Présentation
des faits :
En
juin 1999, la Sala Plena du Conseil suprême de Justice militaire et la deuxième
Chambre Criminelle Transitoire XX de la Cour suprême ont déclaré inexécutables
respectivement le jugement au fond de la Cour interaméricaine des droits de
l’homme dans l’affaire Castillo Petruzzi, et le jugement en réparation dans le cas Loayza
Tamayo, qui condamnaient le Pérou.
Suite
à ces décisions, le Congrès péruvien a adopté le 8 juillet 1999 une loi par
laquelle le Pérou retire la déclaration de reconnaissance de la compétence
contentieuse de la Cour Interaméricaine, avec effet immédiat. Une résolution
dans ce sens a été déposée au Secrétariat général de l’Organisation des
Etats Américains le jour suivant.
La
Commission interaméricaine avait entre temps interjeté appel devant la Cour de
deux affaires : Ivcher Bronstein (le 31 mars 1999) et Tribunal Constitucional (le 2 juillet 1999). Dans ces deux affaires,
l’Etat défendeur a renvoyé à la Cour les dossiers le 16 juillet 1999 et le
4 août 1999, refusant de participer à la procédure contentieuse.
La
Cour a néanmoins décidé de poursuivre l’examen des affaires pendantes, et
s’est prononcée sur ces deux espèces lors de la session de septembre 1999,
à l’issue de l’audition des représentants de la Commission, des témoins,
en dépit de l’absence des représentants de l’Etat péruvien.
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Que pensez vous du retrait par le Pérou de la reconnaissance de la compétence
contentieuse de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme ?
Dans deux sentences du 24 septembre 1999 rendues dans les affaires Tribunal
Constitucional et Ivcher Bronstein, la
Cour Interaméricaine a déclaré inadmissible la prétention de l’Etat péruvien
de retirer avec effet immédiat la reconnaissance de la compétence contentieuse
de la Cour. Dans son examen, la Cour distingue deux types d’actes étatiques :
les actes unilatéraux parfaits, qui se suffisent à eux-même (comme la
reconnaissance d’un Etat ou d’un gouvernement, la protestation diplomatique,
la promesse, la renonciation) d’une part, et les actes unilatéraux soumis au
droit des traités, régis et conditionnés par celui-ci (comme la ratification,
les réserves, l’acceptation de clause facultative de compétence obligatoire
d’une juridiction internationale) d’autre part. La Cour considère que la déclaration
péruvienne relève de la deuxième catégorie, d’autant plus que la
Convention Américaine est muette sur cette question. Le système de protection
des droits de l’homme ne saurait être à la merci de limitations imposées
subitement par un Etat partie pour des raisons d’ordre interne.
Comment, à votre avis, peut s’opérer le retrait du Pérou (dénonciation de
la Convention américaine ou seulement de la clause de reconnaissance de la compétence
de la Cour) ?
La Convention américaine ne prévoit pas le dénommé ‘retrait’ unilatéral
d’une clause, et encore moins de la disposition fondamentale qui a trait à
l’acceptation de la compétence contentieuse de la Cour. L’unique possibilité
est par conséquent la dénonciation en bloc de la Convention, après un délai
de 12 mois, sans préjudice des faits commis antérieurement à cet acte. Ce délai
est identique à celui prévu par la Convention de Vienne sur le droit des traités
de 1969. Il s’agit d’un impératif de sécurité juridique qui doit être
rigoureusement observé dans l’intérêt de tous les Etats parties à la
Convention.
Cela signifie-t-il que la Cour continuera à examiner les affaires pendantes
contre le Pérou ?
Exactement, et il ne pourrait pas en aller autrement. En effet, il s’agit
d’un devoir que la Convention américaine elle-même impose à la Cour comme
organe judiciaire autonome de protection internationale des droits de l’homme.
En outre, il s’agit d’un compromis international assumé par l’Etat péruvien
duquel il ne peut subitement s’extraire, de surcroît selon ses propres
termes. Le prétendu ‘retrait’ unilatéral de l’Etat péruvien avec
‘effet immédiat’ n’a aucun fondement juridique, ni dans la Convention Américaine,
ni dans le droit des traités, ni d’ailleurs en droit international général.
Cette prétention est non seulement infondée, mais elle occasionnerait en outre
la ruine du système interaméricain de protection construit avec ardeur tout au
long des dernières décennies.
Quelles sont, à votre avis, les obligations du Pérou quant aux affaires
pendantes ?
Le Pérou continue d’être un Etat partie de la Convention américaine soumis
à la compétence contentieuse de la Cour. Il doit par conséquent respecter
l’obligation d’exécuter les décisions de la Cour le concernant, en vertu
de l’article 68.1 de la Convention. C’est pourquoi le Pérou a, comme tous
les autres Etats parties à la Convention, l’obligation d’exécuter toutes
les décisions de la Cour, y compris celles relatives aux affaires pendantes. Le
non respect de cette obligation constitue dans les cas d’espèce une violation
additionnelle de la Convention. Avec les deux sentences du 24 septembre 1999 Tribunal
Constitucional et Ivcher Bronstein,
la Cour a sauvegardé l’intégrité de la Convention Américaine, laquelle,
comme tous les traités de droits de l’homme, fonde la mise en œuvre du mécanisme
international de protection sur la garantie
collective des droits consacrés.
Enfin quel doit être, selon vous, l’organe qui peut se prononcer sur cette dénonciation
(la Cour elle même, le Secrétaire général de l’Organisation des Etats Américains,
ou un autre) ?
La Cour est l’unique organe compétent pour se prononcer sur ce point. Dans
ses deux sentences du 24 septembre 1999 précitées, la Cour a remarqué que sa
compétence ne peut être soumise à l’édiction d’un acte extérieur, qui
ne releve ni de sa propre initiative, ni de sa procédure. La Cour va plus loin
en considérant que l’Etat, en reconnaissant sa compétence contentieuse,
accepte par la-même d’être soumis à la juridiction de la Cour. Cette
reconnaissance implique que seule la Cour a compétence pour décider de toute
question qui concerne et affecte ladite compétence. L’Etat ne peut par conséquent
se retirer brusquement sous peine de porter atteinte au mécanisme international
de protection. La Cour, en résumé, a la compétence
de la compétence, et dans n’importe quelle circonstance est maîtresse de
celle-ci.
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