Note de lecture rédigée par Roland Adjovi en
janvier 2004 (disponible au format PDF).
Dans une ère où l’hégémonie
américaine est partout rappelée, cet ouvrage tombe à pic pour éclairer tout un
chacun sur les modalités de la politique étrangère américaine. Les auteurs y
dénouent les mécanismes et y présentent les acteurs.
Les mécanismes sont
d’ordre historique, culturel, conceptuel et juridique.
Sur le plan historique,
il faut mettre en première place la naissance même des Etats-Unis d’Amérique
comme une révolution contre la domination de la patrie d’origine, une révolte
des descendants. Cette révolution transparaît sur tous les plans avec une
volonté de ne pas reproduire les abus du régime de la Couronne.
Sur le plan culturel,
les auteurs mettent en exergue ce qu’ils appellent le style national qui
est l’ensemble des caractères d’un Américain. Les auteurs prennent soin, dans un
souci d’honnêteté scientifique, de préciser qu’il s’agit d’une « construction de
l’esprit projetée sur la réalité » qui, comme tel, « comporte des
simplifications et des généralisations commodes » (p. 42). Ces caractères sont
le fondamentalisme, l’individualisme, le libéralisme, lesquels se traduisent sur
le plan politique par l’isolationnisme et le souverainisme.
Sur le plan conceptuel,
il faut remarquer d’abord l’existence d’un consensus idéologique fort, qui
laisse cependant place à des débats intérieurs intenses. Il y a d’abord les
débats d’idées à l’origine de la Constitution de l’Union, avec l’opposition
entre la primauté du Congrès et la suprématie du Président de l’Union. Il y a
ensuite l’opposition entre une logique politique de suprématie internationale,
et une approche coopérative des relations internationales avec une considération
plus accrue pour le multilatéralisme et les droits de l’homme. Aujourd’hui les
grilles de lecture de cette politique étrangère sont l’isolationnisme,
l’idéalisme, le réalisme ou l’internationalisme libéral, lesquels se traduisent
dans la sphère académique par l’unilatéralisme, le multilatéralisme et le
minimalisme.
Sur le plan juridique,
c’est le cadre constitutionnel de cette politique étrangère que les auteurs
appréhendent. La Constitution américaine est la première des constitutions
écrites et la plus ancienne encore en vigueur. Elle a beaucoup évolué dans le
temps avec 27 amendements, avec parfois un phénomène d’aller-retour marqué par
les tendances de la Cour suprême, législateur non avoué. Le droit
constitutionnel américain qui découle de cette Constitution se caractérise par
une séparation des pouvoirs relativisée par la balance des pouvoirs
favorable à l’exécutif ou au législatif / Congrès en fonction des contingences
nationale et internationale. Il est caractérisé aussi par un fédéralisme poussé
qui fait que les Etats fédérés ont souvent une influence sur la politique
extérieure mise en œuvre par les institutions fédérales.
Les acteurs
constitutionnels sont au nombre de trois : le Président, le Congrès et le
Peuple.
Le Président est
l’organe constitutionnel détenteur du pouvoir exécutif. Formellement, il est le
Commandant en chef des armées, le chef de l’Etat et le chef du gouvernement.
Informellement, ses pouvoirs sont fonction « des facteurs politiques, [de] ses
qualités personnelles de leader et de gestionnaire. Dans l’exercice de son
pouvoir, il s’entoure d’organes divers dont certains ne sont pas inscrits
formellement dans la Constitution. Dans le temps, le poids de ces institutions
de l’exécutif dans le processus décisionnel a varié. A côté des Départements
d’Etat (State Department) et de la Défense (Defence Department ou
Pentagone), c’est aujourd’hui le Conseil de sécurité nationale (National
Security Council) qui apparaît comme l’organe clé où doit s’assurer la
cohérence globale du système conceptuel et opérationnel (cf. Chapitre 7, pp.
211-245). Parallèlement à ces organes, il faut prendre en compte le système de
renseignement dont la face visible est la police interne ou FBI (Federal
Bureau of Investigations) et l’Agence centrale de renseignement ou CIA (Central
Intelligence Agency).
Le pouvoir législatif est confié
au Congrès qui comprend le Sénat et la Chambre des représentants.
La logique des checks and balances veut que le Congrès participe du
pouvoir exécutif (notamment en matière de budget et de commerce international),
et inversement. La conséquence en matière de politique étrangère, c’est la
nécessaire coopération entre les deux organes constitutionnels pour l’équilibre
du régime, même si, dans le temps, des variations peuvent être constatées en
faveur de l’un ou l’autre de ces organes (pp. 250-252). Cette nécessité est
manifestée par les pouvoirs invisibles du Congrès : un pouvoir exécutif averti
associera le Congrès à son processus décisionnel afin d’éviter son courroux.
C’est là l’une des explications de l’échec du Traité de Versailles que la
présidence américaine a négocié sans associer le Congrès, lequel a voté contre
sa ratification. De plus, par son pouvoir d’auditionner les acteurs de
l’exécutif, le Congrès détient un pouvoir de contrôle non négligeable. Parfois,
c’est même le Congrès qui, dans l’exercice de son pouvoir législatif, détermine
la politique extérieure des Etats-Unis : c’est le cas avec les deux lois
extraterritoriales désormais célèbres pour les juristes internationalistes.
Le Peuple est à la
base des Etats fédérés, et de la Fédération. Dans un jargon de sociologie
contemporaine, c’est la société civile. Son influence sur la politique étrangère
est très relative car cette société civile reste peu au fait des enjeux
internationaux. Elle exerce son poids au moment dans les élections en donnant
quasiment un blanc-seing à une tendance générale. C’est une influence indirecte.
Cependant l’élite politique américaine semble se méprendre souvent sur la
tendance idéologique de cette société civile, en raison de l’absence d’une
approche scientifique
et l’apathie de cette société civile pour les questions internationales. Cette
société civile est affectée par les médias qui offrent souvent une vision
lacunaire de la scène internationale, sauf en période de crise où tous se
concentrent sur les mêmes faits et les développent extensivement. Ce faisant les
médias vont jouer un rôle essentiel dans la politique étrangère américaine en
attirant l’attention de la société civile en fonction de leurs intérêts divers.
Ce facteur est pris en compte par les acteurs politiques qui disposent pour la
plupart d’une couverture médiatique qui sait manipuler à dessein l’opinion
publique.
A côté de cette société civile
plurielle, il est une société civile organisée autour d’associations diverses.
Dans cette masse associative, il est deux types de regroupements qui vont
influencer la politique étrangères : des structures plus ou moins neutres
(centres de recherche et think tank) et celles politiques partisanes. Les
premières sont très spécifiques à la société américaine, en raison du poids
qu’elles ont pris dans le débat d’idées, à travers le temps. Toutes ces
structures participent à un jeu de lobbying qui marque le processus décisionnel.
Au final, la politique
extérieure américaine est un champ complexe aux multiples acteurs et idéologies,
même si pour la société internationale les Etats-Unis apparaissent depuis la fin
du XIXème siècle comme une puissance permanente. La question alors nous paraît
être de savoir si l’hégémonie américaine actuelle qui est l’aboutissement d’une
histoire politique internationale, ne constitue pas non plus le début du déclin
de la puissance américaine. Car le refus affiché du multilatéralisme risque de
coûter cher à une Amérique perçue de plus en plus comme arrogante.
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