En direct de Rouen ... : "Un siècle de droit international humanitaire"
par
Isabelle Capette
Doctorante à l'Université de Paris I - Panthéon-Sorbonne
ATER à L'Université d'Evry-Val d'Essonne
A l’occasion du centenaire des Conventions de La Haye et du cinquantenaire des Conventions de Genève, les Centres de Recherches et d’Etudes sur les Droits de l’Homme et le Droit Humanitaire (CREDHO) de Rouen et de Paris Sud (1) ont organisé, le 15 octobre 1999, un colloque au titre prometteur puisqu’il s’agissait de discuter d’"un siècle de droit international humanitaire" (2).
Pour introduire les discussions, le Professeur Paul Tavernier a insisté, d’une part, sur la "dispersion et l’éclatement du droit international humanitaire sur le plan normatif et sur celui de l’action" et, d’autre part, sur son "approfondissement grâce à l’extension de son champ d’application" et à la mise en oeuvre de sanctions en cas de violation de ses normes. Le Professeur Eric David (3) a tiré les conclusions générales en soulignant que parfois "le mieux est l'ennemi du bien" et que le développement du droit international humanitaire pouvait conduire à son appauvrissement.
Les intervenants se sont d’abord interrogés "sur la pérennité ou le renouvellement des sources du droit international humanitaire" avant de terminer par sa mise en oeuvre et son effectivité.
I. "Pérennité ou renouvellement des sources du droit humanitaire ?"
Jean-Marie Henckaerts du Comité International de la Croix-Rouge de Genève a tenté de répondre à la question de savoir s’il y avait actuellement une "résurrection ou une résurgence de la coutume" dans le domaine du droit humanitaire. A cette fin, il a présenté l’étude menée actuellement par le CICR sur les règles coutumières du droit international humanitaire applicables lors de conflits armés internationaux et non-internationaux (4). Il a insisté sur le rôle particulièrement pertinent de la coutume dans le cadre d’un conflit armé non-international lorsqu’une des parties au conflit n’a pas ratifié le Protocole II de 1977.
Jean-Michel Favre du service juridique du Ministère des Affaires étrangères est intervenu sur le problème des mines et a souligné l’avancée majeure que constitue la Convention d’Ottawa de 1997 puisqu’elle "ne réglemente pas mais interdit" les mines antipersonnel. En ce qui concerne le problème des principaux Etats producteurs qui refusent de ratifier cette convention, il a indiqué qu’une réflexion était actuellement en cours afin de proposer un texte qui interdirait le transfert des mines antipersonnel aux Etats qui n’auraient pas ratifié la Convention d’Ottawa.
Le Commissaire Gilles Marhic, Chef du Bureau du droit des conflits armés du Ministère de la Défense a présenté, quant à lui, le Protocole du 26 mars 1999 à la Convention de 1954 sur la protection des biens culturels en cas de conflits armés et a précisé les nouveautés apportées au régime de protection. En ce qui concerne les règles générales de protection, il a souligné que le Protocole de 1999 ajoute une clause de réciprocité en cas de non-respect par la partie adverse des règles de protection et "apporte des contraintes supplémentaires dans la mise en oeuvre du principe de nécessité militaire" qui est désormais soumis au respect d’un certain nombre de précautions. De plus, il a fait remarquer que ce texte, en mettant en place un régime de protection spéciale renforcé, crée un nouveau niveau de protection par rapport à la convention de 1954.
Abdelwahab Biad, Maître de Conférences à l’Université de Rouen, est revenu sur "l’apport au droit international humanitaire de l’avis de la CIJ sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires" (5) et s’est notamment demandé si les "principes intransgressibles du droit international humanitaire" (6) reconnus par la Cour n’auraient pas suffi à rendre l’usage des armes nucléaires illégal.
II. Les mécanismes de mise en oeuvre et de sanction du droit international humanitaire : "Vers une plus grande efficacité du droit humanitaire ?"
Le Professeur Luigi Condorelli (7) n’a pu que constater l’impuissance de la Commission à jouer aujourd’hui un rôle central dans la mise en oeuvre du droit international humanitaire dans la mesure où elle a été établie "sur une base consensuelle" et n’est compétente que pour les conflits armés internationaux en vertu de l’article 90 du Protocole additionnel I de 1977 (8). Il a présenté ce qu’envisage la Commission, en dehors des possibilités ouvertes par l’article 90, "pour répondre aux besoins d’aujourd’hui qui portent sur des conflits internes". La Commission s’est ainsi accordée "un droit d’initiative humanitaire" afin de proposer ses services aux parties en conflit et souhaiterait développer "la logique du multilatéralisme" en enquêtant dans les cas de violation du droit humanitaire par les organisations internationales.
Stéphane Bourgon, membre du bureau du Procureur à La Haye, a montré comment les tribunaux pénaux internationaux ad hoc pouvaient contribuer au développement du droit international humanitaire, en particulier sur le plan de la définition des différentes catégories d’infraction et sur celui de la définition des infractions et de leurs éléments constitutifs et qu’ils étaient "sur le point de créer un nouveau système juridique" dans la mesure où ils étaient amenés à définir les règles de preuve et de procédure.
Tout en examinant la question du génocide, le Professeur Laurence Burgorgue-Larsen est revenu sur le fonctionnement et les réalisations du Tribunal d’Arusha en rappelant notamment l’obligation de coopération à la charge des Etats dans la recherche et l’arrestation des accusés et en soulignant l’importance du témoignage oral devant cette juridiction et le problème de la "précarité de la sécurité des témoins".
Le Professeur Eric David a été chargé d’imaginer quel pourrait être "l’avenir de la Cour pénale internationale". Partagé entre l’optimisme et le pessimisme à son sujet, il a tout d’abord présenté les obstacles à sa mise en oeuvre effective : l’exigence des 60 ratifications pour son entrée en vigueur, les limites tenant à ses compétences, etc. Malgré tout, il a fini en insistant sur "les potentialités réelles" de la Cour, tenant notamment à la possibilité de sa saisine par le Conseil de sécurité des Nations unies qui en ferait une sorte de "tribunal en stand-by" faisant peser une "épée de Damoclès" sur les Etats qui refuseront de ratifier son statut.
20 octobre 1999
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