LA
RESPONSABILITÉ PÉNALE DES DIRIGEANTS EN EXERCICE
par
Ghislaine
Doucet
Docteur
en contentieux
Résumé :
Rien ne s'oppose et tout contraint à poursuivre un
chef d'Etat en exercice s'il est reconnu auteur ou complice de crimes
internationaux, parmi lesquels les actes de terrorisme. Ces faits ne sauraient
être couverts par les immunités ou privilèges traditionnellement accordés
aux dirigeants d'Etat et de gouvernement, leur responsabilité pénale
individuelle pouvant alors être engagée. Tel est le sens de l'arrêt de la
Chambre d'Accusation de la Cour d'Appel de Paris du 20 octobre 2000 qui se
fonde, à bon droit, sur l'absolu respect des droits de la personne (jus cogens)
et sur le fait que l'immunité juridictionnelle ne résulte d'aucun texte écrit.
Avec
cette décision capitale, c'est un nouveau pas qui est franchi contre l'impunité.
Abstract : There
is no reason not to, and every reason to prosecute a head of state who is
currently in office if it is determined that he has committed or aided and
abetted in the commission of international crimes, including acts of terrorism.
Those acts are not covered by the privilege or immunity traditionally afforded
heads of state and heads of government, who are subject to criminal liability
under these circumstances. This is the holding of the October 20, 2000 judgment
of the Paris Court of Appeals, Indictment Division, which properly relies on
strict respect for human rights (jus
cogens) and on the fact that no written law affords jurisdictional immunity.
This
groundbreaking decision strikes yet another blow against those who think they
are above the law.
Impression
et citations : Seule la version
au format PDF fait référence. |
Onze
ans après l'attentat perpétré contre un appareil DC 10 de la Compagnie UTA
qui causa la mort de 170 personnes au-dessus du désert du Ténéré (Niger), la
Chambre d'Accusation de la Cour d'Appel de Paris a décidé, le 20 octobre 2000,
que rien ne s'opposait à ce qu'une instruction soit ouverte contre le Colonel
Kadhafi accusé de complicité dans cette affaire.
Par-delà
la personnalité du chef d'Etat libyen, la décision de la Cour mérite une
particulière attention car elle témoigne d'une volonté plus générale que
soit mis fin à l'impunité des auteurs et complices des crimes reconnus
universellement comme les plus graves, quels que soient leur qualité et leur
statut.
Cette
décision unique dans l'histoire du droit pénal français a suscité bien des réactions
parfois vives, parfois embarrassées, rarement enthousiastes. Outre le fait
qu'il s'agit d'une "première judiciaire", elle présente un intérêt
manifeste puisqu'elle admet la possibilité de poursuivre, voire de juger, un
dirigeant d'un Etat étranger en exercice.
Jusqu'à
maintenant en effet, et à l'exception des jugements rendus par les tribunaux
militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo et des mandats d'arrêt
internationaux lancés par le tribunal pénal international pour
l'ex-Yougoslavie (TPIY), les seuls précédents concernent d'anciens dirigeants
ou d'anciens hauts fonctionnaires, l'exemple le plus frappant résidant dans les
poursuites engagées contre le Général Pinochet.
Après
avoir rappelé les faits et la procédure ayant conduit à l'arrêt de la
Chambre d'Accusation de la Cour d'Appel, nous constaterons que c'est à bon
droit que les magistrats ont rejeté les arguments développés par le Parquet.
Les
faits et la procédure
Rappelons
qu'après de longues années d'instruction et plusieurs résolutions du Conseil
de sécurité de l'ONU exigeant de la Libye une coopération efficace dans cette
affaire comme dans l'attentat commis contre un appareil de la Pan Am à
Lockerbie,
six auteurs directs de l'attentat commis le 19 septembre 1989 ont été jugés
et condamnés, par contumace, à la réclusion criminelle à perpétuité par la
Cour d'Assises de Paris, le 10 mars 1999. Malgré les engagements du chef d'Etat
libyen
et la levée des sanctions contre la Libye décidée par le Conseil de Sécurité
suite à l'extradition de deux des auteurs de l'attentat de Lockerbie, les six
auteurs de l'attentat contre le DC 10 n'ont jamais été inquiétés dans leur
pays. L'instruction a par ailleurs prouvé que l'attentat avait été préparé
par le beau-frère du Colonel, Abdallah Sénoussi, chef des services secrets,
assisté par quatre officiers de ces services et par un fonctionnaire du ministère
des affaires étrangères en poste à l'Ambassade de Libye à Brazzaville. Deux
des auteurs ont même été exceptionnellement promus au grade de
lieutenant-colonel par le chef d'Etat libyen.
Convaincues
de l'implication directe du Colonel Kadhafi dans l'attentat du 19 septembre,
l'Association SOS-Attentats, qui regroupe les victimes des actes de terrorisme
et Madame de Boëry, sœur de l'une des victimes, ont déposé, le 15 juin 1999,
une plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges
d'instruction près le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris. L'ouverture
d'une instruction contre le chef d'Etat libyen était sollicitée au motif de
"s'être sciemment rendu complice par instruction donnée, des homicides
volontaires commis sur 170 personnes avec la circonstance que ladite destruction
et dégradation d'objets mobiliers et de biens immobiliers par l'effet d'une
substance explosive ayant entraîné la mort de personnes a été commise en
relation avec une entreprise collective ayant pour objet de troubler l'ordre
public par l'intimidation et la terreur", faits prévus et réprimés par
le code pénal et le code de procédure pénale français.
Le
19 août 1999, le Procureur de la République de Paris déposait ses réquisitions
aux fins du refus d'informer au principal motif qu'en vertu d'une coutume
internationale bien établie, tout chef d'Etat ou de gouvernement bénéficie
d'une totale immunité juridictionnelle, celle-ci résultant de la souveraineté
des Etats et du principe de leur indépendance.
Le
6 octobre 1999, le Premier vice-président du TGI de Paris, Jean-Louis Bruguière,
rendait une ordonnance de rejet de refus d'informer fondée sur l'article 113-7
du code pénal français selon lequel la loi française est applicable à tous
les actes commis par un étranger hors du territoire français lorsque la
victime est de nationalité française au moment de l'infraction et "qu'il
ne résulte d'aucune disposition du Code de Procédure Pénale, du Code Pénal
ou de conventions internationales ou traités ratifiés par la France une
quelconque immunité des Chefs d'Etats en exercice qui les soustrairaient aux
poursuites pénales dont ils pourraient faire l'objet".
Le
7 octobre 1999, le Procureur de la République interjetait appel de cette
ordonnance et déposait le 19 octobre une requête d'appel développant les
arguments invoqués en première instance.
Le
6 juin, le Procureur déposait un réquisitoire à l'appui de sa requête
d'appel ; les parties civiles persistaient dans leur demande et concluaient à
la confirmation de l'ordonnance prise le 6 octobre 1999.
La
Chambre d'Accusation de la Cour d'Appel, dans son arrêt du 20 octobre 2000, a
donné droit à la demande des parties civiles, relevant notamment
"qu'aucune immunité ne saurait couvrir les faits de complicité
(…)" dans l'attentat commis contre le DC 10 d'UTA.
***
Les
magistrats ont donc dû se prononcer sur la délicate question de l'immunité
attachée aux chefs d'Etats et aux gouvernants en exercice, sur les éventuelles
limites à cette protection particulière, et sur l'existence ou non d'un
principe coutumier international qui exonérerait, en totalité ou
partiellement, les dirigeants étrangers, de toute poursuite juridictionnelle.
La
qualité "en exercice" revêt une importance particulière : en effet,
si une majorité s'accorde aujourd'hui pour admettre que rien ne s'oppose à
poursuivre, juger et condamner un ancien dirigeant reconnu auteur ou complice
d'un crime international grave, la doctrine - et même certaines associations de
défense des droits de l'homme - est bien plus partagée pour reconnaître cette
possibilité lorsque l'inculpé est un chef d'Etat ou un gouvernant en exercice.
Nous
nous proposons de montrer que c'est à bon droit que la Cour a rejeté les réquisitions
du Parquet et d'analyser les attendus de l'arrêt à la lueur des conclusions
des parties civiles et du droit international en vigueur. En conclusion, nous
examinerons la portée de cette décision qui affirme que les actes de
terrorisme "entrent dans la catégorie des crimes internationaux".
Les
réquisitions du Parquet ont été rejetées à bon droit par la Chambre
d'Accusation de la Cour d'Appel
Les
arguments du Parquet ne sont pas fondés
Dans
sa requête d'appel du 19 octobre 1999 et dans son réquisitoire du 6 juin 2000,
le Procureur de la République soutient que le Colonel Kadhafi bénéficie d'une
immunité rendant "impossible toute poursuite juridictionnelle", cette
protection spéciale étant issue d'une coutume internationale couramment
admise. Le Parquet s'est d'abord attaché à démontrer que la coutume
constituait bien une source du droit international et que "le droit français
reconnaissait bien la place de la
coutume dans son droit positif". Il en déduit que la protection des chefs
d'Etat et de gouvernement en exercice est garantie par un principe coutumier,
conséquence du principe de la souveraineté des Etats qui "interdit à un
Etat de juger les actes d'un autre Etat" et que selon "une conception
très ancienne", il y a identification entre l'Etat et son souverain.
Le
Procureur précise que cette immunité juridictionnelle ne peut être limitée
que par des dispositions écrites contraires expressément acceptées par les
Etats, tels les statuts du TPIY, du TPIR, de la Cour pénale internationale (CPI),
ou, plus loin dans le temps, par les statuts des tribunaux militaires
internationaux de Nuremberg et de Tokyo. Le Parquet considère que ces textes
qui écartent l'immunité concernent des situations particulières et qu'ils
sont dépourvus d'une portée générale. Ainsi, il croit, par exemple, pouvoir
en conclure que, dans le silence de ses dispositions, les auteurs de la
convention sur la torture du 10 décembre 1984 n'ont pas souhaité introduire
une telle exception.
Le
Parquet indique enfin que cette immunité "ne s'applique que tant que le
chef d'Etat est en fonctions", que les chefs d'Etats en exercice jouissent
d'une "immunité absolue" tandis que les anciens dirigeants ne bénéficieraient
que d'une "immunité relative", c'est-à-dire limitée au
"maintien de certains honneurs et privilèges" à leur profit.
Il
nous semble que cette position qui conduit finalement à absoudre les criminels
dès lors qu'ils sont dirigeants d'Etats en fonctions est non seulement
juridiquement erronée, mais aussi dangereuse au regard du principe fondamental
de respect des droits de l'homme solennellement affirmé par la Charte des
Nations Unies et maintes fois réaffirmé.
Un
tel raisonnement conduirait en effet à laisser se perpétrer et se perpétuer
des violations graves du droit international sans se préoccuper du sort des
victimes et à devoir attendre que le dirigeant ne soit plus en exercice pour le
poursuivre : entre temps, combien de crimes auront été commis en toute impunité
? La démonstration du Parquet est manifestement erronée car elle est contraire
aux valeurs et principes fondamentaux adoptés par la communauté internationale
et aux textes internationaux protecteurs des droits de l'homme. De surcroît,
elle va à l'encontre de l'opinio juris qui tend précisément à ne pas laisser
impunis les auteurs et complices des crimes reconnus universellement comme les
plus graves, fussent-ils chefs d'Etats ou gouvernants.
Cette
très libre interprétation du droit international conduisant à une coutume
selon laquelle les dirigeants étrangers jouiraient d'une immunité totale
laisse perplexe puisqu'à la défense des victimes, la protection du criminel
est préférée. Cette position est d'autant plus étrange qu'il est couramment
admis que cette protection exceptionnelle n'autorise pas leurs bénéficiaires
à commettre des infractions pénales, particulièrement lorsque ces infractions
constituent des crimes internationaux.
Sur
l'existence d'une coutume internationale, sa portée et ses limites
Ainsi
que le Parquet le démontre, il ne fait aucun doute que la coutume constitue
l’une des sources du droit international public : la Convention de Vienne du
23 mai 1969 sur le droit des traités le prévoit expressément puisque son préambule
indique que "les règles du droit international coutumier continueront à régir
les questions non réglées par la présente convention" tandis que son
article 38 dispose qu'une règle énoncée dans un traité peut devenir
obligatoire dans un Etat tiers "en tant que règle coutumière de droit
international reconnue comme telle". Soulignons à cet égard que de
nombreux textes internationaux font référence à l'application de principes
coutumiers : c'est le cas, notamment mais pas seulement, dans le domaine du
droit des conflits armés, du droit international humanitaire et des droits de
l'homme.
L'article
38 b) et c) du Statut de la Cour Internationale de Justice (CIJ) autorise cette
juridiction à appliquer "la coutume internationale comme preuve d'une
pratique générale, acceptée comme étant le droit" et "les
principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées". Ainsi,
à de multiples reprises, la CIJ a fondé ses décisions ou ses avis sur des
principes de droit coutumier.
Dans certaines affaires, la Cour a conclu à l’inexistence d’une règle
coutumière, les éléments constitutifs de celle-ci n'étant pas réunis.
Certaines
décisions arbitrales internationales ont également reconnu l'application d'une
règle coutumière.
La
doctrine reconnaît elle aussi la coutume comme source formelle du droit
international. Il est intéressant de souligner que les auteurs précisent qu'il
convient de ne pas confondre la coutume en tant que "source formelle",
c’est-à-dire comme "mode de procédé du droit" d’une part et en
tant que "norme juridique" d’autre part,
plusieurs sources pouvant conduire à l’élaboration d’une norme juridique.
En
effet, pour être considérée et acceptée comme une norme juridique
applicable, une règle coutumière doit obéir à plusieurs critères et il est
admis que deux éléments constitutifs doivent nécessairement être réunis. Il
faut tout d'abord être en présence d'une pratique constante et générale, qui
est l'élément matériel et objectif, sachant que cette pratique peut être
positive ou reposer sur une abstention.
Cependant, ce seul élément objectif ne suffit pas : une règle coutumière
n’existe que si l’acte en cause est motivé par la conscience d’appliquer
une obligation juridique. Les Etats doivent se sentir liés par l’opinio juris sive necessatis (droit ou nécessité) et
correspondre à l’opinio juris, l'élément psychologique et subjectif.
Ainsi,
par exemple, la CIJ a rejeté l’existence d’une coutume dans le domaine de
l’emploi des armes nucléaires au motif que "l’apparition en tant que
lex lata d’une règle coutumière prohibant spécifiquement l’emploi des
armes nucléaires en tant que telles se heurte aux tensions qui subsistent
entre, d’une part, une opinio juris naissante et, d’autre part, une adhésion
encore forte à la pratique de la dissuasion".
Enfin,
il convient de démontrer l'existence d'une règle coutumière. L’article 15
du statut de la Commission de droit international des Nations Unies indique que
l’on ne peut envisager la codification d’une règle et donc supposer son
caractère coutumier que dans la mesure où l’on dispose de l’appui
"d’une pratique étatique considérable, de précédents jurisprudentiels
et d’opinions doctrinales convergentes".
Cette
technique, applicable à la codification du droit coutumier, est tout aussi
valable au contentieux : à l’appui de l’invocation d’une règle
coutumière, il appartient au demandeur de démontrer son existence, c’est-à-dire
de démontrer que sont réunis ses deux éléments constitutifs. Ainsi, se
fondant sur l’article 38 §1 b de son Statut, la CIJ doit déterminer
l'existence d'un principe coutumier avant d’en tirer les conséquences au
regard de l’affaire qui lui est soumise.
A
fortiori, cette méthode est valable en droit interne : le Parquet ne peut donc
pas valablement se référer à une prétendue règle coutumière car il
n’apporte pas la preuve irréfutable que son contenu correspond à une
pratique générale et à l'opinio juris.
D'ailleurs,
de manière générale, le juge français est peu enclin à appliquer une règle
coutumière et à consacrer sa supériorité au droit interne et au droit
conventionnel. Cette position est d’autant plus ferme depuis l’avis rendu
par la CIJ sur la licéité de l’emploi des armes nucléaires. La France préfère
considérer que pour s’imposer dans son droit national, la règle doit être
écrite, contenue dans un traité international et transposée régulièrement
dans son droit national : c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la
constitution française a été encore récemment modifiée pour permettre la
ratification du Traité de Rome portant création de la Cour pénale
internationale.
Cela
ressort également de décisions de la Cour de Cassation et du Conseil d’Etat
selon lesquelles, pour être applicable, une règle, y compris écrite, issue du
droit international public, doit avoir été régulièrement intégrée dans le
droit interne.
Or,
le Procureur de la République soutient l’existence d’une coutume qui serait
non seulement contraire au code pénal français, mais qui, de surcroît, ne réunit
pas les deux éléments constitutifs requis par le droit international.
La
Chambre d'Accusation de la Cour d'Appel n'a pas suivi le Parquet dans cette
argumentation en reconnaissant à très juste titre que s'il existe bien une
coutume en ce domaine, c'est celle de la non-immunité des chefs d'Etat et de
gouvernement en fonctions.
Pour
fonder sa décision, la Chambre d'Accusation a indiqué d'une part que "la
coutume internationale (…) régit les rapports entre les Etats, qu'elle a la même
autorité juridique que les traités" et d'autre part que "la France
a, dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, reprise par référence
par la Constitution de 1958, consacré la force de la coutume internationale
dans l'ordre juridique interne".
Ainsi,
si la coutume constitue incontestablement une norme applicable, la Chambre
d'Accusation ne partage pas l'avis du Procureur quant à son contenu en l'espèce
: effectivement, à notre sens, et à supposer une coutume établie, celle-ci ne
saurait exonérer de sa responsabilité pénale un chef d'Etat ou un gouvernant
étranger si la preuve est apportée qu'il est l'auteur ou le complice d'un
crime international grave.
Enfin,
c’est en raison des critères précis conduisant à la constatation de
l'existence d'une coutume qu'elle se distingue de l’usage ou encore de la
simple courtoisie internationale. La CIJ a eu l'occasion de préciser que
"les Etats doivent avoir le sentiment de se conformer à ce qui équivaut
à une obligation juridique. Ni la fréquence ni même le caractère habituel
des actes ne suffisent. Il existe nombre d’actes internationaux, dans le
domaine du protocole par exemple, qui sont accomplis presque invariablement mais
qui sont motivés par de simples usages de courtoisie, d’opportunité ou de
tradition et non par le sentiment d’une obligation juridique".
Ainsi,
s’il est d’usage de recevoir un chef d’Etat ou de gouvernement étranger
selon un protocole choisi, cela correspond à un geste de courtoisie, et l’on
ne saurait certainement pas déduire de cet usage, comme le prétend le
Procureur de la République, l’existence d’une coutume qui conduirait à une
totale impunité des dirigeants d’un Etat étranger.
En
cela, le Parquet commet une erreur d'appréciation en confondant usage,
courtoisie et règle coutumière et c'est pourquoi son argumentation relative à
l'impunité est erronée.
Sur le principe d'une immunité pénale
pour les dirigeants en exercice
S'il
est vrai que l'on admet qu'une protection particulière doit être accordée aux
chefs d'Etats, gouvernants et diplomates en exercice, cela ne saurait inclure
comme le prétend le Procureur de la République une immunité juridictionnelle
totale, y compris dans des situations avérées de commission ou de complicité
de crimes considérés internationalement comme les plus graves. Au demeurant,
les textes internationaux relatifs aux immunités et privilèges, et particulièrement
des Conventions de Vienne du 18 avril 1961 et du 24 avril 1963, sont muets pour
ce qui concerne les chefs d'Etats.
Quoi
qu'il en soit, ces immunités et privilèges attachés aux dirigeants comme à
leurs agents en poste à l’étranger disparaissent lorsque la preuve est
apportée que ces personnes ont commis, ordonné de commettre ou se sont rendus
complices – y compris par leur abstention d’empêcher l’acte criminel –
d'infractions internationales graves.
Sur
ce point, il est clair que l’affirmation du Procureur de la République selon
laquelle la personne du "souverain" est assimilée à son Etat est une
théorie depuis longtemps dépassée :
"La
théorie et la pratique voulaient à l'origine que le souverain et l'Etat ne
fassent qu'un. Ainsi, tous les actes commis par le souverain étaient considérés
comme commis par l'Etat. La maxime "par in parem non habet imperium"
rappelait à cet égard que tous les Etats étaient égaux. En ce sens, l'idée
même qu'un souverain puisse être soumis au système légal national d'un autre
souverain était considérée comme un affront fait à ce principe d'égalité
et à l'Etat étranger lui-même. (…) Aujourd'hui les chefs d'Etat ne sont
plus appréhendés comme pouvant être identifiés à leur Etat, même si
dans certaines situations cérémonielles ou diplomatiques, ils sont perçus
comme la personnification de leur Etat. (…) L'immunité dont le chef d'Etat
bénéficie est donc distinguable de l'immunité souveraine reconnue à l'Etat".
Ainsi,
l'argument tiré du respect de la souveraineté étatique pour justifier l'exonération
pénale des dirigeants en exercice n'est pas fondé.
D'ailleurs,
la question des éventuelles répercussions sur la souveraineté étatique de la
mise en cause de la responsabilité pénale de son dirigeant a été examinée
longuement, particulièrement dans les travaux préparatoires à la création de
la CPI, comme au niveau interne français.
Ainsi, c'est bien la responsabilité individuelle qui a été retenue par
l'article 27 du Statut de la future CPI, l'inculpation d'un criminel, fut-il un
chef d'Etat, ne pouvant être interprétée ni comme la mise en cause d'un
gouvernement étranger, ni comme un acte d'ingérence dans les affaires intérieures
d'un Etat étranger.
En
outre, il a été reconnu que la non-immunité ne saurait faire obstacle au
processus de réconciliation nationale.
L'arrêt
de la Chambre d'Accusation de la Cour d'Appel est bien fondé
Après
avoir reconnu la possibilité, en application de l'article 113-7 du Code Pénal,
de poursuivre l'auteur ou le complice d'un crime commis à l'étranger sur des
ressortissants français, la Cour a d'abord constaté que l'immunité
juridictionnelle ne résultait d'aucun texte écrit. Puis, après avoir reconnu
que la coutume était bien source de droit, les magistrats ont considéré que
"l'immunité de juridiction des chefs d'Etats étrangers qui a toujours été
admise par la société internationale (…) "comporte cependant
depuis la fin de la seconde guerre mondiale, des limites".
Après
avoir cité les principaux traités et conventions ratifiés par la France qui
excluent l'immunité des chefs d'Etats et des gouvernants et en réponse au
Procureur qui affirmait que ces textes n'avaient aucune portée générale, la
Cour a affirmé que "ces conventions, loin de constituer des exceptions
limitatives à une immunité absolue, traduisent, au contraire, la volonté de
la communauté internationale de poursuivre les faits les plus graves, y compris
lorsqu'ils ont été commis par un chef d'Etat dans l'exercice de ses fonctions,
dès lors que ceux-ci constituent des crimes internationaux, contraires aux
exigences de la conscience universelle".
La
Cour poursuit son raisonnement en se référant au préambule et à l'article 22
du Traité de Rome du 17 juillet 1998, ratifié par la France, instituant la
Cour pénale internationale qui disposent "qu'il est du devoir de chaque
Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables des crimes
internationaux" et que rien n'empêche "qu'un comportement soit
qualifié de crime au regard du droit international, indépendamment du présent
statut". La Cour en conclut qu'il appartient aux Etats de juger tous les
crimes internationaux, et pas seulement les crimes de guerre, les crimes contre
l'humanité et le crime d'agression, directement visés par le Traité, et
"ce quand bien même la personne poursuivie aurait la qualité officielle
de chef d'Etat ou de gouvernement", autrement dit, quels que soient la
qualité, le rang ou le statut de l'auteur ou du complice d'une telle
infraction.
Par
ces attendus, la Cour reconnaît explicitement l'application du droit pénal
national et particulièrement de l'article 113-7 du code pénal et elle se réfère
implicitement à la violation d'une règle appartenant au jus cogens.
A
cet égard, il nous faut souligner que si une règle coutumière ne peut être
opposée à un Etat qui ne la reconnaît pas comme telle, il est admis, en
revanche, qu'un Etat ne peut s’opposer à la mise en œuvre d’une règle
"impérative", appartenant au jus cogens.
La
Cour poursuit en considérant que tant les textes que certaines décisions
juridictionnelles rendues en d'autres domaines,
"sont la preuve d'une pratique générale acceptée par tous, y compris par
la France, comme étant le droit, selon laquelle l'immunité ne couvre que les
actes de puissance publique ou d'administration publique accomplis par le chef
de l'Etat, à condition qu'ils ne soient pas considérés comme des crimes
internationaux".
La
Cour indique qu'en conséquence, "aucune immunité ne saurait couvrir des
faits de complicité d'homicides volontaires et de destruction par substances
explosives ayant entraîné la mort avec une entreprise terroriste consistant
pour un chef d'Etat à avoir ordonné l'explosion" et "que ces faits,
à les supposer établis, entreraient dans la catégorie des crimes
internationaux, et ne pourraient, en tout état de cause, être considérés
comme ressortant des fonctions d'un chef d'Etat".
La
Cour conclut en confirmant l'ordonnance du juge d'instruction ayant dit qu'il y
avait en l'espèce lieu à informer sur les faits visés par la plainte des
parties civiles.
Les
attendus de la Cour justifient un commentaire sur la notion de jus cogens,
argument avancé dans les conclusions des parties civiles, qui exclut l'immunité
pénale des gouvernants en exercice.
Le jus
cogens
La
Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 a consacré
l’existence de normes impératives. Aux termes de son article 55, "une
norme impérative du droit international général est une norme acceptée et
reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble, en tant
que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être
modifiée que par une nouvelle norme (…) ayant le même caractère".
Plusieurs
décisions de la CIJ ont fait référence à l’application et au contenu du
jus cogens.
Ainsi, dans son obiter dictum de 1970,
la CIJ, se fondant sur la liste acquise depuis ses propres décisions, a dressé
une liste non exhaustive de faits appartenant au jus cogens : parmi ceux-ci
figurent notamment les actes d’agression, les crimes de génocide, les
atteintes aux droits fondamentaux de la personne humaine.
D’après
Cherif Bassiouni,
"Les crimes internationaux qui relèvent du jus cogens représentent une
obligation erga omnes et leur répression ne saurait faire l’objet d’aucune
dérogation". Et de poursuivre, en indiquant que "[c]e statut supérieur
entraîne pour les Etats, entre autres conséquences, les obligations suivantes :
le devoir de poursuivre ou d’extrader, l’imprescriptibilité de ce type de
crimes, l’exclusion de toute forme d’immunité, jusque et y compris au
niveau des chefs d’Etat l’impossibilité pour la défense d’arguer du
principe d’obéissance aux ordres donnés par des supérieurs, l’application
universelle de ces obligations en temps de paix comme en temps de guerre, sans
que ces <états d’urgence> ne puissent entraîner de dérogation, et
enfin la compétence universelle".
Cela
signifie qu'aucun Etat ne peut déroger à ces principes fondamentaux reconnus
"supérieurs" par la communauté internationale et qu'il a
l'obligation formelle, et non facultative, de s'y conformer. Cela impose aux
Etats le devoir de poursuivre, juger ou extrader les auteurs de crimes relevant
du jus cogens et l'universalité de la compétence juridictionnelle.
Ne
pas accorder l'impunité aux auteurs de tels crimes s'analyse ainsi comme une
obligation erga omnes.
L'inexistence
d'un principe de non-immunité des dirigeants d’un Etat en cas de crime
international grave
Contrairement
à ce qu’affirme le Parquet, ce n’est pas le principe d’immunité qui
s'impose, mais le principe de non-immunité.
L’histoire
des relations internationales le prouve à l’évidence. Lors de la mise en
accusation de Guillaume II, les deux juristes français qui furent alors consultés,
conclurent à "la possibilité de poursuites sur le fondement du droit
international". Les obstacles tirés de la souveraineté et de
l’impersonnalité de l’acte furent écartés au motif que "l’impunité
de l’empereur porterait une irrémédiable atteinte au droit international
nouveau".
Les
jugements des tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo
exclurent eux aussi l’impunité des dirigeants : dans son arrêt du 1er
octobre 1946, le tribunal de Nuremberg, a souligné que "la protection que le
droit international assure aux représentants de l'État ne saurait s'appliquer
à des actes criminels. Les auteurs de ces actes ne peuvent invoquer leur qualité
officielle pour se soustraire à la procédure normale et se mettre à l'abri du
châtiment".
Puis,
l’ONU, lorsqu’elle codifia les principes issus de ces jugements en 1950,
adopta le principe n° 1 selon lequel "toute personne qui commet un acte
qui constitue un crime selon le droit international est responsable de ce chef
et justifie un châtiment" et le principe n° 3 qui indique que "le
fait que l’auteur d’un crime international a agi en qualité de chef d’Etat
ou de fonctionnaire ne dégage pas sa responsabilité en droit
international".
Une
disposition analogue figure dans le Projet de code des crimes contre la paix et
la sécurité de l'humanité adopté en 1991 par la Commission du droit
international. L'article 11 énonce sous la section "qualité officielle et
responsabilité pénale", que "la qualité officielle de l'auteur d'un
crime contre la paix et la sécurité de l'humanité, et notamment le fait qu'il
ait agi en qualité de chef de l'État ou de gouvernement, ne l'exonère pas de
sa responsabilité pénale".
Ces
principes ont été confirmés ces dernières années, en particulier par les
statuts des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le
Rwanda et, de manière générale, par le statut de la future Cour pénale
internationale.
Les
articles 25 et 27 du statut de Rome indiquent clairement que c’est l’auteur
direct du crime qui voit sa responsabilité engagée, qu’il s’agit d’une
responsabilité pénale individuelle classique qui ne doit pas se transformer en
une responsabilité politique. Ainsi, les chefs de gouvernement et d’Etat
peuvent voir leur responsabilité pénale engagée s’il est prouvé qu’ils
ont ordonné la commission de crimes énoncés dans le Statut.
La
France n’a jamais contesté le principe de non-immunité d’un gouvernant en
matière pénale en cas de crimes graves : il suffit de se référer aux déclarations
du gouvernement lors des débats parlementaires sur la modification de la
constitution française pour la rendre conforme au statut de Rome, comme aux
arguments développés par le gouvernement lors des débats au Parlement sur la
ratification dudit Statut. Ainsi, pour plaider le principe de non-immunité des
gouvernants, la Garde des Sceaux française a notamment indiqué que
"l’universalité et l’indivisibilité des droits de l’homme
n’auraient pas de sens si les violations les plus graves, les agressions les
plus sauvages restaient impunies".
La
ministre a également indiqué que "l’objectif du Traité portant création
de la Cour pénale internationale est clairement de surmonter les obstacles que
le principe même de la souveraineté nationale opposait à la répression des
crimes les plus atroces".
On
retrouve cette volonté de punir les auteurs, quels que soient leur grade et
leurs fonctions, dans l'ensemble des travaux préparatoires parlementaires :
"Un pas essentiel a été franchi qui permettra de donner un cadre concret
à une nouvelle forme de justice internationale. Non pas celle qui juge le
comportement des Etats, mais celle à laquelle reviendra la tâche de juger les
individus coupables de crimes qui par leur gravité atteignent l’humanité
toute entière".
Non
seulement la France ne conteste pas le principe, mais encore elle l'a appliqué
en lançant deux mandats d’arrêt internationaux et en formulant une demande
d’extradition contre le Général Pinochet en novembre 1998.
Sur
le plan jurisprudentiel, et hormis le cas Pinochet, d'autres exemples montrent
à quel point la communauté internationale est aujourd’hui encline à faire
prédominer la justice pénale sur les immunités et privilèges.
Il
nous semble donc que le principe d'immunité des chefs d'Etat et de gouvernement
étrangers en exercice souffre quelques nécessaires exceptions pour le rendre
compatible avec les autres principes fondamentaux reconnus et exigés par la
communauté internationale dans le domaine des droits de l'homme et de la dignité
humaine : la première des conséquences réside selon nous dans la levée de
cette immunité dès lors qu'un dirigeant est reconnu auteur ou complice d'un
crime international grave.
Il
semble donc que nous soyons bien en présence des deux éléments constitutifs
de la coutume, à savoir une pratique générale et une volonté psychologique,
et qu'aujourd'hui, tout porte à penser que les auteurs, commanditaires ou
complices d’un crime grave, y compris les chefs d’Etat et de Gouvernement en
exercice, ne sauraient invoquer un prétendu principe d’immunité pour
s’exonérer de leur responsabilité pénale.
La
réalité d'une coutume internationale semble donc incontestable. Elle tire son
origine dans l’émergence d'un consensus universel mû par l’opinion
publique internationale postulant que l’individu dispose d’un certain nombre
de droits dont la violation doit être pénalement réprimée.
Ainsi,
la cour d'appel a fait une bonne application du droit existant et pouvait régulièrement
conclure à la possibilité d'introduire une instruction contre l'auteur d'un
crime international grave, quand bien même la plainte serait dirigée contre un
chef d'Etat étranger en exercice.
Le
terrorisme : un crime international selon la cour d'appel
A
supposer donc l’existence d’une coutume établie en ce domaine, il
s’agirait d’une norme impérative obligeant l’Etat à juger l’auteur, le
commanditaire ou le complice d’un crime de terrorisme, consacré "crime
international" par la Cour d'Appel. Cette affirmation n'est pas isolée
puisque les actes de terrorisme sont unanimement condamnés par la communauté
internationale comme des crimes portant atteinte à la paix et à la sécurité
internationale.
Il
est vrai que le crime de terrorisme n'est pas visé par le Statut de Rome alors
qu'un certain nombre d'Etats l'avaient souhaité. L'un des principaux motifs
avancés pour justifier cette non inclusion réside dans le fait qu'il
n'existerait pas de définition du terrorisme claire et acceptée par tous : il
a donc été décidé que ce point serait examiné lors de la conférence de révision
du Statut.
A
cet égard, il est indéniable que la définition du terrorisme soulève de
nombreuses questions au regard des conséquences juridiques et politiques de la
qualification d'un tel acte, notamment car celles-ci ne sauraient faire obstacle
à d'autres principes fondamentaux et particulièrement au droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes et au droit de légitime défense en cas d'agression. Il
conviendrait donc que les Etats s'interrogent sérieusement et donnent des réponses
claires et unanimement acceptées sur les frontières entre un acte de
terrorisme et une infraction de droit commun, entre un acte de terrorisme et un
acte de guerre, entre un acte de terrorisme et un acte s'inscrivant dans la défense
des droits de l'homme, pour instaurer une répression mieux organisée.
Ce
qui est certain, c'est qu'aucun acte, quelle que soit sa motivation, ne saurait
porter atteinte aux populations civiles.
En
effet, même en temps de conflit armé, international ou non international, le
droit international humanitaire instaure une protection absolue et générale
des populations civiles en prohibant les attaques dirigées contre elles, y
compris à titre de représailles, et prescrit la répression des infractions
graves commises en particulier contre les civils. Aucune distinction fondée sur
la nationalité, le statut et la qualité de l'auteur n'est prévue par les
Conventions de Genève.
Il
paraît donc clair, a fortiori, que les violations flagrantes des droits de la
personne humaine commises en temps de paix doivent être réprimées car on
imagine mal que les victimes d'actes de terrorisme aient un traitement moins
favorable que les victimes civiles d'un conflit armé avéré d'une part et que
les auteurs demeurent impunis en période de paix alors que tout autorise à les
poursuivre, à les juger et à les condamner en temps de guerre.
Loin
de constituer "un crime très relatif",
les actes de terrorisme sont des crimes internationaux qui portent atteinte aux
personnes et à la sécurité internationales et qui représentent une menace
contre la paix. En cela, ils doivent être considérés comme faisant partie du
jus cogens et réprimés comme il se doit.
Le
fait que les actes de terrorisme ne figurent pas dans le statut de la future CPI,
ne signifie pas pour autant que ceux-ci doivent recevoir une autre qualification
que celle de crime international. L'article 2 du projet de code des crimes
contre la paix et la sécurité de l'humanité élaboré par l'ONU en 1954
dressait la liste de 11 crimes parmi lesquels "le fait d'entreprendre des
activités visant à fomenter la guerre civile ou des activités terroristes
dans un autre Etat" et c'est, à fort juste titre, que la Cour d'Appel, se
référant à l'article 22 dudit Statut, a souligné que celui-ci n'avait aucun
caractère exclusif.
La
Chambre d'Accusation de la Cour d'Appel a donc pu valablement décider que rien
ne saurait faire obstacle à ce qu’une plainte soit instruite contre un
dirigeant étranger en exercice en application du code pénal français puisque
les faits reprochés en l’espèce sont constitutifs d’une infraction à la législation
pénale interne dont l'auteur est susceptible d'être poursuivi et condamné.
Enfin,
dès lors que le code pénal français ne prévoit aucune immunité pour les
auteurs de telles infractions, seraient-ils chefs d'Etat étrangers, et que, par
ailleurs, ce statut n'est pas susceptible, au regard du droit international,
face à une infraction de nature internationale qualifiable de particulièrement
grave, d'exonérer son auteur de toute responsabilité, rien n'empêche et au
contraire tout autorise à poursuivre le Chef d'Etat libyen pour complicité
dans l’attentat commis contre le DC 10 de la Compagnie UTA. A supposer même
qu’il ne l’ait pas commandité, mais qu’il en été préalablement informé
et qu'il n'ait rien fait pour empêcher un tel acte, cette abstention serait
tout aussi répréhensible au regard du droit pénal.
Décider
de l'impossibilité d'informer au prétexte qu'elle vise un chef d'Etat en
exercice protégé aurait conduit non seulement à affirmer que le terrorisme
n'est pas un crime internationalement grave, mais surtout à légitimer les
crimes commis et donc à instaurer un système pénal à deux vitesses.
***
Cette
décision a été immédiatement frappée d'un pourvoi en cassation et, compte
tenu de l'importance de la question de principe posée, ce pourvoi devrait être
examiné par la Cour de Cassation au tout début de l'année 2001.
Quoi
qu'il en soit, l'arrêt de la Chambre d'Accusation de la Cour d'Appel constitue
un nouveau pas dans l'évolution de la justice pénale internationale et, à
l'instar des discussions qui ont précédé la décision de créer le TPIY, les
réactions suscitées par l'arrêt du 20 octobre 2000 traduisent les difficultés
intellectuelles de concilier diplomatie internationale et justice pénale.
Cette
décision s'inscrit dans l'actuelle volonté de la communauté internationale
qui semble avoir compris le message de Hegel "Que justice soit faite sinon
le monde périra". Désormais, il nous semble qu'il faut que chacun sache
que "pour chaque homme et pour chaque événement, il sonne une minute, une
heure, il tombe une heure (...) où l'événement de réel devient
historique", Charles Péguy.
Janvier
2001
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d'Etat et de gouvernement devant
les juridictions étrangères et son incidence sur la formation de la
coutume.
© 2001 Ghislaine Doucet. Tous droits réservés.
DOUCET
G. – "La responsabilité pénale des dirigeants en exercice". – Actualité et Droit
International, janvier 2001 (www.ridi.org/adi).
NOTES
Cf. CPIJ, Affaire du Lotus, 7 septembre 1922.
"Ni l’article 55 de la constitution ni aucune disposition de nature
constitutionnelle ne prescrit ni n’implique
que le juge administratif ne fasse prévaloir la coutume internationale
sur la loi en cas de conflit entre ces deux normes" (CE, Ass. 6 juin
1997, Aquarone) ; dans le même sens, voir CE, 3 juillet 1996, Koné.
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