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LA MONTAGNE ET LA SOURIS
Une réforme du Conseil de l'Europe pour 1999 ?

par
Emmanuel Decaux
Professeur de droit international
Co-directeur du Centre de droit international (CEDIN)
Université de Paris X Nanterre



Résumé : A la suite du 2ème Sommet du Conseil de l'Europe, une vaste réflexion sur l'avenir de l'organisation a été confiée à un "Comité des Sages". Le Rapport final qui vient d'être remis porte un titre ambitieux "Construire la grande Europe sans clivages", mais son contenu s'avère très modeste. Le Conseil de l'Europe, avec ses 40 Etats Membres, reste à la croisée des chemins.



Lors du 2° Sommet des chefs d'Etat du Conseil de l'Europe, tenu à Strasbourg les 10-11 octobre 1997, "dans la perspective du 50° anniversaire du Conseil de l'Europe en 1999", le Comité des Ministres a été chargé de mener à bien une réforme des structures du Conseil de l'Europe "pour adapter l'Organisation à ses nouvelles missions et à sa composition élargie", forte aujourd'hui de quarante Etats Membres.

Le Comité des Ministres a aussitôt mis en place un "Comité de Sages" chargé de lui faire rapport. Si le Comité de Sages est présidé par Mario Soares, l'ancien président de la République portugaise et composé d'une personnalité indépendante comme Madame Gret Haller, "l'ombudsperson pour les droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine" désignée par le Conseil de l'Europe à la suite des accords de Dayton, les huit autres membres du Comité des Sages sont des diplomates en fonction ou des personnalités désignées es qualités. Dans ces conditions, il n'est guère étonnant que, pour cet énième rapport sur la réforme du Conseil de l'Europe, la montagne accouche d'une souris.

Le rapport, remis en novembre 1998 par le Comité des Sages au Comité des Ministres, porte un titre ambitieux - "Construire la Grande Europe sans clivages" - mais son contenu reste très modeste. Dans sa brève préface, le président Mario Soares souligne d'emblée qu'il "n'a pas toujours été facile (surtout pour des questions concrètes et des points de détail) de trouver un consensus, étant donné la diversité des parcours, des expériences et des formations des membres du Comité", tout comme il revient à deux reprises sur la notion de "respect mutuel", traduisant ainsi une revendication politique de certains nouveaux Etats membres qui hypothèque toute réforme en profondeur.

Le rapport insiste sur l'architecture originale du Conseil de l'Europe qui "possède visiblement une structure tripolaire correspondant [aux] trois axes gouvernemental, parlementaire et judiciaire, structure qui devrait être reconnue en tant que telle et davantage développée" (§ 22). Mais le rapport n'en tire guère de conséquences, au-delà de réformes techniques renforçant le rôle de la présidence du Comité des Ministres (§ 46) ou du changement officiel du nom de "l'Assemblée parlementaire" acquis dans la pratique depuis longtemps (§ 52).

Au contraire la fonction judiciaire - déjà fortement incarnée par la Cour européenne des droits de l'homme - qui reste primordiale pour cette "Europe du droit" qu'à toujours été le Conseil de l'Europe, est négligée. Le rapport souligne un grave désaccord sur ce point : "Pour relever ces défis, il convient de réaffirmer la fonction normative du Conseil de l'Europe. Etant donné la richesse du corpus de textes juridiquement contraignants qui existe aujourd'hui, l'application de ces textes prend une place grandissante et exige des mécanismes efficaces et effectifs de suivi et de contrôle. Dans ce contexte, le Comité des Sages a examiné la proposition de créer une autorité judiciaire générale chargée de suivre la mise en oeuvre des textes juridiquement contraignants. Cependant, cette proposition n'a pas recueilli son approbation - notamment parce qu'elle supposerait la mise en place d'une structure nouvelle et relativement complexe" (§ 12 - en italique dans le texte).

A tout le moins, M. Pergola a réussi à suggérer un pis-aller avec une vague référence à "la Commission [de Venise qui] pourrait être invitée à émettre des avis non contraignants (...) sur des questions constitutionnelles et d'autres questions juridiques fondamentales pour le Conseil de l'Europe", ainsi que "sur l'interprétation des conventions et autres instruments juridiques du Conseil de l'Europe dépourvus de mécanismes propres d'interprétation" (§ 59 - en italique dans le texte). La formule retenue est d'autant plus inquiétante qu'il est précisé que "la Commission de Venise a déjà émis des avis qui font autorité" (sic), créant ainsi une ambiguïté volontaire sur la nature de "l'autorité" des avis donnés. Manifestement, au nom du "respect" qui leur est dû, les Etats ont fait prévaloir une approche politique sur l'approche juridique qu'impliquait un "pôle judiciaire" digne de ce nom.

En fait le seul point où une réforme importante est suggérée concerne le Secrétariat. Il est déjà significatif qu'il ne soit pas inclus dans le triptyque décrit par les Sages, alors qu'il s'agit d'un organe statutaire. Le déclin de la fonction de Secrétaire général - bientôt directement concurrencé par "la création d'un poste de Commissaire aux droits de l'homme" qui "développerait davantage la visibilité du Conseil de l'Europe dans ce domaine" (§ 14) - est manifeste. Mais au-delà, c'est le secrétariat dans son ensemble qui est mis en cause. Sous prétexte de rationalisation autour de quatre grandes directions générales "opérationnelles" - en distinguant de manière assez arbitraire "droits de l'homme et cohésion sociale, prééminence du droit, stabilité démocratique, et culture" - il s'agit d'instituer un système de partage des dépouilles, à travers des recrutements contractuels de courte durée pour les postes de responsabilités.

Une telle remise en cause des règles de la fonction publique européenne, fondée sur les notions de concours et de carrière, garantes de la compétence et l'indépendance des agents - si elle devait un jour être entérinée par les Etats membres - marquerait une "politisation" sans précédent du Conseil de l'Europe. Au lieu d'adapter les Etats aux normes juridiques du Conseil de l'Europe, "sur un pied d'égalité", il s'agirait d'adapter les structures du Conseil aux nouveaux membres au nom d'un "respect mutuel" qui se mérite mais ne se marchande pas.

Bien plus le rapport prévoit que les "directeurs généraux" ainsi désignés formeront "un conseil de direction" sous la présidence du Secrétaire Général. S'il s'agit d'une meilleure coordination, la réforme est souhaitable, mais elle implique aussi le risque de voir le Secrétaire Général, déjà affaibli par la création du poste de Haut-commissaire, être transformé en "primus inter pares" face à des directeurs désignés sur la base d'un équilibre politique. Du choix de la personnalité qui occupera le poste de Secrétaire Général dépend pour beaucoup le voeu prudemment affiché : "Il est nécessaire de hiérarchiser un peu plus fortement la structure du Secrétariat si l'on veut donner au Secrétaire Général les moyens de coordonner efficacement les différents secteurs et de renforcer la cohérence et la visibilité de leurs activités" (§ 26).

Introduire d'une manière ou d'une autre, le "spoil system" au sein du Conseil de l'Europe pour éviter de "nouveaux clivages", risquerait de faire une victime, le "respect" porté au Conseil de l'Europe lui-même. Sans gagner la confiance des nouveaux membres devant une telle complaisance, le Conseil de l'Europe perdrait celle de ses anciens membres déjà trop souvent tentés de regarder ailleurs, notamment vers l'Union européenne. Loin de n'être qu'une réforme de plus du Conseil de l'Europe, ce serait une réforme de trop.

7 décembre 1998

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© 1998 Emmanuel Decaux. Tous droits réservés.

DECAUX E. - "La montagne et la souris. Une réforme du Conseil de l'Europe pour 1999 ?". - Actualité et Droit International, décembre 1998 (http://www.ridi.org/adi).

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