LE
DROIT A L'AIDE JUDICIAIRE DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS
DE L'HOMME
L'ARRET
BIBA C. GRÈCE DU 26 SEPTEMBRE 2000
par
Luc
Misson (luc.misson@misson.be) et Jean-Pierre Jacques
(jacques@misson.be)
Avocats
au Barreau de Liège (Belgique)
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et citations : Seule la version
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Cour
européenne des droits de l’homme
26
septembre 2000
Prés. :
M. J-P. Costa
Juges :
M. C.L. Rozakis, M. L. Loucaides, M. P. Kūris, Mme F. Tulkens, M. K. Jungwiert,
Sir Nicolas Bratza.
Greff. :
Mme S. Dollé, greffière de section.
Plaid. :
Mme V. Pelekou (pour le Gouvernement) et Me I.
Yannacou (pour le requérant).
(BIBA
c. Grèce)
Convention
européenne des droits de l’homme – article 6, §1er et 6
§3, c – Droit d’accès à un tribunal – Droit à l’aide
judiciaire pour se pourvoir en cassation – intérêts de la Justice
– législation défaillante – violation de 6, 1° combiné avec 6, 3°,
c
Sur
le point de savoir si les intérêts de la justice exigeaient que le
requérant bénéficiât d’une assistance judiciaire, la Cour relève
la gravité de l’infraction reprochée ainsi que la sévérité de la
peine infligée : le requérant a été déclaré coupable «
d’homicide volontaire particulièrement répugnant » et condamné à
la réclusion criminelle à perpétuité. A cela s’ajoute la complexité
de la procédure en cassation et le fait que le requérant, de
nationalité étrangère et ignorant la langue et le système juridique
grecs n’était pas en mesure de rédiger lui-même - et dans un délai
de dix jours à compter de l’arrêt de la cour d’assises d’appel -
un acte juridique aussi technique qu’un pourvoi en cassation.
La
législation grecque ne prévoit nullement l’octroi d’une aide
judiciaire aux personnes qui se pourvoient en cassation. A la différence
de l’affaire Twalib, le requérant n’avait, en l’espèce, ni
rempli un formulaire type de pourvoi ni demandé au procureur près la
Cour de cassation de commettre un avocat pour l’assister dans la préparation
de son pourvoi. Toutefois, cette différence ne change rien par rapport
au fond des deux affaires.
Compte
tenu de l’impossibilité pour le requérant d’obtenir l’aide
judiciaire pour se pourvoir en cassation, il y a eu violation de
l’article 6 § 1 de la Convention, combiné avec le
paragraphe 3 c) de cet article.
(Extraits)
EN
FAIT
I.
Les circonstances de l’espèce
(…)
« 1. Le
19 janvier 1993, le requérant, qui était entré clandestinement en Grèce,
fut arrêté pour le meurtre d’un autre ressortissant albanais, dont
le crâne était fracassé et le corps enterré dans un tas de fumier.
Il allègue que pendant sa garde à vue, du 19 au 26 janvier 1993, il
n’avait pas accès à un avocat et à un interprète, qu’il fut privé
d’eau et de nourriture (car tout son argent avait été confisqué),
qu’il fut battu par les policiers et qu’il fut obligé de signer une
déclaration en grec qu’il ne pouvait pas comprendre.
2. Accusé
d’homicide volontaire particulièrement répugnant, de vol avec
violence et d’entrée et séjour illégal sur le territoire grec, le
requérant comparut, le 25 mai 1994, devant la cour d’assises de
Serres, composée de trois juges et de quatre jurés. Il était représenté
par un avocat, qui le défendit gratuitement, et bénéficia de
l’assistance d’un interprète désigné par le parquet. La cour
d’assises condamna le requérant notamment à la réclusion criminelle
à perpétuité.
3. Le
requérant interjeta appel de ce jugement devant la cour d’assises
d’appel de Thessalonique, qui tint audience le 4 décembre 1995. Il était
à nouveau représenté par un avocat dont les honoraires semblent avoir
été pris en charge par une théologienne anglicane, Mme
McIntyre, ressortissante britannique, qui avait connu le requérant en
prison, l’aidait financièrement depuis lors et avait même mené ses
propres investigations de l’affaire, et assisté d’un interprète.
La cour d’assises d’appel entendit six témoins à charge et deux à
décharge, dont Mme McIntyre. La cour rejeta une demande de
la défense tendant à l’ajournement des débats. Enfin, elle confirma
le jugement de première instance et refusa de reconnaître au requérant
des circonstances atténuantes. L’arrêt fut mis au propre le 14 décembre
1995. Le requérant ne se pourvut pas en cassation. Mme
McIntyre ne pouvait plus avancer à ce dernier les sommes importantes nécessaires
pour un pourvoi en cassation.
EN DROIT
(…)
II.
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 DE
LA CONVENTION
4. Le
requérant se plaint de ce qu’il ne put pas se pourvoir en cassation,
car il était impécunieux et il n’était pas possible d’obtenir une
assistance judiciaire devant la Cour de cassation à cet effet. Il
invoque l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention qui,
dans ses parties pertinentes, se lit ainsi :
« 1. Toute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (…)
par un tribunal (…), qui décidera, (…) du bien-fondé de toute
accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…)
3. Tout
accusé a droit notamment à :
(c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur
de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur,
pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque
les intérêts de la justice l’exigent ;
(…) »
27. La
Cour note que la présente affaire présente des similitudes avec
l’affaire Twalib c. Grèce, dans laquelle la Cour avait constaté
une violation de l’article 6 § 3 c) (arrêt du 9 juin
1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑IV). Dans l’affaire
Twalib, la Cour avait constaté que le requérant était impécunieux et
demandait une assistance judiciaire pour son pourvoi en cassation et que
les intérêts de la justice exigeaient l’octroi de cette assistance
vu la gravité de l’infraction et la sévérité de la peine, ainsi
que la complexité de la procédure en cassation ; elle avait
constaté aussi que le requérant était d’origine étrangère et
ignorait la langue et le système juridique grecs ; elle avait
ainsi conclu que, comme le droit grec ne prévoyait pas l’octroi
d’une assistance judiciaire en cassation, il y avait eu violation de
l’article 6 § 3 c).
28. En
l’espèce, il ne fait aucun doute que le requérant n’avait pas à
l’époque les moyens de rémunérer un défenseur en cassation. Le
requérant, immigré clandestin en Grèce, survivait en travaillant
occasionnellement comme ouvrier non qualifié jusqu’au jour de son
arrestation. La somme modique que la police avait trouvée sur lui a été
confisquée le jour même. Dans les procédures devant les juridictions
grecques, il était assisté par une visiteuse de prisons, membre
d’une organisation humanitaire, qui semble avoir payé elle-même les
honoraires des avocats qui avaient représenté le requérant devant la
cour d’assises et la cour d’assises d’appel. Toutefois, cette
personne ne pouvait plus avancer des sommes plus importantes pour
couvrir les frais d’une procédure en cassation. La Cour rappelle également
qu’elle a décidé d’accorder l’aide judiciaire au requérant dans
la procédure devant elle.
29. En
outre, sur le point de savoir si les intérêts de la justice exigeaient
que le requérant bénéficiât d’une assistance judiciaire, la Cour
relève la gravité de l’infraction reprochée ainsi que la sévérité
de la peine infligée : le requérant a été déclaré coupable «
d’homicide volontaire particulièrement répugnant » et condamné à
la réclusion criminelle à perpétuité. A cela s’ajoute la complexité
de la procédure en cassation et le fait que le requérant, de
nationalité étrangère et ignorant la langue et le système juridique
grecs n’était pas en mesure de rédiger lui-même - et dans un délai
de dix jours à compter de l’arrêt de la cour d’assises d’appel -
un acte juridique aussi technique qu’un pourvoi en cassation.
30. La
Cour rappelle que dans l’affaire Twalib, elle avait constaté que la législation
grecque ne prévoit nullement l’octroi d’une aide judiciaire aux
personnes qui se pourvoient en cassation. A la différence de
l’affaire Twalib, le requérant n’avait, en l’espèce, ni rempli
un formulaire type de pourvoi ni demandé au procureur près la Cour de
cassation de commettre un avocat pour l’assister dans la préparation
de son pourvoi. Toutefois, de l’avis de la Cour, cette différence ne
change rien par rapport au fond des deux affaires.
31. Compte
tenu de l’impossibilité pour le requérant d’obtenir l’aide
judiciaire pour se pourvoir en cassation, la Cour conclut qu’il y a eu
violation de l’article 6 § 1 de la Convention, combiné
avec le paragraphe 3 c) de cet article ».
Par
ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Dit
qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c)
de la Convention ;
|
1.
La Cour européenne des droits de l’homme vient de confirmer la jurisprudence
qu’elle avait dégagé dans son arrêt Twalib.
Elle a en effet considéré que « l’impossibilité
pour le requérant d’obtenir l’aide judiciaire pour se pourvoir en cassation »
constitue une violation de l’article 6, §1er combiné avec
l’article 6, §3, c de la Convention européenne des droits de l’homme.
Elle
réaffirme ainsi l’importance considérable que représente le droit d’accès
à un tribunal issu des premiers termes de l’article 6 qui stipulent :
« 1. Tout personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement
(…) par un tribunal (…) ».
2.
La Cour avait déjà eu l’occasion de dire que : « le droit de l’accusé à l’assistance juridique d’un avocat
d’office constitue un élément, parmi
d’autres, de la notion de procès pénal équitable ».
Cette affirmation laisse clairement sous-entendre que d’autres éléments
doivent impérativement être réunis pour satisfaire au contrôle européen de
la notion de procès équitable. On pense évidemment aux garanties prévues
textuellement à l’article 6, mais également aux garanties non expressément
mentionnées. Partant des prémisses selon lesquelles la Convention tend à une
« protection réelle et concrète de
l’individu », et qu’ « un
obstacle de fait peut enfreindre la Convention à l’égal d’un obstacle
juridique », la Cour franchit le cap et impose à charge des états
l’obligation d’assurer un « droit
effectif d’accès à la justice ». On dira que la Cour a dégagé
un véritable droit économique et social, le droit à l’assistance judiciaire
pour certaines contestations touchant un droit de caractère civil, bien que « l’article
6, §1er laisse à l’Etat le choix des moyens à employer à cette
fin. L’instauration d’un système d’aide judiciaire … en constitue un,
mais il y en a d’autres, par exemple, une simplification de la procédure ».
3.
Ainsi, « "le droit à un
tribunal" dont le droit d’accès constitue un aspect particulier, n’est
pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment
quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa
nature même, une réglementation par l’Etat, lequel jouit à cet égard,
d’une certaine marge d’appréciation ».
Toutefois, précise la Cour, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès
ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un
tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même. Et la Cour de retrouver
son traditionnel contrôle de proportionnalité là où le texte ne le prévoit
pas explicitement, en reconnaissant que « ces
limitations ne se concilient avec l’article 6, §1er que si elles
tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ».
4.
L’arrêt donne également l’occasion à la Cour d’affiner les critères
qui lui permettent de contrôler les limitations apportées au droit d’accès
à un tribunal. Outre l’absence de ressources suffisantes pour rémunérer un
défenseur, ce sont les intérêts de la justice qui exigent que le justiciable
bénéficie d’une assistance judiciaire. La Cour
prend alors en compte la complexité de la procédure et la condition que les
parties soient représentées obligatoirement par un conseil à l’audience de
la juridiction saisie. Elle vérifie enfin la possibilité d’obtenir l’aide
judiciaire selon la législation du pays en cause. La Cour a conclu, dans le cas
d’espèce, que la législation grecque ne prévoyant nullement l’octroi
d’une aide judiciaire aux personnes qui se pourvoient en cassation, il y a eu
violation de l’article 6, §1er combiné avec le paragraphe 3, c)
de la Convention.
5.
C’est au même examen que s’était livrée la Cour pour condamner la
Belgique en 1998 lorsque Monsieur Aerts se plaignait du refus du bureau
d’assistance judiciaire près la Cour de cassation de se pourvoir contre
l’arrêt de la Cour d’appel. La Cour de Strasbourg avait, à cet égard,
relevé que le litige devant les juridictions belges ne se limitait pas à la
question du transfert de Monsieur Aerts vers une centre de défense sociale,
mais portait en substance sur la légalité de la privation de liberté dont il
faisait l’objet. La législation belge imposant la représentation par un
avocat à la Cour de cassation, le bureau d’aide judiciaire n’avait pas à
apprécier les chances de succès du pourvoi envisagé, il appartenait à la
Cour de cassation de décider. « En rejetant la demande au motif que la prétention ne paraissait pas
actuellement juste, le bureau d’assistance judiciaire a porté atteinte à la
substance même du droit de M. Aerts à un tribunal ».
Ce
même point de vue avait déjà été évoqué d’une manière très claire
dans une opinion dissidente commune aux juges Valticos, Pekkanen et Freeland à
l’arrêt Levages Prestations Services .
Dans cette affaire, la Cour avait conclu (par six voix contre trois) à la non
violation de l’article 6, §1er de la Convention alors que la requérante
se plaignait du fait de l’irrecevabilité prononcée d’office du pourvoi en
cassation pour vice de forme.
L’opinion dissidente relevait cependant que :
“4.
Il convient néanmoins de se demander s'il y avait un rapport de proportionnalité
raisonnable entre la limitation appliquée en l'espèce et le but recherché
(que nous admettons être celui, clairement légitime, de veiller à ce que la
Cour de cassation dispose de l'ensemble des éléments nécessaires pour la
mettre en mesure de statuer correctement sur un pourvoi). Qu'une juridiction de
dernier ressort puisse déclarer, d'office et trois ans jour pour jour après sa
saisine, qu'un pourvoi est irrecevable au motif qu'une partie a omis de produire
un document qui doit de toute façon impérativement faire partie de ceux
disponibles auprès du propre greffe de cette juridiction et qui pouvait également
être obtenu au moyen d'une simple demande adressée à cette partie, cela dépasse,
d'après nous, la notion de proportionnalité raisonnable. Les règles de procédure
et leur observation sont certes généralement nécessaires pour
l'administration de la justice; mais le rejet d'un recours pour un vice de forme
aussi mineur, avec la suppression de la possibilité d'un examen au fond que
cela comporte, nous paraît excessif, d'autant que la demanderesse au pourvoi ne
s'est pas vu offrir l'occasion de remédier à son omission, pourtant facilement
réparable.”
Il
semble donc que l’atteinte à la substance même du droit et un formalisme
excessif seraient de nature, dans le premier cas, à violer le droit d’accès
à un tribunal et, dans le second, à potentiellement constituer une entrave
disproportionnée à ce même droit d’accès.
6.
Le formalisme excessif vient d’être sévèrement sanctionné par la Cour de
Strasbourg dans un arrêt S.A. Sotiris et
Nikos Koutras ATTEE .
La société requérante avait eu accès au Conseil d’Etat uniquement pour
voir son recours déclaré irrecevable en raison de l’omission du numéro de
registre. La requérante avait ainsi été pénalisée en raison d’une erreur
matérielle, dans la présentation de son recours, dont elle ne pouvait être
tenue responsable. Le dépôt auprès d’une autre autorité publique que le
Conseil d’Etat étant autorisé par la loi, le respect des modalités de ce dépôt
incombait aux dites autorités. En l’espèce, le Conseil d’Etat était appelé
à statuer en premier et dernier ressort. Dans ce contexte, dit la Cour de
Strasbourg, « un tel formalisme
aussi rigide dans l’interprétation des exigences procédurales n’est pas acceptable. La société requérante a donc subi une entrave
disproportionnée à son droit d’accès à un tribunal ». Il est à
regretter que le Conseil d’Etat belge n’ait pas eu connaissance de cet arrêt
lorsqu’il a déclaré irrecevable, pour défaut d’apposition des timbres
fiscaux, le recours en suspension d’extrême urgence formé à l’encontre
d’une décision d’expulsion collective de demandeurs d’asile, le 6 janvier
2001.
7.
Au regard des exigences posées par la juridiction strasbourgeoise, on peut légitimement
mettre en cause une pratique présente au sein de notre haute juridiction.
Ainsi, l’obligation d’être représenté par un avocat à la Cour de
cassation pourrait constituer un obstacle difficilement conciliable avec les
critères dégagés par la Cour de Strasbourg relativement à l’accès à la
Cour de cassation. Force est de constater que le fait que seul un avocat à la
Cour de cassation possède l’accès à cette juridiction se justifie mal
puisque ce passage obligé n’existe pas auprès d’autres juridictions supérieures.
Que l’on songe à la Cour d’Arbitrage, au Conseil d’Etat ou encore à la
Cour de Justice de Luxembourg : ni l’intérêt de la justice, ni la
complexité de la procédure ne justifient d’imposer devant ces juridictions
la représentation des parties par un avocat ayant qualité spécifique pour
agir devant elles. Même les stagiaires peuvent y plaider. On le conçoit donc
mal quand il s’agit de la Cour de cassation.
On
le conçoit d’autant plus mal que l’obligation ne résiste guère au contrôle
de proportionnalité. Si l’on accepte aisément que l’accès limité au prétoire
de la Cour de cassation se justifie dans un but légitime d’éviter des
pourvois dilatoires et abusifs, la mesure s’explique nettement moins bien au
regard de la nécessité et de l’efficacité du moyen utilisé pour atteindre
un tel objectif. En effet, d’une part, le recours à un avocat qualitate
qua devient tout à fait superflu dès l’instauration d’une phase de
recevabilité des pourvois. D’autre part, ce passage obligé ne peut être
qualifié d’efficace dès lors que d’autres juridictions ne l’imposent
pas, et ne se trouvent pas submergées de requêtes farfelues pour autant.
8.
Ce point de vue se trouve renforcé par un arrêt de la Cour des droits de
l’homme prononcé 5 jours avant l’arrêt annoté. La Cour rappelle tout
d’abord que « [l]’article 6
§ 1 garantit ainsi aux justiciables un droit « effectif »
d’accès aux dites juridictions pour les décisions relatives à leurs droits
et obligations de caractère civil. Les Etats sont libres du choix des moyens à
employer à cette fin et ne sont astreints par l’article 6 § 1 à
pourvoir à l’assistance d’un avocat que lorsque celle-ci se révèle
indispensable à un accès effectif au juge, soit parce que la loi prescrit la
représentation par un avocat, soit en raison de la complexité de la procédure
ou de la cause ».
Considérant alors que dans la procédure en cause, l’article 1196 du nouveau
code de procédure civile français dispense, en matière éducative, du ministère
d’un avocat à la Cour de cassation, la Cour reconnaît que le rejet de la
demande d’aide juridictionnelle du requérant n’empêchait pas ipso
facto la poursuite du pourvoi. De plus, « la
procédure sans représentation obligatoire obéit à des règles spécifiques
et se trouve de ce fait, notablement simplifiée par rapport à la procédure
avec représentation ».
Et la Cour de conclure que, s’il est vrai qu’elle avait conclu à une
violation de l’article 6, §1er dans l’affaire Aerts, « il
n’est pas douteux que la circonstance que Monsieur Aerts était tenu d’être
représenté par un avocat fut décisive. Partant, il n’y a pas violation de
l’article 6, §1 ».
C’est
donc bien l’obligation de recourir à un avocat pour être représenté à la
Cour de cassation qui détermine d’une manière « décisive » s’il y a ou non, violation de l’article 6, §1
et du droit à un tribunal.
9.
Par contre, lorsque le requérant choisit
de ne pas se faire représenter par un avocat à la Cour de cassation, ainsi que
le droit interne l’y autorise, les garanties offertes au titre de
l’article 6, §3 c doivent également lui être assurées.
Ainsi,
si « [i]l
est clair que la spécificité de la procédure devant la Cour de cassation peut
justifier de réserver aux seuls avocats spécialisés le monopole de la prise
de parole » toutefois,
« cette spécificité ne peut justifier qu’il ne soit pas offert au
demandeur en cassation, auquel il est reconnu en droit interne le droit de se défendre
personnellement, des moyens de procédure qui lui assureront le droit à un procès
équitable devant cette juridiction. La Cour rappelle en effet que selon la
jurisprudence, un Etat qui se dote d’une Cour de cassation a l’obligation de
veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elle des garanties
fondamentales de l’article 6 (arrêt Ekbatani c. Suède du 26 mai 1988, série
A n° 134, p. 12, § 24) » .
Or, dans la présente affaire, le requérant ne disposa pas de l’accès aux
conclusions de l’avocat général. Dès lors, compte tenu de « l’enjeu
pour l’intéressé dans la procédure et de la nature des conclusions de
l’avocat général, l’impossibilité pour le requérant de répondre à
celles-ci avant que la Cour de cassation ne [rejette son pourvoi] a méconnu son
droit à une procédure contradictoire ».
10.
Par conséquent, faute d’avoir offert au requérant un examen équitable de sa
cause devant la Cour de cassation dans le cadre d’un procès contradictoire,
il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 6 § 1. Cette violation
vient d’être encore reconnue tout récemment dans une affaire tout à fait
similaire aux faits qui ont donné lieu à l’arrêt Voisine.
La Cour de Strasbourg vient d’infliger une rebuffade supplémentaire à la
Cour de cassation française lorsqu’elle regrette que : « rien
n’indique que la procédure devant la chambre criminelle de la Cour de
cassation a évolué entre 1995 (année de l’arrêt de cassation dans
l’affaire Voisine précitée) et 1996 (année des arrêts en cassation en
cause) - la Cour note en particulier que le Gouvernement ne soutient pas une
pareille thèse -, la Cour ne voit pas raison de parvenir à une conclusion
distincte de celle de l’arrêt Voisine. Dans ces conditions, la Cour considère
qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ».
11.
Plus généralement, c’est un système d’aide judiciaire effectif qui est
exigé par la Cour européenne des droits de l’homme lorsqu’elle constate
que l’absence d’aide judiciaire en matière civile constitue une cause de
recevabilité d’une requête présentée sur base de la violation de
l’article 6, §1er de la Convention. De même, lorsqu’il
est impossible d’obtenir l’aide judiciaire dans une procédure relative au défaut
de paiement de l’impôt devant la Magistrates’ Court au Royaume-Uni
et quand bien même l’Etat aurait remédié à cette lacune depuis lors, la
Cour sanctionne la violation de l’article 6, §1er de la Convention
commise par celui-ci .
12.
Il faut ici se réjouir de la loi du 23 novembre 1998 et de ses arrêtés royaux
et ministériels du 20 décembre 1999 pris en exécution, qui prévoient une
aide juridique de première et deuxième lignes. Les nouvelles obligations dans
le cadre de l’assistance judiciaire paraissent dès lors conformes aux
exigences dégagées par la Cour de Strasbourg. Il faut espérer qu’une
harmonisation à court terme aura lieu entre les critères légaux requis pour
obtenir l’aide juridique gratuite (les avocats pro deo) et ceux exigés par
les juridictions pour obtenir le bénéfice de l’assistance judiciaire pour
les actes de procédure. Un premier pas déterminant a déjà été posé par
l’arrêté royal du 9 juillet 2000 portant règlement de procédure
particulier au contentieux des décisions relatives à l’accès au territoire,
au séjour, à l’établissement des étrangers qui permet à toute
partie requérante ou intervenante au Conseil d’Etat de bénéficier du pro
deo lorsque l’aide juridique de deuxième ligne lui a été octroyée.
13.
Ainsi, si « les
Etats sont libres du choix des moyens à employer à cette fin et ne sont
astreints par l’article 6 § 1 à pourvoir à l’assistance d’un
avocat que lorsque celle-ci se révèle indispensable à un accès effectif au
juge, soit parce que la loi prescrit la représentation par un avocat, soit en
raison de la complexité de la procédure ou de la cause »,
sans doute, une procédure simplifiée et déformalisée auprès des
juridictions supérieures constituerait un pas important vers un droit d’accès
à un tribunal mieux garanti au sens de l’article 6 §1er de la
Convention.
A condition cependant que les hautes juridictions octroient aux justiciables les
mêmes garanties que celles offertes aux avocats habilités à plaider devant
elles. Sans quoi, elles encourent toujours le risque de se faire rappeler à
l’ordre par la juridiction strasbourgeoise et ce, tant qu’elles ne modifient
pas leur pratique ou leur jurisprudence pour les rendre conformes aux exigences
découlant de la jurisprudence de la Convention.
Juillet 2001
* * *
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© 2001 Luc
Misson et Jean-Pierre Jacques. Tous droits réservés.
MISSON
Luc et JACQUES Jean-Pierre. – "Le droit à l'aide judiciaire dans la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme : L'arrêt Biba c.
Grèce du 26 septembre 2000". - Actualité et Droit International,
juillet 2001 (www.ridi.org/adi).
NOTES
Cour eur. dr. h. arrêt du 23 octobre 1996, affaire Levages Prestations
Services c. France, §48 : « Vu la spécificité du rôle joué
par la Cour de cassation, dont le contrôle est limité au respect du droit,
la Cour peut admettre qu'un formalisme plus grand assortisse la procédure
suivie devant celle-ci, d'autant qu'il suppose, dans les procédures avec
représentation obligatoire, le recours à un avocat au Conseil d'Etat et à
la Cour de cassation (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Melin c. France du 22
juin 1993, série A n° 261-A, p. 12, par. 24). En outre, la procédure en
cassation succédait, en l'occurrence, à l'examen de la cause de la
requérante par un tribunal de commerce puis une cour d'appel, tous deux
disposant de la plénitude de juridiction. 49. En conclusion, eu égard à
l'ensemble de la procédure suivie devant les juridictions de l'ordre
interne, la société Levages Prestations Services n'a pas, du fait des
conditions imposées pour la recevabilité de son pourvoi en cassation, subi
d'entrave à son droit d'accès à un tribunal tel que garanti par l'article
6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) ».
C. E., n° 91.991, 6 janvier 2001, Sharipov et al., voy. aussi Le Soir,
édition du 8 janvier, p. 1.
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