Note importante : Cette note de lecture - rédigée par les professeurs
Adriana Dreyzin de Klor (Université Nationale de Córdoba, Argentine) et
Diego Fernández Arroyo (Université Complutense de Madrid, Espagne) - est
parue en espagnol dans la revue Revista de Derecho Internacional y del
Mercosur,
Año 7
(2003), N° 5, pp. 169 et ss.
Elle a été traduite en français et publiée dans cette revue avec l’aimable
autorisation de ses auteurs et de la RDIM. (disponible
au format PDF). |
L’ouvrage auquel nous consacrons
ce commentaire sort de la plume d’une éminente juriste brésilienne. Docteur en
droit de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, elle s’est lancée dans un
grand défi, celui d’identifier les asymétries entre le Marché commun du Sud
(Mercosur) et l’Union européenne, comme première démarche d’une recherche qui va
bien au-delà de ce propos. Partant de l’idée que reconnaître et accepter les
différences entre les ensembles régionaux est déterminant pour que les relations
entre les blocs puissent progresser, l’auteur, avec une maîtrise remarquable,
démêle peu à peu cette pelote de laine très enchevêtrée, nourrie par des
éléments historiques, sociologiques, culturels et économiques particuliers à
chacun des peuples qui ont décidé de faire partie des processus respectifs
d’intégration régionale. Ce point de départ devient fondamental pour chercher
des solutions réalistes d’équivalence entre des éléments hétérogènes, ainsi que
pour ne pas imposer, avec un naturel apparent, le modèle du plus fort au plus
faible.
L’auteur constate que de
nombreux juristes des Etats membres ont succombé à la tentation d'établir un
parallèle entre les deux processus d’intégration, ce qui les a conduit à
promouvoir des études comparatives entre les systèmes institutionnels, fondées
dans la plupart des cas sur l’objectif primordial du Mercosur, celui d’aboutir à
la constitution d’un marché commun. Néanmoins, une telle piste de recherche ne
peut produire des résultats satisfaisants dès lors que l’on constate que le
Mercosur n’a adopté la « technologie juridique » communautaire que très
« superficiellement ». Ainsi, la comparaison grossière ne peut produire que des
résultats très nuisibles au moment où l'on essaye d'opérer un rapprochement
entre les deux blocs, car le fait de fonder ces rapports sur des fausses
similitudes, en mettant en oeuvre une méthode impraticable, engendre des risques
graves, notamment celui de multiplier les conflits au lieu de rapprocher les
régions. En ce sens, sur la base de fondements scientifiques solides, Deisy
Ventura met l’accent sur le fait que les différents plans d’analyse au service
du droit communautaire ne sont pas transposables d’emblée au Mercosur. En effet,
les différences découlant d’un déséquilibre profond de taille, de maturité, de
sources documentaires, de doctrine et jurisprudence, s’additionnent pour
souligner l’erreur qui découle de l’usage de paramètres d’analyse semblables
face à des entités si différentes.
Par ailleurs, l’auteur a raison
d’observer que l’« état d’esprit » qui imprègne les partenaires, même s’il ne
revêt pas une grande importance scientifique, constitue le révélateur des
possibilités de développer un processus d’intégration. Par conséquent, il n’est
pas surprenant que cette recherche axée sur le droit comprenne une approche
multidisciplinaire et révèle la profonde formation philosophique de l’auteur.
Dans le domaine juridique, l’auteur se déplace aisément aussi bien en droit
privé qu’en droit public, ainsi qu’en philosophie du droit. Cela lui permet
d’élaborer des critiques très pointues et très bien fondées sur les faiblesses
de la structure institutionnelle du Mercosur, ainsi que sur les conséquences qui
en découlent. La solidité logique développée par Deisy Ventura est si
impressionnante que les contradictions et les ambiguïtés de l’ordre juridique du
Mercosur ainsi que les relations interrégionales semblent la déranger, en raison
précisément d'un manque de cette logique qu’elle manie si bien.
Au fil de l’ouvrage, toutes les
réflexions acquièrent une importance radicale. Toutefois, ce bref commentaire ne
saurait prétendre mettre en évidence tous les arguments avancés à chaque sujet
abordé. Choisir l’un ou l’autre nous conduirait, sans doute, à une décision
arbitraire. Mais on ne peut pas ignorer les conceptions humanistes de l’auteur,
ni son engagement en faveur de la défense des valeurs capables de soutenir, de
façon permanente et convaincante, l’urgence de modifier les paradigmes en
vigueur au XXe siècle, particulièrement en ce qui concerne les conceptions
économiques qui dominent la scène mondiale. Ainsi, par exemple, son approche de
la politique de coopération au développement l'amène à s'interroger sur le sens
des mots « mondialisation » et « pauvreté », et à mettre en question la
dynamique de notre système économique jugé responsable de « l’aggravation des
inégalités, de la misère et de l’exclusion », ainsi que le rôle joué par la
« régulation politique de l’économie mondiale ».
Le plan adopté par Madame
Ventura dans cette recherche a mené le Professeur Philippe Manin à écrire, dans
le préface de l’ouvrage, que l’auteur « a un souci de la méthode et un scrupule
scientifique qui font, notamment, que la documentation est remarquable et que
les analyses sont précises et fondées sur la recherche de l’objectivité.
Ensuite, elle possède une culture, philosophique et historique notamment, qui
lui permet d’aller au-delà de la comparaison statique de deux systèmes ». En
vérité, il est fort peu probable de trouver un travail de ce genre mieux
articulé et plus équilibré que celui-ci. Il est vraiment impressionnant que l'on
finisse la lecture d’un ouvrage de plus de 500 pages avec la sensation que rien
ne lui manque et que rien n'est de trop, chaque argument trouvant avec justesse
la place et l’attention qu’il mérite.
En effet, le livre est divisé en
deux parties. La première se penche sur l’asymétrie institutionnelle entre les
deux phénomènes régionaux, qualifiés par cette juriste de « modèles sui generis
d’intégration ». Le premier titre,
intitulé « La structure institutionnelle minimaliste du Mercosur », comprend
deux chapitres : « Le cadre d’une organisation internationale ordinaire » (Ch.
1) et « La dynamique d’une simple entente inter-étatique » (Ch. 2). Dans le
deuxième titre, le noyau de la problématique est « L’inexistence d’un ordre
juridique de type communautaire », avec un premier chapitre sur « L’absence de
primauté du droit de l’intégration » et un deuxième sur « Les limites de
l’application du droit du Mercosur ».
La deuxième partie, à son tour,
suivant le fil qui conduit à la l'approbation de sa thèse, est consacrée à
l’asymétrie relationnelle entre l’Union européenne et le Mercosur. Le titre
indique déjà le rôle joué par l’alliance au sein de chaque bloc, puisqu’il
souligne son caractère si secondaire pour l’Europe, et son rôle capital pour le
Mercosur. Au sein du premier titre, « Le Mercosur, le noyau des nouvelles
relations entre Europe et Amérique latine », le premier chapitre traite de la
« lente construction de l’axe Europe-Amérique latine », tandis que la deuxième
met en relief « la naissance d’un nouvel interlocuteur ». Le deuxième titre
pondère l'analyse relative au sens que revêt aux yeux du Mercosur l’alliance
avec l’Europe, avec ses deux chapitres sur le
lancement de l’association et les dilemmes du Mercosur.
Au terme de ce chemin arrive le
moment de dégager des conclusions, fruit de la rigueur de l’analyse des sujets
si chers aux deux régions. Après un travail d’une telle excellence, l’auteur
soutient que les blocs doivent assumer clairement et surmonter les problèmes
posés par leurs nombreuses asymétries. Il faut mettre l’accent sur le souci de
l’auteur de démontrer ses affirmations ainsi que sur la profondeur des
réflexions exprimées à travers le livre. Cet ensemble fait de cet ouvrage un
apport véritablement singulier dans l’univers des travaux consacrés au droit de
l’intégration des pays du Mercosur depuis sa création, il y a douze ans. Au
Brésil, la traduction de ce texte vient d’être publiée dans une édition soignée
de la maison Manole (As assimetrias entre o MERCOSUL e a União Européia. Os
desafios de uma associação inter-regional. São Paulo, 2003, 694 p.). Celui
qui se portera acquéreur de cet ouvrage, en français ou en portugais, peut être
sûr qu’il aura fait son meilleur investissement en livres juridiques depuis
longtemps.
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