NOTE
D'ACTUALITÉ
SUR LE DROIT DE LA MER
LES AFFAIRES DE LA "CONSERVATION DES STOCKS D'ESPADON" ET DU
"GRAND PRINCE"
DEVANT LE TRIBUNAL INTERNATIONAL DU DROIT DE LA MER
par
Christophe
Nouzha
Doctorant
à l'Université Robert Schuman de Strasbourg
Impression
et citations : Seule la version
au format PDF fait référence.
Note : les
liens renvoient au nouveau site du Tribunal. |
Depuis
sa mise en place effective en 1996 à la suite de l'entrée en vigueur de la
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, le Tribunal
international du droit de la mer de Hambourg a été régulièrement saisi par
des Etats parties à la Convention pour se prononcer sur des différends
relatifs à l'interprétation ou l'application de la Convention. Cette note se
propose d'étudier les développements récents des activités du Tribunal.
I.
- Affaire concernant la Conservation et l’exploitation durable des stocks
d’espadon dans l’océan du Pacifique Sud-Est (Chili / Communauté européenne) :
Ordonnances des 20 décembre 2000 et 15 mars 2001
Cette
affaire constitue le dernier développement d’un différend opposant le Chili
et la Communauté européenne depuis déjà plusieurs années et qui porte sur
la pêche à l’espadon. En effet, la Communauté européenne reproche
notamment au Chili d’interdire aux pêcheurs européens le transbordement et
le transit des captures d’espadons dans les ports chiliens.
Septième
affaire inscrite au rôle du Tribunal, l’affaire dite de la Conservation
des stocks d’espadon a donné lieu à l’adoption par le Tribunal de deux
ordonnances datant des 20 décembre 2000 et 15 mars
2001. Elle présente à plusieurs égards des particularités
importantes.
L’affaire
de la Conservation des stocks d’espadon implique pour la première fois
la Communauté européenne dans un différend soumis à un juge international.
Cette situation s’explique par la combinaison de plusieurs règles contenues
dans la Convention de Montego Bay, à savoir les articles 305 et 306 (signature,
ratification et confirmation formelle) ainsi que l’Annexe IX (participation
d’organisations internationales) d’une part, la Partie XV (règlement des
différends) et l’Annexe VI (Statut du Tribunal international du droit de la
mer) d’autre part.
Autre
particularité remarquable, cette affaire a donné lieu à une demande de
constitution de chambre au sein du Tribunal. Cette option, bien connue dans le
cadre de la Cour internationale de Justice même si elle est peu utilisée, est
offerte aux parties par l’article 15 du Statut du Tribunal. Il faut rappeler
à ce sujet que le Tribunal a, dès les origines, constitué des chambres spéciales
pour les différends relatifs à l’environnement et pour les différends
relatifs aux pêcheries. Le Chili et la Communauté européenne ont cependant préféré
confier à une chambre spécialement créée pour l’occasion un différend où
les questions de pêche et d’environnement sont étroitement liées, ce qui
montre l’une des limites des chambres préconstituées. Pour ce qui est de la
composition de la chambre, le Statut prévoit à ses articles 15-1 et 15-2 que
la chambre doit comprendre au moins trois membres du Tribunal, Tribunal qui détermine
la composition avec l’assentiment des parties, ce que l’ordonnance du 20 décembre
2000 résume par la formule suivante : « les parties ont fait connaître
leurs vues au sujet de la composition de la chambre spéciale » (par. 7).
La mise en place de cette chambre composée de cinq membres s’est accompagnée
de la désignation par le Chili du professeur Francisco Orrego Vicuña comme
juge ad hoc, l'un des juges de la
chambre ayant la nationalité d'un des Etats membres de la Communauté européenne
(le juge Wolfrum).
La
dernière particularité de l’affaire de la Conservation des stocks
d’espadon est assez symptomatique de l’état du droit international
actuel et pourrait bien se retrouver dans d’autres affaires. En effet, le différend
opposant le Chili et la Communauté porte autant sur des questions
d’environnement et de pêche que sur des questions économiques. Or, selon
l’approche choisie par l’une ou l’autre partie, l’affaire peut aussi
bien relever des règles contenues dans la Convention sur le droit de la mer
concernant la conservation et la gestion des ressources biologiques que des règles du GATT
relatives à la liberté de transit, à l’interdiction des restrictions
quantitatives et à la conservation des ressources naturelles. La Commission
européenne a choisi cette dernière solution et, considérant que la législation
chilienne allait à l’encontre des engagements contractés par cet Etat dans
le cadre du GATT de 1994, a engagé une procédure de règlement des différends
dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) le 18 avril 2000.
Cette procédure s’est poursuivie par la mise en place d’un Groupe spécial
le 12 décembre 2000. Parallèlement, le Chili
et la Communauté européenne se sont entendus, en décembre 2000, pour demander
la constitution d’une chambre spéciale du Tribunal international du droit de
la mer à laquelle les parties pourraient confier le règlement de leur différend.
Les possibilités et les risques de procédures parallèles devant l’Organe de
règlement des différends de l’OMC et le Tribunal sont évidents. En effet,
que devront faire les parties dans le cas où les décisions seraient
incompatibles ? Cette hypothèse n’est pas improbable étant donné les
positions respectives de l’Organe d’appel et du Tribunal sur les questions
touchant à la protection de l’environnement.
Les
deux parties sont toutefois parvenues récemment à un accord provisoire sur le
règlement de leur différend.
Le Tribunal a tiré les conséquences de cet accord qui lui a été communiqué
par les parties. L’ordonnance du 15 mars 2001 prend ainsi en compte la demande
de suspension de la procédure formulée par les parties. Mais l’éventualité
d’un échec de l’accord provisoire n’est pas écartée. La chambre du
Tribunal reste donc en place et pourra se voir confier la résolution du différend
à tout moment. L’ordonnance du Tribunal a par ailleurs prorogé le délai
pour la présentation des exceptions préliminaires, les parties disposant à
cet effet de quatre-vingt dix jours à compter soit du 1er janvier
2004, soit, à la demande de l’une des parties, d’une date antérieure au 1er
janvier 2004. Il reste donc à savoir si l’accord conclu entre le Chili et la
Communauté européenne sera suffisant pour mettre un terme à ce différend qui
les oppose depuis déjà dix ans.
II. - Affaire du Grand
Prince (Belize c. France) : Arrêt du 20 avril 2001
Les
saisines du Tribunal contre la France se succèdent à un rythme soutenu. Pour
la troisième fois en quinze mois, le Tribunal était appelé à se prononcer
sur une demande de prompte mainlevée de l'immobilisation d'un navire et de
prompte libération de son équipage en application de l'article 292 de la
Convention sur le droit de la mer, présentée cette fois-ci par le Belize.
Il faut rappeler que dans le cadre de cette procédure, la Convention prévoit
que l'Etat dont les autorités ont immobilisé un navire battant pavillon d'un
autre Etat doit libérer navire et équipage dès le dépôt d'une caution
raisonnable ou d'une autre garantie financière. Or, si l'Etat du pavillon
estime que les dispositions de la Convention relatives à la libération du
navire (article 73) n'ont pas été respectées par l'Etat qui a procédé à
l'immobilisation, il peut saisir le Tribunal après un délai de dix jours à
compter du moment de l'immobilisation du navire ou de l'arrestation de l'équipage.
Remarque préliminaire - Préalablement à l'examen de la décision,
il faut noter que l'affaire du Grand
Prince est la première dans laquelle le Tribunal applique les nouveaux délais
prévus par son Règlement modifié le 15 mars 2001.
Le
Tribunal a en effet récemment procédé à la révision de plusieurs
dispositions de son Règlement, à savoir les articles 111 et 112 relatifs à la
prompte mainlevée de l'immobilisation des navires ou à la prompte libération
de leur équipage en application de l'article 292 de la Convention. Ces
modifications sont le fruit de l'expérience acquise par le Tribunal dans un
domaine pour lequel ses services ont été sollicités à plusieurs reprises déjà
depuis sa mise en place : sur les huit affaires qui sont ou ont été
inscrites au rôle du Tribunal, la moitié porte sur l'article 292 de la
Convention.
Les
amendements adoptés par le Tribunal visent à accorder des délais plus longs
aux parties tout en respectant la philosophie de la procédure de l'article 292
à savoir la possibilité d'obtenir rapidement une décision d'une juridiction
internationale. Désormais, le défendeur, c'est-à-dire l'Etat qui a procédé
à l'immobilisation du navire ou à l'arrestation de l'équipage, peut présenter
un exposé en réponse jusqu'à 96 heures (et non plus 24 heures) avant le début
de la procédure orale (article 111-4), ce qui laisse au demandeur plus de temps
pour étudier l'exposé en réponse et préparer sa plaidoirie ; les
audiences débuteront au plus tard 15 jours (et non plus 10 jours) après la
date de réception de la demande (article 112-3), ce qui bénéficie aussi bien
au défendeur qu'au demandeur. Les juges eux aussi disposent à présent d'un délai
légèrement plus long pour adopter un arrêt puisqu'ils devront rendre leur décision
au plus tard 14 jours (et non plus 10 jours) après la clôture des débats
(article 112-4).
Faits - Les faits de l'affaire du Grand
Prince sont malheureusement classiques. Comme dans les affaires du Camouco
et du Monte Confurco, un navire,
battant cette fois-ci pavillon du Belize, est arraisonné le 26 décembre 2000
dans la zone économique exclusive des îles Kerguelen. Les autorités françaises
lui reprochent de n'avoir pas signalé son entrée dans la zone économique
exclusive française et de se livrer à la pêche illicite de légines, activité
causant des problèmes environnementaux très préoccupants. A bord du Grand
Prince, les autorités françaises constatent la présence de 18 tonnes de légines
dont certaines sont encore en cours de lavage. De plus, les procès-verbaux
notent « la présence à l’eau
d’une palangre, sectionnée par le bord lors du survol par l’hélicoptère,
et à 500 mètres du navire de matériel de pêche identique à celui du Grand
Prince » (par. 39 de l'arrêt). Le capitaine du navire a
d'ailleurs reconnu par la suite avoir pêché illégalement dans la zone économique
française. Le 12 janvier, le tribunal d'instance de Saint-Paul (Réunion) a fixé
à 11,4 millions de francs la caution qui devait être versée pour obtenir la
mainlevée de l'immobilisation du Grand Prince. Le tribunal correctionnel, quant à lui, a ordonné,
le 23 janvier 2001, la confiscation du
navire et des accessoires, du matériel de pêche ainsi que des produits de la pêche
saisis, prononcé l’exécution provisoire de la décision de confiscation du
navire et de son matériel, et condamné le capitaine du navire à payer une
amende de 200 000 francs. Les propriétaires du navire ont fait appel de cette décision
du tribunal correctionnel et demandé au juge d'instance la mainlevée de
l'immobilisation du navire. Le 22 février 2001, ce dernier a cependant rejeté
la demande en se fondant sur la décision du tribunal correctionnel pour décliner
sa compétence.
Saisine du Tribunal -
Le 21 mars 2001, le Tribunal international du droit de la mer est saisi au nom
du Belize d'une demande fondée sur l'article 292. Il faut noter à ce
sujet qu'une fois de plus, un Etat demandeur a choisi un avocat et non pas un de
ses propres fonctionnaires pour le représenter devant le Tribunal en tant
qu'agent. En outre, l'avocat désigné comme agent n'était pas de nationalité
bélizienne mais espagnole.
Or, il ne faut pas oublier que la procédure de l'article 292 concerne bien un
différend entre Etats devant une juridiction internationale et non pas un différend
entre une personne privée (le propriétaire d'un navire) et un Etat. A l'examen
de la présente affaire, on peut légitimement se poser la question de savoir si
l'avocat espagnol choisi par le Belize représentait véritablement l'Etat qui
l'a nommé ou bien la société propriétaire du navire de pêche (espagnole
avant mars 2000, bélizienne après cette date) ainsi que le capitaine espagnol
et l'équipage espagnol et chilien du Grand
Prince.
Suite
à la saisine du Tribunal, la France a désigné le professeur Jean-Pierre Cot
comme juge ad hoc, un des juges du
Tribunal (le juge Laing) ayant la nationalité du Belize. Le Tribunal a entendu
les parties lors des séances des 5 et 6 avril 2001 avant de rendre sa décision
le 20 avril 2001.
Aperçu des problèmes posés -
L'affaire soumise au Tribunal soulevait plusieurs questions. La France a-t-elle
respecté les dispositions de la Convention relatives à la prompte mainlevée
de l'immobilisation du Grand Prince (articles 73 et 292) ? Plus précisément, la
caution fixée par le juge français, contestée par le demandeur qui souhaitait
qu'elle soit ramenée à 206 149 euros, est-elle raisonnable ? Et surtout,
le fait que le juge correctionnel se soit prononcé aussi rapidement sur le fond
de l'affaire et qu'il ait décidé la confiscation du navire n'empêche-t-il pas
le Tribunal de se prononcer sur le fondement de l'article 292 ? En effet,
dans le cadre de la procédure de l'article 292, le Tribunal « n'a à
connaître que de la question de la mainlevée ou de la mise en liberté, sans
préjudice de la suite qui sera donnée à toute action dont le navire, son
propriétaire ou son équipage peuvent être l'objet devant la juridiction
nationale appropriée » (article 292-3). La diligence du tribunal
correctionnel permet de pallier une pratique malheureusement habituelle
consistant en la disparition des responsables qui ne s'acquitteront donc pas des
peines prononcées contre eux.
Les représentants du Belize n'ont d'ailleurs pas manqué à cet égard
d'invoquer devant le Tribunal un détournement de la Convention par la France.
Pour répondre éventuellement à ces questions, le Tribunal devait cependant
d'abord se prononcer sur sa compétence.
Question de la compétence du
Tribunal - Dans son examen
de l'affaire, le Tribunal s'est concentré sur une question bien précise
relative à sa compétence : le Belize est-il l'Etat du pavillon et par
conséquent peut-il saisir le Tribunal sur le fondement de l'article 292 selon
lequel « la demande de mainlevée ou de mise en liberté ne peut être
faite que par l'Etat du pavillon ou en son nom » (article 292-2) ?
Une réponse négative à cette question priverait le Belize du locus
standi.
Le
problème du lien de nationalité entre le Grand Prince et le Belize est épineux pour plusieurs raisons. Il
s'agit en effet d'un point qui n'a pas été discuté par les parties lors de la
procédure orale mais que le Tribunal soulève proprio motu : en se fondant sur la jurisprudence d'autres
juridictions internationales, dont celle de la Cour internationale de Justice,
le Tribunal procède à un examen poussé de sa compétence et considère qu'il
« dispose du droit d’examiner tous les aspects de la question de sa compétence,
que lesdits aspects aient été expressément soulevés ou non par les parties »
(par. 79). Or, comme le relèvent d'ailleurs les juges dissidents dans leur
opinion collective, le Tribunal n'a jamais procédé de son propre chef à
l'examen de la nationalité d'un navire quand celle-ci n'était pas contestée.
L'explication de cette attitude, pour ne pas dire de ce revirement procédural,
du Tribunal s'explique peut-être par la très grande confusion qui a été
relevée dans l'étude des documents fournis au Tribunal au sujet de la
nationalité du Grand Prince. Le
Tribunal souligne lui-même que « les documents à lui soumis par les
parties laissent apparaître, au vu de leur libellé, des contradictions et
incohérences au sujet de l’arrivée à expiration de la patente provisoire de
navigation, de la radiation du navire du registre et de la suspension de la procédure
de radiation du registre, contradictions et incohérences qui soulèvent un
doute raisonnable quant à la condition juridique du navire au moment où la
demande a été faite » (par. 76). Il faut en effet savoir que le Grand Prince a d'abord été immatriculé au Canada avant de battre
provisoirement pavillon du Belize en attendant son immatriculation au Brésil.
De plus, le navire a obtenu des autorités compétentes (le registre bélizien
de la marine marchande internationale, ci-après le registre bélizien) une
patente provisoire ayant expiré le 29 décembre 2000. Enfin, par une note
verbale du 4 janvier 2001, le Ministère des affaires étrangères du Belize
informait la France du fait que le Grand
Prince était bien immatriculé au Belize mais qu'étant donné qu'il
s'agissait « de la deuxième violation signalée, la sanction qui est
imposée par les autorités béliziennes est la radiation du navire du registre
du Belize à compter de ce jour, 4 janvier 2001 » (par. 72). Or, par une
lettre du 26 mars 2001, le registre bélizien indiquait qu'il suspendait la
radiation du navire de ses registres pour permettre à la procédure qui devait
se dérouler à Hambourg de se poursuivre et qu'il attendait la décision du
Tribunal pour prendre sa décision de radiation. Par ailleurs, dans une
communication du 30 mars 2001, le registre bélizien affirme qu' « en dépit
du fait que la patente de navigation et le document Ship
station license soient venus à expiration, le navire est toujours
considéré comme immatriculé au Belize » (par. 85, c'est le Tribunal
qui souligne).
Comme
l'a relevé le Tribunal, la situation est donc pour le moins confuse : le
navire a-t-il encore la nationalité du Belize malgré l'expiration de la
patente et surtout malgré la note verbale du Ministère des affaires étrangères
bélizien ? C'est essentiellement sur cette question que le Tribunal s'est
divisé, l'arrêt du 20 avril ayant été adopté par 12 voix contre 9, la
majorité comprenant le juge ad hoc
français et, ce qui est à noter, le juge Laing de nationalité bélizienne. Le
Tribunal était donc en présence de plusieurs documents apparemment
contradictoires. Il aurait pu, en vertu de l'article 77 de son Règlement,
demander des explications supplémentaires aux représentant du Belize. Prenant
en compte le comportement de l'Etat du pavillon et les différentes pièces qui
lui avaient été fournies, le Tribunal a cependant considéré qu'il disposait
de suffisamment d'éléments et que la question qu'il devait trancher était
celle de la valeur juridique de ces documents (par. 92). Dans la hiérarchisation
à laquelle il procède, le Tribunal donne clairement l'ascendant à la note
verbale du Ministère des affaires étrangères pour conclure que le Grand
Prince n'avait pas la nationalité du Belize au moment de l'introduction de
l'instance devant le Tribunal (par. 93). Il donne ainsi clairement à ce
document émanant de la chancellerie une valeur juridique supérieure à celle
de la lettre de l'Attorney general du Belize autorisant la saisine du Tribunal
au nom du Belize et des communications du registre bélizien. Faute de lien de
nationalité entre le navire et l'Etat qui a saisi le Tribunal, ce dernier ne
s'estime donc pas compétent pour connaître de la demande du Belize.
La
démarche du Tribunal accordant la primauté à la note verbale a été appuyée
par certains juges dans leurs déclarations ou opinions individuelles. Ainsi, le
juge Nelson rappelle-t-il la célèbre affaire du Statut juridique du
Groenland oriental ,
conséquence de la non moins fameuse déclaration Ihlen, pour accorder une
importance déterminante à la note verbale du Ministère des affaires étrangères.
Selon lui, le texte de la note verbale est clair : la radiation du Grand
Prince date bien du 4 janvier 2001.
Il s'agit là d'un aspect du raisonnement du Tribunal très critiqué par les
neuf juges dissidents qui estiment en effet qu'étant donné ses doutes, le
Tribunal aurait été bien avisé de demander des éclaircissements supplémentaires
comme l'y autorise son Règlement.
De plus, la primauté donnée à la note verbale est contestée. Le Tribunal
n'aurait en effet pas tenu compte du fait que la procédure de radiation avait
été suspendue comme l'ont indiqué les communications du registre bélizien et
l'agent du Belize, suspension d'ailleurs reconnue par l'agent de la France (par.
5 de l'opinion dissidente).
Au terme de l'affaire du Grand Prince, plusieurs questions restent en
suspens - D'une part, une interrogation subsiste sur le moment auquel il
convient de prendre en considération la nationalité du navire : au moment
de la commission des faits qui lui sont reprochés, au moment où il est allégué
que l'Etat qui a immobilisé le navire n'a pas observé les règles prévues par
la Convention, ou au moment de la saisine du Tribunal ? Dans l'affaire du Monte Confurco, le Tribunal avait noté que « le statut des
Seychelles en tant qu'Etat du pavillon du Monte
Confurco, tant au moment de l'incident que présentement, n'est pas contesté »
(par. 58).
Que peut-on déduire des termes employés par le Tribunal selon lesquels
« les documents probatoires produits
par le demandeur ne permettent pas d’établir que le Belize était l’Etat du
pavillon du navire au moment où la demande a été faite » (par. 93) ?
Il ne faut apparemment pas en tirer des conclusions trop hâtives puisque, dans
son opinion individuelle, le juge Treves lui-même estime que : « the
Judgment does not explicitly take a position on this question » (par. 1). Dans
leur opinion collective, les juges dissidents notent en revanche que :
« the decision of the Tribunal proceeded from the assumption that the
applicant in a proceeding under article 292 of the Convention must be the flag
State at the time the application is submitted » (par. 15).
D'autre
part, le fait que le Tribunal se soit déclaré incompétent l'empêche
logiquement d'examiner l'argument avancé par les représentants du Belize selon
lequel le jugement du tribunal correctionnel, par sa diligence et son contenu,
va à l'encontre des dispositions de la Convention. A en croire l'agent du
Belize, cette « prompte confiscation » constituerait en effet une «
fraude à la Convention ». Le fait que certains juges aient éprouvé le
besoin d'aborder la question, alors que le Tribunal n'avait pas à se prononcer
sur ce point puisqu'il s'est estimé incompétent, témoigne pour le moins d'un
certain trouble. Si le juge ad hoc Cot
a réfuté ces accusations tout en n'excluant pas qu'une telle hypothèse puisse
être théoriquement envisageable, ce qui habiliterait le Tribunal à
requalifier la procédure nationale et à se déclarer compétent (par. 4-8),
d'autres juges appartenant tant à la majorité qu'à la minorité ont exprimé
plus ou moins explicitement leurs interrogations. Il en va ainsi des juges
dissidents,
mais également du juge Laing qui estime que la confiscation d'un navire battant
le pavillon d'un autre Etat : « even
if valid according to national law, cannot, per
se, be accepted by an international adjudicatory body if, in intent or
effect, it would exclude the jurisdiction of that body or extirpate rights or an
entire remedial scheme explicitly recognized in an important instrument with
such wide participation as the 1982 Convention » (par. 9 et plus généralement
par. 9-13). Des interrogations subsistent donc et il n'est pas à exclure que le
Tribunal ait d'autres occasions de se pencher sur cette question.
Juin 2001
* * *
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© 2001 Christophe Nouzha. Tous droits réservés.
NOUZHA
Christophe. – "Note d'actualité sur le droit de la mer : les affaires de
la "Conservation des stocks d'espadon" et du "Grand
Prince" devant le Tribunal international du droit de la mer". - Actualité
et Droit International, juin 2001 (www.ridi.org/adi).
NOTES
Ce point est souligné par le juge Anderson dans son opinion individuelle :
« There is the clear risk that the
vessel, immediately upon its release, would flee the area under the
jurisdiction of the court concerned and never return » (p. 2).
Cette prise de position a été implicitement critiquée par le juge Anderson
qui estime que : « the late change of attitude of IMMARBE [le registre bélizien] appears to
have been made upon the basis of misunderstandings of the true nature of the
present proceedings » (p. 1).
Le juge Anderson, dans une critique à peine voilée de l'attitude du Belize,
explique cette position du Tribunal de la manière suivante : « With
regard to paragraph 92 of the Judgment, in normal circumstances, I would have
favoured asking for more information about the legal status of the Grand
Prince at the material times. However,
in this case there is an unusual feature. The Agent appointed by Belize is not
well placed, as a non-Belizean lawyer in private practice in Spain, to explain
to the Tribunal the seeming inconsistencies in the statements of different
government departments and agencies in Belize, as recorded in the documents
listed in paragraphs 67 and 71 of the Judgment. Largely with this in mind, I
supported the decision recorded in paragraph 92 of the Judgment not to seek
further information from the Applicant » (p. 1).
Voir de même la déclaration du juge Wolfrum : « I
further agree with the Judgment (paragraph 66) that an
application under article 292 of the Convention may only be filed on behalf of
a State if that State is the flag State of the respective vessel when the application is filed » (par. 2, italiques ajoutés).
« […] we regret that the decision
of the Tribunal has prevented it from considering issues of a legal nature
which can significantly affect the development of the procedures to be
followed in prompt release proceedings under article 292 of the Convention,
including the relationship of such proceedings with the merits of cases before
the domestic forum of the detaining State » (par. 17).
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