COUR
INTERNATIONALE DE JUSTICE
2ème semestre 2001
par
Delphine
Fenasse
Doctorante
à l'Université Paris I - Panthéon-Sorbonne
Bien que la Cour internationale
de Justice ait eu une activité importante durant ce second semestre 2001, elle
n’a rendu qu’un arrêt auquel se limitera cette note.
Depuis 1997 et le compromis
signé le 31 mai, l’Indonésie et la Malaisie ont soumis un litige à la Cour
internationale de Justice afin de « déterminer, sur la base des traités, accords
et de tout autre élément de preuve produit par les Parties, si la souveraineté
sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan appartient à la République d’Indonésie ou à
la Malaisie ». Les parties ont pourvu à leurs obligations réciproques de dépôt
des mémoires, contre-mémoires et répliques dans les délais fixés à cet effet. De
plus, ni la Malaisie ni l’Indonésie n’ont souhaité produire de pièce
supplémentaire comme ils en avaient la possibilité.
Le 13 mars 2001, les Philippines
ont déposé devant la Cour une
requête à fin d’intervention dans l’affaire. L’Indonésie et la Malaisie ont
fait objection à cette requête. La Cour a refusé d’admettre la requête des
Philippines dans un
arrêt du 23 octobre 2001.
Application de
l’article 62 du Statut de la Cour internationale de Justice
L’article 62 du
Statut de la Cour internationale de Justice dispose que « Lorsqu’un Etat
estime que, dans un différend, un intérêt d’ordre juridique est pour lui en
cause, il peut adresser à la Cour une requête, à fin d’intervention ». Les
articles 81 à 86 du
règlement de la Cour indiquent les règles procédurales à respecter pour
formuler une requête en intervention telle que prévue à l’article 62 du Statut
de la Cour. L’article 81-1 dispose ainsi qu’« [u]ne requête à fin d’intervention
fondée sur l’article 62 du Statut, (…), est déposée le plus tôt possible
avant la clôture de la procédure écrite. Toutefois, dans des circonstances
exceptionnelles, la Cour peut connaître d’une requête présentée ultérieurement »
(souligné par nous). Dans son paragraphe 2, l’article 81 dispose également que
l’Etat qui introduit la requête doit avoir un intérêt à agir, et qu’il doit
produire des documents appuyant sa requête.
Concernant les délais tardifs
et la non clôture de la procédure écrite :
Si les Philippines ont déposé leur requête
tardivement, elles ne l’ont toutefois pas fait après la clôture de la procédure
écrite, car la possibilité pour les parties de déposer des pièces écrites
supplémentaires, ou pour la Cour d’en exiger de nouvelles n’était pas close. En
effet, les Parties n’ont informé la Cour de leur renonciation à verser des
pièces supplémentaires ou à échanger des dupliques que le 28 mars 2001, alors
que les Philippines ont introduit leur requête le 13 mars 2001.
Concernant l’intérêt à agir
des Philippines :
Selon l’article 81-2 du règlement
de la Cour, la requête à fin d’intervention doit spécifier « l’intérêt d’ordre
juridique qui, selon l’Etat demandant à intervenir, est pour lui, en cause ».
Cela signifie que l’Etat qui demande à intervenir doit démontrer qu’il a, par
rapport au différend pendant, un intérêt juridique dans son règlement. Un
intérêt de caractère politique, économique ou autre, ne peut donc pas justifier
une requête à fin d’intervention. Mais, si les Philippines n’ont pas d’intérêt
immédiat de ce type, elles invoquent un intérêt juridique dans les constatations
et raisonnements que la Cour pourrait adopter à propos de certains traités
particuliers qui seraient en cause dans le cadre d’un autre différend qui
l’oppose à l’une des deux parties à l’affaire pendante devant la Cour. La Cour
conclut que l’intérêt d’ordre juridique d’un Etat cherchant à intervenir en
vertu de l’article 62 du Statut, ne se limite pas au seul dispositif de l’arrêt,
mais il peut également concerner les motifs de l’arrêt. La Cour examine donc si
la revendication de souveraineté des Philippines au Nord-Bornéo pourrait ou non
être affectée par les motifs de la Cour dans l’affaire relative à Pulau ligitan
et Pulau Sipadan. Les Philippines basent leur argumentation sur la « Concession,
par le Sultan de Dulu, de territoires et terres sur l’île de Bornéo » de 1878,
qu’elles considèrent comme l’origine de leur titre au Nord-Bornéo ». Elles
présentent également d’autres documents à l’appui de leur requête, dont une
convention du 20 juin 1891 entre la Grande-Bretagne et les Pays-Bas délimitant
les frontières à Bornéo. Les Philippines invoquent également une Convention de
1930 conclue entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis relative à la frontière
entre l’archipel des Philippines et le Nord-Bornéo. Mais selon la Cour, si
certains de ces instruments présentent quelque intérêt dans le différend
opposant la Malaisie à l’Indonésie, pour aucun de ces instruments, les
Philippines n’ont été en mesure de démontrer qu’elles avaient un intérêt d’ordre
juridique susceptible d’être mis en cause au sens de l’article 62 du Statut de
la Cour. De plus, ces instruments présentés par les Philippines sont étrangers
aux arguments de l’Indonésie et de la Malaisie.
La Cour décide donc de ne pas
admettre la requête à fin d’intervention des Philippines.
Cet arrêt est à rapprocher
d’autres affaires dans lesquelles la Cour a rejeté les demandes en intervention.
La première concerne l’Affaire
du Plateau Continental (Tunisie/Jamahiriya Arabe Libyenne). Malte,
sans être partie à l’affaire, estimait avoir un intérêt « spécial et unique » du
fait d’une affaire similaire avec la Libye concernant son plateau continental.
La Cour a rejeté à l’unanimité la demande en intervention de Malte car l’intérêt
d’ordre juridique de Malte ne se rattachait à aucun intérêt juridique lui
appartenant en propre, lequel serait directement en cause dans l’instance. En
effet, l’objet du procès principal n’était pas la délimitation du plateau
continental entre la Tunisie et la Libye, mais la méthode pour procéder à une
telle délimitation. Selon la Cour, l’intérêt invoqué par Malte concernait en
réalité « l’effet qu’auraient éventuellement, sur une délimitation ultérieure du
plateau continental de Malte, des considérations que la Cour pourrait formuler
dans sa décision à propos de points en litige entre la Tunisie et la Libye
relativement à la délimitation de leurs plateaux continentaux ».
La seconde affaire est l’Affaire
du Plateau Continental (Jamahiriya Arabe Libyenne/Malte). Quelques
années après le rejet par la Cour de la requête à fin d’intervention de Malte,
l’Italie a déposé une requête similaire dans un litige opposant Malte et la
Libye. La Cour a considéré que pour accéder à cette demande, il fallait qu’elle
détermine d’abord les zones revendiquées par l’Italie et qu’elle se prononce,
par conséquent, sur l’existence ou l’absence des droits italiens sur certaines
zones. Mais si la Cour ne refusa pas l’existence de l’intérêt d’ordre juridique
de l’Italie, elle considéra toutefois qu’elle devrait être amenée, pour donner
effet à l’intervention, à trancher un différend, ou un élément de différend,
entre l’Italie et l’une ou l’autre des parties principales. Elle rejeta donc la
requête.
La jurisprudence de la Cour
sur la question de l’intervention, qu’elle ait accédé ou non aux requêtes des
Etats intervenants, contribue à clarifier la notion d’intérêt juridique. D'une
part, il doit y avoir un lien de connexité entre l’intérêt de l’intervenant et
l’instance principale. D’autre part, l’intervention ne doit pas conduire la Cour
à résoudre un autre différend que celui qui lui est soumis.
Delphine
Fenasse
31 janvier 2002
|