Excellent article - hélas anticipateur - sur la nature juridique de l'intervention de l'OTAN au Kosovo.
J'ai fait un lien depuis ma page sur cette question : http://perso.wanadoo.fr/claude.rochet/kosovo.htmL
Claude Rochet
Associé, SECOR Inc., Montréal, Québec, Canada
23 avril 1999
Puissance et Droit
Doit-on vraiment s'indigner que les États-Unis et l'OTAN affectent de faire fi des règles du droit des gens en menaçant la Serbie de représailles armées ? Il faut concevoir qu'il y a certainement, en ce moment même et depuis le début de la crise, des palabres officieuses entre responsables occidentaux et responsables russes, où l'on discute du blocage qu'imposent les derniers ; et l'on sait que les moyens de pression de ceux-là sur ceux-ci, dans le moment critique que traverse l'économie russe, ne peuvent pas être minimes. Au demeurant, la Russie n'a pas intérêt à ce que les règles fussent violées par ceux qui partagent avec elle le statut privilégié de puissance tutélaire du monde. Après tout, il faut garder à l'esprit que le système de la sécurité collective ne fonctionne activement que par la contribution des puissances occidentales, au premier chef des États-Unis. Ainsi, remarquer à quel point on a perdu de vue, dans les débats d'actualité, le fond de la règle de droit ne paraît amener vraiment qu'une seule question pertinente, non pas dans l'actualité immédiate, mais au plan de l'actualité prospective : sommes-nous à la veille, au pire, de quelque chose comme un écroulement du système, abandonné par ses principaux soutiens actifs, ou, au mieux, de la redéfinition du système ? La seconde hypothèse sera peut-être inscrite un jour sur l'agenda international si des crises comme celles du Kosovo rendent de plus en plus caduc et irréel le lien de correspondance entre l'équilibre politique et institutionnel du système onusien et l'équilibre concret du partage mondial de la puissance. La première hypothèse est absurde, périlleuse ; car il est indéniable que l'option de casser la machine présente plus d'inconvénients immédiats qu'elle ne promet d'avantages futurs. Mais l'ONU ne peut pas se permettre de mettre l'OTAN sur la sellette par hypercorrection juridique, et il serait une étrange hypothèse que la RFY revendique des droits à sa propre sécurité contre ceux qui sont les seuls à pouvoir contribuer à instaurer une telle sécurité au plan mondial. Après tout, le gradualisme dont on savait combien les Soviétiques faisait un usage savant en politique internationale inspire peut-être la démarche présente de l'OTAN : mettre la pression jusqu'au point où l'on ne voit plus si l'on se retiendra de recourir à la force, entraîner les Russes jusqu'au point où ils ne pourront plus mésestimer la résolution de l'OTAN, jusqu'à mettre en balance la viabilité même des règles ; mais ne pas franchir la limite par une initiative brutale. À ce jeu, c'est le plus dur qui gagne toujours. Il faut imaginer alors que les gesticulations militaires et les déclarations comminatoires ont aussi pour objet d'accompagner les consultations diplomatiques fort actives que nous avons évoquées, et que finalement la démonstration de force à quoi se livrent les Américains pourra au moins servir à mettre le droit, pour ainsi dire, en mouvement de correspondance avec elle (Selon le Figaro Magazine du samedi 24 octobre 1998 (p. 23), l'OTAN aurait repoussé son ultimatum par crainte que l'armée yougoslave n'utilise ses redoutables missiles russes S-300, plus efficaces que les Patriots ; outre que la Russie donnerait aux Yougoslaves accès aux informations de ses satellites militaires, ce qui rendrait le tir desdits S-300 extrêmement efficace. Sur le fond, voilà qui ne laisse pas de place pour la retenue qu'implique le respect normal du droit : il s'agirait d'une retenue devant la force, et non d'une retenue devant le droit. Tout ne serait que jeu de force. Il faut certes prendre cette information avec les précautions d'usage, compte tenu du précédent de désinformation massive à laquelle a donné lieu la couverture médiatique de la Guerre du Golfe.
Raphaël Belaiche
Doctorant (Faculté de droit de Montpellier)
26 octobre 1998
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