COUR
INTERNATIONALE DE JUSTICE
1er semestre 2001
par
Delphine
Fenasse
Doctorante
à l'Université Paris I - Panthéon-Sorbonne
Note : Les liens
renvoient directement vers les affaires sur le site
de la Cour internationale de Justice. Même quand il n'y a pas de
lien, certaines pièces relatives à d'autres affaires évoquées ici
peuvent se trouver sur le site de la Cour. |
Durant
ce premier semestre 2001, la Cour internationale de Justice a rendu deux arrêts
importants. Plusieurs requêtes introductives d’instance ont également été
enregistrées. Nous limiterons l’actualité des travaux de la Cour aux arrêts
prononcés.
Délimitation
maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c Bahreïn)
Le
8 juillet 1991, Qatar a déposé une requête introductive d’instance contre
Bahreïn « au sujet de certains différends existant entre eux
relativement à la souveraineté sur les îles Hawar, aux droits souverains sur
les hauts-fonds de Dibal et Qit’at Jaradah et à la délimitation des zones
maritimes ».
Le
16 mars 2001, la Cour internationale de Justice a rendu son arrêt sur
l’affaire la plus longue de l’histoire de l’organe judiciaire principal
des Nations Unies.
La
Cour, dans son arrêt, dit que Qatar a souveraineté sur Zubarah et l’île de
Janan et sur le haut-fond découvrant de Fasht ad Dibal.
Bahreïn
a souveraineté sur les îles Hawar et sur l’île de Qit’at Jaradah.
La
Cour trace une limite maritime unique divisant les différentes zones maritimes
de Qatar et de Bahreïn (voir carte jointe dans le Communiqué de presse
2001/9bis du 16 mars 2001, p. 3).
Cette
affaire, notamment à travers les deux dernières ordonnances, apporte une
contribution importante en matière de droit des traités (voir Annuaire français de droit international, 1995, p. 311).
LaGrand
(Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique)
Karl
et Walter LaGrand, deux ressortissants allemands ont été condamnés à mort
par l’Etat de l’Arizona pour le meurtre d’un directeur de banque en 1982.
Karl LaGrand a été exécuté le 24 février 1999. Le 2 mars 1999 l’Allemagne
a déposé une requête introductive d’instance contre les Etats-Unis pour
violation de la Convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations
consulaires. Aux termes de celle-ci, les deux frères auraient dû être informés
de leur droit à bénéficier de l’assistance consulaire. Or, l’Allemagne
affirmait n’avoir été informée de l’affaire qu’en 1992, lorsque tous
les recours judiciaires étaient épuisés, et non par les autorités américaines
comme l'impose la Convention de Vienne, mais par les détenus eux-mêmes. En
plus de cette requête introductive d’instance, l’Allemagne a présenté, le
même jour, une demande en indication de mesures conservatoires en vue
d’obtenir un sursis à l’exécution de Walter LaGrand. Malgré
l’ordonnance de la Cour du 3 mars 1999 appelant les Etats-Unis à suspendre
l’exécution de Walter LaGrand, ce dernier a été exécuté le 8 mars 1999.
La
Cour a rendu son arrêt le 27 juin 2001. Elle dit, pour la première fois de son
histoire, que les mesures conservatoires ont un caractère obligatoire. C’est
la première fois que la Cour avait à se prononcer sur un sujet qui est source
de controverses doctrinales. En effet, l’article 41 du Statut de la Cour se
contente de prévoir que « la Cour a le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circonstances l’exigent,
quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent
être prises à titre provisoire » (souligné par nous). Faut-il prendre
en compte le caractère impératif du verbe devoir ou le caractère permissif de
l’indication ? La Cour constate qu’en effet, l’interprétation
diverge selon que l’on se réfère au texte français ou au texte anglais.
Elle précise que dans le texte français, les termes « indiquer »
et « indication » peuvent être considérés comme « neutres
au regard du caractère obligatoire des mesures en question ». Mais elle
constate aussi que le verbe « devoir » a un caractère impératif.
Selon les Etats-Unis, la version anglaise - qui emploie les termes « indicate »
et « ought be taken » - signifie que ces mesures conservatoires
n’ont pas de caractère obligatoire. Pour répondre à la question, la Cour précise
tout d’abord qu’en vertu de la Charte des Nations Unies, les deux versions -
anglaise et française - font foi. La Cour procède alors à l’analyse de
l’objet et but du Statut de la Cour pour trouver une solution. Elle dit qu’« il
ressort de l’objet et du but du Statut, ainsi que des termes de l’article 41
lus dans leur contexte, que le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires
emporte le caractère obligatoire desdites mesures où le pouvoir en question
est fondé sur la nécessité, lorsque les circonstances l’exigent, de
sauvegarder les droits des parties, tels que déterminés par la Cour dans son
arrêt définitif, et d’éviter qu’il y soit porté préjudice. Prétendre
que des mesures conservatoires indiquées en vertu de l’article 41 ne seraient
pas obligatoires serait contraire à l’objet et au but de cette disposition »
(Arrêt LaGrand (Allemagne c.
Etats-Unis d'Amérique), § 102. Souligné par nous).
Elle rajoute encore pour donner plus de poids, après avoir analysé les travaux
préparatoires de l’article 41, qu’« en définitive, aucune des
sources d’interprétation mentionnée dans les articles pertinents de la
convention de Vienne sur le droit des traités, y compris les travaux préparatoires,
ne contredisent les conclusions tirées des termes de l’article 41 lus dans
son contexte à la lumière de l’objet et du but du Statut. Ainsi, la Cour
parvient à la conclusion que les ordonnances indiquant des mesures
conservatoires au titre de l’article 41 ont un caractère obligatoire »(Ibid.,
§ 109. Souligné par nous).
Quelles
sont les conséquences du non respect par l’Etat des mesures conservatoires
que la Cour lui a indiquées ? A priori aucune car si les mesures
conservatoires ont force obligatoire au même titre que les arrêts de la Cour,
en pratique, les Etats ne s’y prêtent pas de bonne volonté. Ainsi la France
ne s’est pas soumise à l’ordonnance du 22 juin 1973 dans l’affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France). C’est également
le cas de l’Iran dans l’affaire du Personnel
diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis c. Iran)
et déjà des Etats-Unis dans l’affaire des Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.
Etats-Unis d'Amérique). Il en est de même pour la Yougoslavie qui n’a
pas tenu compte des mesures indiquées par la Cour dans l’affaire relative à
l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Yougoslavie).
Cet
arrêt est à rapprocher de l’affaire relative à la
Convention de Vienne sur les relations consulaires (Paraguay c. Etats-Unis d'Amérique).
En l’espèce, le Paraguay avait saisi la Cour en indication de mesures
conservatoires afin de surseoir à l’exécution d’un de ses ressortissants,
condamné à mort en 1993 par l’Etat de Virginie. Comme dans la précédente
affaire, la Cour suprême des Etats-Unis n’a pas respecté l’ordonnance de
la Cour internationale de Justice. Le Paraguay a fini par retirer l’affaire du
rôle de la Cour internationale de Justice.
Delphine
Fenasse
Juillet 2001
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