NOTE - Cet entretien a
été accordé lors du Sommet européen de Thessalonique (19-20 juin 2003), consacré
notamment à la question des relations entre l’Union européenne et les Balkans
occidentaux. M. Skender Hyseni a rejoint le 20 juin la délégation du Kosovo,
composée du Représentant spécial du Secrétaire général (RSSG), M.
Michael
Steiner, du Président
Ibrahim Rugova, du Premier ministre Bajram Rexhepi et du Coordinateur
interministériel sur la question des Retours, Milorad Todorovic. Au cours de ce
sommet, l’UE a affirmé son soutien à la politique des « normes avant le
statut » et la mise en œuvre intégrale de la résolution 1244 (1999) du Conseil
de sécurité.
Aucune réunion parallèle entre les représentants du Kosovo et de la
Serbie-Monténégro n’a eu lieu. Depuis cet entretien, un nouveau Représentant
spécial du Secrétaire général, M. Harri Holkeri, a été nommé, et une première
réunion Belgrade - Pristina sur des questions techniques s’est tenue à Vienne le
14 octobre 2003. Cette première réunion organisée depuis le début de la guerre,
visant à l’instauration d’un dialogue entre Belgrade et Pristina, a connu
certaines difficultés, notamment en raison de l’absence du premier ministre
Bajram Rexhepi et de représentants de certaines minorités du Kosovo. M. Skender
Hyseni a également participé à cette réunion.
QUESTION ‑ Comment évaluez-vous la situation du Kosovo aujourd’hui, quatre ans
après l’intervention de l’OTAN et la mise en place d’une administration
intérimaire des Nations Unies (en vertu de la résolution 1244 (1999) du Conseil
de sécurité) ? Quelle a été, à votre avis, la portée de l’action de la
communauté internationale au Kosovo ?
SKENDER HYSENI ‑ Je considère
que jusqu’à présent elle a été ‑ dans toute la mesure du possible ‑ couronnée de
succès. Souvenez-vous que, le 13 juin 1999, le Kosovo était totalement détruit
et en ruine, et que depuis quatre ans seulement nous reconstruisons la société
kosovare. La résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’ONU est une solution
provisoire pour une période intérimaire. L’idée de l’ancien RSSG Bernard
Kouchner d’un co-gouvernement avec les institutions nationales était, me
semble-t-il, parfaitement appropriée. Des institutions nationales ont été élues
à l’échelle municipale et centrale et l’année prochaine, des élections générales
auront lieu. A ce propos, les observateurs internationaux (notamment l’OSCE et
le Conseil de l’Europe) ont reconnu l’année dernière que les élections avaient
été bien organisées et étaient conformes aux normes internationales.
Nous avons en réalité atteint
maintenant le point où les institutions du Kosovo ont besoin de compétences
propres pour poursuivre les progrès réalisés jusqu’à maintenant. Nous ne sommes
plus dans l’état d’urgence, mais dans la phase de développement économique. En
fin de compte, la communauté internationale et les autorités locales ont fait
des progrès substantiels que les autorités locales pourraient poursuivre.
QUESTION ‑ Le Président
Rugova participe actuellement au sommet de Thessalonique où la question de
l’élargissement de l’Union européenne sera discutée, ainsi que des accords de
partenariat avec la Commission européenne. Pensez-vous que les Etats des Balkans
(y compris le Kosovo, une fois son statut final réglé) sont en mesure de
rejoindre l’UE ?
SKENDER HYSENI ‑
Je me réjouis de
la participation de représentants kosovars à la délégation qui s’est rendue au
Sommet de Thessalonique, parce qu’à mon sens le Kosovo devrait participer à
toutes les initiatives régionales.
La seule option véritable est de reconnaître le Kosovo tel qu’il est,
c’est-à-dire indépendant, et ensuite de favoriser son intégration en Europe.
L’envoyé spécial de l’Union européenne devrait être plus ouvert pour la région,
mais malheureusement cela n’a pas été le cas jusqu’à présent.
L’intégration à l’Union
européenne est une étape nécessaire pour les Balkans en général, et pour le
Kosovo en particulier. Comme vous le savez, le Kosovo travaille activement à la
réalisation des exigences de l’Union européenne, notamment dans le cadre des «
normes avant le statut » fixés par le RSSG M.
Michael
Steiner pendant son mandat.
QUESTION ‑ Ce sommet de
Thessalonique est également une opportunité pour entamer des discussions entre
Belgrade et Pristina, discussions qui ont été reportées à diverses reprises au
moment de l'assassinat du Premier ministre serbe Zoran Djindjic.
SKENDER HYSENI ‑ Les Kosovars
étaient prêts à dialoguer avant l’assassinat de Djinjic. Or, cet assassinat a
repoussé toute chance de dialogue du côté de Belgrade, qui refuse de discuter de
questions pratiques. De nombreux points peuvent et doivent être discutés et
évalués à l’échelle régionale, par exemple les questions relatives au crime
organisé, à l’énergie, au commerce, etc.
Les institutions
provisoires du Kosovo n’ont d’ailleurs jamais contesté le besoin d’un dialogue
avec ses voisins, y compris Belgrade, sur certaines questions pratiques. Des
discussions bilatérales pourraient par exemple êtres menées sur les questions
relatives aux infrastructures régionales, aux documents d’identités (passeports
et autres documents de voyage), à la reconnaissance des plaques minéralogiques,
etc.
En revanche, une discussion sur
le statut final du Kosovo n’est pas envisageable pour le moment, et ne pourrait
être résolue dans le cadre d’un dialogue direct avec Belgrade.
De toute façon, le Kosovo est de facto indépendant, et nous attendons
maintenant que l’on reconnaisse cet état de fait, et qu’on se mette d’accord sur
son statut final. Pour se faire, deux options sont envisageables : en organisant
une Conférence internationale co-présidée par l’Union européenne et les
Etats-Unis d’Amérique, au cours de laquelle un accord serait signé permettant au
Kosovo de devenir un Etat indépendant ; ou par le biais d’une reconnaissance
individuelle de l’indépendance du Kosovo par chaque pays puis par les Nations
Unies. Une fois le statut réglé, des discussions seront échangées avec tous nos
voisins.
QUESTION ‑ Si l’on imagine
un Kosovo indépendant, quelle forme aurait cet Etat ? Ne pensez-vous pas que le
changement des frontières puisse être un facteur d’instabilité pour la région,
comme le soutiennent les dirigeants serbes ? Que pensez-vous de la création d’un
deuxième Etat albanais dans la région ?
SKENDER HYSENI ‑ Pourquoi ne pas
avoir deux Etats albanais ? Il existe bien cinq ou six Etats slaves. Cela n’est
pas un problème du tout, et les relations avec l’Albanie seraient exactement les
mêmes qu’avec la Serbie et le Monténégro. On pourrait d’ailleurs imaginer
l’équivalent d’un espace type « Schengen » avec la Serbie et dans toute la
région. En tout état de cause, la formule actuelle de l’Union Serbie-Monténégro
n’est pas un modèle pour le Kosovo, et cela ne pourrait pas fonctionner pour des
raisons historiques évidentes, connues de tous.
Les frontières des anciens Etats
de l’ex-Yougoslavie ne devraient pas être retouchées, et d’ailleurs, elles ne
l’ont pas été jusqu’à présent. Le Kosovo conserverait donc ses frontières
actuelles, et il est inconcevable d’appliquer des critères ethniques (partition
du Kosovo) sous peine de créer un précédent dangereux causant de graves
problèmes de sécurité dans la région.
QUESTION ‑ Revenons à la formule « les normes avant le statut » et aux
normes actuellement appliquées au Kosovo ? Comment évaluez vous la situation
des droits de l’homme au Kosovo ? Que vous inspire l’appréciation du Médiateur
du Kosovo Marek Antoni Nowicki, qui considère le Kosovo comme un « trou noir » (black
hole) pour les droits de l’homme ?
SKENDER HYSENI ‑ La formule
« les normes avant le statut » est très importante, mais nous avons besoin de
trouver rapidement une solution au règlement du statut final du Kosovo. En
effet, avec la formule « les normes avant le statut », nous sommes confrontés
à un dilemme, et aujourd’hui nous devrions plutôt parler « [d]u statut avant les
normes ». Les institutions provisoires nationales se sont toujours attelées à
la réalisation des objectifs présentés par le RSSG
Michael
Steiner. Cependant, comme je l’ai dit précédemment, l’indépendance est
maintenant nécessaire puisque certaines normes dépendent d’un statut final et
définitif du Kosovo, comme le développement économique. De plus, sans
compétences propres, on ne saurait reprocher aux institutions nationales de ne
pas lutter contre certains fléaux comme le crime organisé. La responsabilité
suppose en effet d’avoir au minimum des compétences propres. Par conséquent,
l’indépendance est une condition sine qua non pour offrir au Kosovo une
démocratie ouverte, notamment aux investissements étrangers et à l’économie de
marché.
Je ne pense pas que le Kosovo
soit un « trou noir » en matière de protection des droits de l’homme, puisque
des progrès substantiels ont été réalisés jusqu’à présent. Certes, de nombreuses
choses doivent encore être faites en direction de la population serbe, notamment
concernant la question de la liberté de mouvement, la sécurité et le retour,
mais également dans le cadre de l’intégration des autres communautés ethniques,
comme les Turcs, les Roms, etc. Cependant, la responsabilité de l’échec des
retours des Serbes ne repose pas exclusivement sur les Kosovars albanais parce
que l’on assiste à des différends internes au sein des autorités de Belgrade sur
cette question. Je pense aussi que cette question est fondamentalement liée au
statut du Kosovo. L’indépendance serait sans aucun doute la clé du renforcement
de la protection des droits de l’homme au Kosovo. Elle permettrait par exemple
au citoyen kosovar de pouvoir porter une requête devant la Cour européenne des
droits de l’homme à Strasbourg.
QUESTION ‑ Qu’attendez-vous du prochain RSSG, maintenant que le transfert des
compétences de la MINUK
vers les institutions nationales à été amorcé ?
SKENDER HYSENI ‑ De continuer
les travaux entrepris par M.
Michael
Steiner dans le sens du transfert de compétence et de régler le plus rapidement
possible la question du statut du Kosovo.
* * *
NOTES
©
2003 Skender Hyseni et Sonia Parayre. Tous droits réservés.
Mode officiel de
citation :
« Quel
avenir pour le Kosovo ? ». Entretien avec Skender Hyseni. - Actualité et Droit
International, décembre 2003. [http://www.ridi.org/adi].
Impression et citations : seule la
version PDF fait foi. |
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