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QUAND AUTONOMIE RIME AVEC SUPERCHERIE (*)

par
Jean Rochet
Professeur vacataire à l'Université d'Evry-Essonne
Ancien expert européen en politique urbaine
Chercheur en droit international à l'Université de Paris 1 - Panthéon-Sorbonne



Résumé : En dépit de l'emphase qui a accompagné la signature des accords d'Oslo, que doit-on penser de la marge de manoeuvre de l'actuelle entité palestinienne qui, étranglée d'une part par la faible étendue géographique des territoires qu'elle administre, est d'autre part constamment soumise au contrôle économique, aux restrictions coercitives et aux pressions internationales.

Sélection de sites : Situation en Palestine.



Le processus déjà énoncé à Camp David, repris plus tard à Madrid et enfin consacré à Oslo semble être mis à mal un peu plus jour après jour. Ce tournant, encouragé par plusieurs locataires de la Maison Blanche d'une part (1) et avalisé par les représentants légitimes des deux parties concernées d'autre part (2), se voulait pourtant à la fois irréversible et évolutif.

A l'issue de près d'un demi-siècle de déni mutuel qui avait succédé à des décennies de défiance et d'attitudes belliqueuses, le mouvement de libération nationale représentant le peuple palestinien et l'Etat d'Israël avaient en effet accepté l'inimaginable. La reconnaissance réciproque accompagnée d'une coexistence pacifique devait présager les prémices d'un Proche-Orient pacifié où juifs et palestiniens envisageaient enfin une cohabitation circonstanciée mais annonciatrice du règlement définitif du principal conflit israélo-arabe.

Si les accords d'Oslo ont permis aux deux Parties contractantes de mettre en place un régime transitoire d'autonomie au départ conçu pour durer jusqu'au mois de mai 1999, celui-ci semble bien être atypique à de nombreux égards. Sans tout d'abord comporter de garantie juridique quant à l'avènement d'un futur Etat palestinien, ils ne concernent de surcroît qu'une partie réduite à la portion congrue du territoire que la légalité internationale confère sans discontinuer depuis 1967 au peuple palestinien (3). Sous l'influence et la pression israéliennes, des questions essentielles ont par ailleurs été délibérément évincées et renvoyées aux discussions ultérieures sur le statut permanent. C'est ainsi que Jérusalem, les réfugiés, les implantations juives dans les territoires, les arrangements de sécurité et les frontières ont été laissés en suspens.

Cet état de fait traduit le rapport de forces éminemment favorable à Israël qui prévalait au moment des négociations et de la conclusion des accords. Il explique également et surtout que l'ensemble des modalités d'application sont presque intégralement soumises au bon vouloir israélien. C'est pour ces raisons que Tel-Aviv s'est obstiné à poursuivre sa politique du fait accompli en maintenant la colonisation dans les territoires aussi bien sous les gouvernements travaillistes successifs à compter de 1993 que sous le gouvernement Likoud depuis 1996. C'est ainsi qu'aucune des nombreuses colonies de Cisjordanie ou de la bande de Gaza, sans évoquer Jérusalem-est, n'a commencé à être démantelée. Bien au contraire, depuis le début du processus de paix, plusieurs implantations ont été agrandies et d'autres ont même été créées. Cette politique commande les expropriations des terrains sur lesquels sont construites les habitations. Mais il convient de savoir que les implantations nécessitent simultanément la réalisation de routes empruntées par les colons et surveillées par l'armée. Ces routes ou bypassing roads ne traversent aucune agglomération arabe et visent à acheminer les colons depuis Israël jusqu'à leur domicile en toute sécurité. Leur construction entraîne toujours l'expropriation de nombreux terrains agricoles privés.

Bien que la menace terroriste demeure réelle et bien entendu déplorable, elle semble aussi permettre à l'Etat hébreu, en vertu d'une acception très extensive du concept de sécurité, de mettre en œuvre des mesures réactives disproportionnées ne résolvant pas d'une part le fond du problème et mettant en cause d'autre part de façon incontestable et fondamentale certains des droits de l'homme les plus élémentaires.

Découpage du territoire et limites de l'autorité palestinienne

En dépit de l'éclat médiatique que ces accords ont suscité, certains spécialistes ont cependant rapidement fait preuve de réserves au regard de ce qui avait été réellement conclu. Certains n'ont ainsi pas hésité à qualifier ces accords de léonins (4) alors que d'autres ont regretté le "caractère extra-territorial" de l'autonomie en même temps que la "façade de liberté" qu'ils instituaient (5). Il est vrai que l'étendue matérielle et géographique du régime d'autonomie qu'ils envisageaient, bien que doté d'un caractère transitoire, se situait bien en deçà du cadre fixé précédemment par les résolutions 242 et 338 du Conseil de Sécurité des Nations Unies respectivement adoptées à l'issue de la guerre des six jours et de la guerre du Kippour ou de la guerre d'octobre. Si les compétences transférées à l'Autorité palestinienne ont été conçues pour être à géométrie variable aussi bien dans le temps que dans l'espace, il n'en demeure pas moins que le champ territorial et matériel de l'autonomie traduit ostensiblement la poursuite de la mainmise d'Israël sur les points et les sites les plus essentiels. Cela illustre simultanément l'extrême complexité du nouvel état de droit.

Concernant l'étendue géographique de l'autonomie, il convient en effet et en premier lieu de relever l'absence notoire de continuité territoriale qui concourt à la fois à sa difficile gestion mais également à son défaut de lisibilité auprès du grand public. Qu'il s'agisse de la bande de Gaza ou de la Cisjordanie, les colonies de peuplement et les installations militaires israéliennes ont ainsi été soigneusement évincées des accords et échappent par conséquent intégralement aux pouvoirs conférés au pouvoir palestinien.

A l'intérieur de la bande de Gaza vit près d'un million de personnes dont plus de 700 000 réfugiés. Ces données démographiques confèrent à ce territoire qui s'étend seulement sur une largeur de six kilomètres et sur une longueur de quarante kilomètres en bordure de la mer Méditerranée au sud-ouest d'Israël le triste privilège de détenir la plus grande densité de population du monde.

Bien que la Cisjordanie (territoire dénommé également Judée-Samarie selon une référence biblique par certains israéliens en dépit d'un défaut de concordance de la légalité internationale) ait une superficie plus importante d'un peu moins de 6000 kilomètres carrés, le découpage dont elle a fait l'objet l'assimile à une juxtaposition de bantoustans. Trois types de zones ont ainsi été définis. Aucune d'entre elles n'est pourvue de continuité géographique. Cela représente autant d'entraves à la circulation des personnes et des biens étant donné que le passage d'une zone à une autre nécessite le franchissement d'un check-point militaire où les soldats de Tsahal sont libres de vérifier les pièces d'identité, les laissez-passer, les véhicules et les biens transportés. Selon l'accord d'Oslo II signé le 28 septembre 1995, la zone A, relative initialement à 3 % de l'ensemble du territoire uniquement, comprend 20 % de la population. Il s'agit en réalité des villes de Jéricho, Ramallah, Jénine, Naplouse, Tulkarem, Kalkilya, Bethléem et d'une partie d'Hébron. A l'intérieur de celles-ci, l'Autorité palestinienne est habilitée à exercer ses pouvoirs pour la sécurité intérieure ainsi qu'en matière civile.

La zone B couvre 27 % du territoire et rassemble 70 % de la population arabe de Cisjordanie. L'Autorité palestinienne n'est compétente dans ce cadre que pour les affaires civiles et, à la différence de la zone A, n'est donc pas autorisée à assurer la sécurité intérieure. La zone C concerne enfin 70 % de la superficie de la Cisjordanie où sont d'ailleurs situés la plupart des secteurs pourvus des ressources aquifères. Il est prévu que la souveraineté israélienne demeure ici totale.

L'autre trait qui caractérise l'autonomie palestinienne est relatif à son champ matériel et s'explique par son extra-territorialité. Sa signification implique l'impossibilité et l'interdiction pour l'Autorité palestinienne d'exercer une quelconque compétence sur un ressortissant israélien quels que soient les griefs incriminés et quel que soit le lieu géographique où ceux-ci ont été commis. Cette restriction traduit les pouvoirs circonscrits que l'Autorité palestinienne exerce bien sur un peuple (les Palestiniens) mais en même temps l'absence de contrôle qu'elle détient sur un territoire. C'est aussi en vertu de ces importantes limitations qu'un Etat palestinien ne peut toujours pas être reconnu aujourd'hui. L'existence effective de celui-ci nécessiterait en effet la réunion de trois éléments constitutifs : un peuple, un gouvernement et un territoire. Si les deux premiers n'entraînent pas de contestation possible (le peuple palestinien est désormais reconnu par plusieurs résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies et l'Autorité palestinienne fait office de gouvernement), ce que nous venons de mentionner concernant le territoire empêche, pour l'instant et en l'état actuel des compétences conférées par Israël à l'Autorité palestinienne, d'affirmer que cet Etat existe (6).

Il faut par ailleurs remarquer que les autorités israéliennes continuent de contrôler l'intégralité des frontières internationales. Cela vaut aussi bien pour la Jordanie que pour l'Egypte. Même si ce dernier Etat jouxte le Sud de la bande de Gaza et qu'un poste frontière palestinien a été désormais érigé à Rafah pour coexister à côté du poste israélien, la présence de vitres opaques à l'intérieur de ce bâtiment contrôlé en apparence par les palestiniens permet en réalité aux officiers israéliens de superviser tous les franchissements sans être vus et d'opposer le cas échéant leur veto. Si cette pratique s'avère être conforme aux dispositions des accords israélo-palestiniens dans la mesure où la sécurité extérieure doit rester du ressort exclusif de l'Etat hébreu, l'opportunité réelle de ces exigences israéliennes est néanmoins douteuse lorsque l'on sait que les forces de Tsahal continuent simultanément, d'une part, de contrôler tous les passages entre les territoires autonomes et Israël et, d'autre part, de protéger les enclaves que constituent les installations militaires ainsi que les implantations juives à l'intérieur de la bande de Gaza comme en Cisjordanie.

Incidence des bouclages des territoires sur la situation économique

Concernant les échanges commerciaux que les Palestiniens peuvent entretenir avec des Etats tiers, il faut aussi remarquer à ce niveau l'entière emprise israélienne. Cela vaut aussi bien en période normale qu'en période de bouclage et explique à quel point le développement économique reste une fois de plus limité et subordonné. Toutes les exportations et les importations transitent par les autorités israéliennes. Il arrive parfois que celles-ci fassent preuve d'un zèle particulier lors des contrôles préalables à la délivrance des licences, des certificats ou des autorisations nécessaires. Si la sécurité en général et la menace terroriste en particulier permettent de comprendre l'exigence et l'effective prise en compte de telles procédures, la perplexité et une position plus dubitative deviennent de mise lorsque l'on sait que ces impératifs ont déjà entraîné la livraison de matériel humanitaire de première nécessité tel que du lait en poudre pour des enfants ou des produits médicaux destinés à des hôpitaux après un transit trop long dans les ports israéliens et l'expiration des dates de péremption (7). Des réserves similaires peuvent être formulées lorsque le stockage prolongé de la farine devant servir à la fabrication du pain a provoqué sa détérioration. Sur le plan anecdotique, ces mêmes raisons occasionnent parfois la consommation par le cheptel palestinien de fleurs coupées qui ont fané et ne peuvent donc plus être acheminées sur les marchés européens en vertu de la conclusion d'ententes commerciales relatives à des marchés précis entre l'Autorité palestinienne et la Commission européenne.

La situation économique en général peut être considérée comme déplorable en Cisjordanie et surtout à Gaza. La dépendance continue d'être totale et permanente vis-à-vis d'Israël pour la distribution (vers l'étranger mais aussi vers le marché israélien en ce qui concerne tout particulièrement les produits agricoles) et également pour l'ensemble des moyens de production tels que le transport ou le carburant.

Lorsqu'un attentat est perpétré en Israël, les responsables de l'Etat hébreu ont ipso facto et de surcroît recours au bouclage des territoires (8). Ces derniers deviennent alors sine die coupés du monde et ne se distinguent plus vraiment de véritables zones carcérales. Les Israéliens procèdent à des bouclages généraux ayant pour effet de séparer et d'isoler Israël des territoires palestiniens (Gaza et Cisjordanie) et d'empêcher donc toutes relations (mobilité des personnes, des véhicules et des marchandises) entre Israël et les territoires, entre Jérusalem et les territoires et entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. L'interdiction absolue d'entrer et de sortir qui frappe aussi bien les individus et les biens devient en effet le principe, ses trop rares dérogations étant les exceptions (9). Parfois, des bouclages internes (10) peuvent aussi être décidés. Nous devons cependant préciser que le recours à ces mesures n'est en aucun cas synonyme de cessation des activités et des menaces terroristes. Plusieurs attentats ont en effet été commis alors que les territoires étaient complètement bouclés (11).

Sensé à tort préserver les Israéliens des attentats conçus, préparés et commis par des extrémistes heureusement très largement minoritaires, le bouclage des territoires ne se dispense pas d'entraîner des conséquences très lourdes pour les Palestiniens. Outre les pertes occasionnées par la paralysie des ventes de marchandises vers Israël et les atteintes à la liberté de circulation, le bouclage représente une chute considérable du revenu par habitant. Si le taux de chômage atteint ainsi en temps normal près de 30 % des travailleurs palestiniens, il dépasse 50 % lorsque le bouclage est pratiqué, les salariés qui travaillent en Israël n'étant plus autorisés à s'y rendre (12). Selon une étude reprise par le quotidien Asharq al-Awsat, le bouclage coûterait chaque jour de huit à dix millions de dollars aux Palestiniens. D'après les représentants des Nations Unies (13), ces données excèdent même le montant de l'ensemble des aides internationales allouées aux Palestiniens. Des répercussions peuvent également être trouvées concernant par exemple l'éducation avec les restrictions de l'accès des étudiants et des professeurs aux universités, en matière de santé et de droit à l'information avec le très aléatoire acheminement des matériels de soin et de la presse, en matière économique et en matière de construction d'infrastructures avec l'improbable approvisionnement de matières premières ou encore en matière sociale avec la suppression de la visite des familles. La Cisjordanie et la bande de Gaza étant d'ailleurs coupées l'une de l'autre et donc dépourvues de toute contiguïté géographique, le recours au bouclage affecte non seulement l'ensemble des individus vivant sur place mais aussi leurs activités et leurs échanges économiques. Si les accords d'Oslo avaient prévu sur ce point la mise en place d'un corridor extra-territorial devant permettre le transport de marchandises entre les deux territoires, il faut remarquer qu'Israël continue encore aujourd'hui de refuser sa réalisation pour des raisons tenant à la sécurité.

Les contraintes de l'accord de Wye River

Les négociateurs de l'accord de Wye River récemment signé ont bien à nouveau abordé cette question à l'instar de nombreuses autres telles que les nouveaux redéploiements de l'armée israélienne en Cisjordanie (14). Ils ont en définitive entériné de jure le non-respect par Israël de plusieurs de ses obligations pourtant précédemment souscrites et ont même subordonné l'application des nouvelles, bien que celles-ci soient considérablement édulcorées, au strict respect par l'Autorité palestinienne de conditions purement et simplement atypiques par rapport à l'état actuel du droit positif international. Cet accord de Wye River, encouragé par l'administration américaine pour relancer le processus de paix déjà bien moribond mais aussi peut-être pour supplanter la situation qui prévalait alors sur la scène politique intérieure, prévoit en effet à l'encontre des Palestiniens une série de contraintes tout à fait inédites. Il restent par ailleurs et en définitive dépourvus d'ambition et d'effectivité vis-à-vis d'Israël qui n'a désormais jamais eu une aussi grande latitude pour invoquer un prétexte afin de geler ou de remettre une nouvelle fois en cause le processus. Les retraits envisagés, non seulement en deçà de ce qui avait été préalablement signé, sont ainsi conditionnés à une série de conditions qu'Israël semble être totalement maître d'apprécier.

L'accord de Wye River prévoit en premier lieu la supervision des activités de police de l'Autorité palestinienne pour lutter contre le terrorisme par les agents de la CIA. Cette tutelle policière, si elle peut se révéler comme un gage de sécurité supplémentaire en faveur des Israéliens, est premièrement tout à fait contraire aux pratiques habituellement prônées par les organisations internationales universelles ou régionales. Elle est ensuite constitutive d'une atteinte manifeste au respect de la souveraineté. Sur le même plan, c'est à dire en matière de respect de la sécurité, Israël a imposé d'autres contraintes. C'est ainsi que l'Autorité palestinienne a dû accepter, en dépit du paradoxe apparent que cela représente, des exigences de sécurité mais également une réduction drastique du nombre de ses policiers (réduction prévue de 40 000 à 24 000 agents) ainsi qu'une réduction massive du nombre d'armes mises à la disposition des autorités policières palestiniennes chargées de la sécurité. Il a par ailleurs été demandé que l'Autorité palestinienne arrête des individus qualifiés de présumés terroristes, ce qui constitue une porte ouverte à la détention pour délit d'opinion et une disposition contrevenant une fois de plus au respect des droits de l'homme. Ces accords sont donc sui generis dans la mesure où ils permettent à l'occupant d'exiger de l'occupé la garantie de sa propre sécurité.

Wye River a aussi permis aux Israéliens d'imposer une fois encore l'abrogation de la partie de la Charte de l'O.L.P. niant le droit d'Israël à exister. Si l'on peut tout à fait concevoir que les ressortissants de l'Etat hébreu trouvent légitime de disposer du droit à exister dans des frontières sûres et reconnues, il est toutefois envisageable de contester l'imposition redondante et donc inutile de cette abrogation. Monsieur Yasser Arafat avait effectivement déjà fait savoir qu'il considérait la Charte palestinienne "caduque" lors d'une visite officielle à Paris bien avant le début du processus de paix. C'est ensuite par une lettre du 9 septembre 1993 que le chef de l'O.L.P. a pris l'initiative de la reconnaissance réciproque entre sa centrale et Israël en réitérant ce qu'il avait déjà publiquement affirmé dès 1988. Cette reconnaissance s'avérait indispensable en préalable à la signature de la Déclaration de principes sur des arrangements intérimaires d'autonomie du 13 septembre 1993. Il y a annoncé que les clauses contenues dans la Charte palestinienne contredisant le droit d'Israël à exister dans la paix et la sécurité devaient être considérées comme inopérantes et non valides. La prise en compte de la hiérarchie des normes (15) la plus conforme à l'orthodoxie juridique commande alors de considérer que l'O.L.P. a formellement reconnu Israël et que l'absence de soumission des modifications subséquentes de la Charte au Conseil national palestinien au jour de la signature des accords de Wye River ne signifiait en rien le renoncement ou bien la non-existence d'une telle reconnaissance.

L'accord de Wye River a enfin confirmé certains des engagements d'Oslo en prévoyant l'ouverture de l'aéroport international de Gaza, d'un port ainsi que la construction d'un double corridor (cf. supra) entre la Cisjordanie et la bande de Gaza (16). Ils ont parallèlement repris des dispositions des accords d'Oslo relatives à la libération de prisonniers palestiniens détenus en Israël (17). Il semble à ce sujet utile de rappeler que plusieurs d'entre eux subissent des actes de torture menés par des agents des services de sécurité (Shin Bet) et de l'armée qui bénéficient de la présence de médecins chargés du contrôle médical. Ces pratiques ont été reconnues et avalisées à plusieurs reprises par la Cour suprême israélienne qui trouve leur fondement dans des impératifs de sécurité (18). Cette politique jurisprudentielle pour le moins contestable a pour conséquence l'insertion dans le corpus juridique israélien de normes en contradiction non seulement avec certains des standards des démocraties de type occidental dont Israël continue à se réclamer mais aussi avec plusieurs dispositions conventionnelles de droit international que l'Etat hébreu a pourtant signées et ratifiées.

Processus de paix et incertitudes

La pression américaine demeure ainsi supportable à Israël qui dispose d'une marge de manœuvre importante. Il est à ce titre regrettable que le seul parrain effectif du processus de paix (19) soit si peu enclin à exercer une influence significative qui apparaîtrait aujourd'hui salvatrice. Il est tout aussi déplorable de constater le maintien par Israël de la mise à l'écart au niveau politique de l'Union européenne qui assure pourtant le rôle de premier participant financier du processus de paix devant respectivement le Japon et les Etats-Unis.

Le processus de paix israélo-palestinien vient d'entrer dans une nouvelle phase d'incertitudes qui seront ponctuées par la tenue d'élections générales en Israël au printemps prochain. Il appartient aux seuls Israéliens de décider qui ils veulent élire pour mener à son terme et en leur nom ce processus. S'il demeure exact que la partie palestinienne n'est pas exempte de reproches quant à ses méthodes de gestion, au non-respect des droits de l'homme, au clientélisme et à la corruption dont elle a fait preuve (20), il convient néanmoins d'affirmer que cette date sera pour l'Etat d'Israël l'occasion non seulement de réaffirmer son attachement au règlement définitif de la question palestinienne mais aussi de regagner une crédibilité qu'il n'aurait jamais dû perdre (21).

S'il paraît aujourd'hui acquis et indéniable qu'Israël est une réalité intangible du Proche-Orient dont la plupart des Etats arabes a appris à tenir compte, les responsables de cet Etat doivent envisager les conditions et préparer la mise en place des arrangements de sécurité qui devront nécessairement accompagner l'avènement et la reconnaissance du futur Etat palestinien. Si la création de celui ci n'a pas encore été expressément envisagée, une approche réaliste, fondée sur une lecture exégétique conforme à l'esprit des accords, commande réellement son acceptation. Les ponctuelles pressions diplomatiques allant dans ce sens ne devront donc pas être pour autant entendues comme l'expression systématique d'un refus absolu du sionisme. Bien au contraire, l'existence d'un Etat palestinien, somme toute inéluctable, à côté d'Israël devrait être pour ce dernier l'occasion de s'affirmer dans un nouveau contexte et de saisir les avantages que lui offrent une conjoncture et un rapport de forces aujourd'hui particulièrement favorables.

13 avril 1999

* * *

© 1999 Jean Rochet. Tous droits réservés.

Cet article est tiré de la revue Passerelles (http://www.multimania.com/passerelles), N° 17, p. 137, avec leur aimable autorisation.
La Revue Passerelles est une revue d'études interculturelles publiée par la Direction des Affaires Culturelles de la Ville de Thionville, Lorraine, France. Elle a été créée en 1990 à Thionville. Editée en Lorraine, cette revue est nourrie de son Histoire : région transfrontalière, interculturelle, de migrations, la Lorraine est elle-même une passerelle. Mais cette revue s'intéresse aussi aux cultures d'Europe et de Méditerranée, à la construction européenne, aux « nationalités », aux minorités à travers le monde, aux nouvelles citoyennetés individuelles ou collectives. Passerelles par des approches multiples - sociologie, littérature, histoire, ethnologie, photographie - essaie de comprendre ces Temps nouveaux dans lesquels nous sommes entrés.

ROCHET J. - "Quand autonomie rime avec supercherie". - Actualité et Droit International, avril 1999 (http://www.ridi.org/adi).


NOTES

(*) Cet article est tiré de la revue Passerelles (http://www.multimania.com/passerelles), N° 17, p. 137, avec leur aimable autorisation. (retour au texte)
(1) Jimmy Carter était Président lors de la signature des accords israélo-égyptiens de Camp David, George Bush lors de la Conférence de Madrid et Bill Clinton lors de la signature des accords d'Oslo. (retour au texte)
(2) La personnalité juridique de l'O.L.P. ne faisait plus de doutes depuis plusieurs années. De nombreux Etats actuellement recensés aux Nations Unies lui avaient en effet déjà attribué un statut diplomatique. La centrale palestinienne avait par ailleurs obtenu un statut d'observateur ou de membre à part entière au sein de diverses organisations internationales (Assemblée générale des Nations Unies, Ligue arabe,...). Elle est en outre invitée aux débats du Conseil de Sécurité qui portent sur le Proche-Orient et participe à différentes conférences internationales. Elle a enfin signé plusieurs actes bilatéraux et multilatéraux dont l'acte final de la troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer. (retour au texte)
(3) Nous n'entrerons pas ici dans le débat qui a vu s'affronter les défenseurs de la version française de la résolution 242 ("retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit") et ceux qui mettent en avant la valeur prééminente du texte anglais ("withdrawal of Israeli armed from territories occupied in the recent conflict"), ce qui équivaudrait en français à "retrait des forces armées israéliennes de territoires occupés lors du récent conflit"). Soulignons toutefois que cette divergence peut encore avoir une importance aujourd'hui, cette célèbre résolution de l'O.N.U. (bien qu'elle n'ait toujours eu que la valeur d'une recommandation et que son fondement juridique ne puisse pas être trouvé dans le chapitre VII de la Charte) étant selon certains, et en dépit des prétentions de l'Etat hébreu, le fondement principal des négociations et du processus actuels. (retour au texte)
(4) Voir en ce sens les articles d'Alain Gresh : "Paix piégée au Proche-Orient" et de Jan de Jong : "Israël, maître de la Cisjordanie", le Monde diplomatique, n° 501, décembre 1995. (retour au texte)
(5) Ces expressions sont empruntées à Monsieur Ali Jerbawi, professeur associé de science politique à l'Université de Bir Zeit (entretien du 3 juillet 1996 avec l'auteur). (retour au texte)
(6) Cela illustre par ailleurs la conservation au profit d'Israël de plusieurs attributs de souveraineté et explique pourquoi l'Autorité palestinienne ne dispose que de compétences d'attribution. (retour au texte)
(7) Cet état de fait tout à fait regrettable a amené l'Union européenne à revoir sa politique d'aide et d'assistance humanitaires. (retour au texte)
(8) La communication des ordres et règlements militaires relatifs aux mesures de bouclage n'a jamais été obtenue. En dépit du fait que l'exposé des motifs est une pratique courante dans une société se réclamant de la démocratie de type occidental et de l'Etat de droit et malgré la réitération de nos demandes en ce sens auprès de l'officier israélien compétent en la matière et des représentants des divers ministères concernés, aucun document n'a semble-t-il été trouvé et donc transmis. Selon l'association israélienne de défense des droits de l'homme Bet'Selem, il n'existerait en réalité aucun règlement militaire sur la question et le recours au bouclage serait donc assimilable à une coutume par définition non écrite... (retour au texte)
(9) Lors de la mise en place de comprehensive closures, les dérogations sont exclues et le bouclage affecte donc l'ensemble des individus, des véhicules et des marchandises. Ce type de bouclage est pratiqué pour réprimer ou prévenir un acte de violence mené contre des militaires ou des colons israéliens, pendant la plupart des fêtes juives ou lors des importantes manifestations politiques des palestiniens. A titre indicatif et toujours selon les données de l'O.N.U., 329 jours ont été visés par ce type de bouclage entre le 30 mars 1993 et la fin de l'année 1996, soit un cinquième des journées de cette période. (retour au texte)
(10) La Cisjordanie pourra alors être morcelée en plusieurs secteurs (zone A et zone B) qui ne sont plus reliés les uns aux autres. Les palestiniens ne pourront ainsi plus circuler entre les villages ou entre les villes. (retour au texte)
(11) Cette réalité amène à s'interroger sur la nature exacte du bouclage. Assimilable tout d'abord à une punition collective et donc condamné par le droit international, le bouclage peut ensuite soit être entendu comme une mesure préventive visant à empêcher la survenance de nouveaux attentats soit être compris comme une mesure de rétorsion. Si la dernière hypothèse mérite d'être retenue, sa condamnation par le droit international ne fait pas encore de doutes. Ajoutons à ces premières considérations que les décès de plusieurs individus palestiniens dont l'état de santé nécessitait une hospitalisation d'urgence en Israël sont considérés comme imputables au bouclage après que les autorités israéliennes ont opposé un refus absolu à leur transport pour des raisons liées à l'entrée en vigueur de telles mesures. (retour au texte)
(12) Les dérogations ne sont distribuées qu'exceptionnellement. Pour l'année 1997, les données des Nations Unies (UNESCO) font état d'une moyenne de 5400 autorisations mensuelles pour des travailleurs palestiniens souhaitant se rendre en Israël et d'une moyenne de 500 pour des travailleurs d'une région palestinienne souhaitant se rendre dans une autre région palestinienne. (retour au texte)
(13) UNSCO REPORT on ECONOMIC and SOCIAL CONDITIONS in the WEST BANK and GAZA STRIP, Spring 1998. (retour au texte)
(14) Un tel accord ne s'avérait cependant pas indispensable pour que Tsahal se retire des zones déjà mentionnées dans les accords successifs d'Oslo. Il s'est en réalité agit de consacrer juridiquement le renoncement d'Israël à respecter le calendrier et l'étendue de ses retraits militaires (eux-mêmes initialement bien modestes au regard des résolutions 242 et 338 du Conseil de Sécurité des Nations Unies...). (retour au texte)
(15) La théorie moniste confère la primauté des textes internationaux par rapport aux textes nationaux. En l'espèce, la Charte d'un mouvement de libération nationale ne saurait contredire un engagement international que ce même mouvement aurait signé. (retour au texte)
(16) A ce jour, seul l'aéroport a été ouvert. L'ouverture du port est toujours suspendue à une autorisation israélienne et le double corridor n'est pas encore construit. (retour au texte)
(17) Sur ce point, l'Etat hébreu n'a pas non plus à ce jour respecté ses engagements. Son refus de libérer le nombre de prisonniers prévu est à l'origine des troubles qui sont survenus à Gaza et en Cisjordanie en décembre 1998. Les responsables israéliens désirent en définitive imposer une distinction entre prisonniers de droit commun et prisonniers politiques. (retour au texte)
(18) Sur le recours à ces "pressions physiques modérées" (selon la terminologie retenue par la Cour suprême), Cf les rapports d'Amnesty International des dernières années dont "Under constant medical supervision : torture, ill-treatment and health professionals in Israel and the Occuped Territories", août 1996 et l'article intitulé "Torture sous contrôle médical en Israël", le Monde diplomatique n° 514, janvier 1997. (retour au texte)
(19) Les Etats-Unis et la Russie sont en réalité depuis le 13 septembre 1993 les deux parrains officiels du processus de paix. L'accord d'Oslo a effectivement été consigné par Waren Christopher et Andréo Kozyrov. Pourtant, dans la pratique, Moscou s'est progressivement effacé et a laissé sa place au seul profit de Washington. (retour au texte)
(20) L'autorité palestinienne ne se différencierait pas sur ces points des pratiques traditionnellement imputées aux Etats arabes. Sans vouloir l'absoudre de ses fautes, il faut toutefois tempérer son appréciation en précisant que la subordination constante à Israël accompagnée de la pression menée par l'opposition islamiste et de l'absence dans ses compétences de certains attributs de souveraineté sont autant de facteurs qui compliquent singulièrement sa tâche. L'avènement d'une entité étatique sensée devenir la première démocratie arabe sera long et reste en tout état de cause incertain et jalonné de nombreux obstacles. (retour au texte)
(21) La reconnaissance de la légalité du recours à la torture dans certaines conditions par la Cour suprême israélienne est une autre illustration de ce que les démocraties occidentales devraient dénoncer avec plus de vigueur (la torture semble être toutefois également utilisée par les services de police palestiniens). (retour au texte)
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