- Les contributions sont classées
ci-dessous en ordre chronologique inverse -
L'European Journal of International Law (EJIL)
présente aussi un
débat fort
passionnant sur les réponses juridiques aux attentats du 11 septembre (en
anglais), avec la participation d'éminents spécialistes (Alain Pellet, Pierre-Marie Dupuy, Antonio Cassese,
...) - Voir aussi sur le site de l'American Society of International Law le
débat initié dans
ASIL
Insights n° 77 (en anglais).
Raphaël Belaiche, le 21
mai 2002
Docteur en droit.
|
La légitime défense de l’article 51 doit se lire en
négatif du mécanisme de sécurité collective. Si elle est contenue dans des
limites relativement rigides, c’est qu’elle doit s’arrêter lorsque fonctionne le
relais du mécanisme de sécurité collective. En effet, il appartient au Conseil
de sécurité de qualifier les faits de menace contre la paix, de rupture de la
paix ou d’agression et de faire des recommandations ou de décider d’agir
conformément aux articles 41 et 42 de la Charte. Et cette possibilité est
discrétionnaire.
Lorsque les garanties du mécanisme de sécurité font
défaut, c’est-à-dire lorsque le Conseil de sécurité reste inactif, il est
évident que les limites de la « légitime défense » ne jouent plus et que l’État
victime d’une agression peut agir bien au-delà de ce que permet l’article 51 en
conduisant lui-même les actions militaires qui incomberaient autrement au
Conseil de sécurité. On n’est plus alors dans le cadre de l’article 51, mais
dans un cas de défaillance du Conseil de sécurité qui légitime des formes
d’action plus efficaces et plus radicales que la simple défense.
Car le Conseil peut
agir soit par voie de constatation, soit par voie d’abstention. Lorsqu’il
s’abstient de constater qu’il y a une rupture de la paix ou une agression, bien
que des opérations militaires aient été entreprises, comme dans le cas de
l’opération des États-Unis en Afghanistan, en réaction à des actes qui
pourraient eux-mêmes être qualifiés de rupture de la paix ou d’agression, cela
signifie qu’il approuve implicitement ces opérations même lorsqu’elles dépassent
largement le cadre de la légitime défense. En effet, s’il se saisissait de
l’affaire, il constaterait d’abord que la source première de la rupture de la
paix ou de l’agression n’est pas à chercher dans les actions de l’État
réagissant, et il déciderait certainement alors d’agir lui-même contre celui ou
ceux à qui la responsabilité de ces faits peut être attribuée. L’État réagissant
pourrait se voir ainsi légitimé ex post
dans une action de défense allant « au-delà » de la légitime défense de
l’article 51, au cas où le Conseil de sécurité reprendrait à son compte cette
action.
L’abstention du Conseil, qui ne se saisit pas des
faits, légitime l’action de l’État concerné par la menace contre la paix, par la
rupture de la paix ou par l’agression, bien qu’elle ne légitime pas l’action de
l’État qui a été la source première des faits et qui doit en être tenu pour
responsable. Il existe donc une « légitime défense » de l’article 51, prête à
l’emploi, et une « légitime défense » constatée, tolérée ou approuvée par le
Conseil de sécurité, qui peut impliquer des actions allant au-delà des
prescriptions de l’article 51.
Évidemment, il s’agit là d’une interprétation
générale, et, dans tous les cas, le Conseil de sécurité pourrait, en se
saisissant formellement de la question, procéder à une qualification des faits
contraire aux prétentions de l’État réagissant.
Ainsi,
faut-il remarquer que, dans cette matière, il n’y a pas de caractère
automatique des qualifications. Ce qui n’est pas de la « légitime défense » au
sens de l’article 51 n’est pas automatiquement qualifiable d’agression au sens
de l’article 39. Et l’« agression armée » contre laquelle il est reconnu qu’il
y a eu « légitime défense » n’est pas automatiquement une « agression » au
sens de l’article 39 de la Charte ; ce qui peut sembler aberrant. En effet, le
Conseil de sécurité possède une latitude d’appréciation très large, qui lui
permet de qualifier les faits discrétionnairement. Donc de ne pas retenir les
qualifications de l’article 39, et de légitimer, par son abstention délibérée,
une action de défense qui dépasse, par son ampleur ou ses méthodes, les
limites de l’article 51.
|
Laurent Lévy, le 15 octobre 2001
Avocat.
|
L'article
51 de la Charte, en reconnaissant aux Etats le droit à la légitime défense,
ne la définit pas, renvoyant ainsi au droit commun.
Or il n'y a, en droit commun, de légitime défense que par la riposte immédiate
à l'agression en train de se commettre ; elle a pour objet, comme son nom
l'indique, la défense de celui qui s'en prévaut, et son objectif est donc
seulement qu'il soit mis fin à l'agression. Une violence exercée, par exemple,
pour appréhender l'auteur d'une agression n'est pas de la légitime défense.
Ainsi, les opérations de représailles menées par les USA ne peuvent en aucun
cas être considérées comme relevant de la légitime défense.
Au demeurant, l'article 51 limite le droit à légitime défense dans la durée,
en précisant, ainsi que cela a été rappelé dans le débat, « jusqu'à ce
que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la
paix et la sécurité internationales ». Or, le Conseil de sécurité a précisément
pris les mesures qu'il estimait nécessaires, le seul 'rappel', dans les considérant
de la résolution, du droit à légitime défense ne pouvant signifier que les
interventions à venir étaient par avance admises.
Quant à la remarque de Monsieur Ruzié comme quoi la question serait oiseuse,
voire indécente, elle me semble reposer sur l'idée que le droit serait un
luxe, valable seulement en l'absence de problème. Il est clair que c'est le
contraire qui est vrai. Et affirmer, comme tout juriste, ce me semble, doit le
faire, que la guerre faite à l'Afghanistan est illégale ne signifie pas que la
communauté internationale ne doit pas réagir au terrorisme, mais simplement
qu'elle doit le faire dans le respect des règles qu'elle s'est donnée. Le
choix des USA de ne pas se soumettre aux procédures légales (alors qu'ils
auraient obtenu sans difficulté une intervention du Conseil de sécurité, dont
tous les membres permanents, et quelques autres, en ont à tort ou à raison
admis le principe) ne s'explique que par le mépris regrettable du droit
international, et le choix de lui substituer le pur rapport de forces.
|
Hassatou Balde, le 13 octobre 2001
Doctorante à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne.
|
Le
droit de la légitime défense individuelle et collective est posé par
l’article 51 de la Charte de l’Organisation des Nations Unies. L’ampleur
du drame spectaculaire et le nombre élevé des victimes justifie l’exercice
de ce droit. Ce d’autant que la rédaction de l’article 51 ne pose pas
clairement les conditions de cette légitime défense. Des conditions ont été
dégagées par la Cour internationale de Justice. Cette dernière dans les
Affaires des activités militaires et paramilitaires des Etats-Unis au Nicaragua
a notamment posé les principes de nécessité et de proportionnalité qui sont
également des notions vagues. Par exemple à propos du principe de
proportionnalité, dans les avis consultatifs sur la licéité des armes nucléaires
du 8 juillet 1996, la Cour a indiqué que ce principe ne peut pas par lui même
exclure le recours aux armes nucléaires en légitime défense, une position qui
est dangereuse et de nature à justifier toute forme de riposte. La question qui
se pose est de savoir si la stratégie américaine de l’option zéro mort qui
les pousse à mener des frappes aériennes qui malgré leur degré de précision
provoque des victimes civiles en vue de rechercher des individus déterminés
et plus ou moins localisés constitue de la légitime défense ?
La
légitime défense justifie-t-elle la mort et le déroutement des civils déjà
éprouvés par vingt années de guerre et qui se trouvent de nouveau entraînés
en exil ? Certes, l’éviction du régime de terreur instauré par les
talibans est plus qu’une nécessité, ainsi que la lutte contre le terrorisme
international. Mais cette lutte doit se faire dans le respect de l’esprit de
la Charte. Celle-ci a instauré un système de sécurité collective afin d’éviter
les justices privées dont la légitime défense est une des manifestations. Et
c’est ce souci qui a conduit les rédacteurs de la Charte à encadrer
l’exercice de cette légitime défense. L’article 51 stipule que la légitime
défense s’exerce jusqu’à la saisine de l’affaire par le Conseil de sécurité
qui a la responsabilité principale du maintien de la paix. Au regard de la
situation actuelle, il y a une volonté de reléguer ce Conseil au second plan.
Pourtant tous ses membres ont unanimement condamné ces attaques et ont offert
leur participation pour réprimer les auteurs de ces actes atroces qui dépassent
l’entendement.
|
Professeur David Ruzié, le
10 octobre 2001
Professeur agrégé des Facultés de droit, ancien Doyen.
|
Au
risque de choquer à la fois les responsables de ce site (fort utile par
ailleurs) et ceux qui ont déjà pris part au forum en détaillant leur
position, je considère, pour ma part, qu'il est oiseux (v. résolutions du
Conseil de sécurité adoptées après le 11 septembre) et même indécent de
poser la question.
|
Note
importante : La riposte américaine a débuté dans la soirée du 7 octobre
2001 (heure française) par des frappes aériennes ciblées sur trois grandes
villes afghanes.
|
Roland Adjovi, le 7 octobre 2001
Doctorant à l'Université Panthéon-Assas Paris II.
|
Les
Etats-Unis ont subi un acte terroriste auquel ils sont en droit de répondre
légitimement. Toute la difficulté est de déterminer la base juridique de la
réponse.
La légitime défense pose différents problèmes qui ont déjà été soulevés
et sur lesquels nous ne reviendrons pas, sauf à rappeler qu'elle ne résulte
pas forcément d'un acte originel d'Etat : aucun texte de droit international à
ma connaissance ne le stipule, même pas l'article 51 de la Charte, et encore
moins la pratique des Etats. Les débats au sein de la Commission Préparatoire
de la CPI à sa cinquième Session (12-30 juin 2000, document PCNICC/2000/L.3/Rev.1
du 6 juillet 2000, disponible au format
PDF) atteste encore de ce dernier point.
Je veux plutôt m'intéresser aux objectifs de la légitime défense pour voir
si elle peut être mise en oeuvre en l'espèce.
Ces objectifs sont, à mon sens encore, au nombre de deux :
- Faire cesser la violation initiale (agression armée) ;
- Réparer le préjudice causé à l'Etat qui y a recours.
En l'espèce, l'acte qualifié d'agression a cessé : il est donc difficile de
prétendre que la riposte projetée a pour objectif d'y mettre fin. Le recours
à la légitime défense ne se justifie donc point.
Ensuite comment réparer le préjudice subi par les Etats-Unis ? En tuant
d'autres personnes. J'en doute fort.
De plus, et comme il a déjà été signalé, à supposer que ce soit un acte d'Oussama
Ben Laden - qui en a vu les preuves ? - les Etats-Unis seraient-ils fondés à
« punir » l'Afghanistan pour ces actes ? Évidemment la complicité du régime
des Taliban qui exerce un contrôle de fait sur l'Afghanistan, du moins sa
majeure partie, peut constituer un fondement suffisant. Le droit international
en laissant toute latitude à l'Etat agressé de déterminer qui est
l'agresseur, et donc contre qui il va exercer son droit de recours à la force,
introduit assurément un cheval de Troie dans les relations internationales.
Les actes terroristes du 11 septembre constituent certes une atteinte à la
démocratie, mais la réaction des Etats-Unis doit s'inscrire dans un cadre
protecteur de la démocratie, de ces principes sur lesquels ils disent bâtir
leur société. Car en limitant les libertés individuelles - les mesures
exceptionnelles que l'administration Bush demande au Congrès d'adopter sont, à
ce propos, révélatrices -, et en recourant à une justice privée avec toutes
les injustices qu'elle induit, les Etats-Unis font courir à des valeurs qu'ils
défendent, un risque encore plus grand que celui résultant de l'acte originel.
La déclaration que des participants à la Session d'été de l'Institut de
droit international public et de relations internationales de Thessalonique ont
adoptée met l'accent sur ce risque, en rappelant le principe d'un état de
droit auquel les Américains devraient se conformer (cf. http://www.lexana.org/statement.htm).
Au regard de ces divers éléments, mon analyse demeure qu'il ne saurait être
fait recours à la légitime défense, quelle qu'elle soit. Et ce ne sont pas
les vivres qui seront « offertes » aux populations qui donneront plus de
légitimité, puisque la légalité n'y est point.
Pour finir, la riposte américaine ne peut pas être réussie au regard des
objectifs que Bush s'est fixé. Il ne peut atteindre qu'un seul de ses objectifs
: mettre fin au régime des Taliban, encore que l'expérience irakienne permette
d'en douter. Il n'est pas garanti qu'il mettra la main sur Oussama Ben Laden, ni
qu'il éradiquera le terrorisme. Alors pourquoi ce déploiement de forces ?
|
Professeur Paul Tavernier, le 6
octobre 2001
Professeur à l'Université de Paris Sud et directeur du CREDHO.
|
Les
Etats-Unis peuvent-ils invoquer la légitime défense ?
Les
résolutions du Conseil de sécurité adoptées les 12 et 28 septembre 2001 à
la suite des « épouvantables attaques terroristes qui ont eu lieu le 11
septembre 2001 à New York, Washington (DC) et en Pennsylvanie » se réfèrent
toutes deux dans leurs préambules au droit « naturel » ou « inhérent »
à la légitime défense individuelle ou collective reconnu dans la Charte. Le
recours à ce droit, y compris le recours à la force, par les Etats-Unis et par
leurs alliés, dont la France (article 5 du Pacte Atlantique) soulève de
nombreuses questions juridiques. La Charte des Nations Unies (article 51) pose
certaines conditions mais reste très discrète en ce qui concerne les modalités
des mesures qui peuvent être prises par les Etats. Le principe de
proportionnalité n’est pas mentionné, bien qu’il soit généralement
accepté comme devant s’appliquer. Par ailleurs, l’élément temporel (time
factor) n’est envisagé qu’en ce qui concerne la durée provisoire des
mesures adoptées par les Etats « jusqu’à ce que le Conseil de sécurité
ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité
internationales ». En revanche, le texte est muet sur le délai maximum
entre l’« agression armée » (ou l’attaque armée, selon la
version anglaise et selon le Pacte atlantique) et la riposte. C’est une
question qui n’a jamais été clairement établie, ni même réellement débattue.
Dans l’affaire des Malouines (1982), la Grande-Bretagne a invoqué la légitime
défense et la riposte a nécessité plusieurs semaines en raison de l’éloignement
du théâtre des opérations. Mais le précédent n’est guère pertinent car
il s’agissait d’un conflit « classique » entre deux Etats. On
peut songer aussi au raid français contre Baalbek (le 17 novembre 1983) qui répondait
à un attentat meurtrier du 23 octobre à Beyrouth, soit près d’un mois après :
ici il y a bien terrorisme, mais selon Jean Charpentier (AFDI, 1984, p.
1017), ce délai « ne permet pas de le ranger dans le cadre de la légitime
défense ». En revanche ces considérations temporelles n’interviennent
plus si l’on se place dans l’hypothèse des efforts des Etats pour « traduire
en justice les auteurs, organisateurs et commanditaires de ces attaques
terroristes », comme le prévoit le paragraphe 3 de la résolution du 12
septembre. On se trouve alors dans le domaine de la responsabilité pénale
individuelle et de la répression du crime de terrorisme.
|
Leïla Lankarani, le 6
octobre 2001
Maître de Conférences, Université Bordeaux IV.
|
La
lecture des textes, les pratiques étatiques.
Le
débat qui s'est instauré aujourd'hui autour de la notion me rappelle celui qui
ne s'est pas vraiment instauré autour de l'utilisation extensive de cette
notion dans la justification des agissements contraires au droit international
de certains Etats par le passé et qui semblent aujourd'hui rentrés dans les
moeurs comme un constat en faveur de l'usage extensif de la légitime défense
par les Etats.
1
- Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, l'élément nécessaire de spontanéité,
de l'immédiateté de l'action servant de légitime défense a souvent
manqué aux diverses attaques de l'Etat israélien entreprises, à ce titre,
une, deux, voire parfois des semaines après les actes terroristes palestiniens.
La légitime défense de l'Etat d'Israël, n'oublions pas, a même introduit
dans le jargon du droit international, la notion de "zone de sécurité"
qu'un Etat s'attribuerait sur le territoire et au détriment d'un autre Etat,
en l'occurrence du Liban. Au même moment, pouvait-on s'interroger
sur le fait de savoir si la légitime défense telle que semble l'admettre la
majorité de la doctrine, en était bien une en l'occurrence, en l'absence d'un
Etat palestinien, voire d'une Autorité palestinienne.
2
- D'autre part, la nécessité que la légitime défense soit la contre mesure
d'une attaque armée étatique, n'est pas clairement établie :
-
le texte de l'article 51 de la Charte ne le précise pas et la résolution de
l'AG de 1974 est évasive ;
-
sur un autre plan, certes, mais s'agissant de l'agression tout de même, le
statut de la Cour pénale internationale ne s'engage pas non plus.
-
cette précision n'est pas mentionnée non plus dans l'article 5 du traité de
l'Atlantique Nord ;
-
s'agissant des conditions nécessaires à l'exercice de la légitime défense,
selon la Cour internationale de Justice dans l'arrêt de 1986 dans l'affaire des activités
militaires et paramilitaires, l'envoi de bandes armées sur le
territoire d'un autre Etat peut constituer une agression armée s'il s'agit
d'une opération de grande envergure (§ 106) ; autrement dit, il n'est pas nécessaire
que l'acte provienne des troupes militaires régulières d'un Etat. En suivant
la Cour sur l'identification du commanditaire étatique, se pose dès lors la
question de l'imputabilité des attentats du 11 septembre à un ou plusieurs Etats.
Si le Droit international énumère les critères de l'imputabilité, nul
n'ignore que la qualification en droit international est une opération
intellectuelle unilatérale, relativisme oblige.
3
- S'agissant surtout de la légitime défense, il serait irréaliste de
passer d'abord par devant un tiers/juge lato sensu (à supposer
que sa saisine soit obligatoire) pour, qu'au préalable, celui-ci redresse,
confirme ou infirme la qualification donnée par l'Etat victime de l'agression,
et lui fasse interdiction, ou concède autorisation d'user du droit naturel
ou inhérent de la légitime défense ! L'avis de 1996 de la CIJ sur l'usage de
la force nucléaire est symbolique à bien des égards : ne demandez pas au
juge une réponse claire avant, mais après !
4
- L'article 51 de la Charte n'ôte pas aux Etats, au profit des instances
onusiennes, l'usage en première phase du droit de légitime défense ; le devoir
d'information du Conseil de sécurité incombant à l'auteur des actions relevant de la légitime
défense ne signifie pas demande d'autorisation, ni demande de substitution. A
la lecture de l'article 51, la phase 2, onusienne, n'empêche pas la première,
et vice versa. Le style de la rédaction de la seconde phrase de l'article 51 semble
même suggérer aux mauvais esprits la possibilité du cumul des
deux dans le temps, et contredire leur ordre successif énoncé dans sa première
phrase.
5
- Enfin, sur le terrain particulier de notre débat, les doutes sur la
qualification de l'attaque du 11 septembre, d'armée, relèveraient à
notre sens du juridisme : à la question posée le 11septembre par un
journaliste interrogeant un expert sur l'usage ou non d'explosif par les
terroristes du WTC, la réponse fut : le choc délibéré d'un engin contenant
30 tonnes de kérosène ne vous semble pas une arme suffisante ?
La
question de la légalité de l'action armée en Afghanistan en terme de "légitime
défense" (individuelle et/ou collective) ne repose pas uniquement sur les
conditions développées par la doctrine mais aussi sur la pratique qui en a été
faite jusque là par les Etats et contre des Etats et des entités non étatiques.
Ce n'est pas un parti pris, mais notre constat de l'état réel de la
pratique de la légitime défense étatique au sens de l'article 381b du
Statut de la CIJ, réconfortée aujourd'hui par l'opinio juris qui
s'est exprimée à travers la mobilisation de la communauté des Etats aux
côtés des Etats-Unis.
L'action du
Conseil de sécurité contre l'Irak fut qualifiée d'opération de
"police internationale". Gageons que les pertes humaines lors de celle-ci
qualifiées cyniquement de "dommages collatéraux", ne se reproduisent
pas dans l'action collective contre l'Afghanistan qualifiée d'ores et déjà
d'opération de "gendarmerie internationale". Encore un problème de
qualification.
|
Payam Shahrjerdi, le 30 septembre 2001
Membre du comité de rédaction de la revue.
|
"Par-delà bien et
mal".
La licéité d'une action militaire, la légitimité de la démarche américaine et l'ensemble des problèmes posés par la nouvelle donne des relations internationales à partir du 11 septembre 2001 semblent alimenter un même questionnement. Il s'agit de savoir dans quelle mesure une série de circonstances exceptionnelles
peut, ipso facto, conférer à la victime desdites circonstances :
1. une capacité accrue de discernement qui lui permettrait de déterminer au
nom de la communauté internationale le "bien" de l'humanité ;
2. une lattitude exceptionnelle dans le choix des moyens à mettre en oeuvre
pour préserver les intérêts de la communauté internationale.
|
Christophe Nouzha, le 27
septembre 2001
Doctorant en droit international. Responsable du site "Les
sommaires des revues de droit international".
|
Quelques
interrogations au sujet des réponses américaines aux attentats du 11 septembre
2001.
Le
chef de la diplomatie américaine est loin d'être le seul à parler de "légitime
défense". Hubert Védrine a lui aussi utilisé cette formule à plusieurs
reprises. Un exemple parmi d'autres : "ce qui est sûr c'est que (...) les
Etats-Unis vont riposter de façon très forte, et que le monde entier, je
crois, reconnaîtra qu'ils sont en situation de légitime défense au sens de
l'article 51 de la Charte des Nations Unies" (Le
Monde, 18 septembre 2001). Or au sens de l'article 51, la légitime défense
ne peut être invoquée qu'en cas d'"agression armée". Est-ce bien le
cas des événements du 11 septembre, ou bien la définition de l'agression,
dont on sait qu'elle constitue l'un des serpents de mer du droit international,
trouve-t-elle une nouvelle extension ?
Au
sujet de la résolution 1368 (dont on peut noter en passant que la version française
utilise l'expression de "droit inhérent à la légitime défense"
alors que l'article 51 mentionne dans sa version française le "droit
naturel" et "the inherent right" dans sa version anglaise), on
peut se demander s'il ne s'agit pas une fois encore de ce genre de résolution
volontairement ambiguë qui permet à chacun de l'interpréter comme cela
l'arrange et qui conduit à des batailles doctrinales. Selon Hubert Védrine,
cette résolution "reconnaît aux Etats-Unis le droit à la légitime défense.
L'ONU a ainsi donné aux Etats-Unis et à leurs alliés une large habilitation
pour réagir" (Le Monde, 22
septembre 2001). Est-ce vraiment aussi clair que semble l'affirmer le
chef de la diplomatie française ? Pourquoi la mention de la légitime défense
se trouve-t-elle dans le préambule de la résolution ? Est-ce uniquement
pour éviter un précédent selon lequel, en incluant la mention de la légitime
défense dans le dispositif, on donnerait l'impression que cette légitime défense
est autorisée par le Conseil de sécurité alors qu'il s'agit d'un droit
naturel ? Pourquoi les Etats-Unis ne sont-ils pas mentionnés dans la
phrase concernant la légitime défense ? Est-ce uniquement pour rappeler
un principe à portée générale ? Et que veut dire le Conseil de sécurité
lorsqu'il "se déclare prêt à prendre toutes les mesures nécessaires
pour répondre aux attaques terroristes du 11 septembre 2001 et pour combattre
le terrorisme sous toutes ses formes, conformément à ses responsabilités en
vertu de la Charte des Nations Unies" ? Envisage-t-il par là
d'autoriser un recours à la force en vertu du Chapitre VII ou bien uniquement
de décider des mesures n'impliquant pas la forme armée, ce qu'il a d'ailleurs
déjà fait dans sa résolution 1267 (1999) ? Dans la première hypothèse,
pourquoi alors laisser penser qu'il s'agit d'une situation de légitime défense ?
Finalement
on assiste une fois encore à l'invocation de ce qui est une légitime défense
punitive puisque l'action armée n'est plus en cours. Et puis, légitime défense
contre qui ? L'intervention "américano-alliée" vise-t-elle les
terroristes, les Talibans (en tant que faction dirigeant un gouvernement non
reconnu) et les terroristes ou l'Afghanistan en tant qu'Etat hébergeant des
terroristes ? Si ce n'est pas l'Etat qui est visé, il faudrait normalement
l'accord du gouvernement sur le territoire duquel l'intervention doit se dérouler.
Mais si ce gouvernement n'est pas reconnu, qui doit donner son accord ? Si
l'Etat est visé, n'est-on pas en présence de représailles armées interdites
par le droit international dès lors qu'il n'est pas prouvé que les terroristes
agissaient en fait pour l'Etat lui-même ?
Bref,
beaucoup de questions, sans mentionner les autres... !
|
Présentation
du débat
|
Le
11 septembre 2001, quatre avions de ligne américains ont été détournés par
des pirates de l'air qui les ont forcés à s'écraser contre le World Trade
Center à New York, contre le Pentagone à Washington et en Pennsylvanie. Les
premiers bilans font état de près de 7 000 victimes mortes ou disparues (le
bilan final ne fera état "que" de 3 000 morts et disparus). Face à une
telle agression et invoquant la légitime défense, les Etats-Unis se réservent
le droit d'agir militairement sans mandat de l'ONU, notamment contre
l'Afghanistan accusé d'héberger Oussama Ben Laden, terroriste notoire
présumé responsable de ces attaques. Une résolution unanime du Conseil de
sécurité prise le lendemain des attentats reconnaît "le droit inhérent
à la légitime défense individuelle ou collective conformément à la
Charte" et rappelle que les actes terroristes constituent des menaces à la
paix et à la sécurité internationales (S/RES/1368
(2001). Les termes de cette résolution ont été confirmés par la
résolution 1373 (2001) adoptée le 28 septembre 2001, qui se place en outre
dans le cadre du Chapitre VII de la Charte.
Peut-on
pour autant affirmer que les Etats-Unis sont en situation de légitime défense
à la suite de ces attentats ?
Comme
le rappellent en effet Olivier Corten et François Dubuisson, "la force
armée au titre de la légitime défense ne peut être mise en oeuvre par un
Etat que s'il fait l'objet d'une agression armée de la part d'un autre Etat"
("Les
Etats-Unis sont-ils en situation de légitime défense ?", Le
Soir, 21 septembre 2001, p. 6). Marcelo G. Kohen précise en outre que
"la légitime défense n'est qu'une exception à l'interdiction de l'emploi
de la force, visant à riposter à une agression armée en cours" ("L'arme
de la civilisation, c'est le droit", Le Temps, 17 septembre
2001).
A toutes fins utiles, la revue précise que le but de
ce débat n'est pas tant de répondre à la question elle-même, que d'étudier la
notion de légitime défense en droit international au regard d'événements
extrêmes susceptibles de la mettre en jeu.
|
|