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LE DROIT INTERNATIONAL ET LE STATUT D'AUTONOMIE DU KOSOVO

par
Sophie Albert
ATER en droit public
Chercheur au CEDIN - Paris 1
Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
albert@univ-paris1.fr



Résumé : OTAN suspend ton vol... Les chancelleries occidentales menacent le Président Milosevic des foudres conjuguées de l'ONU et de l'OTAN. Elles déploient toutefois des efforts diplomatiques pour éviter d'en arriver là. La solution de la crise au Kosovo doit en effet être trouvée par la négociation ; elle doit garantir l'intégrité territoriale de la RFY, tout en accordant une véritable autonomie aux kosovars.


La guerre civile au Kosovo trouve ses racines immédiates dans la suppression en 1989 par Belgrade de son statut de région autonome, du fait de la pression exercée par la population serbe de cette région à qui la propagande avait fait croire que son existence était menacée. C'est l'une des premières actions démagogiques du président Milosevic et l'une des premières manifestations d'une fièvre obsidionale serbe répandue par les dirigeants et les scientifiques de Belgrade. Ils ont crié au "génocide physique, politique, juridique et culturel de la population serbe au Kosovo et en Metohija". (voir le mémorandum de l'Académie serbe, paru en 1989, commenté par M. Grmek, M. Gjidara et N. Simac, in Le Nettoyage ethnique, Documents historiques sur une idéologie serbe, Paris, Fayard, 1995, pp. 236-269. Le mémorandum écrit notamment : "(...) environ 150 000 Serbes furent obligés, entre 1876 et 1912, de quitter leurs foyers sous le joug cruel des bachibouzouks albanais locaux et privilégiés. Durant la dernière guerre, environ 60 000 Serbes autochtones et colonisés furent expulsés, mais cette vague d'émigration a connu une véritable montée après la guerre : environ 200 000 Serbes quittèrent le Kosovo au cours des deux dernières décennies. Le reste du peuple serbe continue, à un rythme soutenu, non seulement à quitter ses terres, mais il se prépare, selon toutes les indications, à son exode final, chassé par des violences et une terreur physique, morale et psychologique. Si l'état des choses ne changent pas radicalement, il n'y aura plus de Serbes au Kosovo d'ici une dizaine d'années, et un Kosovo "ethniquement pur" - objectif clairement exprimé des racistes pan-albanais, fondé déjà dans les programmes et les actions de la Ligue de Prizren de 1878-81 - sera pleinement réalisé." sic... Les chiffres cités sont contestables et on voit comment on justifie des crimes à venir par des accusations calomnieuses).

Non autonome, le Kosovo a été exclu du mouvement de dissolution de l'ancienne fédération yougoslave. Pris dans une main de fer, il a vu l'abolition de tous les droits protecteurs de la minorité albanaise et de ses membres. Les écoles de langue albanaise ont été interdites, la représentation des Albanais dans les administrations a été supprimée, les libertés fondamentales ont été bafouées. Il y a eu des licenciements nombreux de travailleurs albanais. Les discriminations à l'encontre de la majorité de la population se sont multipliées dans tous les domaines. A cela s'est ajoutée une agressivité serbe qui n'est pas étrangère à leur fierté patriotique blessée suite aux accusations de génocide et de crimes internationaux lancées contre leurs chefs.
Les Kosovars ont mis sur pied un "Etat" parallèle doté d'une constitution, d'une assemblée et d'une présidence, avec un shadow government au sens le plus fort du terme. Ibrahim Rugova de la LDK, Ligue démocratique du Kosovo, est élu président grâce à un scrutin clandestin tenu en mai 1992. Des services, financés par un prélèvement fiscal également clandestin, assurent une partie de l'éducation, de la prise en charge médicale et de l'aide sociale. Une armée de "libération", l'UCK, s'est constituée. Ses vues sont moins légalistes que celles du gouvernement de Rugova. Elle a eu longtemps une existence un peu fantomatique. Ses chefs sont inconnus et on ne sait pas quelle est l'ampleur du soutien apporté par l'Albanie. La situation empirant pour les Kosovars, on a assisté à une radicalisation des opinions. Une série d'attaques à la bombe de l'UCK a eu lieu en février 1996. Et en septembre 1997, la police serbe a réprimé des manifestations d'étudiants albanais.

On dira que le conflit au Kosovo était tellement prévisible qu'il enterre prématurément la politique préventive de consolidation de la paix qui fait surface à l'ONU, depuis le Supplément à l'Agenda pour la paix de Boutros Boutros-Ghali (UN doc. A/50/60 du 3 janvier 1995 - sur internet). Sans doute est-elle trop ambitieuse. A mettre la barre trop haut, l'Organisation peine à la franchir et retombe inerte.

Les affrontements ont commencé le 28 février 1998, dans la région de Drenica à l'ouest de la ville de Pristina. Ils ont continué pendant quelques jours provocant environ 30 morts du côté albanais, la dispersion violente de 30 000 Albanais et la mort de 4 policiers serbes. Les autorités serbes ont dépêché des forces spéciales. Puis il y a eu une période d'accalmie et de tensions latentes. Le 22 mars, I. Rugova est élu une seconde fois président du Kosovo à la suite d'une élection secrète. La situation s'est ensuite détériorée. Au mois d'avril, des manifestations ont lieu quotidiennement à Pristina contre les forces serbes. La population se dit prête à prendre les armes et à résister. La campagne de répression policière menée par les Serbes contre l'UCK (ou assimilés) dégénère en campagne de terreur contre la population et d'incendies des maisons, et donne lieu à des affrontements avec les Kosovars albanais. A la fin du mois de mai, des combats s'étendent à pratiquement toute la région. Le 19 juin, l'UCK annonce qu'elle s'apprête à une confrontation décisive avec l'ennemi. Elle gagne, de fait, du terrain et contrôle en juillet 40% du territoire. Le 23 juillet le parlement parallèle des Albanais reconnaît la légitimité de la lutte armée de l'UCK. Le président Rugova est de plus en plus isolé dans sa recherche d'une solution de compromis. D'autant plus que de la mi-juillet jusqu'en septembre, les forces serbes mènent une contre-offensive et regagnent le contrôle du territoire en le dépeuplant. L'UCK semble à présent ne pas pouvoir se remettre de sa défaite. La guerre a fait 1270 morts selon le CICR, dont plus de la moitié depuis le mois d'août et 300 000 réfugiés et déplacés. Le Secrétaire général des Nations Unies avance le chiffre de 600 à 700 morts parmi les civils (Rapport sur la situation dans le Kosovo, S/1998/834 du 4 septembre 1998 - sur internet).

Conflit dû à des haines ancestrales bien orchestrées ou à des questions de droits et de statut ? Susan Woodwards dans son ouvrage Balkan Tragedy Chaos and Dissolution after the Cold War, (Brookings, Washington DC, 1995) analyse le conflit yougoslave dans la seconde moitié des années 1990 comme n'étant pas un conflit ethnique, mais une lutte pour les droits des groupes ethniques. Son analyse est antérieure à la guerre au Kosovo, mais elle peut s'y appliquer.
A l'opposé, la position officielle du gouvernement yougoslave est de dire que le problème du Kosovo est un problème de séparatisme et de terrorisme et qu'il n'a rien à voir avec les droits des nationalités et des minorités (déclaration du ministre des affaires étrangères de la Yougoslavie (RFY), M. Jovanovi, à la mission de l'OSCE, Rapport de la mission de l'OSCE du 14-22 juillet 1998, Varsovie 25 juillet 1998).

A moins de se faire l'avocat du diable, on peut considérer qu'il s'agit d'une question de droits. Alors, le droit doit pouvoir donner des éléments de solutions, ou du moins des cadres dans lesquels une solution peut être négociée.
Nous n'aborderons ici que la question du statut du Kosovo.

UNE INDEPENDANCE INTERDITE

L'autodétermination externe consiste dans le droit pour les peuples de décider de leur statut international et de leur constitution ou non en un Etat indépendant. C'est aussi leur droit de renoncer à l'indépendance et de préférer une forme d'association avec un autre Etat ou d'être rattaché à un autre Etat. Mais la clé du principe d'autodétermination externe est qu'il permet la sécession.
En dehors des cas particuliers de décolonisation, la reconnaissance ou la non-reconnaissance de ce droit pour un groupe de population est fondée non pas sur des critères juridiques objectifs, mais sur des considérations d'opportunité politiques et stratégiques. Ce qui concrètement réduit ce droit à peu de choses, de nos jours. Il conduit, quand il est "appliqué" à une reconnaissance après coup, plus déclarative que constitutive, d'un fait accompli.
La protection des minorités est liée à ce droit. Elle trouve sa raison d'être dans une privation de droit à l'autodétermination externe, surtout pour les cas de groupes représentant une partie substantielle de la population d'une région donnée et qui sont établis dans cette région de longue date ; et pour les cas de groupes présentant des caractéristiques communes avec un groupe d'un Etat voisin.
De plus, la notion de peuple et celle de minorité recoupent des réalités sociologiques similaires. La qualification d'une entité selon l'une ou l'autre des notions ne s'explique que par le droit que l'on veut bien lui reconnaître. L'octroi d'un droit à l'autodétermination particulier crée un peuple. Le refus de ce droit crée une minorité.
Tout ceci tient au fait que le principe de l'intégrité territoriale est un principe fondateur du droit international public, et contrairement à la phrase célèbre du Juge Dillard dans son opinion individuelle dans l'affaire du Sahara Occidental (Cour Internationale de Justice, Recueil de 1975), ce n'est pas le peuple qui détermine la destinée du territoire, mais le territoire qui détermine encore la destinée du peuple. Il est alors plus facile pour les Etats de défendre les droits des minorités, plutôt que de reconnaître une possibilité quasiment infinie de modifier les frontières internationales.

Il y a beaucoup d'arguments en faveur de l'indépendance du Kosovo. Le Président de la LDK, Ibrahim Rugova, estimait en mars 1998 que le Kosovo était une république fédérée et qu'à ce titre, il aurait dû lui aussi profiter de la dissolution yougoslave. La population du Kosovo est homogène, composée à 90% d'Albanais. Elle s'est prononcée dans sa grande majorité pour une indépendance lors d'un référendum. La LDK souhaite un statut de protectorat sous tutelle internationale, un peu comme la Bosnie, sous perfusion de l'ONU et des organisations européennes. Une constitution et des institutions kosovares existent depuis 1990-1991 et leur caractère démocratique pourrait être consolidé avec l'assistance des organisations européennes.

Suivant le précédent du Bangladesh, le Kosovo persécuté et subissant une forte discrimination, aurait un droit à s'autodéterminer. La Déclaration sur les relations amicales entre les Etats de l'ONU (la résolution 2625 (XXV) 1970) dans sa clause de sauvegarde - le paragraphe 7 - énonce que rien n'autorise la remise en cause de l'intégrité territoriale des Etats qui se comportent en conformité avec le principe de l'égalité des droits et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et qui, par conséquent, possèdent "un gouvernement représentant la population entière du territoire sans distinction de race, de croyance, ou de couleur". A contrario, un Etat qui n'a pas de gouvernement représentatif, ne respecte pas le principe de droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et pourrait voir son intégrité territoriale remise en cause. Et un groupe ethnique dans une province, non représenté par le gouvernement, pourrait faire légitimement sécession. Le Kosovo entrerait dans ce cas. Le gouvernement serbe n'est que faiblement représentatif des Albanais - ce qui est aussi dû à un boycott des élections de la République par les Albanais.
Cette interprétation a contrario du paragraphe 7 au libellé ambigu ne fait pas l'unanimité de la doctrine. Et les Etats y sont hostiles. Ce qui découle plus certainement de ce texte est une mise en relation de l'autodétermination et du gouvernement représentatif. L'autodétermination passe par la recherche d'un meilleur gouvernement, plus démocratique, et non par la sécession. (ce qui apparaît dans des travaux préparatoires de la Déclaration, in A. Cassese, Self-Determination of Peoples, A Legal Reappraisal, Cambridge U.P., 1995, pp. 108-118)

D'ailleurs, au vu des réactions de la communauté internationale vis-à-vis du conflit au Kosovo, il apparaît très clairement que la population kosovare albanaise ne jouit pas d'un droit spécifique à l'autodétermination dans sa forme externe. L'ONU, l'OTAN, le Groupe de contact et l'Union européenne ne souhaitent pas remettre en cause l'intégrité territoriale de la Yougoslavie. Leur position est sans ambiguïté.
Le Kosovo ne peut pas faire sécession et il n'a pas le droit de se rattacher unilatéralement à l'Albanie. La population albanaise est donc considérée comme une minorité à l'intérieur de la Yougoslavie - mais pas forcément à l'intérieur de la Serbie.

En fait, il serait vain de chercher dans les réactions internationales et dans le droit, un droit à la sécession pour les groupes ethniques minoritaires dans un Etat. Le droit international ne le prévoit pas et défend plutôt les frontières de ses Etats. Toutefois, cela ne veut pas dire que ces groupes ne parviennent jamais à l'indépendance. Des séparations ont lieu et des Etats se créent en dehors du droit international, comme si ce dernier ne devait qu'en régir les effets.

Nous pouvons justifier la réaction internationale au conflit du Kosovo en se référant au conflit en Bosnie et à la sécurité régionale. Accorder aux Kosovars le droit de décider de faire sécession, de déclarer leur indépendance ou de se rattacher à l'Albanie ne pourrait que raviver l'amertume des Serbes de Bosnie et de Croatie d'avoir été privés d'un tel droit. Si les frontières de la Croatie et de la Bosnie doivent rester intangibles selon le principe consacré, il en va de même pour les frontières yougoslaves. Les chancelleries n'ont en rien tenu compte de la méthode utilisée. Les populations serbes de Croatie et de Bosnie ont soutenu leur revendication à l'autodétermination à l'aide de pratiques criminelles et violentes; alors que les Kosovars, avant les attaques de la Serbie et la radicalisation de la population, ont revendiqué la leur de façon pacifique. Mais peu importe le moyen, c'est la fin, la sécession unilatérale, qui a été jugée contraire au principe d'intégrité territoriale.
De plus, la communauté internationale craint les répercutions d'une indépendance kosovare sur la Macédoine - à l'existence que l'on considère aussi précaire que le nom de FYROM qu'on lui a imposé- sur le Monténégro et sur l'Albanie.
Et enfin, déclarer le Kosovo indépendant reviendrait à déclarer la guerre à la Serbie et les nations occidentales, que d'aucuns diront post-modernes, ne mourront pas plus pour Pristina qu'elles sont allées mourir pour ses voisines Vukovar, Srebrenica ou Sarajevo.

Il faut remarquer aussi un sentiment de malaise de la part des Etats occidentaux à propos de la création d'un Etat sur une base ethnique. La reconnaissance de tous les Etats issus de la fin de l'URSS et de l'ex-Yougoslavie les a entraînés dans un soutien à la constitution d'Etats sur une base ethnique, des Etats d'une seule nation, et non de vrais Etats-nation selon la doctrine française qui prend ici du plomb dans l'aile. Ces Etats reflètent une idée contraire à la traditionnelle perception occidentale de l'Etat comme élan d'une souveraineté populaire animée de solidarité seulement civique.
Toutefois, les Etats occidentaux étaient face à un choix. Fallait-il reconnaître ces nouveaux Etats sur une base ethnique, ou fallait-il soutenir la dictature soviétique, l'expansionnisme russe et l'idéologie de la grande Serbie ? Le choix n'était pas entre des Etats modernes, "égalitariens" et civiques comme certains ont osé présenter l'URSS et la RSFY, d'une part, et des Etats ethniques nationalistes d'autre part. Il était plutôt entre deux formes de nationalisme. Et dans le cas présent, la seconde forme de nationalisme, celle des nouveaux petits Etats, était la plus modérée et la mieux à même d'évoluer vers la démocratie. L'URSS et la RSFY étaient heureusement construits sur un modèle fédéral, ce qui a permis d'accepter plus facilement les nouvelles frontières, d'appliquer le droit de l'uti possidetis et de présenter les mouvements de dissolution et sécession comme un acte de justice historique. Mais, cela ne doit pas aller plus loin. Les Etats occidentaux et à présent les nouveaux Etats ne veulent pas de nouvelles subdivisions ethniques.

Si on nie aux Kosovars albanais le droit de disposer d'eux-mêmes, est nié également le droit de légitime défense et la possibilité pour l'Albanie d'offrir son aide. La situation du Kosovo du mois de mars au mois d'octobre est celle d'un conflit interne, une guerre civile et non un conflit international. Ce n'est pas un problème de maintien de l'ordre dans une zone troublée comme le prétend Belgrade. Le recours aux armes des combattants de l'UCK n'est ni banni ni accepté par le droit international. Il est juste prévu dans les dispositions de droit humanitaire. Il ne peut pas être réduit à la qualification de "terrorisme", comme le disent les autorités serbes. Quant à l'Albanie, elle est divisée sur son soutien aux Kosovars et n'est pas tellement en état de se mettre en guerre contre la Yougoslavie.

Au Kosovo, le charbonnier serbe est maître chez lui. Mais il n'est plus tout à fait tout seul chez lui. On l'observe. Le Secrétaire général de l'ONU rend public tous les mois depuis la résolution 1160 de mars dernier du Conseil de sécurité (S/RES/1160 (1998) du 31 mars 1998), un rapport sur la situation au Kosovo. Et on lui rappelle ses obligations. C'est le seul succès de la communauté internationale. Sa capacité à s'émouvoir est le noyau de son activité fébrile. La Chambre des représentants des Etats-Unis a voté une loi, dès le 11 juillet 1995, spécifiant que les sanctions ne doivent être levées que si le "excessive Serbian control over Kosovo is ended". Par comparaison, le bien conciliant Rapport d'information du député Pierre Brana pour l'Assemblée nationale française, en avril 1998, justifie les actions serbes par le maintien de l'ordre et du calme, et la réaction disproportionnée des Serbes comme "soit une "bavure" des forces de l'ordre, soit une démonstration de force à des fins politiques". S'il n'était question que de cela... Insistons sur ce point : la Yougoslavie a le devoir de respecter le droit humanitaire, notamment protecteur des non-combattants, de ne pas faire un usage démesuré et disproportionné de la force, de ne pas attenter à l'existence de la minorité albanaise, de ne pas l'expulser, de ne pas la déplacer et l'affamer et de respecter les droits de l'homme. Même en temps de crise - et surtout en temps de crise ! - les droits de la personne les plus fondamentaux et le principe de non-discrimination ne doivent pas être bafoués.

Des charniers viennent d'être révélés à l'opinion mondiale. Les organisations humanitaires avaient depuis le début dénoncé des pratiques criminelles contre les populations civiles. Les témoignages, les déplacements de population (environ 50 000 personnes civiles déplacées en juin, 120 000 en août et 300 000 en septembre 1998 selon le Haut Commissariat pour les Réfugiés) et les destructions des maisons montrent que la guerre a suivi le même modèle que celle en Bosnie. Le Conseil de sécurité dans sa résolution 1199 du 23 septembre 1998 (S/RES/1199 (1998)) prise en vertu du Chapitre VII demande la fin des actions de répression contre la population civile. Le groupe de contact (Allemagne, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie et Russie) a évoqué en mars 1998 la possibilité d'étendre la juridiction du Tribunal pénal international pour la Yougoslavie (TPIY) aux crimes perpétrés au Kosovo, ce qui serait possible en vertu du statut du TPIY. La Procureur du TPIY a elle-même précisé que la situation du Kosovo était un conflit armé entrant dans le cadre du mandat du TPIY, le 7 juillet 1998. La Secrétaire d'Etat américaine, Madeleine Albright, a clairement accusé les autorités yougoslaves de "crimes contre l'humanité" le 23 septembre 1998 à New York. Elle fait écho au Sénat américain qui a demandé dans une résolution du 17 juillet 1998 que le président Milosevic soit inculpé devant le TPIY pour crime de guerre, crimes contre l'humanité et génocide.

Et la communauté internationale recommande avec vigueur de trouver une solution négociée au conflit.

VERS UN CERTAIN DROIT A L'AUTODETERMINATION INTERNE POUR LA MINORITE ALBANAISE ?

Le droit à l'autodétermination interne signifie le droit pour le peuple dans son ensemble de décider de ses institutions et de choisir ses représentants. L'interprétation minimaliste de ce droit le réduit à l'obligation pour l'Etat de conduire des élections. L'interprétation maximaliste y voit un droit pour le peuple à la démocratie libérale, complétée par la notion d'Etat de droit et de respect des droits de l'homme. Le peuple est entendu comme l'ensemble des citoyens sans distinction de race, ethnie, religion, langue, opinion politique, sexe, appartenance à un groupe social ou appartenance à une minorité nationale. Ce droit maximaliste est issu de l'interprétation traditionnelle par les pays occidentaux du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, tel qu'énoncé dans la Charte de l'ONU et dans les Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme de 1966. Il est devenu un droit coutumier depuis la fin de la guerre froide, sur les continents européen et américains, notamment grâce aux développements des actions des organisations internationales pour le maintien de la paix. Le droit international ne conçoit pas de droit à l'autodétermination interne pour les minorités ou les groupes ethniques séparément du droit pour le peuple dans son entier.

Toutefois, l'idée d'une certaine forme d'autodétermination ou d'autonomie pour ce type d'entités présente un intérêt et a été utilisée pour les conflits en Transcaucasie, en Bosnie-Herzégovine, en Croatie et à présent pour le Kosovo.

Le droit international aurait un grand mal à définir un statut d'autonomie applicable à chaque cas. Trois raisons expliquent cela : l'indépassable diversité des situations des minorités, la délicate définition de la minorité et par conséquent la difficulté de concevoir les minorités comme titulaires directs de droits internationaux. Mais le droit international peut donner des orientations et rappeler des principes fondamentaux. Ainsi il peut recommander une certaine autonomie territoriale pour les minorités territorialement implantées, majoritaires dans une région donnée. L'autonomie proposée devra s'accompagner de garanties importantes dans les sujets suivants : le respect des principes démocratiques dans la région autonome, la protection des droits de l'homme, la protection des droits des membres des minorités à l'intérieur de la région autonome ; et le cas échéant, la cessation des activités terroristes, le jugement des personnes suspectées de crimes internationaux (génocide, crimes contre l'humanité et crime de guerre principalement) et le droit au retour des groupes expulsés. Cela concerne le Kosovo directement.

La recommandation de l'autonomie apparaît dans des textes internationaux adoptés au sujet du conflit au Kosovo.

La recommandation 1360 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe du 18 mars 1998, soutient que la solution à long terme de la crise au Kosovo doit passer par une plus grande autonomie dans le cadre de la RFY. La recommandation 1368 du 22 avril 1998 ajoute que la plus grande autonomie du Kosovo doit se faire dans une Yougoslavie plus démocratique. Elle doit garantir le respect des droits de tous les groupes ethniques du Kosovo.

Le président en exercice de l'OSCE a défendu lui aussi l'idée d'un statut spécial pour le Kosovo à la réunion sur l'Initiative de l'Europe centrale le 6 juin 1998 à Bironi. Il a ajouté qu'il fallait résoudre le problème de la dichotomie entre indépendance et autonomie et qu'il fallait régler la question du fonctionnement des pouvoirs législatifs et exécutifs, la garantie de l'identité locale, la mise en place d'un gouvernement et d'un système éducatif propre au Kosovo.

Les ministres des Affaires étrangères français et allemand ont envoyé une lettre en novembre 1997 à Milosevic l'invitant à engager le dialogue afin de donner au Kosovo un statut d'autonomie, en échange d'une normalisation complète des relations entre la Yougoslavie et l'Union Européenne. (P. Brana, Une nouvelle crise dans les Balkans : la guerre au Kosovo ?, Rapport d'information n°833, de la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale française, Paris, 9 avril 1998).

La Déclaration sur le Kosovo du groupe de contact, à Washington, le 8 janvier 1998 énonce que le groupe de contact "apporte son soutien à un statut amélioré pour le Kosovo dans le cadre de la RFY. Un tel statut devrait protéger pleinement les droits des résidents albanais, serbes et autres du Kosovo, en conformité avec les normes de l'OSCE, les principes d'Helsinki et la Charte des Nations Unies." Les Etats membres de l'Union européenne partagent cette idée. Ils ont fait savoir dès le 13-14 mars 1998, au moment du sommet d'Edimbourg qu'ils soutenaient un statut amélioré du Kosovo à l'intérieur de la République fédérale yougoslave. (Déclaration de la Conférence européenne, 18 mars 1998).

Les mêmes ministres des Affaires étrangères et leurs collègues de l'OTAN affirment le 28 mai 1998 que le statu quo ne peut pas durer, ils préconisent un règlement politique prévoyant un statut différent pour le Kosovo.

De plus, l'idée d'autonomie est présente dans l'Avis n°5 de la Commission d'arbitrage de la Conférence pour la Paix en Yougoslavie, sur la reconnaissance de la République de Croatie, du 11 janvier 1992. La Commission demande à la Croatie de se conformer à certaines dispositions du Projet Carrington du 4 novembre 1994 sur un statut spécial pour les minorités. Ces dispositions sont comprises dans l'article 2, c) :
"In addition, areas in which persons belonging to a national or ethnic group form a majority, shall enjoy a special status of autonomy.
Such a status will provide for :
a. the right to have and show the national emblems of that area;
b. (deleted)
c. an educational system which respects the values and needs of that group;
d. i. a legislative body
ii. an administrative structure, including a regional police force
iii. and a judiciary
responsible for matters concerning the area, which reflects the composition of the population of the area;
e. provisions for appropriate international monitoring. (...)
"
Ce qui a valu pour la Croatie, devrait s'appliquer à la Yougoslavie, elle qui a été reconnue par des Etats comme la France, sans condition, par la reprise de relations diplomatiques et par la réouverture de l'ambassade française à Belgrade.

Et le meilleur pour la fin : le Conseil de sécurité est sorti de sa réserve dans ce domaine et a "exprimé son appui à un statut renforcé pour le Kosovo qui comprendrait une autonomie sensiblement accrue et une véritable autonomie administrative", dans sa résolution 1160 du 31 mars 1998 (reprise et confirmée par la résolution 1199). Tout perturbé par son audace, il est donc un peu confus sur l'idée d'autonomie. Le texte anglais fait en fait une différence entre "greater degree of autonomie" et "a meaningful self-administration". En vertu du langage de la Charte de l'ONU (article 73), le Conseil aurait pu utiliser pour "self-administration" la "capacité à s'administrer lui même."

Pourtant, tous les documents cités ne créent pas d'obligation pour la Yougoslavie, ni de droit pour la population albanaise à jouir d'une autonomie. Les deux résolutions du Conseil de sécurité incluent les dispositions sur l'autonomie, non dans le dispositif pris en vertu du Chapitre VII, mais dans le préambule. Cela réduit leur portée juridique. Mais par leur répétition et le fait qu'ils proposent la même solution, les textes internationaux précédemment cités créent une certaine pression sur ce pays tout en posant un cadre assez large pour la recherche d'une solution.
Ils insistent aussi sur le fait que cette solution ne pourra être imposée ni par Belgrade, ni de l'extérieur, mais doit faire l'objet d'une véritable négociation avec les Kosovars.

L'autonomie du Kosovo consisterait en plusieurs possibilités. Soit un retour à statut similaire à celui qui avait été octroyé par la constitution yougoslave de 1974. La population du Kosovo considère qu'il s'agit d'un minimum. Elle est d'avis que le direct rule de Belgrade imposé par Milosevic depuis 1989 est inconstitutionnel. Soit un statut d'Etat fédéré, comme celui du Monténégro. Ce dernier pourrait offrir de bonnes garanties d'autonomie. Belgrade résiste, et soutient qu'une trop grande autonomie ne peut conduire qu'au renforcement de la volonté séparatiste des Kosovars. Et de son côté, l'armée de libération l'UCK refuse une autonomie et ne conçoit qu'une indépendance et une réunion des autres Albanais de Macédoine et du Monténégro.

L'issue est-elle proche ? Le président Milosevic a proposé aux Albanais du Kosovo, le 1er septembre 1998, un accord intérimaire. Aux termes de celui-ci, une élection devant nommer les parlementaires d'une nouvelle assemblée serait tenue d'ici trois mois. Et dans un délai maximum de cinq ans, la population serait amenée à se prononcer sur l'institution du Kosovo en république fédérée de la Yougoslavie, au même plan que le Monténégro et que la Serbie. Il s'agit d'un "certain degré d'auto-administration" pouvant être amélioré. (Le Monde, 6-7 septembre, p. 3) Le système serait supervisé par des observateurs internationaux. Le président Rugova a accueilli la proposition favorablement le 4 septembre. Les mois prochains nous diront s'il s'agit d'une nouvelle manoeuvre dilatoire de Milosevic.

Le "modèle" de Dayton a ici une grande influence. La séparation et l'autonomie des Entités sur une base ethnique ont été considérées comme la seule solution à la crise bosniaque. Beaucoup partageront l'avis que ce montage repose sur un socle bien chancelant et que l'institutionnalisation de la division ethnique fait le jeu de la xénophobie.
Toutefois dans le cas des lendemains difficiles des conflits ethniques violents, l'octroi d'une autonomie aux groupes en conflits peut être une solution. Sauf en étant un grand ingénu, on ne peut pas dire que les ethnies revenues d'un conflit veulent toujours vivre ensemble. C'est moins la fraternité qu'anime les esprits que la vengeance et la tristesse. En revanche, il ne faut pas entériner la séparation. Une autonomie permet une certaine distance, mais qui n'est ni totale, ni définitive. Cette solution doit être trouvée sur une base négociée et doit amener dans le futur une réconciliation entre les différentes parties. Elle peut avoir un aspect temporaire. Elle doit permettre aussi, une fois la réconciliation en cours, le retour des réfugiés et déplacés.

Mais, rien n'est facile. Prônée par la communauté internationale et peut-être par Milosevic lui-même, l'autonomie du Kosovo est d'autant plus difficile à mettre en place que la guerre a créé une hostilité largement partagée par la population du Kosovo à cette solution. Elle avait plus de chance de réussir il y a un an. De plus, elle ne peut prendre sa mesure que dans un régime démocratique.

Et enfin, quand bien même le statut du Kosovo serait fixé, avec ses institutions, ses symboles et ses pouvoirs partagés avec l'Etat fédéral, il resterait un long chemin à faire pour réconcilier les Albanais du Kosovo avec les Serbes. Le droit ne pourra plus faire grand chose. La bonne volonté, le pardon, les excuses, le désir de vivre ensemble dépendront de tous et de chacun.

15 octobre 1998

(Tous les italiques sont de l'auteur)

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© 1998 Sophie Albert. Tous droits réservés.

ALBERT S. - "Le droit international et le statut d'autonomie du Kosovo". - Actualité et Droit International, novembre 1998 (http://www.ridi.org/adi).

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