TRIBUNAL
PÉNAL INTERNATIONAL POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
1er
semestre 1999
Le Procureur c. Zlatko Aleksovski, IT-95-14/1-T
Chambre de première instance I bis, Jugement, 25 juin 1999
(sur le site
du TPIY : Jugement
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PDF - Communiqué de Presse N°
413
Opinion
dissidente du Juge Rodrigues, Président de la Chambre de première instance
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Opinion conjointe de la Majorité, Juge Vohrah et Juge Nieto-Navia
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par
Jean-Philippe
Petit
Juriste
stagiaire au Comité international de la Croix-Rouge
Note
: Les liens renvoient aux sites
officiels. |
De janvier à mai 1993, Zlatko
Aleksovski était commandant de la prison de Kaonik, située dans la vallée de la
Lasva en Bosnie-Herzégovine centrale. L'Accusation prétend qu'il aurait fait
détenir illégalement des civils musulmans destinés à servir de monnaie d'échange
et aurait procédé au nettoyage ethnique de la région. Elle
invoque plusieurs cas de meurtres, sévices
physiques, violences psychologiques et privations de soins médicaux. Les détenus
auraient également servi de boucliers humains afin d'obtenir la reddition de
villages voisins peuplés majoritairement de Musulmans. Ces actes ont amené
l'Accusation à poursuivre Zlatko Aleksovski pour infractions graves aux
Conventions de Genève et violations des lois ou coutumes de la guerre. Il est
arrêté par les autorités croates à Split le 8 juin 1996. La Haute Cour de
Croatie a autorisé son transfert qui n'est devenu effectif que le 28 avril 1997,
sous la pression des Etats-Unis.
Le 7 mai 1999, la Chambre de
première instance I bis
(ci-après la Chambre) a prononcé son jugement. A la majorité, elle a déclaré
Zlatko Aleksovski non coupable de deux chefs d'accusation relatifs à des
infractions graves aux Conventions de Genève de 1949 (article 2 du Statut), à
savoir des traitements inhumains et le fait de causer intentionnellement
de grandes souffrances ou de porter des
atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé.
En revanche, l'accusé a été reconnu coupable, en vertu de l'article 3, de
violations des lois ou coutumes de la guerre (atteinte à la dignité des
personnes) à la fois individuellement (article 7.1) et en qualité de supérieur
hiérarchique (article 7.3).
La Chambre a tenu à préciser que
l'accusé n'a pas joué un rôle déterminant dans les crimes commis contre les
civils musulmans de Bosnie. « Il était un simple instrument. C'est en cela
seulement que réside sa culpabilité » (§ 237). En conséquence, elle l'a condamné
à une peine de deux ans et six mois d'emprisonnement.
Dans le jugement mais aussi les opinions
dissidente et conjointe de trois juges,
la Chambre aborde principalement deux questions de droit : l’applicabilité de
l’article 2 du Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY)
et la responsabilité pénale individuelle.
I. – L’APPLICABILITE DE L’ARTICLE
2 DU STATUT DU TPIY
Les Juges n'ayant pas réussi à
s'entendre, le Jugement n'apporte aucun développement sur la question. La
majorité a tranché : « l'accusé sera déclaré non coupable des deux chefs
d'accusation portés contre lui au titre de l'article 2 du Statut » (§ 46).
1. - L’opinion conjointe de
la majorité
Pour les juges Vohrah et
Nieto-Navia, deux conditions d'applicabilité de l'article 2 sont affirmées : le
caractère international du conflit armé et le statut de personnes protégées. Il
convenait donc de savoir si les traitements dont auraient été victimes les
civils musulmans de Bosnie avaient été infligés lors d'un conflit armé
international et partant, si ces civils pouvaient se voir reconnaître le statut
de « personnes protégées » prévu à l'article 4 de la IVe Convention de Genève de
1949. Le cas échéant, l’article 2 serait applicable.
S'agissant du caractère
international du conflit, les juges ont adopté dans leur opinion conjointe une
position médiane, voire ambiguë. Ils affirment que « le degré de contrôle requis
dépend des circonstances de chaque espèce ». Rappelant successivement les thèses
des critères du contrôle effectif et du contrôle global,
la majorité précise qu’« il n'existe pas, en droit international, de critère
uniforme permettant de déterminer si un individu ou un groupe d'individus
peuvent être considérés comme des agents de facto dont les actes engagent
la responsabilité d'un Etat, l'impliquent ou lui sont imputables » (§ 10 de
l'opinion). Les juges semblent finalement se rallier – timidement ‑ au critère
du contrôle global puisque « l'Accusation n'a pas réussi à prouver que, durant
la période et à l'endroit dont il est question dans l'acte d'accusation, les
forces croates de Bosnie (HVO) agissaient en fait sous le contrôle global du
commandement de l'armée de Croatie (HV) dans la conduite du conflit armé contre
la Bosnie-Herzégovine »
(§ 27). Le HVO n'étant pas un agent de facto de la Croatie, il n'y a donc
ni conflit armé international ni ‑ par voie de conséquence ‑ applicabilité de
l'article 2 du Statut.
En ce qui concerne le statut de
personne protégée, les mêmes juges vont utiliser le critère de la nationalité.
L'article 4 de la IVe Convention de Genève précise que seuls les civils n'étant
pas ressortissants de la Partie au conflit au pouvoir de laquelle ils se
trouvent, ont la qualité de personnes protégées. Or, la majorité constate
qu'« il n'a pas été prouvé durant le procès que les Croates de Bosnie qui
dirigeaient Kaonik, ou ayant contribué à la perpétration des crimes qui sont
reprochés à l'accusé, ont exercé le droit qui leur avait été conféré par la
Croatie d'acquérir la nationalité croate, de même qu'il n'a pas été prouvé
qu'ils ont renoncé à leur nationalité bosniaque » (§ 33). Ayant la même
nationalité que ceux aux mains desquels ils se trouvent, les civils musulmans de
Bosnie détenus ne sont pas des personnes protégées au sens de l'article 4 de la
IVe Convention de Genève.
Cette argumentation peut
toutefois sembler inutile. Car, à partir du moment où la majorité n'a pas jugé
bon de qualifier le conflit armé d'international, les développements relatifs
aux personnes protégées au titre de la IVe Convention de Genève n'avaient pas
lieu d'être.
2. - L’opinion dissidente du
Juge Rodrigues
L'opinion dissidente du Juge
Rodrigues s'inscrit en faux contre l'opinion de la majorité. Il affirme que les
éléments de preuve présentés par l'Accusation établissent l'existence d'un
conflit armé international. Il relève particulièrement le fait que Zlatko
Aleksovski et ceux dont il était le supérieur hiérarchique se sont délibérément
conduits comme ressortissants d'un Etat tiers par rapport à leurs victimes
(§ 6), que la République de Croatie a apporté une aide financière au HVO et que
le commandement de l'armée de Croatie (HV) avait des liens directs avec le HVO.
Ces éléments l'amènent « à conclure que le HVO était intégré à la structure de
commandement stratégique et tactique de l'armée de Croatie et agissait en tant
qu'agent de l'armée croate » (§ 12). S'agissant du critère de la nationalité, le
Juge Rodrigues estime qu'il n'y a pas lieu de l'appliquer. « Dans l'hypothèse
d'un conflit armé international, il n'importe que l'accusé et ses victimes aient
la même nationalité dès lors que l'accusé a agi pour le compte d'un Etat tiers »
(§ 6).
Reprenant également l'historique
jurisprudentiel relatif aux critères du contrôle effectif et global, il opte
ouvertement pour la seconde option en soutenant « l'idée d'une approche globale
du conflit en ex-Yougoslavie. Le caractère international du conflit, s'il est
démontré ou admis, doit l'être dans sa dynamique intégrale, territoriale et
temporelle, à partir du moment où il s'agit du démembrement d'un pays (le tout)
en plusieurs autres pays (les parties) » (§ 22).
Enfin, il estime que
l'internationalité du conflit n'est pas une condition d'applicabilité de
l'article 2 du Statut. Il se fonde notamment sur le Rapport du Secrétaire
général des Nations Unies annexé au Statut du TPIY :
« [l]es Conventions de Genève énoncent des règles de droit international
humanitaire et stipulent les règles essentielles du droit coutumier applicable
dans les conflits armés internationaux » (§ 35 du Rapport). « […] [L]e Tribunal
international applique des règles du droit international humanitaire qui font
partie sans aucun doute possible du droit coutumier, de manière que le problème
résultant du fait que certains Etats, mais non la totalité d'entre eux, adhèrent
à des conventions spécifiques ne se pose pas. […] La partie du droit
international humanitaire conventionnel qui est sans aucun doute devenue partie
du droit international coutumier est le droit applicable aux conflits armés qui
fait l'objet des instruments suivants : les Conventions de Genève du 12 août
1949 pour la protection des victimes de la guerre, […] » (§§ 34-35 du Rapport).
En transposant ce raisonnement à l'article 2 du Statut, le Juge Rodrigues
soutient que cet article est autonome par rapport aux conditions exigées pour
l'application des Conventions de Genève. « Le régime des infractions graves de
l'article 2 du Statut ne peut être interprété comme ayant incorporé de manière
absolue et stricte le régime défini par les Conventions de Genève et, en
particulier, la condition d'internationalité du conflit » (§ 32).
II. – LA RESPONSABILITE
PENALE INDIVIDUELLE
L'Accusation considère que l'accusé doit être tenu
responsable des actes qui ont été commis non seulement à l'intérieur mais
également à l'extérieur de la prison de Kaonik. La Chambre va analyser la
responsabilité de l'accusé pour ces deux situations au regard des articles 7.1
et 7.3 du Statut.
1. - La simple présence peut
constituer une participation suffisante dans certaines circonstances
La responsabilité de Zlatko
Aleksovski a été invoquée lors du procès non en raison de crimes qu'il aurait
lui-même commis, mais en raison de crimes (insultes, menaces, vols et violences
physiques) perpétrés par des subalternes et qu'il aurait ordonnés, incité ou
aidé à commettre. Dans son exposé sur l'article 7.1, la Chambre rappelle les
jurisprudences Tadic,
Celebici,
Furundzija
et Akayesu,
et plus précisément deux éléments constitutifs de la responsabilité pénale
individuelle.
En premier lieu, l'accusé doit
avoir participé à la commission de l'acte. Les juges rappellent ainsi la
jurisprudence Tadic de 1997 selon laquelle « tous actes d'assistance,
sous forme verbale ou matérielle, qui prêtent encouragement ou soutien »
constituent une participation suffisante pour engager la responsabilité en
application de l'article 7.1, dès lors que cette participation a eu un « effet
important »
ou « substantiel » (§§ 61 et 64).
En second lieu, l'accusé doit
avoir participé en connaissance de cause à l'acte (§ 61). Sa participation peut
intervenir avant, pendant ou après la commission de l'acte criminel (§ 62). Elle
ne se manifeste pas nécessairement par une aide physique ; il peut s'agir de
soutien ou d'encouragement exprimé par des paroles (§ 63).
S'agissant de l'autorité
de l'accusé, la Chambre estime qu'elle doit
être « considérée comme un indice sérieux pour établir que la simple présence de
cette personne constitue un acte de participation intentionnel sanctionné par
l'article 7.1 du Statut » (§ 65). En l'espèce, Zlatko Aleksovski, « en assistant
à ces exactions sans s'y opposer, malgré leur caractère systématique et
l'autorité qu'il détenait sur les auteurs de ces actes […] ne pouvait qu'être
conscient que cette approbation tacite serait interprétée comme une marque de
soutien et d'encouragement par les auteurs de ces exactions, contribuant ainsi
substantiellement à la commission de ces actes » (§ 87). La Chambre l'a donc
reconnu responsable pour avoir aidé et encouragé, au sens de l'article 7.1, les
mauvais traitements d'ordre physique et psychologique subis par les détenus.
2. - La responsabilité du
supérieur hiérarchique en cas d’omission
A la lecture de l'article 7.3 du Statut, trois
éléments constitutifs de la responsabilité indirecte du supérieur hiérarchique
se dégagent. Tout d'abord, il doit exister un lien de subordination entre la
personne mise en cause et les auteurs de l'infraction. Ensuite, le supérieur
doit savoir ou avoir des raisons de savoir
qu'un crime avait été commis ou allait être commis. Enfin, il doit être prouvé
que le supérieur hiérarchique n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et
raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis ou pour en punir les
auteurs.
Dans le jugement, la discussion porte principalement
sur le premier élément, le lien de subordination. La Chambre considère que la
responsabilité du supérieur hiérarchique ne concerne pas seulement les
commandants militaires mais aussi les autorités civiles. Reprenant à son compte
la jurisprudence Celebici, la Chambre rappelle que « le facteur
déterminant est la possession ou non d'un réel pouvoir de contrôle sur les
agissements des subordonnés. Ainsi, le titre officiel de commandant ne saurait
être considéré comme une condition préalable et nécessaire à la mise en œuvre de
la responsabilité du supérieur hiérarchique, celle-ci pouvant découler de
l'exercice de fait, comme en droit, des fonctions de commandant » (§ 76).
Toutefois, le pouvoir de sanction d'un civil doit être interprété au sens large
car « exiger d'une autorité civile qu'elle détienne un pouvoir de sanction
semblable à celui détenu par un militaire limiterait le champ d'application de
la doctrine du supérieur hiérarchique au point de la rendre pratiquement
inapplicable aux autorités civiles » (§ 78).
S'agissant du deuxième critère, la Chambre estime
qu'il ne peut y avoir de présomption de connaissance à l'encontre du supérieur
hiérarchique. Une telle présomption reviendrait à déclarer coupable tout
supérieur dès lors qu'un crime aurait été commis. Par contre « la position de
supérieur hiérarchique d'un individu constitue en soi un indice sérieux de ce
que cet individu a connaissance des crimes commis par ses subordonnés » (§ 80).
Enfin, pour ce qui concerne les mesures nécessaires
et raisonnables, la Chambre, s'appuyant de nouveau sur le jugement Celebici
ainsi que sur le Commentaire du Protocole additionnel I et le Projet de Code de
la Commission du droit international, estime que les « mesures nécessaires et
raisonnables » doivent se limiter aux pouvoirs réels du supérieur. Il s'agit de
considérer les capacités matérielles de ce dernier en fonction des circonstances
de l'espèce, et non dans l'abstrait (§ 81).
En l'espèce, il ressort de l'appréciation juridique
des faits que Zlatko Aleksovski exerçait une autorité effective de supérieur
hiérarchique sur les gardes de la prison de Kaonik, qu'il savait que des crimes
étaient commis, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables
pour empêcher ou punir ces actes. Par conséquent, il est reconnu responsable, au
titre de l'article 7.3, pour les crimes commis par les gardes dans l'enceinte de
la prison (§§ 92-119).
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NOTES
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