TRIBUNAL
INTERNATIONAL DU DROIT DE LA MER
Année 2000
par
Amélie
Fondimare
Doctorante
à l'Université Paris I - Panthéon-Sorbonne
I.
- Affaire du Camouco (Panama c.
France), arrêt du 7 février 2000
Le
28 septembre 1999, le Camouco, navire de pêche battant pavillon panaméen
a été observé filant la palangre dans la zone économique exclusive des îles
Crozet, sous juridiction française. Après avoir tenté de se soustraire au
contrôle de l’autorité maritime en prenant la fuite, le Camouco a été
abordé par les autorités de surveillance françaises, lesquelles ont par
ailleurs découvert six tonnes de légine congelées dans les soutes du navire.
Pas
moins de quatre chefs d’inculpation ont été retenus contre le capitaine du
navire, parmi lesquels, l’absence de déclaration de l’entrée du navire
dans la ZEE et du tonnage de poisson détenu à son bord, ainsi que la pêche
sans autorisation dans cette zone maritime sous juridiction française.
Le
Camouco a été saisi, ainsi que sa cargaison qui a été vendue, et le
capitaine a été placé sous contrôle judiciaire. La caution exigée pour la
mainlevée du navire a été fixée à 20 millions de francs français, qui
devaient être déposés à la Caisse des dépôts et consignations.
Le
17 janvier 2000, le Panama a saisi le Tribunal international du droit de la mer
d’une demande de prompte mainlevée, fondée sur l’article 292 de la
Convention sur le droit de la mer.
Le
Panama s’est notamment appuyé pour fonder sa demande sur le caractère déraisonnable
des mesures judiciaires adoptées à titre conservatoire par la France, la
fixation d’une caution de 20 millions de francs faisant obstacle à la mainlevée.
La
France a invoqué deux exceptions d’irrecevabilité à cette demande :
La
première de ces exceptions était fondée sur le caractère tardif du recours
du Panama (plus de cent jours après l’arraisonnement du Camouco). La
France soutenait que la procédure de l’article 292 revêtait un caractère
d’urgence et que le requérant en omettant d’agir promptement avait créé
par son comportement une situation s’apparentant à l’estoppel.
Le
Tribunal n’a pas suivi le raisonnement de la France, et a rejeté
l’exception de recours tardif de la demande au motif que l’article 292 ne
contient pas de délai imparti pour introduire une requête sur son fondement.
La
France avait également soulevé une exception de recours parallèle, au motif
qu’une procédure d’appel ayant le même but que l’instance introduite
devant le Tribunal était pendante devant la Cour d’appel de Saint-Denis de la
Réunion.
Le
Tribunal n’a pas suivi les allégations de la France. Pour lui, « [l]’article
292 prévoit une procédure indépendante mais non un recours en appel contre
une décision rendue par une juridiction interne » (Par. 58).
Après
avoir examiné sa compétence ainsi que les exceptions de recevabilité soulevées
par la France, le Tribunal a procédé à l’examen de la requête du Panama :
Le
Tribunal a écarté la demande du Panama, selon laquelle la France aurait violé
les paragraphes 3 et 4 de l’article 73 de la Convention sur le droit de la
mer. Selon le Tribunal, les dispositions de ces deux paragraphes n’entrent pas
dans son domaine de compétence tel que prévu par l’article 292 de la
Convention (Par. 59).
Le
Tribunal a reconnu le bien-fondé de l’allégation du Panama, selon laquelle
la France n’a pas observé les dispositions de la Convention concernant la
mainlevée de l’immobilisation du navire et la mise en liberté de son équipage
dès le dépôt d’une caution raisonnable ou d’une autre garantie financière
(article 73 paragraphe 2 de la Convention).
La
France avait contesté le bien-fondé de cette allégation dans la mesure où le
requérant n’avait déposé jusqu’alors aucune garantie. Le Tribunal en
rappelant son arrêt rendu le 4 décembre 1997 (affaire du navire Saiga,
n° 1) a fait remarquer que le dépôt d’une caution ou autre garantie
financière ne constituait pas nécessairement une condition préalable à la
soumission d’une demande fondée sur l’article 292 de la Convention,
notamment lorsque la caution exigée est exorbitante.
Le
Tribunal a par conséquent dû se livrer à l'appréciation de cette caution,
afin de déterminer le caractère raisonnable ou non de celle-ci. Après avoir
rappelé les différents éléments pertinents
pour l’évaluation du caractère raisonnable d’une caution ou autre garantie
financière, le TIDM a conclu : « que la caution de 20 millions
de francs français imposée par le tribunal français n’[était] pas
raisonnable » (Par. 70).
Conformément
à l’article 113 paragraphe 2 du Règlement, le Tribunal a fixé le montant de
la caution ou autre garantie financière à 8 millions de francs français, et a
précisé que celle-ci devait être établie sous forme d’une garantie
bancaire.
II.
- Affaire du Monte Confurco (Seychelles c.
France), arrêt du 18 décembre
2000
Les
faits de l’affaire se rapprochent de ceux de l'affaire du Camouco
puisqu’il s’agit là encore d’une demande de prompte mainlevée d’un
navire, sur le fondement du caractère excessif de la caution fixée par les
autorités judiciaires françaises.
Le
navire Monte Confurco, battant pavillon des Seychelles et titulaire
d’une licence de pêche pour pêcher dans les eaux internationales, a été
repéré et appréhendé le 8 novembre 2000 par la frégate de surveillance
française Floréal pour pêche illicite et omission de signaler sa présence
dans la zone économique exclusive des îles Kerguelen.
Le
navire dérouté vers Port-des-Galets, à la Réunion, a été saisi, ainsi que
sa cargaison
et la totalité du matériel de pêche. Le 22 novembre 2000, le tribunal
d’instance de Saint-Paul a confirmé la saisie du navire et déclaré que la
mainlevée de cette saisie se ferait sous paiement entre les mains de la Caisse
des dépôts et consignation d’une caution d’un montant total de 56 400 000
francs français. Le tribunal d’instance de Saint-Paul a précisé lors de la
fixation du montant de cette caution, que celle-ci devait être raisonnable en
vertu des dispositions des articles 73 paragraphe 2 et 292 de la Convention, et
que « l’évaluation de ce caractère raisonnable ressortait de la gravité
des infractions reprochées au capitaine du navire immobilisé, des sanctions
pouvant être imposées par les lois de l’Etat qui a procédé à
l’immobilisation, de la valeur du navire immobilisé et de la valeur de la
cargaison de celui-ci ». Ces observations faisaient directement « écho
aux constatations faites par le Tribunal dans les paragraphes 66 et 67 de
l’arrêt qu’il a rendu dans l’Affaire du Camouco ».
Le
27 novembre 2000, une demande fondée sur l’article 292 de la Convention a été
déposée par les Seychelles contre la France, afin d’obtenir la mainlevée de
l’immobilisation du Monte
Confurco et de la remise en liberté de son capitaine.
Tout
comme dans l’Affaire du Camouco, le Tribunal a constaté que les allégations
relatives à des violations de l’article 73 paragraphes 3 et 4 de la
Convention ne sont pas recevables, au motif que ces dispositions ne relèvent
pas du domaine de la compétence du Tribunal, dans le cadre de la procédure prévue
à l’article 292.
Le
Tribunal a par contre retenu l’allégation des Seychelles selon laquelle la
France n’aurait pas respecté le paragraphe 2 de l’article 73 de la
Convention. Le Tribunal a en effet conclu que la caution de 56 400 000 francs
français retenue par les autorités judiciaires françaises n’était pas
raisonnable, dans le sens de l’article 292 de la Convention. Il convient de
relever dans cette affaire, que le Tribunal a examiné l’objet de l’article
73 afin de déterminer sa marge d’appréciation du caractère raisonnable ou
non de la caution. Au terme de cet examen, le Tribunal a conclu que l’article
73 consacrait un juste équilibre des intérêts de l’Etat côtier et de l’Etat
du pavillon, et que cet équilibre constituait « le critère à l’aune
duquel le tribunal [devait] mesurer le caractère raisonnable de la caution ».
Par ailleurs, le Tribunal a estimé que la valeur du poisson et du matériel de
pêche saisis par la France était à prendre en considération en tant qu’élément
pertinent pour l’évaluation du caractère raisonnable de la caution.
Le
Tribunal a ordonné la prompte mainlevée de l’immobilisation du Monte
Confurco et la prompte mise en liberté de son capitaine par la France, dès
le dépôt par les Seychelles d’une garantie de 18 millions de francs français.
Cette garantie comprend deux parts de 9 millions : l’une correspond à
l’équivalent monétaire du poisson détenu par la France et la seconde doit
prendre la forme d’une garantie bancaire et ne pourra être invoquée que
lorsque la première s’avèrerait insuffisante pour couvrir les condamnations
judiciaires françaises.
Amélie
Fondimare
Août 2001
NOTES
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