QUELQUES REMARQUES A PROPOS DES PRINCIPES DE L'OCDE RELATIFS AU GOUVERNEMENT D'ENTREPRISE
NEW OECD STANDARDS ON CORPORATE GOVERNANCE
par
Karim Mouttaki et Payam Shahrjerdi
Chercheurs en droit international
Université de Paris 1 - Panthéon-Sorbonne
Résumé : Face à l'aggravation des crises sur les marchés financiers, l'OCDE vient de lancer un projet de principes relatif au gouvernement d'entreprise. Il s'agit de définir des principes communs relatifs à l'organisation du pouvoir au sein de l'entreprise. L'objectif étant de parvenir à une efficience et une plus grande stabilité économiques.
Abstract : The increased turbulence in the world financial markets has heightened awareness of the need for good corporate governance as an element of building a robust economic system. The OECD, which had developed recognised expertise in this field, has been invited to develop standards and guidelines on corporate governance. Now the point is : are we on the right way ?
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Remarques introductives
Le 20 janvier 1999, l'OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) a réuni des représentants de différentes branches : entreprises, syndicats, pays non-membres, universitaires et experts, ainsi que des groupes de consommateurs et de protection de l'environnement. L'objet de cette réunion était la présentation d'un projet relatif au gouvernement d'entreprise ; cette consultation faisait suite à une large diffusion du projet via Internet (*). Deux jours plus tard, le groupe de travail ad hoc chargé du projet le discuta et le modifia à la lumière des opinions exprimées lors de la consultation. Le groupe ad hoc est formé uniquement des pays membres de l'OCDE mais y participent à titre consultatif des organisations internationales et "les groupements du secteur privé concernés possédant des compétences particulières dans le domaine du gouvernement d'entreprise", auxquels il faut ajouter le BIAC (1) et le TUAC (2). L'agenda des consultations sera probablement clos à la fin du mois d'avril 1999, date à laquelle le projet du groupe ad hoc sera soumis à approbation du conseil des ministres de l'OCDE qui doit statuer sur son application en mai 1999.
L'OCDE et les pays membres reconnaissent ainsi la nécessité de "normes internationalement acceptées dans le domaine du gouvernement d'entreprise qui est apparu au cours de la dernière décennie comme un déterminant de plus en plus important des performances économiques globales des pays de l'OCDE". Nul ne s'étonnera d'ailleurs de voir dans ce projet une réaction à la multiplication des crises financières ; des crises dont l'étendue géographique ne se limite pas à la seule zone OCDE - ce qui explique la participation des pays non-membres aux consultations relatives à ce projet -.
Le projet relatif au gouvernement d'entreprise se traduira par "des lignes directrices" qui n'auront pas un caractère contraignant. L'ambition demeure tout de même d'en faire une référence dans le domaine du gouvernement d'entreprise tant dans les pays membres de l'OCDE que dans les pays non-membres. Ces lignes directrices portent sur cinq grands thèmes : droits et responsabilités des actionnaires, rôle des différentes parties prenantes dans le gouvernement de l'entreprise, traitement équitable des actionnaires, transparence et diffusion de l'information, enfin les devoirs et responsabilités du Conseil d'administration.
Que faut-il entendre par "gouvernement d'entreprise" ? Il est clair que cette expression est une traduction hâtive et incomplète de la notion de corporate governance qui désignerait l'organisation et la gestion du pouvoir dans l'entreprise en vue d'améliorer l'efficience économique et assurer une meilleure protection contre les aléas de la mondialisation des échanges économiques.
Le projet de l'OCDE sur les principes relatifs au gouvernement d'entreprise présente un intérêt certain. D'abord dans son architecture (I) et ensuite par sa teneur (II), ce projet concerne des questions fondamentales dans les rapports entre le droit et l'économie.
I - L'architecture du projet
D'un point de vue formel, la question de la valeur juridique des divers instruments négociés et élaborés au sein de l'OCDE revêt une importance réelle. Ainsi, après avoir produit les fameux codes de l'OCDE, cette organisation s'était lancée dans une entreprise pour le moins ambitieuse qui aurait dû déboucher sur la signature d'un véritable accord multilatéral sur les investissements (AMI). Il nous paraît superflu de rappeler les controverses juridiques et politiques qui ont longuement, et souvent avec virulence, nourri le débat sur l'AMI. Il reste que ce projet mort-né (3) a eu le mérite de montrer les difficultés de mise en place des règles multilatérales contraignantes en matière d'investissements. Plus largement, on a pu voir dans toute sa vigueur le clivage qui oppose les partisans et les opposants de la libéralisation massive des mouvements de capitaux et de la protection des investisseurs.
Cette expérience justifie pleinement le nouveau revirement de l'OCDE qui a décidé de recourir, de nouveau, aux règles et principes à caractère non-contraignant. L'expérience récente montre que ces instruments à normativité relative voire inexistante présentent de sérieux atouts qui leur confèrent une grande utilité et une efficacité probante. S'il est vrai que leur caractère recommandatoire les prive d'emblée des garanties d'exécution qui sont propres à une norme juridique - dont la plus importante est évidemment la sanction en cas de violation de la norme - ces instruments à normativité relative occupent aujourd'hui une place importante dans les sources du droit international économique. Que l'on les appelle guidelines, best practice, principes directeurs ou encore standard minimum, leur objectif reste quasi constant : proposer des directives, des comportements moyens ou encore un certain modèle comportemental dans un domaine donné.
Les principes de l'OCDE relatifs au gouvernement d'entreprise s'inscrivent dans cette logique. Ils poursuivent essentiellement trois séries d'objectifs (1) qui doivent être atteints grâce aux moyens proposés dans ce projet (2).
La première série d'objectifs que nous pourrions qualifier d'immédiats concerne l'organisation du pouvoir dans le réseau des relations au sein de l'entreprise. La deuxième série comporte des objectifs médiats. Il s'agit de la recherche de l'efficience économique au sein et autour de l'entreprise. Il existe enfin un objectif ultime qui est l'efficience économique de l'Etat qui résulte en théorie de l'application rigoureuse des principes du gouvernement d'entreprise dans les différentes entités qui constituent le tissu économique du pays.
La notion d'efficience économique est relativement difficile à définir. L'évaluation de l'efficience économique se fait selon deux types de critères. Il s'agit d'abord du critère quantitatif qui repose essentiellement sur la recherche systématique de bénéfices. Le second type de critères complète le premier en y ajoutant des préoccupations qualitatives. A cet égard le projet de l'OCDE propose un inventaire relativement exhaustif des éléments constitutifs du gouvernement d'entreprise. Ce sont plus précisément les moyens qui permettraient la mise en œuvre des principes relatifs au gouvernement d'entreprise.
Les moyens sont proposés sous la forme de "droits à". Les titulaires de ces "droits à" sont naturellement les actionnaires mais également les autres parties prenantes dans la vie de l'entreprise. Ces "droits à" portent sur trois domaines :
- Le droit à participer à la vie de l'entreprise
- Le droit à la transparence et un accès facile et rapide à l'information
- Le droit à un traitement équitable
La conciliation entre les critères traditionnels et modernes de l'efficience économique constitue par conséquent un des apports - mais également une des difficultés - de ce projet. Nous pouvons légitimement nous demander dans quelle mesure l'affirmation de standards juridiques - qui prônent la prévisibilité et la lisibilité des "droits à" au sein de l'entreprise - peuvent engendrer une efficience économique - qui doit se traduire par une stabilité à l'échelle de l'entreprise et ensuite dans tout le tissu économique du pays.
La réponse à cette question reste pour le moment tributaire de la viabilité de ce projet.
II - La teneur du projet
Le gouvernement d'entreprise est fondé sur l'idée de l'organisation des relations entre les différends intervenants dans la vie de l'entreprise afin d'assurer une meilleure efficacité de celle-ci et de prévenir tout dysfonctionnement. Le projet identifie trois catégories d'intervenants : les actionnaires, le Conseil d'administration et toutes les personnes participant à la vie de l'entreprise. A chaque participant correspond un statut qui lui assure des droits (1) mais aussi des responsabilités (2).
Les actionnaires bénéficient des droits liés à l'acquisition de titres du capital de la société qui peuvent être regroupés en deux catégories : droit à l'information et droit à la prise de décision. Tout cela devant assurer une protection des droits des actionnaires dont la violation donnerait lieu à une réparation effective (cf. Chapitre II du projet).
Le droit à l'information est compris de façon suffisamment extensive afin de permettre et de faciliter la participation des actionnaires à la vie de l'entreprise. Il inclut notamment les informations relatives aux décisions concernant des changements fondamentaux pour la société (cf. Chapitre I-B). Une information plus précise peut être demandée afin d'assurer la protection des droits des actionnaires. Ainsi, "les structures de propriété et de mécanismes qui permettent à certains actionnaires d'exercer un contrôle disproportionné par rapport au montant de leur participation devraient donner lieu à publicité" (cf. Chapitre I-D). Une information mieux diffusée permettra en effet une prise de décision plus efficace.
Les actionnaires ont aussi le droit de participer effectivement à la vie de l'entreprise et de voter aux assemblées des actionnaires (cf. Chapitre I-C). Le projet rappelle à juste titre la nécessité de mettre en œuvre des procédures mieux adaptées et simplifiées pour s'assurer de la participation des actionnaires. Cependant, afin de prévenir toute utilisation abusive de ce droit, le projet reconnaît la possibilité d'introduire quelques limites (cf. commentaire du projet sous I-C-2).
Enfin, ces principes font appel à la notion de traitement équitable qui organise les rapports entre les actionnaires. A cet égard, il est loisible de remarquer que le traitement équitable ne signifie pas traitement égal sauf pour les actionnaires appartenant à la même catégorie.
En revanche, pour les différentes parties prenantes dans le gouvernement d'entreprise (stakeholders) c'est le flou artistique. D'une part, il n'y a aucune précision sur la notion de "parties prenantes", et d'autre part - cela malgré la participation de cette catégorie à l'efficacité économique - les règles du gouvernement d'entreprise ne comportent aucune garantie directe en faveur de cette catégorie particulière. Elles peuvent tout au plus "autoriser l'adoption de mécanismes de participation des parties prenantes à la vie de la société de nature à améliorer les résultats".
Le projet se réfère néanmoins à la protection des droits des parties prenantes reconnus par la législation.
Les responsabilités auxquelles seraient assujetties les différentes catégories de personnes participant au gouvernement de l'entreprise sont de deux ordres : le premier, transversal, souligne le souhait de transparence qui doit gouverner la vie de l'entreprise ; le second, met l'accent sur la rationalisation du processus de prise de décision.
a) L'obligation de transparence
Outre la diffusion d'informations en faveur des actionnaires - qui constitue un des droits de ces derniers -, la diffusion peut être plus large et porter sur "des éléments concrets intéressant la situation financière, les résultats, l'actionnariat et le système d'organisation du pouvoir de l'entreprise" (cf. Chapitre III). Le projet donne d'ailleurs une liste non limitative de ces éléments concrets. En revanche, il n'y a pas d'uniformisation des règles de transparence. Les législations et réglementations boursières en vigueur dans les pays de l'OCDE mais aussi dans d'autres pays ont progressivement indiqué le champ d'application des obligations d'information et leur périodicité. Il faut aussi signaler que des règles plus précises sont imposées par les législations nationales à des activités sensibles comme les banques.
b) La rationalisation des prises de décisions
La reconnaissance du droit de vote des actionnaires s'accommode de la rationalisation de son utilisation. Ainsi, les actionnaires doivent tenir comte de l'opportunité de l'exercice de leurs droits de vote (cf. Chapitre I-F). De plus les investisseurs doivent laisser les marchés de contrôle des sociétés fonctionner de façon efficace et transparente (cf. Chapitre I-E).
Cependant, c'est au Conseil d'administration que revient les tâches les plus importantes pour la rationalisation des décisions relatives à la société. Aux termes du projet : "les règles régissant le gouvernement d'entreprise devraient prévoir des dispositions en vertu desquelles le Conseil d'administration fournit des orientations stratégiques à la société, assure un véritable suivi de ses activités et rend compte des décisions à la société et ses actionnaires" (cf. Chapitre V). Pour cela, le Conseil d'administration doit être indépendant de la direction et comporter un nombre suffisant d'administrateurs n'exerçant pas de responsabilité dans l'entreprise.
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Le projet de l'OCDE sur les principes relatifs au gouvernement d'entreprise soulève la délicate question des rapports entre le droit et l'économie. Il est vrai que les relations internationales économiques constituent un champ de bataille où s'affrontent la normativité juridique et la positivité économique (4). Toutefois, la viabilité d'un tel projet est pour le moment incertaine dans la mesure où le leitmotiv qui sous-tend l'ensemble de cette entreprise - à savoir l'efficience économique - n'est point susceptible d'être évalué selon les méthodes globales conciliant le critère qualitatif et les considérations quantitatives. 11 avril
1999
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© 1999 Karim Mouttaki et Payam Shahrjerdi. Tous droits réservés.
MOUTTAKI K. et SHAHRJERDI P. - "Quelques remarques à propos des principes de l'OCDE relatifs au gouvernement d'entreprise". - Actualité et Droit International, avril 1999 (http://www.ridi.org/adi).
NOTES
(*) pour de plus amples informations : http://www.oecd.org/daf/governance/principes.htm (retour au texte)
(1) Comité consultatif économique et industriel auprès de l'OCDE. (retour au texte)
(2) Commission syndicale consultative auprès de l'OCDE. (retour au texte)
(3) SHAHRJERDI P., "L'AMI ou le projet mort-né de l'OCDE", Actualité et Droit International, novembre 1998. (retour au texte)
(4) CARREAU D. et JUILLARD P., Droit international économique, LGDJ, 1998, pp. 396 et ss. (retour au texte)
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