Souvent on n’y prend
pas garde, mais c’est une évidence que le droit est bien une science
humaine, au sens où la personne de celui qui l’appréhende conditionne sa
perception des questions soulevées. Pour savoir pourquoi tel ou tel
autre juriste est positiviste, objectiviste, droitsdelhommiste, et je ne
sais quoi d’autre, il peut être intéressant de regarder son parcours.
Ceci n’est pas pertinent uniquement pour relativiser les positions
tenues, mais aussi et surtout pour apprécier l’apport intellectuel.
C’est ce qui marque cet
ouvrage de Marc HENZELIN : il est avocat, pénaliste et suisse. Son
approche de la question de la compétence universelle, qu’il nomme à
dessein « principe de l’universalité », en droit pénal international
(choix tout aussi justifié), est riche de ces différentes dimensions.
Ainsi dès son
introduction générale, il parle du principe de l’universalité « qui
permet à un Etat de poursuivre et de juger l’auteur d’une infraction qui
n’a aucun lien de rattachement avec l’Etat en question », ce qui n’est
rien d’autre que la compétence universelle. Mais le choix de cette
expression se justifie par le fait que l’auteur cherche à appréhender
toute extraterritorialité pénale qui, dans le fond de la question,
révèle une universalité, laquelle peut être étudiée à titre propre et
non par le prisme de la compétence ou de la jurisdiction. Mais il
distingue selon que les Etats adhèrent ou non à cette pratique,
l’universalité unilatérale de l’universalité déléguée, celle absolue lui
paraissant inexistante.
Dans le même temps il offre une étude philosophique et historique des
fondements du principe de l’universalité, étude fouillée et riche
d’informations.
Ensuite il expose
clairement et brièvement la distinction entre droit pénal international
et droit international pénal, même si celle-ci lui paraît « difficile à
appliquer dans les faits » (p. 11), et… choisit son camp. Car pour lui,
il faut, « à la suite de Glaser, Bassiouni et Wise, (…) désigner
simplement sous la première acception [droit pénal international] les
aspects internationaux du droit pénal étatique et sous la seconde [droit
international pénal] les aspects pénaux du droit international. » (p.
11). Pourtant son étude porte bien dans son intitulé l’expression
« droit pénal international ». C’est dire que l’auteur a une vision
dualiste des rapports entre droit international et droit interne, ce qui
ne doit pas faire douter du contenu qui porte bien sur les deux aspects
de la question. De plus il justifie incidemment ce choix par l’aspect
pratique de la question, puisque les Etats sont réticents à « admettre
l’applicabilité directe du droit international pénal » (p. 424), en
raison notamment du principe de légalité en droit pénal.
Enfin il offre une
contribution intellectuelle qui porte, à notre sens, sur trois points.
D’une part, son
parcours personnel de pénaliste et d’avocat lui a permis d’appréhender
la notion de compétence universelle dans toutes ces dimensions, et non
exclusivement par celle des internationalistes qui s’attachent
principalement, si ce n’est exclusivement, aux phénomènes juridiques
internationaux. Ainsi la vue scientifique qu’il offre du principe de
l’universalité est bien plus large et plus complète.
D’autre part, il
démontre que la compétence universelle telle qu’il résulte de la
pratique internationale se résume à un principe d’universalité
unilatérale,
et que les Etats, dans leurs pratiques, n’ont pas adopté une telle
approche de sorte qu’on aurait pu parler d’une universalité absolue.
Autrement dit, le phénomène belge reste une exception, tout comme
l’affaire Pinochet. D’ailleurs, étant donnés les développements suite à
la plainte contre Ariel SHARON, le caractère impérial ou impérialiste
prend tout son sens pour marquer la dimension politique extérieure de
tels développements. Les attentats du 11 septembre 2001 relancent le
débat, ce qui marque là aussi la portée politique de tels engagements :
ainsi certains Etats affirment avoir aussi compétence pour juger les
« présumés » terroristes en vertu d’une compétence universelle.
Pour Marc HENZELIN
donc, seule la compétence pénale déléguée ou administration déléguée de
la justice
est une réalité du droit international positif. C’est donc dans ce sens
que devrait se poursuivre le développement pénal international (ou
international pénal) afin que le principe ne perde pas de sa substance.
Mais il ajoute que cette évolution conventionnelle pourrait, pour de
rares cas de conventions universelles (essentiellement onusiennes),
déboucher sur… une coutume. En somme, la compétence universelle telle
que ses fervents défenseurs la présentent aujourd’hui, n’est pas encore
une réalité, mais pourrait l’être un jour ! Il ne s’agit donc pas d’un
rejet catégorique ; il n’est que temporel. Et cette évolution semble
déjà caractériser certaines violations du droit international
humanitaire, s’agissant notamment des Conventions de Genève (1949) et du
premier protocole additionnel (1977). En d’autres termes, l’auteur
aboutit à une conclusion à laquelle on aurait dû s’attendre, à partir du
moment où, à le lire, on a compris qu’il était positiviste et
volontariste (ce qui peut paraître tautologique !). Il n’est nul besoin
de rappeler les nombreuses critiques à cet égard : aucune des approches
doctrinales du droit international ne permet d’affirmer une position
effective (c’est-à-dire conforme au droit positif) et non discutable.
Dès lors, il ne faut
que retenir la richesse de cette thèse, à lire par tout
internationaliste qui s’intéresse à ces questions, et qui croit en
savoir un brin (afin qu’il puisse vraiment en être ainsi), et pour tous
les autres qui veulent en apprendre d’avantage et aisément.
Roland ADJOVI (janvier
2002)
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Le développement spectaculaire du droit
pénal international ces dernières années permet de "mondialiser" la
répression des infractions d'intérêt universel. Il heurte cependant de
plein fouet des principes qui semblaient acquis: non-ingérence,
principe de la légalité, prévisibilité pour le justiciable, etc.
Cette thèse étudie dans quelle mesure le
droit international et le droit pénal autorisent ou obligent les Etats
à poursuivre et juger des infractions qui n'ont aucun, ou très peu de
lien de rattachement avec eux. A ce titre, l'auteur s'essaie à une
fusion partielle de deux mondes juridiques que tout oppose : le droit
international public, qui régit d'ordinaire des Etats, y compris selon
le mode coutumier, et le droit pénal, bastion de l'Etat souverain, qui
s'applique de façon extrêmement légaliste à des individus. Il conclut
à la nécessité d'un développement coordonné du droit pénal
international, clairement admis par les Etats.
Une contribution sur une matière
essentielle à l'aube du XXIème Siècle - mais qui plonge ses racines
dans des postulats philosophiques et historiques - entre l'affaire
Pinochet et l'avènement de la Cour pénale internationale. |