Note de lecture rédigée par Christophe Nouzha en
janvier 2004 (disponible au format PDF).
Il est des instruments juridiques qui impriment sur
le droit international une marque que le passage du temps n’est pas prêt
d’estomper. Il en est ainsi de la Convention des Nations Unies sur le droit de
la mer, qui vient de fêter le vingtième anniversaire de son adoption. Les
qualificatifs n’ont pas manqué pour désigner ce que le Président de la Troisième
Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, l'Ambassadeur Tommy T.B.
Koh, a pu considérer, dans une formule passée à la postérité, comme « une
constitution pour les océans » (Cf.
Remarques prononcées par Tommy T.B. Koh (Singapour), Président de la Troisième
Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer). Un tel monument, commenté, analysé, décortiqué
par la doctrine a inspiré un projet audacieux dans son principe et
impressionnant dans sa réalisation : un commentaire article par article de
l’ensemble des dispositions de la Convention, à savoir quelques 320 articles et
9 annexes, auxquels s’ajoutent encore un Acte final comportant lui aussi des
annexes, sans oublier l’Accord de 1994 relatif à l’application de la Partie XI
de la Convention. L’exercice n’est certes pas nouveau et a déjà donné naissance
à des ouvrages consacrés, notamment, à la Charte des Nations Unies ou, dans le
cadre régional, aux différents traités communautaires ainsi qu’aux principales
conventions relatives à la protection des droits de l’homme. Mais il prend avec
le commentaire de la Convention une ampleur inégalée jusqu’à présent.
L’ambition du projet de commentaire de la Convention
de Montego Bay et les objectifs que se sont fixés ses responsables ont conduit
ces derniers à choisir une présentation par secteurs, respectant la répartition
des matières entre les différentes commissions mises en place dans le cadre de
la Troisième Conférence. Il en résulte une série de six ouvrages. Le présent
volume est ainsi consacré au régime de l’exploration et de l’exploitation des
fonds marins (encore appelés la « Zone »), auquel la Convention consacre sa
Partie XI (articles 133 à 191) ainsi que ses Annexes III et IV que vient
compléter l’Accord de 1994 relatif à l’application de la Partie XI.
L’ouvrage est, en fait, davantage consacré à un
historique commenté de chacune des dispositions conventionnelles régissant la
Zone, qu’à un véritable commentaire de ces règles sur le modèle de celui que
l’on peut trouver dans les principaux ouvrages consacrés, par exemple, à la
Charte des Nations Unies. Il n’en demeure pas moins qu’un tel exercice est d’une
importance primordiale pour comprendre la Convention et l’interpréter. Après
avoir retracé dans une longue introduction les différentes étapes qui ont mené à
l’adoption du régime applicable à ce que la Convention qualifie de « patrimoine
commun de l’humanité » et à ses richesses pour l’heure encore inexploitées, les
auteurs analysent minutieusement les évolutions de chacun des articles, les
éclairent de leurs explications et donnent au lecteur les clés qui lui
permettent de comprendre les enjeux sous-jacents et les compromis subtils
indispensables à l’acceptation du texte. Suivant son cheminement, de session en
session, de commission en groupe de négociation, leurs commentaires permettent
ainsi de déterminer si l’accord sur la disposition en cause s’est fait dès les
premiers stades de la négociation ou bien si, au contraire, les règles que
contient l’article disséqué ont donné lieu à des débats houleux, voire à des
oppositions irréductibles, dont les conséquences sont perceptibles dans le texte
final. Le lecteur acquiert de la sorte à la fois une vue d’ensemble de la
réglementation et une connaissance précise des avancées souvent chaotiques de la
négociation, grâce aux précisions qui lui sont apportées par des spécialistes de
la matière, qui ont, pour bon nombre d’entre eux, pris part aux négociations,
voire influencé les discussions. Les commentaires se fondent pour cela non
seulement sur les documents, officiels et officieux, de la Conférence, mais
également sur les notes personnelles des auteurs-praticiens. Cette démarche est
d’autant plus utile que les innombrables discussions menées pendant près de dix
ans (sans compter les travaux du Comité des fonds marins, entre 1969 et 1973,
qui ont constitué en quelque sorte une préfiguration de la Troisième Conférence)
n’ont pas été consignées dans des documents. Les commentaires n’en sont dès lors
que plus riches et mettent en exergue les nombreux compromis, ambiguïtés et
zones d’ombre présents dans le texte final. Ils tiennent compte, en outre, des
modifications ultérieures de cette partie de la Convention introduites par
l’Accord de 1994. Ce n’est, en effet, qu’avec l’adoption de ce dernier qu’ont
été levées les réticences des Etats hostiles à certains points, jugés cruciaux,
de la réglementation initialement prévue par la Partie XI et les annexes qui s’y
rapportent. C’est au prix des amendements et compléments ainsi introduits que la
Convention a pu recueillir un nombre à la fois suffisant et représentatif de
ratifications pour son entrée en vigueur et, par conséquent, pour la mise en
place des institutions envisagées par le texte, au premier rang desquelles
figure l’Autorité, chargée de l’administration de la Zone. Il faut d’ailleurs
relever, à cet égard, que les auteurs du commentaire s’appuient également, dans
leur étude, sur les instruments juridiques adoptés par l’Autorité depuis le
début de ses activités pour enrichir leurs analyses par des références à la
pratique suivie.
L’utilité comme la valeur de l’ouvrage, et plus
généralement de l’ensemble de la série, sont incontestables. Au demeurant, la
preuve en est fournie, s’il en était besoin, par l’utilisation qui a déjà été
faite des autres volumes de cette série dans des instances juridictionnelles
telles le Tribunal international du droit de la mer et les tribunaux arbitraux
mis en place pour régler les différends concernant l’interprétation ou
l’application de la Convention. Nul doute que le même sort attend ce dernier
ouvrage de la série, dès lors que les activités liées à l’exploration et à
l’exploitation de la Zone prendront de l’ampleur et engendreront,
inévitablement, des frictions et des litiges. D’ores et déjà cité de manière
régulière par la doctrine, les juges et les arbitres, le commentaire de la
Convention est devenu une œuvre incontournable. Quelle meilleure consécration
pourrait-on imaginer ?
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