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Licéité et conséquences juridiques de l'intervention de l'OTAN en République fédérale de Yougoslavie
Comment participer aux débats...

 

Florent Geel, le 7 avril 2004
Assistant de programme à la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH) et étudiant de DEA au Centre universitaire de Droit international humanitaire - Genève (UNI, HEI,CICR) et en relations internationales.

 

Je sais qu'a priori la relance d'un tel débat pourrait paraître démodé, mais au vu des événement de mars 2004 au Kosovo et de ceux qui se déroulent actuellement en Irak, le débat sur la licéité des interventions militaires, notamment celles dites "humanitaires" semble cruellement d'actualité. Un relatif recul permet d'en tirer certains enseignements.
 

En effet, l'intervention américaine en Irak m'apparaît comme la continuité d'une pratique - ou plus exactement la tentative de générer une pratique - d'intervention dite "humanitaire" et engagée au moins depuis l'intervention au Kosovo (depuis cette date le Département d'Etat assume pour le moins cette stratégie militaro-juridique). Comme le démontrent les moments difficiles que vivent les puissances occupantes en Irak, les éléments constitutifs de la légalité et de la légitimité lors de la justification d'une intervention "humanitaire" ont une importance réelle. Je tiens à rappeler par cette humble contribution que le "glissement" opéré par l'administration américaine vers une justification "humanitaire" de leur intervention en Irak, relance le débat inachevé à mon goût, de la légitimité des interventions militaires à des fins de protection de la personne humaine.
 

Or, si la situation juridique concernant cette question demeure toujours empreinte d'une ambivalence que les débats entre partisans et opposants à l'intervention US en Irak ont encore illustré, la doctrine, elle, s'est enrichie avec le rapport de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats (CIISE).
 

La commission dans cet apport doctrinal important recense, après avoir longuement rappelé la suprématie du principe de non-intervention et les moyens non militaires mis à la disposition de la communauté internationale, les circonstances et les critères requis pour qu'une intervention armée soit considérée comme ayant pour finalité la protection humaine.


La Commission considère deux grandes catégories de circonstances justifiant la décision d'intervenir :
- "des pertes considérables en vies humaines, effectives ou appréhendées, qu'il y ait ou non intention génocidaire, qui résultent soit de l'action délibérée de l'Etat, soit de sa négligence ou de son incapacité à agir, soit encore d'une défaillance dont il est responsable ; ou
- un 'nettoyage ethnique' à grande échelle, effectif ou appréhendé, qu'il soit perpétré par des tueries, l'expulsion forcée, la terreur ou le viol."

La commission précise ensuite le contenu de ces deux grandes catégories par l'énumération de 6 modalités nécessaires, de son point de vue, afin de "légitimer" une intervention humanitaire. Si certains de ces 6 critères peuvent être invoqués dans le cas de l'Irak et dans le cas du Kosovo, les 4 critères de précautions énoncés par la Commission afin de justifier l'intervention armée et "qu'elle soit perçue comme telle" ne semblent pas remplis dans les deux cas : bonne intention, dernier recours, proportionnalité des moyens et des perspectives raisonnables. Dans chacune des deux interventions au moins un ou plusieurs de ces critères ne sont pas remplis.

Concernant le Kosovo, la légitimité ne réside bien évidemment pas dans l'intention comme certains tendent à le conceptualiser mais l'illégitimité réside dans l'action de l'OTAN et ses conséquences : La bonne intention est le premier élément d'évaluation du but effectif d'une intervention. Il s'agit de "faire cesser ou d'éviter les souffrances humaines". Les rédacteurs poursuivent en notant qu'"aucun emploi de la force militaire qui viserait dès le départ, par exemple, à modifier des frontières ou à promouvoir la revendication d'autodétermination de tel ou tel groupe combattants ne saurait se justifier". Or, si le Kosovo demeure sous administration intérimaire de l'ONU, force est de constater que l'intervention de l'OTAN s'est réalisée avec le concours des forces de l'UCK (renseignement, harcèlement, guérilla, actions coordonnées). Il est difficile de nier que l'intervention de l'OTAN ait engagé le processus d'autodétermination du Kosovo (légitime ou pas), et que le Kosovo indépendant sera quasiment ethniquement "pur" de toute présence non albanaise. Ce constat ressemble malheureusement au programme politique de l'UCK. Le pilier sécurité de la MINUK étant assuré substantiellement par l'OTAN, il existe à mon sens une continuité de responsabilités de l'organisation atlantiste dans cette situation.

Le *dernier recours* que doit censer représenter une telle intervention dans le cas du Kosovo semble avoir été la solution préconisée depuis de longs mois (Rambouillet, accords du G8 etc...) alors que par un mimétisme bien compréhensible mais désastreux, l'on a considéré que ce qui s'était passé en Bosnie se reproduisait au Kosovo. En outre, au regard de l'article 52 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, les différents accords présentés ou signés l'on été sous la contrainte de l'emploi de la force armée et seraient caduques s'ils étaient encore d'actualité. Cela démontre que l'emploi de la force n'a pas été présenté ni utilisé comme le dernier recours, mais bien comme une "punition" et ressentie comme telle.
La *proportionalité des moyens* est au coeur de l'illégitimité de cette intervention : non pas que délivrer les albanais du Kosovo du régime d'apartheid fut illégitime, bien au contraire, mais bombarder l'ensemble de la population yougoslave et des cibles civiles pendant 73 jours pour ce faire, relève bien d'une disproportion flagrante des moyens (violations du droit humanitaire) ; Enfin, il faut des *perspectives raisonnables* qui ne semblent pas avoir été respectées en l'état : Premièrement parce qu'"une action militaire ne peut être justifiée que si elle a des chances raisonnables de réussir, c'est-à-dire de "faire cesser ou d'éviter les atrocités ou souffrances ayant motivé l'intervention" or, manifestement les exactions les plus graves et les plus massives (déportations, expulsions, confiscations des papiers, exécutions sommaires et extra-judiciaires, etc.) ont bien été commises après les frappes de l'OTAN, ne répondant donc pas à l'impératif de ne pas aboutir à des conséquences "pires que celles de l'inaction", l'élément déclencheur ayant été de facto celui des frappes (même si ce n'était peut être qu'un prétexte, il est plus que fâcheux). Deuxièmement parce que ce que l'on a appelé par la suite l'épuration ethnique "à l'envers" et qui a ciblé les non Albanais doit être vu dans la perspective de l'intervention armée (puisque celle-ci a entraîné un renversement des forces sur le terrain), laquelle a donc entraîné une seconde fois ce qu'elle devait empêcher. Le facteur aggravant est que cela s'est produit en présence des 50 000 soldats des forces de l'OTAN.

Pour compléter un argument déjà avancé dans ce forum par Serge Sur, selon lequel le Pacte atlantique ne fournit aucune base juridique acceptable pour une intervention armée dans un pays souverain en dehors de la légitime défense des parties et de l'accord d'assistance mutuelle, il est intéressant de constater que la légitimité dont s'est drapée l'OTAN est d'autant plus réduite qu'elle n'a pratiquement pas fait l'objet de procédures de consultation et d'approbation des Parlements des pays membres.

Pour conclure, il est évident que l'on ne peut pas demander à un ou plusieurs Etats d'intervenir militairement avec comme seule motivation de prévenir ou d'empêcher que se produise des violations massives des droits de l'Homme. (même si en tant que militant des droits de l'Homme, je crois profondément que toute violation massive des droits de l'Homme entraîne des conséquences telles, que les Etats, dans leur intérêt, se doivent de les prévenir, cette conception demeure largement théorique pour le moment.) Par contre, en intervenant, les Etats se doivent de respecter le plus possible le droit au risque de voir une intervention légitime devenir illégitime dans les moyens d'actions utilisés et les conséquences de cette intervention ; les moyens modifiant la finalité et donc la légitimité. Vouloir trouver une issue au problème du statut du Kosovo était légitime, les trop nombreuses violations du droit et de certaines logiques géostratégiques n'ont pas apporté la légitimité nécessaire à l'intervention de l'OTAN et n'aidera pas à une résolution durable des crises que connaît le Kosovo de façon récurrente depuis 500 ans. La résurgence des violences dans la province du Kosovo en mars 2004 apporte une confirmation de cette analyse, me semble-t-il.

Enfin pour répondre quelques années plus tard à Emmanuel Daillet, qui s'étonnait de lire de plus en plus, notamment à Paris "les réactions très curieuses d'universitaires grecs" et qui tenait "à leur dire qu"il [était] scandaleux que la Grèce ne se soit pas pleinement associée [à l'intervention] et qu'il [était] temps que cet Etat soit sanctionné pour sa complicité permanente avec la Serbie de Milosevic etc. ; je tenais à préciser que les conséquences des bombardements auraient pu briser l'Alliance atlantique si certains dirigeants avaient cédé à leur opinion publique. On pense bien sûr aux Grecs qui ont apaisé leur opinion publique certes par des discours enflammés, mais qui n'ont rien fait non plus pour arrêter l'action alors qu'ils en avaient formellement le droit en tant que membre de l'alliance et de son commandement intégré. En outre, la légalité onusienne n'a pas aidé beaucoup les Grecs sous la dictature des colonels et quant à l'OTAN les Grecs ont suffisamment payé le prix de la soumission aux Etats-Unis pour savoir quel prix vaut "l'illégalité otanienne" dont nous parle Emmanuel Daillet. Aussi ne soyons pas si prompt à condamner les Etats ou à les envahir, non pas que les droits de l'Homme n'en vaillent pas la peine, au contraire, mais la meilleure politique de prévention des conflits demeure sans conteste un système international effectif de sécurité et de légalité collective allié à une politique ambitieuse de promotion et de défense des droits de l'Homme, au niveau des sociétés civiles comme au niveau international.
 

Emmanuel Daillet, le 10 juin 1999

La quasi-totalité des contributions présentées sur ce site qualifient d'"illégale" l'action de l'Alliance atlantique au Kossovo. Mais pas un seul argument n'y est en réalité décisif. La Charte de l'ONU interdit-elle une telle action ? On l'affirme ici avec beaucoup d'aplomb, y compris des professeurs de droit international. On croit rêver ...
Partons tout de même des faits, si l'on veut bien ne pas mettre la charrue avant les boeufs. De quoi s'agit-il, et ceci depuis 1989, excusez du peu ? On est désolé d'avoir à rappeler quelques évidences, mais puisque certains semblent tenir aux textes, parlons-en.
Le régime de Belgrade, dont les autorités ne peuvent invoquer aucune légitimité politique compte tenu de la parfaite illégalité des "élections" dont elles clament être issues, a modifié la Constitution de Serbie en parfaite inconstitutionnalité avec la Constitution yougoslave, faut-il le rappeler. Par la suite, tout un dispositif législatif (cf. le détail dans le rapport Mazowiecki de février 1993) a organisé un véritable système d'apartheid, mais l'A. G. de l'ONU n'a jamais osé le qualifier de tel. Depuis le printemps 1998, une série de massacres délibérés, présentés comme autant de faits imputés à l'UCK - plus c'est gros ... - ont été orchestrés par la police, l'armée et les milices yougoslaves dans le but de pousser à l'exode les 2 millions d'Albanais du Kossovo. Un dosage soigné de terreur, de crimes et d'opérations "militaires" n'a eu pour cible que les non-Serbes. Les Serbes, de leur côté, civils et enfants compris, ont reçu des tonnes d'armes de la part du gouvernement pour se joindre aux escadrons de la mort.
Où est la légalité de la non-intervention de l'ONU en Serbie ? Personne ne pose la question, bien entendu. Où est la légalité de la position de la France, dont l'OFPRA n'a cessé de débouter des milliers de demandeurs kossovars. Personne ne lance un débat sur la question, bien sûr. Qui, où et quand a-t-on entendu à l'ONU pour s'indigner de la non réaction de la communauté internationale ?
L'ONU a-t-elle agi dans la plus pure légalité en Bosnie, avec 200.000 morts ? Très certainement, mais personne ne s'en offusque. Si telle est la loi internationale qu'elle n'autorise que le pansement de l'ingérence humanitaire et qu'elle condamne le véritable secours, alors c'est la loi qui est illégale.
C'est l'honneur de l'Alliance atlantique d'avoir, par les actes, rappelé le droit des gens. Puisqu'on lit ici et de plus en plus à Paris les réactions très curieuses d'universitaires grecs, je tiens à leur dire qu'il est scandaleux que la Grèce ne s'y soit pas pleinement associée, et il serait temps que cet Etat soit sanctionné pour sa complicité permanente avec la Serbie de Milosevic. J'espère très sincèrement que la Grèce n'aura pas besoin dans l'avenir de la légalité onusienne et qu'elle pourra compter sur l'illégalité otanienne...


Yannis Tsaoussis, le 14 mai 1999
Doctorant en Droit international public, Université d'Athènes.

Quelques réflexions à propos de l' illégalité de l' intervention de l' OTAN en Yougoslavie.
L'illégalité incontestable de l'intervention armée des pays de l'OTAN en Yougoslavie - au moins quand on discute sur le plan juridique - ne doit pas être affaiblie ou mise en doute par des considérations qui relèvent de la ''philosophie de droit'' ou qui se placent dans l'incertitude de l'avenir.
Une violation d'une telle envergure de la Charte des Nations Unies, n'a pas besoin d'être qualifiée d'illégale au ''sens strict'' ou ''strictement formel'', ou bien ''peu légale'' etc…, puisque de cette façon on risque d'introduire une conception ''minimaliste'' de la violation. De plus, le débat sur la distinction entre l'illégalité et l'illégitimité ne peut pas être conçu en tant que moyen de relativiser la valeur de cette violation.
Cette flexibilité juridique, projetée dans le temps et l'espace, pourrait entraîner des conséquences imprévisibles sur le plan politique, spécialement lorsqu'on parle de l'éventualité de la création d' une coutume régionale qui permettrait - sous conditions - l'ingérence humanitaire dans une région qui est caractérisée par une forte hétérogénéité ethnique. De surcroît, je ne vois aucune spécificité dans ce cas, qui pourrait justifier une coutume régionale, ni est-il concevable en droit international d'envisager la création d'une règle coutumière à partir d'une action illégale (ex injustitia non oritur jus).
Le développement progressif du droit dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales est une question très sérieuse pour lui accorder la rapidité de la création de la ''coutume instantanée'' qui en droit international n'est admise que dans des cas particuliers comme dans le domaine du droit de l' espace, où il y a eu, à la fin des années cinquante acquiescement universel. Il est évident que cette condition est loin d' être remplie en la présente matière.
En outre, au sein des Nations Unies il y a des mécanismes (ex : le Comité de la Charte ou la CDI ) qui pourraient, sous un accord politique préalable, être mis en marche afin d'envisager comment la communauté internationale pourra faire face aux problèmes juridiques que la tragédie de Kosovo n' a pas manqué de soulever. Le renforcement de la Cour Criminelle Internationale (jusqu'à présent le Statut de Rome n'a été ratifié que par le Sénégal et Trinidad et Tobago) pourrait faire partie d'un dialogue politique encore plus élargi vers cette direction. L'horreur des bombardements contre des populations civiles, le nettoyage ethnique et les crimes contre l'humanité qui continuent à être perpétrés au Kosovo, peuvent constituer une base de réflexion sincère afin de reprendre ces discussions. D'ailleurs comme les événements récents l'ont bien démontré, la Russie et la Chine ne peuvent pas être exclues ou sous-estimées en tant qu'interlocuteurs sur ces questions.
Avant donc de lancer un débat sur la manière de légitimer - par le biais de la création des nouvelles règles de droit - la mise à l'écart de l'instrument principal de l'organisation de la communauté internationale et du moment que les opérations sur le terrain continuent, c'est peut être notre responsabilité de tenter à l'heure actuelle de préserver les règles déjà existantes.


Patrice Despretz, le 13 mai 1999
Rédacteur en chef de la revue.

Cher Jean-David,
Je profite de cette participation au débat pour te saluer et te remercier pour les accents... Je suis ravi qu'éloigné de nous, tu ne nous oublies pas.
Pour en revenir à ce qui nous préoccupe, tu nous fais part de ton étonnement quant à l'inscription de l'affaire "Licéité de l'emploi de la force" au rôle de la CIJ. Mais comme tu le rappelles par ailleurs, si la compétence de la Cour peut être dans certaines affaires discutée, elle doit être discutée au sein de la Cour, et donc les affaires inscrites au rôle. Il s'agirait sinon d'un encore plus douteux "préjugement".
Cela étant dit, un point me paraît surprenant, voire inquiétant : à la lecture des transcriptions des audiences, il apparaît en effet pratiquement certain que la Cour n'est pas compétente dans certaines affaires, c'est à dire plutôt à l'égard de certains Etats. Il semble donc probable que certains Etats - et non les principaux, mais les plus modestes - courrent le risque de se voir indiquer des mesures conservatoires, voire condamner au fond. En clair, il n'est pas exclu que le Portugal se voit ordonner de cesser sa participation aux frappes armées, voire condamner pour sa participation, alors que les Etats-Unis et la France pourraient dans le même temps et pour les mêmes faits continuer en toute impunité...
Décidemment, je n'aimerais pas être juge à la Cour en ce moment.


Jean-David Rafizadeh-Kabe, le 12 mai 1999
MD, ScPo.

Je reviens sur la question de la légalité de l'intervention de l'OTAN en Yougoslavie. Je disais le 30 Avril qu'il était logique que ce pays ait décidé de porter l'affaire devant la CIJ. A la lecture des comptes-rendus des audiences ayant eu lieu les 10 et 11 mai, je suis tenu de préciser ma pensée. Même si l'intervention est illégale, porter l'affaire devant la Cour n'est pas forcément légitime.
Il s'avère, au vu des arguments développés par la Yougoslavie, que sa requête relève plus du domaine politique et journalistique que du juridique.
Il est en fait étonnant que la Cour ait même accepté d'inscrire à son rôle les affaires intitulées "Licéité de l'emploi de la force". Ces demandes en indication de mesures conservatoires (il y en a 10) soulèvent un grand nombre de points de droit international particulièrement intéressants (il faut lire les comptes-rendus sur le site de la CIJ - Voir page Recherche Tribunaux sur le site de cette revue, NdR), mais il me semble peu probable que la Cour ait en fait a juger sur le fond de la licéité de l'emploi de la force dans le cas d'espèce, tant sa compétence paraît douteuse, en particulier en ce qui concerne au moins la France et les Etats-Unis, pour lesquels la Yougoslavie ne fonde la compétence de la Cour que sur la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de Génocide, et secondairement sur l'article 38 paragraphe 5 du Règlement de la Cour (consentement non encore donne: si l'Etat contre lequel la requête est formée n'accepte pas la compétence de la Cour, l'affaire n'est pas inscrite au rôle. L'article 38.5 a spécialement été modifie à cet effet).
Pour les autres Etats, comme par exemple pour le Canada ou le Royaume-Uni, la question est plus complexe, car ces pays acceptent la juridiction obligatoire de la Cour, et c'est alors la déclaration d'acceptation de la Yougoslavie qu'il faut examiner (la Yougoslavie actuelle n'est pas partie au Statut de la Cour, mais a pourtant déposé une déclaration conformément a l'article 36 paragraphe 2 de ce même Statut le 25 avril 1999). Pour indiquer des mesures conservatoires, il faut entre autres conditions que la Cour soit compétente prima facie, et elle pourrait bien décider qu'elle l'est, au moins dans certaines de ces 10 affaires, car s'il n'y avait pas de doute sur cette question, elle n'aurait pas accepté de les inscrire au rôle.


Roger Luyckx, le 30 avril 1999
Administrateur de l'Institut Européen pour la Paix et la Sécurité. Juge suppléant près le Tribunal de 1ère Instance (Belgique).

Toute intervention de police pour une cause objectivement juste et légitime reste cependant soumise à des principes de rationalité que l'on peut trouver dans le droit pénal général. L'action de la légitime défense de la communauté internationale à l'égard de l'agresseur doit être efficace, proportionnée non seulement à l'agression mais également et surtout aux résultats que l'on peut concrètement attendre de cette action de légitime défense comme susceptible de faire cesser l'agression et ne pas léser des valeurs essentielles partagées par l'ensemble de la communauté internationale elle-même. Ainsi la mort de personnes tierces et innocentes doit absolument et par tous les moyens être évitée. Ce sont là les principes même de toute intervention de police. C'est ainsi que le bombardement d'objectifs civils pourra dans des circonstances déterminées poser la question de savoir si toutes les conditions de la légitime défense étaient ou non remplies par rapport à des cibles particulières. Cette mission appartiendra aussi à la magistrature internationale de le dire lorsque elle aura à juger de l'ensemble de l'affaire.


Benoit Lhuillier de Cordoze, le 30 avril 1999
Etudiant en licence à la Faculté de Tours.

Monsieur Rafizadeh-Kabe écrit qu'une intervention militaire terrestre n'irait pas beaucoup plus loin dans l'illégalité de l'action de l'otan : il a parfaitement raison ! Une telle intervention ne serait pas moins attentatoire à l'intégrité territoriale de la RFY et au principe de non recours à la force ; elle ne serait pas non plus moins légitimable par la notion de droit impératif, la nature militaire de l'intervention étant parfaitement indifférente quant à la violation par celle-ci de la règle de droit , établie ou non selon les conceptions de chacun. Quant à l'efficacité des frappes, le bon sens commun commande évidemment, face à deux manières de violer la même règle, de choisir celle qui aura le plus de chances d'aboutir au but recherché... Enfin, aux vues du droit humanitaire de la guerre, une telle intervention aurait sûrement l'avantage, espérons-le, de rétablir la summa divisio combattants/non-combattants bien entamée par ce que d'aucuns appellent des "dommages collatéraux"... Quant à la qualification d'intervention d'humanité, la nature militaire de l'intervention commande, pour le coup, une telle qualification, par rapport à une intervention HUMANITAIRE qui elle aurait simplement pour but l'interposition, la protection de convois humanitaires, l'érection de couloirs humanitaires... Elle est de plus objective car menée non pas au nom d'un Etat kosovar qui n'existe pas, ni même au non de l'Etat albanais, mais au nom, et malgré les intérêts inavoués de tel ou tel, de la "communauté internationale des états dans son ensemble" ; l'OTAN était-elle apte à représenter cette communauté internationale : on peut fort légitimement en douter, d'où la nécessité de ne pas systématiser ce précédent et d'en revenir à l'ONU : la France a eu raison, par la voie de son Président à Washington, de s'"éstopelliser" des conceptions américaines. Mais l'urgence commandait d'agir, comme aujourd'hui elle commande d'en finir au plus vite.


Jean-David Rafizadeh-Kabe, le 30 avril 1999
MD, ScPo.

Au regard des nombreuses contributions précédentes, l'intervention de l'OTAN en Yougoslavie semble clairement illégale en droit international. Il est donc logique que la Yougoslavie ait décide de porter l'affaire devant la CIJ. Que la Cour ait a se prononcer sur cette question me paraît particulièrement intéressant, quoique je doute personnellement que la réponse satisfasse qui que ce soit, la Cour étant fort capable dans ce genre d'affaire de produire du clair-obscur. Les premières auditions auront lieu le 10 mai prochain.
Une question au moins aussi importante que la légalité me semble celle de l'efficacité. Comme le souligne Brigitte Stern, "les mesures adoptées" ne sont pas "conformes au but poursuivi". Même si cette opération etait légale, elle n'en serait pas moins un échec. Nécessité absolue de faire quelque chose ne signifie pas autorisation de faire n'importe quoi.
Je suis ainsi en complet désaccord avec Sophie Albert quand elle écrit: "L'intervention armée en Yougoslavie peut être appelée intervention d'humanité. Elle vient en aide à une minorité maltraitée." L'intervention ayant été l'occasion d'un des plus importants flux de réfugiés de ces dernières années, je crois que l'on eut dire qu'elle a provoqué ce qu'elle cherchait a éviter.
Je ne peux pas non plus adhérer aux considérations de Benoit Lhuillier de Cordoze sur le jus cogens, en ceci qu'elles aussi semblent se fonder sur l'idée fausse que bombarder Belgrade va aider la population du Kosovo à retrouver la paix. Ce qui est maintenant nécessaire, a mon avis, c'est une véritable intervention militaire terrestre, qui n'irait pas plus loin dans l'illégalité que les bombardements, et qui aurait une chance d'être efficace. Bien sur, cela implique de des soldats des pays occidentaux développés risquent leur vie sur le terrain. Si une telle intervention n'est pas possible, il faut cesser les bombardements, et reprendre les négociations.
Enfin, je pense que le sens commun voudrait que l'on ne considère pas qu'une seule vision du problème, et que l'on s'interroge sur la légitimité de l'Armée de Libération du Kosovo, ainsi que sur la possibilité pour un Etat souverain d'accepter l'accord de Rambouillet tel quel, en particulier son annexe sur le statut des forces d'occupation...


Benoît Tabaka, le 29 avril 1999
Rédacteur de Jurisweb (http://jurisweb.citeweb.net/), étudiant en Droit à l'Université de Dijon-Bourgogne.

L'intervention de l'Otan a fait ressurgir une vieille question, celle d'une possibilité de supériorité de certaines normes de jus cogens sur d'autres. Ici, deux principes sont en opposition : non-recours à la force d'un côté et, protection des populations contre des crimes internationaux de l'autre. Le premier de ces principes trouve son fondement dans deux règles du droit des gens à savoir la souveraineté de l'Etat, et le principe de non ingérence qui y est associé, et, la nécessité de protéger la société internationale de toute menace à la paix. Seulement, à diverses reprises, la souveraineté de l'Etat a connu de larges atteintes notamment au travers des notions de compétence universelle, d'intervention humanitaire, ou d'humanité, de levée de l'immunité étatique pour certaines crimes, de "devoir d'ingérence" ou même à travers l'institution de la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Toutes ces atteintes sont basées sur une volonté de sauvegarder les droits de l'homme, comme si ce principe s'imposait à tout Etat, même dans ses affaires internes. Par ailleurs, le Conseil de sécurité a déjà eu l'occasion d'affirmer dans la résolution 827 concernant l'institution du Tribunal Pénal International sur l'ex-Yougoslavie que la protection des populations pourrait permettre de rétablir la paix et la sécurité internationales. Ainsi, le principe de la protection des populations semble s'imposer comme une norme qualifiable de "jus cogens maxima" supérieure aux autres règles de jus cogens. Une hiérarchie s'établierait donc entre les règles de jus cogens qui normalement ne devaient souffrir d'aucune exception.
Enfin, parler d'intervention d'humanité pour définir l'opération des forces alliées en RFY me semble fausse. L'intervention d'humanité est une intervention à caractère humanitaire certes, mais menée par un Etat dans le but de protéger ses propres ressortissants au sein d'un pays connaissant des troubles. Même si l'intervention d'humanité est souvent qualifiée de « diplomatie à la canonnière », il ne faut pas pour autant confondre ce concept avec l'opération menée sur le sol yougoslave.



Benoit Lhuillier de Cordoze, le 25 avril 1999
Etudiant en licence à la Faculté de Tours.

Certes au regard du droit international positif, l'intervention actuelle n'est pas licite. Elle ne peut être justifiée par les résolutions du Conseil [de sécurité, NdR] 1160, 1199 et 1203 dont la dernière rappelle expréssement dans son préambule que "la Charte des Nations Unies confère aux Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale" : si la Yougoslavie n'a pas respecté les mesures qui y étaient prévues, aucun Etat ni groupe d'Etats ne peut s'affirmer détenir un droit de "saisine automatique" (propositions américaines pour le nouveau concept stratégique de l'OTAN) pour faire respecter les dispositions en cause : à l'époque de "Renard du Désert", le gouvernement français s'était clairement opposé à l'interprétation fallacieuse américaine de la résolution 1154 pour justifier cette action. Certes en 1949, la CIJ jugeait que la carence des institutons internationales ne pouvait justifier en recours unilatéral à la force pour la défense d'un droit. Plus précisement, pour ce qui nous intéresse ici, la CIJ estimait en 1986 dans l'affaire Nicaragua/Etats-Unis : "Si les Etats-Unis peuvent certes porter leur propre appréciation sur la situation des droits de l'homme au Nicaragua, le recours unilatéral à la force ne saurait être une méthode appropriée pour vérifier et assurer le respect de ces droits. Quant aux mesures qui ont été prises en fait, la protection des droits de l'homme, vu son caractère strictement humanitaire, ne saurait en aucune manière justifier les minages de ports, la destruction des installations pétrolières, l'équipement, l'armement et l'entrainement des contras".
La communauté internationale était-elle pour autant, face à la barbarie, acculée au respect d'un simple droit d'appréciation ? Selon moi, non. Le concept de jus cogens me conduit à faire la proposition suivante : il me semble que l'action de l'OTAN peut s'analyser comme une intervention d'humanité objective, où le droit de suite classique, fondé sur la notion d'état de nécessité invoqué intuitu "nationae" serait en quelque sorte nové en un droit de suite universel fondé cette fois-ci sur un état de nécessité invocable erga omnes. Se pose alors le problème de l'existence ou non d'une hiérarchie entre les normes de jus cogens : le principe de non recours à la force n'est il pas la transposition interétatique d'un droit pour chaque homme de vivre en paix ? Comment dés lors le concilier avec le respect des droits de l'homme ? Un certain seuil de gravité exsiste, nous semble-t-il, au-delà duquel le premier doit pouvoir être écarté. Trois ou quatre doigts suffisent sûrement à compter le nombre de fois où celui-çi a été, malheureusement, atteint au cours de ce siècle.
Un cinquième l'est, n'en doutons plus, pour Milosevic (...).


Patrice Despretz, le 19 avril 1999
Ingénieur d'études et doctorant en droit international, Université de Paris 1 - Panthéon-Sorbonne. Rédacteur en chef de la revue.

Le problème que pose la licéité de l'intervention de l'OTAN en RFY me semble plus simple qu'il n'y paraît :
Tout le monde s'accorde pour dire que le respect des dispositions de la Charte des Nations Unies ou du Traité de l'Atlantique Nord ne doit pas empêcher que l'on puisse porter assistance à une population victime d'un gouvernement peu respectueux lui-même de certaines normes relatives à la protection des droits de l'homme.
Mais je ne pense pas qu'une légitimation du recours à la force armée par des arguties juridiques puisse sérieusement fonctionner. Si l'usage de la force est strictement contrôlé par le droit international, ce n'est pas sans raisons. Mais si cette règle, en l'occurence celle de l'autorisation du recours à la force par le Conseil de sécurité, est jugée inopportune ou inadaptée, alors c'est elle qu'il faut changer. Chercher à la contourner est absurde et dangereux.
La Charte des Nations Unies commence ainsi : "Nous, Peuples des Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l'espace d'une vie humaine a infligé à l'humanité d'indicibles souffrances". S'il apparaît aujourd'hui que les dispositions mêmes de cette Charte ne permettent plus d'atteindre cette fin, alors changeons-les. A quoi sert un Conseil de sécurité s'il n'est respecté que lorsque cela nous arrange ? Quelle est dorénavant sa légitimité ? Quel sera le poids d'une future décision d'autorisation de recours à la force ?
Le Conseil de sécurité ne sert à rien ! Il est obsolète, désuet, caduc. Réformons-le, éliminons-le.
J'entends déjà certains internationalistes, plus les Etats-Unis, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni et la France crier au scandale à ces paroles. Amusant...


Sophie Albert, le 19 avril 1999
ATER et membre du CEDIN, Université de Paris 1 - Panthéon-Sorbonne.

Il est bien admis à présent que l'intervention armée des pays de l'OTAN en Yougoslavie est illégale au sens strict. Le Traité de Washington, la Charte de l'ONU et les procédures de règlement des différends au sein de l'OSCE n'autorisent pas des bombardements dans les circonstances dans lesquelles ils ont été faits.
On assiste à une manifestation brutale par les pays occidentaux de leur force et de leur supériorité militaire. Faut-il chercher à l'attirer dans le champ du droit ou la laisser dans celui du pouvoir, de l'impérialisme et de la Realpolitik ?
Il me semble qu'il est utile de l'attirer vers le droit pour plusieurs raisons. La première est la bonne santé du juriste. La seconde tient au fait que les événements internationaux, en tant que pratiques des Etats ou des organisations internationales sont révélateurs du droit ou du moins peuvent annoncer son élaboration.
Un coup de clairon aussi peu légal pourrait-il annoncer la création une norme ? C'est possible tant du point de vue formel que du contenu de la norme.
Il peut s'agir d'une pratique annonçant une coutume sauvage, révolutionnaire, devenant effective avec une rapidité extraordinaire. Cette pratique est collective, le fait d'une organisation internationale regroupant plusieurs Etats (et non pas le fait des seuls Etats-Unis), soutenus par beaucoup d'autres. Elle sera sans doute validée par des résolutions déclaratoires d'organisations européennes, et peut-être même par l'ONU et, elle l'est par l'OTAN évidemment. L'élaboration du droit est en marche.
L'intervention armée en Yougoslavie peut être appelée intervention d'humanité. Elle vient en aide à une minorité maltraitée. Pour démontrer sa légalité, en dehors d'un accord du Conseil de sécurité, il faut la rattacher aux notions du droit positif. D'une part, il y a l'obligation faite aux Etats par le droit impératif de prévenir tout génocide. Pour que la prévention existe, il ne faut pas attendre que le génocide soit achevé et il faut nuancer le principe de non ingérence... L'exemple du Rwanda est à prendre en compte. D'autre part, il serait concevable d'étendre la notion de légitime défense au cas où une minorité est privée cruellement de son droit à l'autodétermination interne et de ses droits, et subit une répression par la force. Le cas des Bosniaques musulmans revient ici en mémoire.
L'avenir nous dira s'il s'agit d'une coutume régionale et s'il est prudent de remettre en cause le principe de non intervention...


Benoît Tabaka, le 18 avril 1999
Rédacteur de Jurisweb (http://jurisweb.citeweb.net/), étudiant en Droit à l'Université de Dijon-Bourgogne.

Face au blocage du Conseil de Sécurité, certains intervenants ont préconisé l'intervention de l'Assemblée générale afin d'autoriser le recours à la force. Se fondant sur la résolution Acheson du 3 Novembre 1950, celle-ci a la possibilité lorsque le Conseil de sécurité « manque à s'acquitter de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales », de faire des recommandations aux Etats-membres. Mais, il ne s'agit que d'un pouvoir de recommandations, elles-mêmes dépourvues de toute force obligatoire contrairement aux résolutions du Conseil de Sécurité. Ainsi, l'usage de la force n'aurait eu qu'une simple valeur indicative par ce processus. Mais, la voie de l'Assemblée générale n'était pas la seule voie utilisable en pareille situation.
En effet, la résolution Acheson dispose en outre que « si le Conseil de sécurité manque à s'acquitter des fonctions qui lui incombent (...) ils n'en résulte pas que les Etats membres soient relevés de leurs obligations ni l'Organisation de sa responsabilité (...) Reconnaissant, en particulier, qu'une telle carence ne prive pas l'Assemblée générale ... ». Ainsi, il est faux d'affirmer que seule l'Assemblée générale aurait pu intervenir. Les Etats membres de l'Otan avaient la possibilité de recourir à la force dans ce souci de palier à la carence du Conseil de sécurité. Une recommandation de l'Assemblée générale n'aurait permis que de donner de façon formelle l'assentiment de la communauté internationale à ce recours à la force.


Grégoire Métral, le 15 avril 1999
Doctorant en sciences sociales et militant des droits de l'homme, Genève.

En tant que militant et non juriste, je ne puis me prononcer sur les arguments exposés dans ce débat. Arguments qui conduisent d'ailleurs à des visions très diverses, voire opposées. En revanche, je constate les points suivants :
1. Les gouvernements qui se font aujourd'hui les champions des frappes militaires ont laissé pourrir la situation, en soutenant - directement ou indirectement - M. S. Milosevic durant de nombreuses années. Rien n'a été réellement mis en oeuvre pour soutenir les démocrates et les organisations non gouvernementales de Serbie, et des Balkans en général.
2. L'«accord» de Rambouillet ressemblait davantage à un ultimatum posé aux parties qu'au résultat d'une négociation. Il était dès lors facile pour un dictateur de le refuser en le déclarant inacceptable.
3. La décision d'une action militaire n'a tenu aucun compte des possibles conséquences au sein de la population civile : problèmes humanitaires, problèmes de droits de l'homme, renforcement des nationalismes etc...
4. Le droit international, quand il est fait par des Etats, ressemble plus à une farce qu'à du droit. On ne répétera jamais assez les contre-exemples du Kurdistan ou des territoires occupés, où de vraies résolutions n'ont jamais été suivies d'actions. Situons une fois pour toutes cette action sur le terrain politique et stratégique : la question sera plus claire !
5. De mon point de vue, la réponse à la catastrophe engagée a été mal pensée, mal évaluée et n'était donc ni pertinente, ni souhaitable. Sans me prononcer sur sa légalité, sa légitimité me paraît très douteuse.


Ambroise Lumbala-Mbuyi, le 15 avril 1999
Étudiant en Maîtrise de droit à l'Université Laval.

L'intervention de l'OTAN en RFY a bel et bien violé la règle de l'interdiction du recours à la force dans les relations internationales (art. 2 § 4 de la Charte des Nations Unies) et celui qui interdit le génocide et certains atteintes aux droits de la personne. Quant à la question de savoir si l'OTAN a le droit d'intervenir en RFY et si les règles internationales d'utilisation de la force ont été respectées ? Nous pouvons alors répondre avec une belle assurance que c'est non.
Le recours à la force, après la deuxième guerre mondiale a été légalisé que s'il est autorisé par le Conseil de sécurité, et en cas de légitime défense collective. Pourtant c'est ne pas le cas. Le Conseil de sécurité n'avait pas d'autres choix certes, mais pourquoi ne pas avoir recours à l'Assemblée générale ? Pour la première fois dans l'histoire du droit des gens, on assiste à un précédent, du fait qu'aucun pays de l'Alliance n'a été attaqué pour justifier cette intervention.


Paul Tavernier, le 13 avril 1999
Professeur de Droit international à l'Université de Paris - Sud (Paris XI).

Cette affaire soulève de nombreuses questions, tant sur le plan politique, que sur le plan juridique. Ces questions sont en grande partie inédites. Sur le plan juridique auquel je me bornerai, l'intervention de l'OTAN en RFY me semble poser pour la première fois le problème de la combinaison de deux règles de jus cogens : la règle de l'interdiction du recours à la force dans les relations internationales (art. 2 § 4 de la Charte des Nations Unies) et celle qui interdit les actes de génocide et certaines atteintes aux droits fondamentaux de la personne humaine.
Dans l'affaire du Détroit de Corfou (1949), la Cour internationale de Justice condamnait certes l'intervention, mais se référait aussi aux considérations élémentaires d'humanité. De même dans l'affaire Nicaragua contre Etats-Unis, la Cour rappelle à la fois les exigences de la règle de l'interdiction du recours à la force et celles du droit international humanitaire, mais il s'agit de deux questions séparées (jus ad bellum et jus in bello). Quant au fameux dictum de la Barcelona Traction (Rec. CIJ 1970, §§ 33 et 34), il pourrait servir à fonder un droit d'intervention pour les "obligations des Etats envers la communauté internationale dans son ensemble" (notamment génocide et droits fondamentaux de la personne humaine), mais il ne se prononce pas sur la question d'une intervention armée et sur l'usage de la force.
L'intervention de l'OTAN en RFY pose donc un problème nouveau au regard du Droit international : doit-on reconnaître un véritable "devoir" d'ingérence ? Et comment s'articule-t-il avec les dispositions de la Charte des Nations Unies ? Cela mériterait de plus amples développements.


Brigitte Stern, le 7 avril 1999
Professeur de Droit international à l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, co-directrice du CEDIN - Paris 1.

Il me semble que l'intervention de l'OTAN au Kosovo soulève quatre questions fondamentales :
1. Une question de légalité : est-ce que les règles internationales d'utilisation de la force ont été respectées ? NON
Il ne paraît guère contestable que dans le système de sécurité collective mis sur pied après la seconde guerre mondiale, il n'y a que deux hypothèses d'utilisation légale de la force: si elle est autorisée par le Conseil de sécurité, et en cas de légitime défense collective. On ne se trouve ni dans l'une ni dans l'autre de ces hypothèses. Le Conseil de sécurité était bloqué certes, mais pourquoi ne pas avoir eu recours à l'Assemblée générale : la résolution "Union pour le maintien de la paix" aurait ainsi permis d'utiliser une instance représentative de la communauté internationale, qui aurait pu prendre ses responsabilités à travers elle.
2. Question de légitimité : est-ce qu'il y a des cas qui justifient que l'on ne respecte pas les règles internationales ? OUI
Il ne paraît pas possible de laisser se perpétrer sans réagir les crimes les plus odieux : nettoyage ethnique, crimes contre l'humanité..
3. Question de fait : est-on dans une de ces hypothèses au Kosovo ? OUI
Sachant ce que l'on sait de ce qui s'est passé en Bosnie, il ne fait guère de doute que la même politique de nettoyage ethnique était en cours au Kosovo.
4. Question d'opportunité : est-ce que les mesures adoptées sont conformes au but poursuivi ? NON
Les mesures ajoutent des morts et des drames humains, alors que le but poursuivi est un but humanitaire. Je ne pense pas qu'il fallait retirer les observateurs de l'OSCE, je ne pense pas qu'il fallait évacuer les ONG. La catastrophe humanitaire actuelle n'est-elle pas exactement celle que l'on cherchait à éviter ou pire encore, parce que plus rapide et brutale ?


José Alberto Azeredo Lopes, le 6 avril 1999
Professeur de Droit International Public, Faculté de Droit de l'Université Catholique Portugaise, Porto.

L'intervention de l'OTAN - pour choisir un terme relativement neutre - est très dificilement justifiable si on a recours aux conceptes classiques du droit onusien et aux règles concernant la sécurité collective, la force unilatérale ou même - même - la soit-disant ingérence humanitaire. L'intervention est impossible à justifier à la lumière et de la Charte et du traité de l'Otan, dont l'article 5 a été justement analysé. Je ne crois pas non plus que le Sécrétaire Général ait accepté quoi que ce soit à ce propos. En effet, ayant accepté le rôle possible d'une organisation régionale comme l'OTAN, ayant considéré qu'il y a des moments où il faut accepter la force comme unique moyen, il a insisté sur la responsabilité principale du Conseil de Sécurité, telle que décrite dans la Charte. La décision sur le déclenchement d'une intervention militaire n'est-il pas le minimum qu'on doit reconnaître à cet organe principal des Nations Unies ? Il n'y a qu'un doute dans mon esprit. C'est peut-être un doute formel. Mais la vérité est que le Conseil a refusé à une majorité plutôt impressionante (12-3) d'ordonner la cessation des attaques contre la Yougoslavie.


Vincent Sautenet, le 4 avril 1999
Doctorant en Droit international public.

Si pour la Somalie le Conseil de sécurité avait pris des dispositions expresses, permettant l’émergence d’un concept antinomique - soulignons le - de "droit d’ingérence humanitaire", rien pour le Kosovo ne semblait laisser entrevoir l’émergence de ce que l’on pourrait appeler des "frappes humanitaires".
Le recours à la force était certes devenu "inévitable" (Communiqué du Ministère français des affaires étrangères sur la base juridique de l’action entreprise par l’OTAN, Paris, 25 mars 1999), mais il n’en viole pas moins la sacro-sainte Charte des Nations Unies.
Il était certes devenu "légitime" (Discours du Président de la République, M. Jacques Chirac, lors de la réception en l’honneur du corps préfectoral, Paris, 26 mars 1999), mais pas pour autant légal.
M. Chirac "souhaite que la Nation toute entière se montre solidaire" (ibid) et déclare que nous défendons "les valeurs universelles de notre tradition républicaine" (ibid).
S’agit-il là encore d’un nouveau concept permettant de légitimer des violations ?


Professeur David Ruzié, le 2 avril 1999
Ancien doyen de la Faculté de droit de Paris V (auteur du Mémento de Droit international public, éd. Dalloz, 14ème éd., 1999).

De mon point de vue, cette intervention est légitime au regard du droit international, c'est à dire conforme à certaines valeurs morales que doit défendre la société internationale, en l'occurrence les droits fondamentaux d'une minorité et les droits de l'homme de la population non-serbe du Kossovo. Certes, il s'agissait autrefois d'un domaine réservé à la compétence nationale des Etats, mais l'évolution de la pratique du droit international a montré que ces questions ne relevaient plus de cette compétence exclusive (ex.: Yougoslavie/Bosnie). Reste la question de la conformité au droit international (c'est à dire le respect de règles juridiques). D'un point de vue strictement formel, il n'y a effectivement pas de décision, en bonne et due forme, du Conseil de sécurité, mais rappelons-nous le problème posé par la question de l'absence d'autorisation formelle de recourir à la force, hors le cas de légitime défense des casques bleus, il y a quelques années, déjà dans l'ex-Yougoslavie et cette absence n'avait pas empêché une intervention de l'OTAN, agissant dans le cadre des objectifs retenus par l'ONU. Il en est de même à l'heure actuelle, car l'intervention de l'OTAN entre manifestement dans le cadre des résolutions 1199 et 1203 du Conseil de sécurité. L'idéal serait certes que légitimité et légalité formelle coïncident, mais en cas d'urgence, la première l'emporte sur la seconde. Souvenons-nous du précédent fâcheux de la carence des Etats démocratiques en 1936-1939 face à la guerre civile d'Espagne, où au nom du respect de la non-immixtion dans les affaires intérieures de ce pays, nous avons laissé l'Allemagne et l'Italie violer ce même principe et soutenir Franco, donnant ainsi à Hitler la preuve que les pays démocratiques n'entraveraient pas la marche vers l'hégémonie nazie en Europe.


Benoît Tabaka, le 2 avril 1999
Rédacteur de Jurisweb (http://jurisweb.citeweb.net/), étudiant en Droit à l'Université de Dijon-Bourgogne.

Un nouveau principe d'usage de la force dégagé.
L'intervention des troupes sous mandat de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord a fait couler beaucoup d'encre. Le thème récurrent était celui de la légalité de l'opération. En vertu de l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord, les Etats membres de l'OTAN pouvaient agir uniquement lorsque qu'un Etat partie à ce traité était agressé en se fondant sur le principe de légitime défense collective. Pourtant, ce n'est pas le cas. La République fédérale de Yougoslavie, et à la rigueur, l'Albanie, la Macédoine ne sont pas membres de cette organisation. Ainsi, l'OTAN pour agir ne pouvait pas se prévaloir de cette disposition. Une autre solution consistait dans un mandat donné aux pays membres de l'organisation par le Conseil de Sécurité des Nations Unies agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Ce ne fût pas le cas, le Conseil étant à nouveau bloqué comme pendant la guerre froide par le jeu du droit de véto. Etait-ce donc encore un triste jour pour le Monde ?
Le Secrétaire Général n'a jamais condamné cette opération. Au contraire, dans un communiqué daté du 24 Mars 1999, il a légitimé cette intervention en se fondant sur le fait que lorsque la paix est fortement menacée et, qu'un drame humanitaire est en train de se dérouler, la communauté internationale peut décider de recourir à l'usage à la force si le Conseil de Sécurité, pion principal dans le schéma du recours à la force, est dans l'impossibilité de se décider. Ainsi, la protection de l'humanité et l'élimination de tout crime international, après avoir provoqué la naissance du principe d'ingérence humanitaire, a sans nul doute fait naître un nouveau principe d'usage de la force lorsque le Conseil de Sécurité est bloqué par le jeu des vétos et que, en raison de ce blocage, le sort de centaines de milliers de personnes est fortement menacé. Une opération ainsi justifiée par ce nouveau principe de défense des populations, mais une opération contestable à partir du moment où elle sort des limites du Kosovo.

 
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