Soixante ans après :
la
réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies est-elle possible ?
par
Paul Tavernier
Professeur à l’Université de
Paris XI
Faculté Jean Monnet à Sceaux
Résumé :
Le soixantième anniversaire
des Nations Unies en 2005 est propice à une réflexion sur la réforme de l’O.N.U.
et plus particulièrement du Conseil de sécurité. Les pesanteurs du passé ne
peuvent être ignorées. La question de la réforme du Conseil de sécurité a été
inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée générale dès 1969. Mais aucun accord
ni consensus ne fut obtenu, bien que de nombreuses formules aient été
proposées. La fin de la guerre froide n’a pas modifié la situation à cet égard,
les cinq grands continuant à bloquer toute réforme. Après le 11 septembre et la
guerre en Irak les problèmes de sécurité revêtent des aspects nouveaux et la
réforme du Conseil de sécurité semble d’autant plus nécessaire, mais les
ambiguïtés du présent transparaissent dans le rapport du Groupe de personnalités
de haut niveau de décembre 2004. Ce rapport propose deux formules différentes
pour l’élargissement du Conseil, sans diffusion du droit de veto. Le Secrétaire
général, dans son propre rapport, publié en avril 2005, n’a pas pris position
pour l’une ou l’autre formule. Quant à l’avenir, il recèle beaucoup
d’incertitudes et il n’est pas du tout certain qu’un accord sera obtenu lors du
Sommet prévu en septembre, ni même avant la fin de l’année 2005. Au projet du
G-4 (Allemagne, Brésil, Inde et Japon) s’oppose celui de l’Union africaine et un
troisième projet ‑ celui du groupe « Unis pour le consensus » ‑, s’oppose aux
deux autres. La question de la démocratisation du Conseil de sécurité et des
relations internationales en général reste une question cruciale, non résolue.
Abstract :
In this paper
we discuss different issues on the UN Security Council Reform: past – present –
and future. In 1945 a double privilege was granted to the “big fives”
(permanency and veto right). The question of the Security Council Reform was put
on the agenda of the General Assembly and was discussed regularly, but no
consensus was reached, though many formulas were brought forward. The main
difficulty lies on the fact that every reform of the Security Council must be
agreed by every permanent member and none of them wanted to abandon their
privilege. The situation was not changed after the end of the Cold War and the
coming of a new era in international relations. Nevertheless after the 11
September and the War in Iraq Security problems seem to be different and
Secretary General Kofi Annan created in 2003 a High Level Panel whose purpose
was to study new threats and new trends in security problems. In its report,
published in December 2004, the Panel proposes two different formulas for
enlarging and reforming the Security Council. New members will be added to the
fifteen members; some of them could be permanent members or semi-permanent
members, but without a right to veto. Discussions have already begun, but
States’ positions are quite rigid and it is not sure that a consensus will be
reached during the September Summit or before the end of the Year 2005. Three
draft resolutions are on the table (G-4, African Union and “Uniting for
consensus”). The question of democratization of the Security Council – and even
of the international relations – is still and will remain in the near future a
crucial one.
Impression
et citations : Seule la
version
au format PDF fait référence.
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Le soixantième anniversaire des
Nations Unies en 2005 est propice à une réflexion sur les Nations Unies et sur
la réforme de l’Organisation mondiale, comme cela avait déjà été le cas en 1995
à l’occasion du cinquantième anniversaire et en 1985 pour le quarantième
anniversaire. Au cœur de cette réflexion on trouve inévitablement la question de
la réforme du Conseil de sécurité. Celle-ci apparaît dans l’opinion de nombreux
auteurs, mais aussi de diplomates et d’hommes politiques, comme un problème
central, non seulement pour la réforme ou l’aggiornamento des Nations
Unies, mais plus encore pour la réforme du système international.
En réalité la réforme des Nations
Unies soulève de nombreux problèmes, par exemple à propos de l’Assemblée
générale ou du Conseil économique et social (ECOSOC) ou encore des opérations de
maintien de la paix, du Secrétariat et de la gestion de l’Organisation et du
système des Nations Unies. On a même suggéré récemment la réforme de la
Commission des droits de l’Homme, parmi bien d’autres réformes à réaliser.
Toutes les mesures proposées dans cette perspective sont évidemment importantes.
Elles peuvent avoir des effets appréciables et peuvent apporter beaucoup de
changements dans les relations internationales. Toutefois, les modifications
dans la composition, les compétences et les pouvoirs du Conseil de sécurité sont
d’une signification sans commune mesure. Néanmoins elles ne sont pas faciles à
mettre en œuvre et elles sont même peut-être impossibles à réaliser…
La question de la réforme des
Nations Unies n’est certes pas une question nouvelle. On pourrait évoquer à son
sujet le « monstre du Loch Ness » et en un certain sens, nous aimons bien « Nessie ».
Nous serions en effet très désappointés et désorientés si nous n’avions plus
matière à discuter et à disserter à propos de la crise des Nations Unies et de
la nécessité d’une réforme fondamentale. L’histoire de l’O.N.U. se présente
comme l’histoire d’un grand monument ‑ on
peut même dire d’un monument aux morts ou d’un tombeau, le tombeau
d’innombrables rapports et projets de réforme, et sans doute aussi d’occasions
manquées. De même que l’on parle de « révolution permanente » dans certains pays
ou dans certains régimes politiques, de même il apparaît que la réforme des
Nations Unies est en quelque sorte un processus de « réforme permanente ». Si
l’on avait recours au langage des économistes qui parlent de « plan glissant »
ou de « budget glissant » on pourrait utiliser les mots de « réforme
glissante ». Dans cette perspective, la réforme des Nations Unies a toutes les
apparences d’un véritable « mythe », au sens sorélien du terme, et elle peut
être considérée comme ayant une réelle utilité. On sait en effet que Georges
Sorel, connu comme le théoricien de la violence et qui a publié en 1908 des
Réflexions sur la violence, a exercé une influence certaine sur le
syndicalisme français à la fin du XIXème siècle et au début du XXème en
développant le thème de la grève générale conçue en tant que mythe, c’est-à-dire
un ensemble d’images motrices et un puissant facteur d’incitation à l’action.
En ce qui concerne les nombreux
rapports préparés depuis des décennies et jetés aux oubliettes, on peut
mentionner par exemple le fameux Rapport Jackson de 1969 intitulé « Etude de
capacité du système des Nations Unies pour le développement » et qui semble
maintenant bien oublié. Le rapport Bertrand de 1985 proposait notamment la
création d’un « Conseil de sécurité économique », lequel aurait été un véritable
organe de négociation en matière économique. Quant au rapport du Groupe des 18,
groupe intergouvernemental d’experts, présidé par le norvégien Tom Vraalsen, il
a présenté en 1986 pas moins de 71 mesures. Puis suivirent en 1992 et 1993 les
célèbres Agenda pour la Paix et Agenda pour le développement de
Boutros Boutros-Ghali qui ont renouvelé la réflexion sur la réforme en matière
de sécurité et de développement. Plus récemment, en 2000, le rapport Brahimi
s’est penché sur la question des opérations de maintien de la paix des Nations
Unies et sur les changements à apporter en ce domaine. Les derniers dans cette
longue, mais très incomplète série de rapports, sont les deux rapports publiés
en décembre 2004 et en mars 2005 : le rapport du Groupe de personnalités de haut
niveau sur les menaces, les défis et le changement intitulé « Un monde plus
sûr : notre affaire à tous »
et le rapport du Secrétaire général qui porte le titre « Dans une liberté plus
grande : vers le développement, la sécurité et les droits de l’Homme pour tous ».
Dans cette perspective, la
question qui se pose est de savoir si ces deux rapports, publiés fin 2004 et
début 2005, constitueront la base de véritables décisions des Etats et
conduiront à des amendements de la Charte des Nations Unies, ou bien s’ils se
limiteront à fournir l’occasion et le prétexte à des discussions et à des débats
purement académiques et diplomatiques, destinés à être gravés dans le marbre …
et en définitive enterrés dans le grand monument funéraire des Nations Unies.
Mais avant de procéder à un tel enterrement et d’assister aux cérémonies de
funérailles, il n’est pas sans intérêt de présenter quelques éléments concernant
la réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies, telle qu’elle a été
envisagée dans le passé et telle qu’elle l’est dans le présent, mais aussi
d’essayer d’esquisser ce que pourrait être le futur et l’avenir d’une telle
réforme.
Les pesanteurs du passé
En 1945, quand la Charte des
Nations Unies a été signée à San Francisco, le Conseil de sécurité a été créé
comme un organe essentiel dont la tâche principale était d’assurer la paix et la
sécurité internationales (article 24) conformément au but premier assigné à
l’Organisation dès l’article 1. Un privilège tout à fait exceptionnel a été
reconnu aux cinq Grands, c’est-à-dire la Chine, les Etats-Unis, la France, le
Royaume-Uni et l’U.R.S.S. (la Russie depuis 1990).
Ces cinq pays (la France ne figurant pas d’ailleurs sur la liste dans les
premiers projets) ont un siège permanent au Conseil et peuvent opposer leur veto
à toute décision portant sur des questions non procédurales (article 27,
paragraphe 3). Ce double privilège a fait l’objet de contestations dès les
premières années de fonctionnement de l’O.N.U. et même durant l’élaboration de
la Charte, de la part de certains petits Etats, comme la Belgique.
Cette contestation s’est maintenue jusqu’à maintenant et durant la période de la
guerre froide le problème a été constamment évoqué par les juristes et
diplomates des pays du Tiers Monde. Mais en même temps la situation des membres
permanents était considérée comme un moyen adéquat pour assurer le maintien
d’une sorte d’équilibre dans un monde bipolaire dominé par la menace nucléaire,
ce que l’on appelait l’équilibre de la terreur.
Le seul élargissement de la
composition du Conseil de sécurité est intervenu en 1965 à la suite de
l’amendement à la Charte adopté par l’Assemblée générale le 17 décembre 1963 et
entré en vigueur le 31 août 1965. Cet amendement a porté de onze à quinze le
nombre des membres du Conseil, mais cela n’a eu aucune conséquence pour les cinq
membres permanents qui ont conservé jusqu’ici leur double privilège,
c’est-à-dire la permanence et le droit de veto. Il en a été de même en ce qui
concerne l’amendement à l’article 109 de la Charte, adopté le 20 décembre 1965
et entré en vigueur le 12 juin 1968, qui prend en compte l’amendement précédent
pour le calcul de la majorité nécessaire au Conseil de sécurité afin de
convoquer une conférence générale de révision (article 109, paragraphe 1), mais
conserve le pouvoir reconnu aux cinq membres permanents de bloquer toute
révision puisque celle-ci ne peut entrer en vigueur qu’après ratification par
les Cinq (article 109, paragraphe 2).
Toutefois, la question de la
réforme du Conseil de sécurité a été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée
générale et elle a été discutée régulièrement à partir de 1969 dans le cadre du
Comité spécial de la Charte des Nations Unies et du raffermissement du rôle de
l’Organisation. Mais aucun accord ni consensus ne fut obtenu, bien que de
nombreuses formules aient été proposées. La principale difficulté résidait dans
le fait que toute réforme du Conseil de sécurité devait être acceptée par chacun
des membres permanents, comme le prévoient les articles 108 et 109 de la Charte
pour les amendements et les conférences de révision. Or aucun des Cinq ne
désirait abandonner son privilège.
Seule la Chine s’était déclarée
prête à le faire, mais elle faisait valoir qu’elle utilisait son droit de veto
comme une prérogative en faveur du Tiers Monde. L’U.R.S.S soutenait qu’elle
protégeait non seulement ses propres intérêts, mais aussi les intérêts des Etats
socialistes et de la Communauté socialiste, comme elle l’avait fait par exemple
dans l’affaire de Hongrie en 1956, puis dans l’affaire de Tchécoslovaquie en
1968 et dans celle de l’Afghanistan en 1980 – et même au-delà les intérêts du
Tiers Monde. Quant à la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, ils étaient
fortement opposés à toute réforme du Conseil de sécurité qui élargirait la
composition de celui-ci en ajoutant de nouveaux membres permanents détenant un
droit de veto. On pouvait donc constater qu’il y avait une sorte de consensus
négatif, un consensus contre tout élargissement du Conseil, bien que le
nombre des Etats membres de l’O.N.U. ait été trois fois plus élevé qu’en 1945 :
51 membres en 1945, 100 dans les années soixante, 150 en 1977. Depuis 2002,
l’O.N.U. compte 191 Etats membres, avec l’admission de la Suisse et de Timor
Leste.
Dans les années 80 et 90 de
nouveaux Etats émergents ont exprimé le désir de devenir membres permanents du
Conseil de sécurité en raison de leur participation croissante aux affaires
mondiales ainsi qu’aux missions de maintien de la paix. L’Allemagne et le Japon
étaient les principaux candidats déclarés parmi les Etats développés, mais
l’Italie s’était également mise sur les rangs. Pour le Tiers Monde, l’Inde était
un des candidats possibles, mais le Pakistan était hostile à une telle
éventualité. En Afrique, l’Egypte et le Nigeria étaient en compétition pour un
siège permanent alors qu’en Amérique latine on trouvait plusieurs prétendants,
comme le Mexique, le Brésil ou l’Argentine. L’abondance, voire le trop-plein de
candidatures, constituait une bonne excuse pour les Cinq Grands de ne pas
modifier leur attitude.
La situation ne devait pas
évoluer fondamentalement à la suite de la fin de la guerre froide et avec
l’avènement d’une nouvelle ère dans les relations internationales, le Monde
étant désormais dominé par une seule Super-puissance. Pourtant l’utilisation du
veto devait s’avérer moins fréquente que durant la période antérieure
et de nouvelles tendances étaient perceptibles, les trois Puissances
occidentales semblant disposées à admettre un élargissement limité du Conseil de
sécurité et un siège permanent (avec ou sans droit de veto) en faveur du Japon
et de l’Allemagne.
L’histoire va prendre un cours
nouveau en 2001.
Les ambiguïtés du présent
Après le 11 septembre et la
guerre en Irak, les problèmes de sécurité semblent revêtir une dimension
différente et le Secrétaire général, Kofi Annan, a décidé, pour tenir compte de
ces évolutions, de créer un Groupe de personnalités de haut niveau chargé
d’étudier les nouvelles menaces et les nouvelles tendances dans ces domaines. Ce
Groupe comprenait seize éminentes personnalités, parmi lesquelles d’anciens
chefs d’Etat ou Ministres des Affaires étrangères, des spécialistes de la
sécurité, des militaires, des diplomates et des spécialistes des questions de
développement. Le Président était un ancien Premier Ministre de Thaïlande, M.
Anan Panyarachun. On peut citer certains des membres du Groupe, comme M. Robert
Badinter, ancien ministre français de la Justice, Mme Gro Harlem Bruntland,
ancien Premier Ministre de Norvège, M. Gareth Evans, président d’International
Crisis Group et ancien ministre des Affaires étrangères d’Australie, le général
Satish Nambiar, ancien général de corps d’armée de l’armée indienne et ancien
commandant de la FORPRONU, et M. Yevgueni Primakov, ancien Premier Ministre de
Russie.
Le rapport du Groupe de
personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement fut
publié un an plus tard, le 2 décembre 2004. Il est divisé en quatre parties
consacrées respectivement au nouveau consensus sur la sécurité (première
partie), à la sécurité collective et le défi de la prévention (deuxième partie),
à la sécurité collective et l’usage de la force (troisième partie) et à une
Organisation plus efficace pour le XXIème siècle (quatrième partie). Le Groupe
est d’avis que les normes et règles gouvernant l’utilisation de la force dans
les relations internationales devraient être plus précises et plus détaillées,
notamment en cas de génocide et autres tueries massives. Prenant en compte non
seulement la légalité de l’emploi de la force, mais aussi sa légitimité, le
Groupe considère que le Conseil de sécurité, lorsqu’il autorise ou approuve un
tel emploi, devrait tenir compte d’un certain nombre de critères. Il estime que
« ces directives régissant l’usage de la force devraient être consignées dans
des résolutions déclaratoires du Conseil de sécurité et de l’Assemblée
générale » et que tous les Etats membres devraient y souscrire.
Par ailleurs, le Groupe recommande la création par le Conseil de sécurité d’une
Commission de consolidation de la paix, afin de combler un « vide
institutionnel » résultant de l’absence dans tout le système des Nations Unies
d’une « entité ayant pour mission de prévenir la déliquescence des Etats et la
descente vers la guerre, ou d’aider les pays à réussir leur transition de l’état
de guerre à la paix ».
En ce qui concerne
l’élargissement du Conseil de sécurité, le Groupe de personnalités de haut
niveau suggère d’adjoindre neuf nouveaux membres, soit un Conseil composé de 24
membres, mais il n’a pas pu se mettre d’accord sur une formule unique. Il a donc
proposé deux variantes ou formules A et B. De nouveaux membres seraient ajoutés
aux quinze membres actuels du Conseil : certains d’entre eux pourraient être des
membres permanents ou semi-permanents, mais ne disposeraient pas du droit de
veto. Selon la formule A, il serait créé six sièges permanents sans droit
de veto et trois nouveaux sièges non permanents avec mandat de deux ans. Selon
la formule B, il n’y aurait pas de nouveau siège permanent, mais la
création d’une nouvelle catégorie de sièges avec mandat renouvelable de quatre
ans : il y en aurait huit, auquel s’ajouterait un nouveau siège avec mandat de
deux ans non renouvelable. Les deux formules dissocient le problème de la
permanence et celui du droit de veto. La formule B n’est pas très différente de
la situation actuelle dans laquelle certains Etats sont très souvent élus comme
membres non permanents, ce qui est le cas du Japon, par exemple et leur assure
une présence en quelque sorte « semi-permanente ». La seule différence réside
dans le fait que le mandat de quatre ans serait immédiatement renouvelable. On
peut relever que ces propositions ne sont pas sans rappeler les projets avancés
dans les années 1930 en faveur de la création de sièges semi-permanents au
Conseil de la Société des Nations.
Par ailleurs on peut noter que le
Groupe désigné par le Secrétaire général suggère une réforme des modalités de la
répartition géographique, qui joue un rôle si essentiel dans la vie des Nations
Unies et qui reflète encore très largement la structure des relations
internationales à l’époque de la guerre froide et de la division du monde en
deux blocs antagonistes, combinant une répartition proprement géographique avec
une répartition d’ordre idéologique. En effet, les groupes sont actuellement les
suivants : Afrique, Asie, Amérique latine, Europe occidentale et autres Etats et
Europe orientale. Le Groupe propose quatre nouvelles régions qui seraient
l’Afrique, l’Asie et le Pacifique, l’Europe et les Amériques. Cette réforme, qui
ne nécessiterait pas de modifier la Charte et qui semble logique, ne paraît pas
toutefois soulever l’enthousiasme, notamment de la part de l’Amérique latine, et
on peut le regretter.
Le Groupe de personnalités de
haut niveau précise que l’article 23 de la Charte des Nations Unies devra être
amendé.
Il suggère aussi un toilettage de la Charte qui supprimerait un certain nombre
de dispositions qui sont devenues caduques ou n’ont jamais été appliquées, par
exemple les références aux « Etats ennemis » figurant aux articles 53 et 107,
et aussi tout le chapitre XIII consacré au régime de tutelle, maintenant révolu,
ainsi que l’article 47 relatif au Comité d’Etat-Major (outre les références à
cet organe figurant aux articles 26, 45 et 46). En revanche, curieusement, il
omet de mentionner que d’autres amendements à la Charte que celui portant sur
l’article 23 seraient nécessaires en cas d’élargissement et de modification de
la composition du Conseil de sécurité. Il faudrait notamment modifier l’article
27 en ce qui concerne le nombre de voix nécessaires pour constituer la majorité,
ainsi que l’article 109 sur la procédure de révision, comme cela avait déjà été
le cas en 1963 et 1965. Il faudrait aussi éventuellement modifier l’article 108
relatif aux amendements, si de nouveaux membres permanents sans droit de veto
étaient ajoutés aux cinq actuels qui conserveraient ce droit.
Kofi Annan a accueilli avec
satisfaction les recommandations du Groupe de personnalités et il a approuvé
l’analyse d’ensemble du rapport. Il a fait valoir qu’il reprenait à son compte
les arguments centraux en faveur d’un système de sécurité collective plus large
et plus global. Dans la note accompagnant ce document, il affirme : « Je
souscris sans réserve à sa thèse première, à savoir celle d’une sécurité
collective à vocation plus étendue et globale qui permette d’appréhender
toutes les menaces, anciennes et nouvelles, et les problèmes de sécurité de tous
les Etats – riches et pauvres, faibles et forts ».
Selon lui, le rapport, « exhaustif et fouillé » présente « une nouvelle grille
d’analyse des liens qui existent » entre les différentes menaces » et offre une
occasion unique pour remodeler et rénover les institutions de l’Organisation des
Nations Unies.
Ce document a donc servi de base
à son propre rapport adressé à l’Assemblée générale, publié en mars 2005 et
intitulé « Dans une liberté plus grande : vers le développement, la sécurité et
les droits de l’Homme pour tous ».
Kofi Annan engage les Etats membres à adopter dès cette année un ensemble de
propositions spécifiques et concrètes pour traiter les problèmes globaux et
permettre à l’Organisation des Nations Unies de répondre de manière plus
satisfaisante aux défis actuels. Dans la quatrième et dernière partie du
rapport, consacrée au renforcement des Nations Unies, il formule des
propositions en vue de faire de l’Organisation l’instrument grâce auquel tous
les Etats membres pourraient se mettre d’accord sur les stratégies esquissées
dans les trois premières parties et d’aider chacun d’entre eux à les appliquer.
Il demande en premier lieu aux chefs d’Etat et de gouvernement d’adopter un
ensemble complet de réformes pour revitaliser l’Assemblée générale. Il presse
aussi les Etats de rendre le Conseil de sécurité plus représentatif de la
Communauté internationale dans son ensemble, ainsi que des réalités
géopolitiques d’aujourd’hui. Les Etats membres devraient convenir de prendre une
décision à ce sujet – de préférence par consensus -, et en tout cas avant
le Sommet prévu pour le mois de septembre : ils devraient choisir l’une ou
l’autre des options présentées dans le rapport du Groupe de personnalités de
haut niveau. Le Conseil de sécurité rénové devrait aussi clarifier, dans une
résolution, les principes selon lesquels il entend être guidé lorsqu’il autorise
ou ordonne l’emploi de la force.
On peut donc remarquer que les
propositions du Secrétaire général sont très proches de celles du Groupe de
personnalités, mais, en ce qui concerne la question centrale de l’élargissement
du Conseil de sécurité, Kofi Annan n’a pas pris position sur le choix entre les
deux formules A et B. Il n’indique même pas - et ne laisse pas non plus entendre
– quelle pourrait être, à son avis, la meilleure solution. Sans doute a-t-il eu
le sentiment qu’il n’existait pas pour le moment de consensus entre les
gouvernements sur cette épineuse question, et plus largement dans l’opinion
publique internationale. Dans ces conditions, il était préférable et plus
avantageux pour lui de ne pas paraître comme ayant la volonté d’imposer une
formule plutôt qu’une autre. Peut-être le Secrétaire général désire-t-il ainsi
se réserver une possibilité d’intervenir plus tard, au moment opportun, dans les
discussions à ce sujet.
Dès le 4 avril 2005, le
Secrétaire général a nommé quatre Envoyés de l’O.N.U. pour le Sommet sur la mise
en œuvre de la Déclaration du Millénaire, chargés de promouvoir les
recommandations figurant dans son rapport sur la réforme des Nations Unies.
Par la suite, il a annoncé que l’Assemblée définirait elle-même le cadre dans
lequel s’inscriraient les décisions à prendre en septembre lors du Sommet. Des
consultations générales et thématiques se sont engagées dès le 6 avril et les
consultations thématiques devaient être menées par l’intermédiaire de dix
« facilitateurs », chargés chacun d’une série de questions correspondant aux
problèmes soulevés dans le rapport du Secrétaire général.
On peut donc s’interroger sur
l’issue de ces consultations.
Les incertitudes du futur
Il est toujours difficile de
prévoir l’avenir, même s’il s’agit du proche avenir. Certains points peuvent
être considérés comme sûrs et non douteux, mais beaucoup d’autres restent très
incertains et aléatoires.
Les discussions se dérouleront
pendant la session de l’Assemblée générale en septembre, mais elles ont, en
réalité, déjà commencé. Dès les premières prises de position des Etats,
celles-ci sont apparues très rigides et il n’est pas du tout sûr qu’un
consensus soit réuni avant la fin de l’année 2005. La question de la
démocratisation du Conseil de sécurité, et plus généralement celle des relations
internationales, est encore une question cruciale et elle le restera très
vraisemblablement dans le proche avenir.
On pourrait éventuellement
déceler un certain degré de consensus (ou de quasi consensus) sur
la « taille » du nouveau Conseil de sécurité. Le Groupe de personnalités de haut
niveau proposait un Conseil de 24 membres et le chiffre de 24 ou 25 membres est
souvent évoqué par les Etats, mais certains se sont prononcés pour un organe
plus nombreux permettant une représentation plus démocratique. Dans le projet de
résolution présenté par les Etats africains, le chiffre 26 est retenu.
Le 13 mai 2005 le G-4, composé de
l’Allemagne, du Brésil, de l’Inde et du Japon, a rendu public un projet de
résolution-cadre qui se prononce en faveur d’un Conseil élargi à 25 membres,
comprenant six sièges permanents supplémentaires, avec les mêmes responsabilités
et obligations que les membres permanents existants. Ce texte ne précise pas le
nom des Etats candidats à un siège permanent, mais les quatre pays promoteurs du
projet ont clairement fait savoir qu’ils entendaient bénéficier de ce statut,
laissant le temps aux Etats africains de choisir leurs candidats.
Les Etats africains se sont
effectivement réunis à Syrte en Libye, mais ils sont profondément divisés sur
ces problèmes. Ils n’ont pas pu surmonter leurs contradictions et aucun
consensus n’a pu être réalisé en ce qui concerne le nom des candidats
africains à un siège permanent. Ils ont néanmoins déposé sur la table des
négociations un projet de résolution le 11 juillet 2005.
Dans ce texte, qui se réfère au soi-disant consensus d’Ezulwini, l’Union
africaine, répondant au projet de résolution du G-4, a renouvelé sa proposition
en faveur de onze sièges supplémentaires au Conseil de sécurité, l’Afrique
obtenant deux sièges permanents et cinq sièges non permanents. L’Union africaine
recommande également que les nouveaux membres permanents bénéficient de tous les
privilèges, y compris le droit de veto.
Outre ces désaccords au sein du
groupe des Etats africains et éventuellement d’autres groupes régionaux, le
contexte politique sera déterminant pour l’élaboration d’un consensus. A
titre d’exemple, la Chine est actuellement fermement opposée à l’octroi d’un
siège permanent au Japon. En effet les relations entre les deux pays ne sont pas
bonnes en ce moment : la Chine n’a pas oublié l’occupation japonaise intervenue
avant et pendant la seconde Guerre Mondiale et le récent voyage du Premier
Ministre japonais en Chine n’a pas été un succès diplomatique. Quant aux
Etats-Unis, ils seraient hostiles à la candidature de l’Allemagne, pour
plusieurs raisons, et notamment parce que Berlin n’a pas soutenu Washington dans
la guerre en Irak.
Beaucoup d’autres éléments
politiques interviendront. Alors que le Secrétaire général semble vouloir faire
pression pour que la réforme soit adoptée lors du Sommet de septembre 2005, de
nombreux Etats, et notamment la Chine, rejettent toute idée de délai impératif
et contraignant et estiment qu’il faut prendre son temps pour négocier et
parvenir à un bon accord. On peut en effet remarquer que les contradictions
entre les Etats sont actuellement exacerbées et si on réussissait à mettre sur
pied un consensus, il serait sans doute très fragile et risquerait fort
de n’être qu’un consensus de façade, les contradictions fondamentales
n’ayant pas été réellement surmontées et ayant de grandes chances de
réapparaître très rapidement au grand jour. En outre, une loi de science
politique ou de science administrative bien connue veut que si on élargit de
manière excessive un organe de décision, celui-ci ne peut plus fonctionner
efficacement et risque d’être paralysé. Mais on voit alors apparaître, de façon
plus ou moins occulte ou officieuse, des structures plus réduites où s’exerce
réellement le pouvoir.
D’autres observateurs ont fait valoir qu’en tout état de cause les nouveaux
titulaires du droit de veto seraient politiquement les obligés des cinq
détenteurs actuels, puisque l’adoption d’une telle réforme dépend entièrement
d’eux. Le pouvoir de la « bande des Cinq » serait donc assuré de la pérennité
pour longtemps encore…
Une autre question d’opportunité
politique se pose. Doit-on laisser le débat se focaliser sur l’élargissement du
Conseil de sécurité et sur le droit de veto ? Ou ne doit-on pas essayer
d’avancer sur d’autres dossiers, par exemple sur la question des méthodes de
travail de l’organe principal des Nations Unies en matière de maintien de la
paix ? De nombreuses propositions ont été faites, et depuis longtemps, en ce
domaine. On a suggéré entre autres que le Règlement intérieur devienne
définitif, alors qu’il est toujours qualifié de provisoire depuis soixante ans !
Cela est évidemment curieux et constitue une anomalie, mais n’a pas de réelle
incidence sur le fonctionnement du Conseil.
Par ailleurs, on a souvent évoqué
la question de l’abus du droit de veto. En réalité, sur le plan juridique, il ne
peut pas y avoir abus dans l’exercice de ce droit, car celui-ci est totalement
discrétionnaire aux termes de la Charte, et toutes les tentatives pour
réglementer son usage ont échoué jusqu’à présent. Quant on parle d’abus du droit
de veto, il s’agit donc … d’un abus de langage ou plus exactement cela signifie
que l’on ne se place pas sur un plan juridique, mais sur un plan politique. On
peut tirer au moins deux conséquences de cette analyse. D’une part, les
critiques américaines contre un prétendu abus du droit de veto de la part de la
France durant la période qui a précédé l’emploi de la force par les Etats-Unis
en Irak en 2003, sont totalement injustifiées sur le plan juridique, d’autant
plus que la France n’a pas mis en œuvre concrètement ce droit et qu’il y avait
au maximum de simples menaces de l’utiliser. D’autre part, il y a eu des
suggestions et propositions en vue de demander aux Cinq Grands de déclarer à
l’avance qu’ils n’utiliseraient pas leur droit de veto dans certaines situations
et certaines circonstances, de manière définitive ou pendant une certaine
période, par exemple quinze ans. De tels projets sont intéressants et peuvent
être importants d’un point de vue politique, mais ils n’apportent aucun
changement à la situation juridique, tant que la Charte n’est pas modifiée.
Des remarques analogues peuvent
être faites à propos des recommandations figurant dans le rapport du Groupe de
personnalités de haut niveau en faveur de l’établissement d’une procédure de
vote au Conseil de sécurité qui serait divisée en deux phases distinctes si un
membre du Conseil le demandait. Lors de la première phase le vote serait
simplement indicatif et le non ne vaudrait pas veto. En revanche, la procédure
actuelle serait reprise lors de la seconde phase et le veto pourrait s’exercer.
Selon le Groupe, une telle « formule responsabiliserait ceux qui usent de leur
droit de veto ».
Le système proposé est-il tellement différent de ce qui se passe actuellement où
le vote sur un projet de résolution en séance publique et officielle
n’intervient souvent qu’après de nombreuses séances privées durant lesquelles
des scrutins officieux sont organisés. Ce qui se déroule de façon informelle
serait ainsi officialisé et rendu public dans un souci louable de plus grande
transparence.
Plus récemment un groupe d’Etats
appelé groupe « Unis pour le consensus » a proposé une alternative aux projets
du G-4 et de l’Union africaine avec un élargissement du Conseil à 25, mais sans
nouveau détenteur du droit de veto, ce qui gèlerait la situation actuelle.
A cet égard on constate un certain retour aux propositions du Groupe de
personnalités de haut niveau, mais la relative originalité tient au rôle reconnu
aux groupes régionaux dans la désignation des candidats (qui existe déjà dans la
réalité actuelle).
*
* *
Pour résumer les discussions et
les débats en cours, on peut dire que la question qui se pose – ou plutôt les
questions fondamentales qui se posent – sont les suivantes : est-ce que la
réforme du Conseil de sécurité est souhaitable ? Et, si elle l’est, est-elle
réalisable ? A notre avis les réponses devraient être : la réforme est hautement
souhaitable, mais elle sera extrêmement difficile à réaliser pour des raisons
essentiellement politiques et non pas du fait de facteurs techniques et
juridiques. Un accord sera certainement une affaire très compliquée à négocier
et à conclure. Toutefois, étant d’un naturel optimiste, il ne nous est pas
interdit d’avoir un rêve, comme le fit jadis un grand homme célèbre pour un
autre problème apparemment insoluble… Ce serait une grande victoire pour
l’Humanité et une défaite pour ceux qui répandent l’idée d’un choc des
civilisations. Ce serait aussi un grand pas en avant pour le dialogue des
cultures et des civilisations qui est défendu par de nombreux Etats du Tiers
Monde, y compris l’Iran, mais aussi par la France et l’Union européenne,
notamment dans le cadre du Dialogue euro-méditerranéen, et qui pourrait devenir
ce que le Secrétaire général, Kofi Annan, vient d’appeler l’« Alliance des
civilisations ».
* * *
NOTES
Cet article est issu d’un rapport présenté en anglais, sous le titre « Sixty
Years afterwards: Is the Security Council Reform possible ? », lors de la
Conférence internationale sur la réforme du Conseil de sécurité
(International Conference on United Nations Security Council Reform)
organisée par l’IPIS (Institute for Political and International Studies) et
le Centre d’information des Nations Unies de Téhéran, qui s’est tenue à
Téhéran (Iran) les 17-18 juillet 2005. La version française a été complétée
et enrichie substantiellement.
La bibliographie sur ces questions est très abondante. Voir notamment
nos précédentes études : Paul TAVERNIER, « L’O.N.U. et la réforme du
Conseil de sécurité », in : L’ONU, 50 ans après : bilan et
perspectives, colloque organisé par la Faculté de Droit de Besançon,
29-30 mars 1995, pp. 151-174 ; « La réforme du Conseil de sécurité des
Nations Unies. Etat de la question de la représentation équitable au
Conseil de sécurité et de l’augmentation du nombre de ses membres »,
Polish Yearbook of International Law, 1994, pp. 41-54 ; « Réflexions
à propos du 50ème anniversaire des Nations Unies »,
Spécial 50ème anniversaire de l’ONU, Centre d’information des
Nations Unies et A.F.N.U., Paris, 1995, pp. 39-43 ; « La réforme du
Conseil de sécurité des Nations Unies : le rôle des grandes
puissances », Revue de recherche juridique, Université Chahid
Behechti (Téhéran – Iran), Faculté de Droit, n° 16-17, 1996, pp. 489-508
(en persan) ; « Faut-il réformer le Conseil de sécurité des Nations
Unies ? », pp. 181-194, in : Un demi-siècle de Nations Unies,
Marrakech, Université Cadi Ayyad, série Séminaires et colloques n° 7,
1997, 324 p.). Voir également Philippe GUILLOT, « La réforme du Conseil
de sécurité des Nations Unies », Arès, vol. XV, n° 1, 1996, pp.
3-22 ; Olivier FLEURANCE, La réforme du Conseil de sécurité. L’état
du débat depuis la fin de la guerre froide, Bruylant, Bruxelles,
2000, XXVI+371 p.
Copyright : © 2005 Paul Tavernier. Tous droits réservés. Impression
et citations : Seule la
version
au format PDF fait référence.
Mode
officiel de citation :
TAVERNIER Paul. - « Soixante
ans après : la réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies est-elle
possible ? ». - Actualité et Droit International, août 2005. <http://www.ridi.org/adi>.
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