seuls deux des sept détenus
Français de Guantanamo ont pour l’instant initié des procédures judiciaires en
France. La première, qui s’est soldée par un échec, visait à leur faire
reconnaître le statut de prisonnier de guerre. En effet, bien que les autorités
américaines aient déclaré détenir à Guantanamo deux catégories de personnes, les
Talibans qu’ils considèrent comme des membres d’une armée régulière ennemie et
les membres d’Al Qaeda qui sont des combattants ennemis ‑ notion sui generis
‑, il est pour l’instant encore difficile de savoir qui est détenu à quel titre.
Pour autant, le 31 octobre 2002, le tribunal de Paris s’est déclaré incompétent
pour octroyer le statut de prisonnier de guerre à deux des Français de
Guantanamo. Pour le tribunal, c’est aux autorités américaines de faire cette
détermination, les détenus Français se trouvant sous leur juridiction.
Ainsi le lien de nationalité ne suffit pas en l’espèce pour rendre les tribunaux
français compétents.
La deuxième procédure initiée en
France par les représentants de ces deux détenus de Guantanamo est un plainte
contre X déposée à Lyon le 14 novembre 2002 pour détention illégale, enlèvement,
séquestration et atteinte aux libertés.
Cette plainte s'est cependant heurtée à une ordonnance de refus d'informer le 14
février 2003, confirmée en appel le 20 mai 2003. Cette procédure est en outre
compliquée par le fait que le défendeur à cette action est nécessairement le
gouvernement américain en la personne de son Président. A ce titre, les chances
de succès de cette demande étaient quelque peu limitées du fait de l’immunité de
juridiction dont jouissent les Etats et les chefs d’Etat étrangers devant les
juridictions françaises.
La troisième procédure
judiciaire est une information judiciaire ouverte en novembre 2002 par la
section antiterroriste du parquet de Paris à l’encontre des six détenus français
‑ à l’époque ‑ de Guantanamo.
Paradoxalement, c’est peut-être la seule procédure qui permettra le retour en
France des détenus Français. En effet, si la France a évoqué à plusieurs
reprises son souhait de voir ses ressortissants jugés en France, les autorités
américaines ont pour leur part indiqué qu’elles étaient prêtes à extrader
certains prisonniers à condition qu’ils soient jugés dans leurs pays d’origine.
Cette solution permettrait au moins un jugement par des tribunaux français de
droit commun qui pourront ainsi déterminer ‑ nous l’espérons plus sereinement ‑
si les Français détenus à Guantanamo ont commis des actes criminels. Cependant,
faute de pouvoir accéder aux prisonniers et surtout en l'absence de volonté de
coopération des autorités américaines qui jusqu'à présent n'ont pas répondu aux
demandes d'information du gouvernement français, cette procédure n'a que très
peu progressé.
Il convient également de
signaler que le 12 décembre 2002 le Bâtonnier de Paris, M. Paul-Albert Iweins, a
indiqué qu'il se commettait d'office pour trois des détenus français de
Guantanamo.
A ce titre, il a demandé aux autorités américaines de pouvoir rendre visite aux
détenus, demande qui est pour l'instant restée sans suite.
Cette initiative montre ainsi l'inquiétude que suscite chez les avocats français
la situation juridique exceptionnelle qui prévaut à Guantanamo. Le Bâtonnier a
aussi mobilisé de nombreux barreaux étrangers, les incitant à initier des
actions judiciaires similaires à celles introduites en France. Enfin, le
Bâtonnier a également décidé de saisir de cette question le Groupe de travail
sur la détention arbitraire des Nations Unies. Ce dernier a formulé un avis en
mai 2003, dans lequel il considère la détention de trois français et d'un
espagnol comme arbitraire et contraire aux articles 9 de la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme et du Pacte International sur les Droits
Civils et Politiques.
CONCLUSION
Il apparaît donc qu’en l’état
actuel des choses les détenus de Guantanamo ont peu de chance de voir aboutir
rapidement aux Etats-Unis une procédure judiciaire visant à contester le
traitement qui leur est infligé et à faire tomber la qualité de « combattants
ennemis » qui leur a été conférée. Or à ce jour, après plus de deux ans de
détention, leur implication dans des actes de guerre ou de terrorisme n’est pas
encore été établie de manière formelle. S’agissant des procédures judiciaires en
France, nous avons vu que si la première s’est soldée par un échec, celle visant
à faire libérer les détenus semble tout aussi vaine. Enfin, la conduite de
l’information judiciaire ouverte en France par la section antiterroriste bute
sur les difficultés d’accès aux détenus, les impératifs de sécurité américains
et le manque de coopération des autorités américaines. De plus, les institutions
onusiennes de protection des droits de l'homme qui ont été saisies jusqu'à
présent ‑ le groupe de travail sur la détention arbitraire et le rapporteur
spécial de l'ONU sur la torture
‑ ne sont malheureusement pas des instances juridictionnelles de nature à
pouvoir obliger les Etats-Unis à changer leur approche.
Face à l’ineffectivité des
recours judiciaires, les démarches diplomatiques des autorités politiques
françaises sont donc essentielles pour obtenir des Etats-Unis qu’ils adoptent
une logique judiciaire dans leur traitement des prisonniers de Guantanamo Bay et
qu'ils les traitent de façon conforme au droit international. C’était d’ailleurs
tout le sens des demandes de clarification que le Ministre français de la
Justice a faites à son homologue américain en novembre 2002 et en mai 2003.
Cependant, force est de constater que l'approche diplomatique n'a, elle non
plus, pour l'instant rien donné
La situation qui prévaut à
Guantanamo est certainement unique en son genre dans la mesure où, en réponse
aux actes terroristes du 11 septembre 2001, les autorités américaines ont adopté
une logique qui n’est pas tout à fait une logique de guerre, ni une logique
policière et judiciaire classique. Du point de vue du droit, cette démarche
sui generis porte sérieusement atteinte aux garanties juridiques dont
doivent bénéficier les individus mis en cause à un titre ou à un autre. Cette
approche qui se situe en dehors des concepts juridiques existants est d’autant
plus problématique que les autorités américaines ont à maintes reprises déclaré
que la « guerre contre le terrorisme » n’avait aucun terme précis et risquait
donc de durer longtemps. Ainsi, quel que soit le sort final des détenus français
de Guantanamo, nous pouvons d’ores et déjà affirmer, à l'instar de la Cour
d'appel de Londres dans une affaire concernant un ressortissant anglais,
que les autorités américaines ont violé de nombreuses règles de droit
international, notamment celles qui interdisent à un Etat de droit de maintenir
en détention des individus pendant plus de deux ans sans les déférer devant un
tribunal pour déterminer leur culpabilité ou les laisser consulter un avocat.
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NOTES
Copyright : © 2003 2004 Nabil Benbekhti. Tous droits réservés. Impression
et citations : Seule la version
au format PDF fait référence.
Mode
officiel de citation :
BENBEKHTI Nabil. - « Les
actions entreprises à l’égard des ressortissants français détenus à Guantanamo
Bay ». - Actualité et Droit International, mars 2004.
<http://www.ridi.org/adi>.
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