Vous
avez participé aux réunions préparatoires de la Conférence mondiale contre
le racisme et à la Conférence elle-même à Durban. Quel est votre sentiment général
sur cette Conférence, et sa portée ?
L’une
des caractéristiques de cette conférence mondiale a été l’absence
d’esprit de corps, de climat de ferveur autour d’un thème qui se voulait
unificateur, à savoir la lutte contre le racisme. Nous avons au contraire
assisté à une sorte de division au sein de la communauté internationale. Schématiquement,
le groupe dit occidental voulait préparer une conférence qui serait tournée
vers l’avenir et donnerait la priorité aux manifestations contemporaines de
racisme, alors que le reste du monde souhaitait aborder les sujets sensibles liés à l’héritage du passé, à savoir le
colonialisme, l’esclavage.
Durban
est donc un processus qui a mis en avant sur la scène internationale la
question de l’esclavage et du colonialisme en tant que crime contre
l’humanité. La question est posée et elle reviendra nécessairement devant
les instances onusiennes, sera examinée, analysée dans des travaux
scientifiques, etc. Cette réunion a donc eu le grand mérite de poser cette
question, sachant que les causes du racisme d’aujourd’hui plonge leur racine
profonde dans ce passé historique.
Est-ce
à dire que ce sujet n’est pas fédérateur ? Je ne le pense pas :
une lecture et une compréhension commune de la lutte contre le racisme se dégagent
à l’échelle locale et nationale, et de façon symbolique sur le continent
européen (l’Europe des 43). Sur
le plan mondial en revanche, ni les priorités ni la compréhension du but à
atteindre ne semblent être les mêmes.
Cette
conférence universelle a d'abord été préparée à l’échelle régionale.
Pensez-vous que les spécificités propres à chaque continent sont une des
causes de l’échec de la Conférence ?
Pas
nécessairement. Certes, et les praticiens de la lutte contre le racisme le
savent : pour être efficace, la proximité est fondamentale et c’est
localement que la réflexion et l’action se situent. On peut néanmoins
souligner le travail venant « d’en haut », comme par exemple
l’adoption et la mise en œuvre d’instruments élaborés au sein du Conseil
de l’Europe, dernièrement le protocole n°12 ouvert à la signature.
Concernant
la préparation de la Conférence, nous avions organisé à Strasbourg en
octobre 2000, en collaboration avec l’Union européenne, une conférence européenne
intitulée « Tous différents, tous égaux : de la théorie à la
pratique », contribution de la région Europe à la conférence mondiale.
La conférence européenne était d’un caractère pratique et axée sur les
mesures à prendre. Quant aux autres régions, elles n’avaient pas les mêmes
attentes, souhaitant avant tout mettre à plat les responsabilités et toutes
les conséquences découlant du colonialisme et de l’esclavage.
N’oublions
pas qu’il s’agit de la 3ème Conférence mondiale et que les deux
premières avaient échoué. On ne peut pas en dire autant de Durban,
puisqu’en fin de compte, les textes résultant de la conférence (une Déclaration
et un Programme d’action) ont bel et bien été adoptés, et par consensus. Il
n’y a donc pas de malédiction liée aux conférences mondiales contre le
racisme : la 3ème n’a pas été un échec ; elle a été
difficilement préparée, a soulevé des controverses, mais a débouché
finalement sur des résultats, et c’est l’essentiel. Le travail à Durban était
aussi rendu ardu par le fait qu’il restait énormément de paragraphes à négocier
sur place. Le facteur temps a probablement compté, et pas seulement pendant la
conférence elle-même, aussi pendant la phase préparatoire.
Concrètement, le
travail sur le plan mondial est nécessaire sur des points comme par exemple la
lutte contre le racisme sur l’Internet, et les nouvelles technologies de
l’information. Une coopération internationale est indispensable en la matière.
Au-delà de ces questions précises, et d’un point de vue normatif, les textes
pertinents existent déjà : l’article 1 de la Déclaration universelle
des droits de l’homme ou encore la Convention de New York de 1961, ainsi que
des organes de contrôle comme le Comité de l’ONU contre la discrimination
raciale (CERD). La valeur ajoutée de grandes conférences internationales comme
la conférence mondiale contre le racisme est probablement de faire avancer la réflexion,
de mettre en exergue les nouveaux défis, et de sensibiliser l’opinion
publique. Je crois que pour l’instant, nous manquons encore de recul pour dire
si et jusqu’à quel point Durban a réussi en la matière.
Au
sein de cette Conférence, le rôle manifeste des ONG a été largement souligné.
Pensez-vous que l’on assiste à une évolution en la matière quant au rôle
de la société civile sur la scène internationale ?
Dans
le cadre la préparation de la Conférence Durban, il est incontestable que la
société civile, représentée par des organisations non
gouvernementales (ONG) locales, nationales et internationales, s’est énormément
impliquée. De grandes organisations internationales telles que, par exemple,
Amnesty International ou la Fédération internationale des droits de l’homme,
mais aussi beaucoup d’autres, ont injecté leurs idées dans le processus,
notamment pendant la phase préparatoire.
Cependant,
les ONG étaient divisées et formaient plusieurs groupes dans le cadre du Forum
des ONG qui a eu lieu à Durban, avant la conférence mondiale. Autant les ONG
étaient d’accord sur la question du colonialisme, autant l’exacerbation de
la situation au Moyen-Orient et « l’assimilation du sionisme au racisme »
les a divisées. Des actes et manifestations d’antisémitisme sont à déplorer,
et Mary Robinson, Haut commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies,
n’a pas recommandé la déclaration adoptée par le Forum des ONG auprès des
gouvernements. Cette division est
bien, à certaines nuances près, le reflet de la communauté internationale
dans son ensemble, de tous ses acteurs.
Et
maintenant ? Un suivi est-il assuré, à tout le moins sur le continent
européen ?
Pour ce qui concerne le Conseil de l’Europe, nous réunirons début décembre
2001, à Strasbourg, les représentants des Etats membres du Conseil de l’Europe,
des instances européennes concernées, du Bureau du Haut Commissaire aux droits
de l’homme, en collaboration avec les ONG, afin d’examiner le suivi des conférences
européenne et mondiale contre le racisme. Cette réunion va notamment passer en
revue les textes adoptés à Strasbourg et à Durban, et considérer les suites
qui pourraient y être données au niveau régional européen, notamment l’élaboration
éventuelle d’un plan d’action qui pourrait être mis en œuvre aux niveaux
national et européen, en impliquant les gouvernements, les institutions européennes
et la société civile.
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