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LA 
PRATIQUE ET LA RÈGLE DE DROITRÉFLEXIONS À PROPOS DE LA SECONDE GUERRE DU GOLFE
 
 
par 
Ornella Ferrajolo
Chercheur du Conseil National de 
la RechercheInstitut d’études juridiques internationales, Rome
     
  
  
    
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Résumé : La nouvelle stratégie de sécurité 
nationale des Etats-Unis a eu un premier cas d’application dans la seconde 
guerre du Golfe. Est-il à craindre que cette pratique va changer les principes 
du droit international concernant l'emploi de la force ? Heureusement, la 
modification d’une règle coutumière ou son extinction par désuétude ne se font 
pas aussi simplement.
 Abstract : The second Gulf war was the first result of the United 
States' new national security strategy. Should we fear that this represents a 
modification of existing international practice and principles regarding the use 
of force ? Happily, in international law, rules of custom cannot be so easily 
changed nor abandoned to disuse.
 
 Note : Cet article a été rédigé en juin 2003 et réactualisé en 
février 2004 avant d’être publié.
   Impression
        et citations : Seule la version
        au format PDF fait référence. |  
  
  
La Société française pour le droit international (SFDI) 
a consacré son Colloque annuel 2003 au rapport entre la pratique et la règle de 
droit dans l'ordre juridique international. 
Ce sujet, relatif aux sources du droit et en particulier à la coutume, est 
assurément un des plus classiques en droit international. A présent, il réveille 
de nouvelles appréhensions chez les juristes, par le fait que la pratique 
courante des Etats-Unis – membre permanent du Conseil de sécurité et première 
puissance mondiale – contredit sans nuances quelques principes fondamentaux du 
droit international, considérés jusqu’ici comme intouchables. 
  
Me trouvant dans la double position d’avoir assisté 
au Colloque de la SFDI, qui a été très riche en analyses et en suggestions, et 
d’avoir, à mon tour, patiemment travaillé à un recueil de la pratique italienne 
de droit international, 
je vais présenter ici quelques réflexions à ce sujet. Celles-ci porteront 
notamment sur les conséquences que la seconde guerre du Golfe 
pourrait avoir sur l'état de la règle coutumière interdisant l’emploi de la 
force dans les relations entre Etats. 
  
  
I. – Le 
Non recours À la force avant et aprÈs le 11 septembre 2001 
  
  
La pratique courante des Etats-Unis semble indiquer 
une désaffection de plus en plus marquée à l'égard du droit international, y 
compris vis-à-vis des conventions récentes dont le but est le développement 
progressif de ce droit. 
  
Dans ce cadre, le problème plus aigu est l'érosion 
apparente de la règle concernant le non recours à la force. Il est bien connu 
que dans la Charte des Nations Unies cette interdiction générale (art. 2 § 4) ne 
connaît que deux exceptions : le recours à la force de la part du Conseil de 
sécurité en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationales (art. 
24 et chapitre VII de la Charte) et le « droit naturel » de légitime défense 
reconnu aux Etats dans le cas où ils seraient l'objet d'une agression armée 
(art. 51 de la Charte). L'interdiction du recours à la force en dehors de ces 
circonstances, qui était initialement l'une des principales innovations du droit 
de l'ONU par rapport au droit international général, s'est consolidée par la 
suite comme une règle coutumière, 
censée correspondre à un principe impératif du droit international contemporain. 
  
Cela s'avérait, par ailleurs, dans un monde où le 
terrorisme n'avait pas encore fait une aussi sinistre apparition. Toutefois, 
après l’attentat du 11 septembre 2001 contre les « Twin Towers », le monde n’a 
plus été le même. Il semble que le droit international, lui non plus, n'est pas 
le même. 
On a débuté par le concept d’une guerre qui, étant dirigée contre le terrorisme 
international, ne se fait pas nécessairement contre un Etat, mais peut se faire 
n’importe où et contre quiconque. Bien que quelques juristes ont contesté le 
bien fondé de cet inattendu ius ad bellum, 
on est passé ensuite à revendiquer un droit de l’Etat de recourir à la force 
armée, non seulement en réaction à la menace d’une attaque imminente (droit de 
légitime défense préventive ‑ qui a quelques précédents dans la pratique 
des Etats), mais également avant même qu’une telle menace à sa sécurité 
nationale ne puisse se concrétiser (défense dite préemptive). 
Ainsi, les Etats-Unis et leurs alliés ont déclenché une guerre contre l’Irak en 
fondant leur intervention sur le fait – selon eux - que cet Etat ne respectait 
pas les résolutions du Conseil de sécurité en matière de désarmement et que le 
régime de Saddam Hussein entretenait des rapports délictueux avec les 
terroristes. Il faut ajouter que ce régime s’était également rendu coupable, à 
l’égard de la population irakienne, de graves violations des droits de l’homme, 
autrement dit de crimes contre l’humanité. Que le Conseil de sécurité lui-même 
ne soit pas parvenu, sur ces éléments, à décider de mesures impliquant le 
recours à la force n’a pas été considéré par cette coalition – à la différence 
de nombreux autres Etats et d’une large part de l’opinion – comme un obstacle 
insurmontable. 
  
  
Sur le point de l’illicéité de la seconde guerre du 
Golfe, c’est à dire de sa non conformité avec la Charte des Nations Unies, je ne 
voudrais rien ajouter aux commentaires qui ont déjà été faits, y compris dans 
cette revue. 
En particulier, je partage l’opinion qu’aucune interprétation dynamique de la 
Charte, ni de la résolution 1441 (2002) du Conseil de sécurité ‑ menaçant l’Irak 
de « graves conséquences » s’il continuait à manquer à ses obligations 
internationales ‑, ne saurait justifier, d’un point de vue juridique, le 
déclenchement de la guerre suite à une décision individuelle de quelques Etats 
membres de l’ONU. 
  
Le fait que l’intervention militaire en Irak a eu 
lieu en dehors du cadre des Nations Unies a produit également des conséquences 
dans la gestion de l'après-guerre. En effet, l’occupation militaire du pays de 
la part des Etats qui ont effectué l’intervention et la création d’une Autorité 
provisoire de la coalition chargée de l’administration du territoire 
ont fait en sorte que les principes juridiques applicables sont à rechercher, 
plus que dans le droit de l’ONU, dans le droit de la guerre. 
Le Conseil de sécurité dans sa résolution 1483 (2003), tout en reconnaissant les 
pouvoirs et les responsabilités spécifiques des Etats-Unis et du Royaume-Uni en 
tant que puissances occupantes, selon le droit international applicable, a 
revendiqué le « rôle crucial » de l'ONU dans le domaine humanitaire, dans la 
reconstruction du pays et dans la création d'institutions nationales permettant 
l'établissement d'un gouvernement représentatif. 
Ces principes ont été réaffirmés dans la résolution 1511 (2003) par laquelle le 
Conseil de sécurité a souligné le caractère temporaire des pouvoirs exercés par 
l'Autorité provisoire de la coalition et a sollicité l’Autorité de les remettre, 
dès que possible, au peuple irakien. 
Cependant, il ne semble pas que les Nations Unies soient parvenues à jouer un 
rôle effectif dans le contexte d’une situation qui, malgré l'arrestation de 
Saddam Hussein en décembre 2003 et nonobstant des progrès vers la transition 
politique, reste en général caractérisée par une grave instabilité et par une 
tragique succession d'attentats terroristes. 
  
Concernant les conséquences juridiques de ces 
événements, il a été remarqué que « la désuétude de la Charte des Nations Unies 
semble désormais très avancée » et que les Etats-Unis semblent imposer 
progressivement « une sorte de pratique coutumière de plus en plus éloignée des 
principes fondamentaux du droit international ». 
En effet, le non-respect de l'article 2 § 4 de la Charte et l'inapplication de 
l'article 24 § 1 et du chapitre VII de la Charte, pour lesquels la 
responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité 
internationales appartient au Conseil de sécurité, pourraient remettre en cause 
non seulement le système de sécurité collective mis en place par la Charte des 
Nations Unies, mais encore la règle coutumière concernant le non recours à la 
force dans les relations entre Etats.  
  
Heureusement, la modification d’une règle coutumière 
ou son extinction par désuétude ne se font pas aussi simplement. Il est vrai que 
cette « pratique subséquente » relative à l'application de la Charte, ou plutôt 
à son inapplication, pourrait être appréciée comme la manifestation d'une règle 
émergente non écrite concernant les limitations du recours à la force, qui 
serait plus flexible et moins contraignante par rapport à la règle appliquée 
jusqu'ici. 
Cette conclusion présuppose, d'autre part, la présence de certaines conditions, 
dont l'évaluation doit être très prudente, d'autant plus que la thèse à vérifier 
concernerait la prétendue action normative d'une pratique contra legem, 
tendant à se substituer à une règle de droit. 
  
  
Le point concernant les conditions qui doivent être 
en présence pour que la pratique des Etats puisse produire un quelconque effet 
juridique 
a trait aux différentes conceptions de la coutume internationale. La question 
ayant fait l'objet, au fil des années, de discussions innombrables de la part de 
juristes très autorisés, je n'ai aucunement la prétention de la rouvrir ici. 
Toutefois convient-il de rappeler qu’une règle internationale coutumière ne peut 
résulter que de deux conditions réunies : a) une pratique générale 
(élément matériel ou diuturnitas) ; b) la reconnaissance du caractère 
obligatoire de la règle non écrite (élément psychologique ou opinio juris). 
  
Quant à l’interprétation de ces éléments (notamment 
le second), il faut noter que la formation ou la modification d’une règle 
coutumière n’ont rien à voir avec la volonté des Etats, bien que ceux-ci soient 
parfois bien conscients du fait que leur pratique peut contribuer à orienter 
l’évolution du droit existant. 
  
Enfin, pour ce qui concerne la méthode de recherche, 
j’admets ma préférence pour l’idée que l’évaluation de chacun des deux éléments 
constitutifs a la même importance. Cela me dispense, entre autres, d’avoir à 
réconcilier l'approche dite « traditionnelle » (interprétation de la pratique 
par voie d'induction) avec l'approche dite « moderne » (reconstruction de l'opinio 
juris à travers les traités et les déclarations, par voie de déduction), à 
l'aide d'une théorie récemment proposée, qui, faisant prévaloir l'élément 
matériel ou l'élément subjectif selon le cas, parvient, me semble-t-il, à 
encourager une sorte de « coutume à la carte ». 
En particulier de nos jours, face à l’aptitude révolutionnaire adoptée par 
certains Etats à l’égard de règles existantes, il convient de s'en tenir à des 
critères restrictifs consolidés, au lieu d'accréditer des méthodes de plus en 
plus discrétionnaires pour apprécier les éléments constitutifs de la règle de 
droit. 
  
  
II. – la seconde guerre du golfe A-t-elle modifiÉ la rÈgle de droit? 
  
  
A. – L'élément matériel 
ou de la conduite des Etats 
  
  
La seconde guerre du Golfe a représenté le dernier 
et le plus inquiétant agissement d’une série qui a marqué l’éloignement 
progressif de la « communauté internationale » du modèle de sécurité collective 
résultant de la Charte de l'ONU. A première vue, il paraît donc qu’une pratique 
largement répandue en ce sens s’est déjà développée. Néanmoins cela n’est vrai 
que dans un sens très général, c’est-à-dire qu’à partir de 1990 un certain 
nombre d’interventions militaires ont été effectuées en dehors des circonstances 
qui étaient considérées auparavant comme les seules pouvant légitimer l’emploi 
de la force en droit international. Sur un plan technique, l'appréciation de la 
pratique pertinente est bien plus complexe. En effet, puisque ces agissements 
sont intervenus dans des circonstances très variées, ils sauraient être 
difficilement appréciés comme des précédents répétés d’une même conduite, 
témoignant de l'existence d'une pratique constante et généralisée, comme le 
requiert la formation d'une règle coutumière. 
  
La pratique en question a commencé à se développer 
en 1991, lors de la première guerre du Golfe. Elle a concerné initialement des 
interventions qui, dépassant l'inapplication des articles 43 et suivants de la 
Charte, ont été effectuées par des coalitions d'Etats membres, sur la base de 
l’autorisation préalable du Conseil de sécurité. Dans un second temps, cette 
pratique a inclu des situations où l'on a prétendu voir dans certaines 
résolutions du Conseil de sécurité une autorisation qui n’avait pas été donnée 
expressément (autorisation dite « implicite ») ou encore la volonté du Conseil 
de remédier au manque d'autorisation par voie d'approbation successive. 
Parmi les cas d’autorisation « implicite » se situe, par exemple, l'opération 
« Renard du désert », entreprise contre l'Irak en décembre 1998. La même année a 
eu lieu l'intervention de l'OTAN au Kosovo, vis-à-vis de laquelle ont été 
invoquées à la fois l'autorisation implicite et l'approbation postérieure.
 
  
En outre, y a-t-il eu des cas où des Etats, se 
fondant sur l'article 51 de la Charte, ont proposé un concept élargi de légitime 
défense, pour justifier des attaques armées malgré l’absence d’un acte 
d’agression. Dans cette catégorie on peut distinguer des précédents, pour ainsi 
dire, plus « classiques », concernant le droit de défense préventive (réclamé 
déjà en 1962 lors de la crise de Cuba, et plusieurs fois par la suite, soit par 
les Etats-Unis que par Israël) et une version postérieure à l'attentat du 11 
septembre 2001, concernant la défense dite préemptive (« preemptive defence »), 
dont la seconde guerre du Golfe a donné un exemple. 
  
Finalement, on peut mentionner au moins une 
intervention (celle de l'OTAN au Kosovo), qui, se situant décidément en dehors 
du droit des Nations Unies, a été fondée prétendument sur le droit international 
général, duquel ressortirait la licéité d’une intervention ayant pour but de 
mettre fin à des crimes internationaux, dans le cas où le Conseil de sécurité 
serait impuissant à intervenir.
 
  
Augmentant la confusion, ces divers éléments se sont 
parfois mêlés, par effet d'une évolution spontanée des circonstances de fait ou 
suite à l'habitude des Etats impliqués de proposer n’importe quelle 
argumentation afin de donner à leur conduite l’apparence d’une légitimation en 
droit international. 
  
L’examen de tous ces antécédents ne constitue pas 
l’objet de cet article (il me faudrait pour cela beaucoup plus de science et de 
temps). 
Toutefois, en regardant, même de façon superficielle, les circonstances de la 
seconde guerre du Golfe, on voit mal comment celle-ci se vanterait d’avoir un 
seul précédent dans la pratique susmentionnée. 
  
Ce cas, en effet, ne peut s'assimiler à ceux où il a 
été question d’une autorisation implicite du Conseil de sécurité, du fait que 
des membres du Conseil, y compris la France et la Russie, membres permanents 
disposant du droit de veto, ont déclaré sans ambiguïté, lors de l’adoption de la 
résolution 1441 (2002), que celle-ci ne pouvait pas être interprétée comme 
autorisant l’emploi de la force contre l’Irak. C’est la raison pour laquelle les 
Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Espagne ont présenté deux fois – le 24 février 
et le 7 mars 2003 – le projet d’une seconde résolution, qui n’a pas été adopté 
suite à l’opposition des deux membres permanents susmentionnés ainsi que de 
l’Allemagne. 
  
Quant aux raisons humanitaires qui pourraient 
éventuellement justifier la seconde guerre du Golfe, il est indiscutable que 
l'intervention militaire en Irak a mis fin au régime répressif du passé, a 
conduit à l'arrestation de Saddam Hussein et de plusieurs fonctionnaires 
irakiens accusés d'avoir perpétré des crimes internationaux et a créé les 
conditions nécessaires afin que ces personnes puissent être jugées de leurs 
crimes dans leur propre pays. 
De ce point de vue, un précédent pourrait être le bombardement du Kosovo de la 
part de l’OTAN, par rapport auquel on s’était déjà demandé si cette intervention 
« humanitaire » pouvait être la manifestation d’une règle générale en voie de 
formation, selon laquelle l’emploi de la force serait légitime dans le cas où il 
n'y aurait pas d'autre moyen pour mettre fin à des crimes internationaux. 
Cependant, l’attaque portée par l’OTAN contre la République fédérale de 
Yougoslavie a eu pour but de mettre fin à une crise humanitaire qui était 
en cours au moment où l’action militaire s’est déroulée. De surplus, il ne 
s’agissait pas d’une violation de l'article 2 § 4, mais plutôt de l’article 53 
§ 1 de la Charte, 
ce qui pourrait éventuellement indiquer l'insuffisance survenue des critères 
régissant les compétences respectives de l'ONU et des organisations régionales 
dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, sans pourtant 
infléchir la norme qui interdit aux Etats de recourir unilatéralement à l’emploi 
de la force. Il est presque inutile de remarquer que dans le cas de l’attaque 
contre l’Irak, non seulement aucune crise humanitaire n’était en cours, mais 
encore la décision de déclencher la guerre a été prise en dehors de tout cadre 
institutionnel, universel ou régional. 
  
Quant aux situations pour lesquelles un droit de 
légitime défense ne correspondant pas aux termes et à l'esprit de la Charte a 
été invoqué, le précédent qui se rapproche le plus de la seconde guerre du Golfe 
est sans doute l'opération « Liberté immuable ». Pourtant, même dans ce cas les 
différences sont remarquables. En effet, l'intervention de 2001 en Afghanistan, 
qui a conduit à la fin du régime des Talibans, a été la conséquence de 
l'attentat du 11 septembre 2001, soit la riposte à une attaque d'une violence 
inouïe, portée sur le territoire des Etats-Unis contre la population américaine. 
S'il est vrai que cette réaction a soulevé de justes perplexités, eu égard au 
concept juridique de l'agression, ainsi qu'aux principes généraux régissant 
l'imputation d'un fait illicite, 
on ne peut pas négliger que la complicité du gouvernement de l'Afghanistan à 
l'égard des terroristes d'al-Qaida avait été constatée par le Conseil de 
sécurité dans une longue série de résolutions restées inexécutées. Tel n'a pas 
été le cas pour la guerre contre l'Irak. Le lien entre Saddam Hussein et les 
organisations terroristes n'étant pas suffisamment prouvé, la menace probable 
qui, aux dires des Etats-Unis et de leurs alliés, rendait inévitable une 
intervention préventive, consistait essentiellement dans la présence supposée 
d'armes de destruction massive, que personne toutefois – ni les inspecteurs de 
l'ONU, ni cette même coalition d'Etats – n'a su déceler, jusqu'à présent, sur le 
territoire de l’Irak. 
  
En conclusion, la seconde guerre du Golfe, ne 
pouvant se rattacher de façon convaincante à aucun précédent, représente un cas 
isolé dans la pratique des Etats. 
  
  
B. – L'élément subjectif 
ou de l'opinion des Etats 
  
  
Dans la recherche d’une règle coutumière, 
l'évaluation de l'élément psychologique est sans doute l’aspect plus complexe. 
Dans notre cas, cette évaluation est facilitée du fait de l’existence de 
déclarations des sujets concernés, y compris le document du 17 septembre 2002, 
réunissant les discours officiels du Président Georges W. Bush sur la nouvelle 
stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis.
 
  
Les principes directeurs de cette stratégie sont 
bien connus : les Etats-Unis sont déterminés, comme une question de « sens 
commun et d'autodéfense », 
à agir pour faire face aux menaces dérivant du terrorisme avant que celles-ci ne 
puissent se concrétiser ; par conséquent, tout en s'efforçant de rallier l'appui 
de la communauté internationale, ils n'hésiteront pas à agir seuls, s'il le 
faut, en exerçant leur droit de légitime défense de manière préventive (thèse 
dite du « first strike »). 
Du document en question, il ressort clairement que, ceci faisant, les Etats-Unis 
s’estiment pleinement dans leur droit. Toutefois le droit auquel on fait 
référence n’est certainement pas le droit international ; il s’agit plutôt, 
comme il a été remarqué, d’un droit interne américain, concernant les relations 
extérieures. 
Quant à l'ordre juridique international – celui qui régit les relations entre 
Etats selon des principes généralement acceptés – l'opinion des Etats-Unis 
eux-mêmes est bien différente. Sur ce point, en effet, le document en question 
précise que le droit international a reconnu pendant des siècles que les nations 
n'ont pas à subir une attaque sans pouvoir légitimement se défendre, dans le cas 
où cette attaque ou la menace de cette attaque serait imminente, et que le 
concept de menace imminente doit être maintenant révisé pour faire face aux 
menaces nouvelles résultant du terrorisme global. 
  
Laissant de côté la première affirmation, qui 
considère la défense préventive comme légitime, il est intéressant de noter que 
les Etats-Unis reconnaissent que la thèse du « first strike » n'a pas de 
fondement en droit international. En effet, ils demandent la révision de 
ce droit (ce qui n’est pas dans la capacité d'un seul gouvernement), afin 
d'élargir ultérieurement le concept de légitime défense. Ainsi, l'opinio 
juris des Etats-Unis ne va pas dans le sens de la licéité de la seconde 
guerre du Golfe selon le droit existant. Ceci est d’autant plus vrai que le 
gouvernement américain a cherché jusqu'à la dernière heure de légitimer 
l’intervention en Irak à travers l’autorité du Conseil de sécurité, ce qu'il a 
fait, par ailleurs, de façon incohérente, ayant recours à la fois à la thèse de 
l'autorisation implicite qui ressortirait de la résolution 1441 (2002), ainsi 
qu’à la tentative (échouée) d’obtenir une nouvelle résolution. Tout cela indique 
que, dans l'opinion des Etats-Unis, cette attaque n’a pas été portée 
conformément au droit international, mais plutôt malgré celui-ci. 
  
Quant à l’opinion des autres sujets, il est bien 
connu qu’un groupe de pays, dont le nombre est supérieur à celui des Etats qui 
ont participé effectivement aux hostilités, s’est rallié à la position 
anglo-américaine. Par ailleurs, les Etats qui ont protesté - et dont la France a 
été le chef de file en Europe - sont bien plus nombreux. Cela a fait en sorte 
que la décision d'intervenir en Irak n'a été partagée par aucune organisation 
internationale, y compris l’OTAN et l’Union européenne, dont la solidarité à 
l'égard des Etats-Unis et la coopération dans la lutte contre le terrorisme 
international sont pourtant bien connues. Sur ce point, la seconde guerre du 
Golfe a marqué, par rapport à l’intervention en Afghanistan, une nouvelle 
considération des arguments en présence et une augmentation considérable des 
pays opposés à l’emploi de la force. Vraisemblablement, ces protestations sont 
dues non seulement aux conditions spécifiques de cette attaque – qui étaient, en 
droit, encore moins acceptables – mais aussi à la prétention unilatérale des 
Etats-Unis d’ériger en système des interventions préventives fondées sur un 
concept de légitime défense de plus en plus discutable. 
  
En ce qui concerne toujours l’évaluation de 
l'élément subjectif, le dernier aspect à considérer est le silence. En effet, il 
y a eu des Etats qui ne se sont pas prononcés sur la licéité de la guerre ou 
dont la conduite et les déclarations ont été ambiguës. 
En outre, on peut se demander pourquoi l’Assemblée générale des Nations Unies 
n’est pas intervenue à travers une résolution qui, certes, n’aurait pas empêché 
le déclenchement de la guerre, mais aurait marqué de façon influente la distance 
existante entre la majorité des Etats et la nouvelle « pratique » américaine. 
Il faut pourtant rappeler que, dans la recherche d’une règle coutumière, 
l’absence de réactions ne doit pas nécessairement être interprétée comme un 
acquiescement, mais peut également s’expliquer par la prudence des sujets 
concernés. 
  
  
En conclusion, ni les données concernant l’élément 
matériel, ni celles relatives à l’opinio juris, ne permettent de 
considérer la seconde guerre du Golfe comme autre chose qu’une violation du 
droit international. Cette violation – comme beaucoup d’autres dans le passé – 
n’a pas été sanctionnée et certainement elle ne va pas l’être par la suite. 
Celle-ci n’a pas non plus été constatée par l’ONU, et en particulier par 
l’Assemblée générale, qui est l’organe le plus représentatif de la communauté 
internationale. Cela ne change en rien sa qualification juridique. Or, il est 
évident qu’une ou plusieurs violations d'une règle de droit ne créent pas une 
règle nouvelle : du point de vue du droit coutumier, il serait erroné de 
reconnaître un tel effet à des faits illicites, alors que la règle violée 
continue d'être respectée par la généralité des Etats. 
A l’heure actuelle, on peut donc conclure à la non incidence de la seconde 
guerre du Golfe sur le principe du non recours à la force dans les relations 
entre Etats. 
  
Cependant, puisqu’en droit international la coutume 
se fait par accumulation, la conclusion ci-dessus pourrait être renversée dans 
le cas où l’intervention en Irak serait suivie par d’autres interventions 
identiques sans provoquer l’opposition des Etats et des organisations 
compétentes. Cela d’autant plus que les Etats-Unis ont fait précéder la guerre 
en Irak d’une théorisation (la nouvelle stratégie de défense) tendant à remettre 
en cause la règle de droit. Jusqu’à présent il semble que cela, au lieu de 
consolider leur position, l’a plutôt affaiblie. En effet, si la seconde guerre 
du Golfe a provoqué autant de protestations alarmées, c'est qu'elle a été perçue 
non seulement comme un fait sans précédents dans la pratique des derniers 
cinquante ans (c'est-à-dire depuis que l'ONU existe), mais aussi comme un 
résultat concret de la nouvelle stratégie de défense et, peut-être, le premier 
d'une série à venir. 
De ce point de vue, la seconde guerre du Golfe est assurément un précédent 
dangereux. Il faudra attendre pour savoir si cela va conduire réellement à un 
revirement de la pratique, et par-là à une modification coutumière des règles 
existantes. Quoi qu’il en soit, eu égard au système des sources du droit 
international, un tel changement ne pourra certainement pas se produire par la 
« pratique » d’un seul Etat.     
* * *   
 NOTES   
     
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
    
    
     
    Y compris l'attaque dirigée contre le bureau de l'ONU à Bagdad qui a eu lieu 
    le 19 août 2003 et a entraîné la mort de 22 personnes, dont le Représentant 
    spécial du Secrétaire général de l’ONU, Sergio Vieira de Mello. Voir le 
    Rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité du 5 décembre 2003, 
    S/2003/1149, paragraphes 17 et suivants. 
    Cf. également « Report of the 
    Independent Panel on the Safety and Security of UN Personnel in Iraq », 20 
    October 2003, <http://www.un.org/News/dh/iraq/safety-security-un-personnel-iraq.pdf>.
    
 
     
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
     
   
  
  
    
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Mode 
officiel de citation :  
FERRAJOLO Ornella. - « La 
pratique et la règle de droit. Réflexions à propos de la seconde guerre du 
Golfe ». - Actualité et Droit International, mai 2004. <http://www.ridi.org/adi>.
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