Dans son ouvrage, tiré
d'une thèse soutenue à l'Université d'Ottawa, Yacouba Cissé se penche
sur les problèmes de délimitations maritimes en Afrique et cherche à
déterminer quelles sont, si elles existent, les spécificités africaines
dans ce domaine ainsi que les contributions des Etats africains au droit
des espaces maritimes.
La construction générale de l'étude pourra ne pas convaincre tous les
lecteurs. En effet, alors que la première partie se présente comme un
panorama de l'évolution du droit des espaces maritimes, passant en revue
les questions liées aux sources, aux titres, aux critères, aux
techniques et aux méthodes de délimitation, ce n'est que dans la
deuxième partie de l'ouvrage que l'étude montre tout son intérêt,
l'auteur plongeant véritablement au cœur des problèmes auxquels sont
confrontés les Etats africains.
Après avoir présenté les enjeux des espaces maritimes africains relatifs
aux ressources halieutiques et à leur surexploitation, aux ressources en
hydrocarbures, aux routes maritimes et à la protection de
l'environnement, l'auteur insiste sur la dialectique
limitation/délimitation des espaces maritimes avant de discuter la
notion de frontière dans le contexte africain. Ce faisant, il analyse
les influences africaines avant et pendant les négociations qui se sont
déroulées dans le cadre de la troisième Conférence des Nations Unies sur
le droit de la mer. A cette occasion, l'auteur montre que, pour de
nombreux Etats africains, il s'agissait d'une prise de conscience des
enjeux que représentent les espaces maritimes, prise de conscience qui a
conduit non pas à une politique de la table rase, mais davantage à des
revendications de réaménagement du droit de la mer. Les positions des
Etats africains lors de la troisième Conférence paraissent souvent
convergentes, voire «
avant-gardistes
» (p. 281) selon les
termes de l'auteur, principalement lorsqu'ils revendiquent
l'assimilation du régime juridique de la zone économique exclusive et du
plateau continental. L'auteur ne manque cependant pas de souligner les
divergences, aussi bien sur la question du régime juridique des espaces
que sur celle des règles et méthodes de délimitation, qui hypothèquent
l'émergence d'une éventuelle coutume régionale dans le domaine.
En étudiant la pratique des Etats africains, l'auteur décrit la
diversité des législations nationales qui présentent souvent des
problèmes de conformité avec les règles posées par la Convention sur le
droit de la mer de 1982, qu'il s'agisse des lignes de base, de la mer
territoriale, de la zone contiguë, de la zone économique exclusive ou de
la zone de pêche. De même, il en vient à constater qu' « en Afrique,
les lois nationales conformes aux dispositions pertinentes de la
Convention sur le droit de la mer en matière de conservation et
d'exploitation des ressources biologiques ne sont pas légion » (p.
176).
La délimitation des espaces maritimes pouvant résulter soit d'accords
entre Etats, soit d'une décision d'une juridiction internationale, voire
de la combinaison des deux, l'auteur consacre d'importants
développements à ces moyens de détermination des frontières maritimes,
en rappelant que sur 118 frontières maritimes potentielles, une dizaine
seulement a été délimitée. Passant en revue les accords bilatéraux de
délimitation par région (golfe de Guinée, océan Indien, mer Rouge,
Méditerranée), l'auteur analyse les critères, fort variables, retenus
pour procéder à ces délimitations (critères politiques, historiques et
stratégiques ; juridiques ; socio-économiques et environnementaux ;
géographiques ; géologiques et géomorphologiques) avant de se pencher
sur les méthodes employées. L'auteur étudie également les différends
maritimes africains soumis au juge ou à l'arbitre en discutant de
manière approfondie les méthodes et critères consacrés par la
juridiction saisie.
L'auteur développe par ailleurs l'idée d'une « philosophie africaine
du droit de la mer » (p. 187) qui a conduit les Etats africains à
militer pour la création d'une zone économique exclusive dans laquelle «
l'exclusivité et le partage coexistent quand il est question
d'exploitation, d'exploration et de conservation des ressources
économiques […] » (p. 186), mais dont il faut bien avouer que le
lecteur peut avoir quelques difficultés à saisir les contours comme le
contenu exact.
Enfin, l'auteur se demande si le développement du régionalisme maritime
africain favorise l'émergence de zones de développement conjoint qui
pourraient permettre d'apporter une solution aux problèmes de
délimitation des espaces maritimes. Ces zones de développement conjoint
se définissent selon l'auteur comme « un système d'exploration et
d'exploitation des ressources maritimes vivantes et non vivantes se
trouvant dans le plateau continental et dans la zone économique
exclusive de deux ou plusieurs Etats côtiers […], un espace
multi-usage pouvant englober à la fois les ressources (ex. : toutes les
ressources naturelles partagées) et les services (ex. : protection de la
zone contre la pollution et recherche scientifique conjointe) » (p.
261). Se rattachant notamment au concept de droit de voisinage ainsi
qu'aux articles 74 et 83 de la Convention sur le droit de la mer
concernant les arrangements provisoires que les Etats peuvent conclure
dans l'attente de la conclusion d'accords de délimitation de la zone
économique exclusive et du plateau continental, ces zones de
développement conjoint sont présentées par l'auteur comme des moyens
d'apaiser les tensions frontalières. Les modèles utilisés dans la
pratique ainsi que la multiplication de ces zones dans plusieurs régions
africaines apparaissent effectivement comme l'une des solutions
permettant de prévenir l'émergence et le développement de différends
frontaliers par le biais d'une coopération renforcée entre les Etats
concernés. Elles ne paraissent cependant pas pouvoir se substituer, dans
l'état actuel du droit international et de la société internationale, à
une véritable délimitation des espaces.
Si l'on peut certes regretter l'absence de cartes qui auraient permis de
mieux visualiser les enjeux frontaliers tout comme l'absence d'un index,
il n'en demeure pas moins que l'ouvrage de Yacouba Cissé est des plus
intéressants et des plus utiles pour appréhender les nombreuses
contributions africaines au droit des espaces maritimes. L'étude
approfondie à laquelle s'est livré l'auteur viendra sans nul doute
enrichir la doctrine francophone dans ce domaine.
Note
rédigée par Christophe Nouzha
(avril
2002).
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