Un
nouveau rapport sur le maintien de la paix :
L’Organisation
continue sa remise à plat du fonctionnement de ses opérations de
maintien de la paix. Après le « rapport Brahimi », publié
cet automne (voir notre article paru dans cette revue : Rapport
du Groupe d'étude sur les opérations de paix des Nations Unies),
le Secrétaire général a rendu au Conseil de sécurité le 20 avril
2001 un
rapport
intitulé « Pas de sortie sans stratégie » (format PDF).
Il est consacré à la fin des opérations de maintien de la paix,
c’est à dire le retrait d’une mission, que son mandat soit
accompli, ou qu’il apparaisse
clairement qu’il ne le sera jamais.
En
filigrane, c’est du critère du succès ou de l’échec d’une opération
de maintien de la paix dont il s’agit, et du partage des responsabilités
dans ce domaine entre l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité.
Malgré la pléthore de publications que suscite le maintien de la paix,
ce thème a rarement été développé (mis à part l’excellent
article de Patrick DAILLIER, « La fin des opérations de maintien
de la paix des Nations-unies », AFDI,
1996, pp. 62-78).
Nous
reviendrons en détail sur ce rapport dans un article à paraître
prochainement (cf. MONIN M., "La
prise de décision au Conseil de sécurité en matière de maintien de
la paix : « Pas de sortie sans stratégie »",
cette revue, juillet 2001).
Nouvelles
du terrain : Kosovo et Timor
Deux
nouvelles, a priori sans lien, viennent s’entrechoquer dans un
contraste saisissant : au Kosovo, les représentants de la Mission
de l'ONU (MINUK)
et les autorités serbes et yougoslaves sont tombés d'accord sur le
principe du prélèvement des impôts par la MINUK dans la province.
Dans le même temps au Timor, on peut lire sur le site
de la MINUTO que l’Autorité Transitoire a achevé son appel
d’offres afin de désigner une entreprise pour débarrasser Dili, la
capitale du territoire, de ses ordures. Le travail était auparavant réalisé
par deux entreprises, équipées de seulement deux camions, prêtés par
le PNUD.
La
mise en place d’une fiscalité autonome au Kosovo était un objectif
de longue date de la MINUK. Selon les prévisions du Secrétaire général,
les recettes locales devraient représenter 70 % des 500 millions de DM
de dépenses pour l’année 2001, contre 50 % en 2000.
Le
budget du Timor, avec les 500 millions de
dollars, peut sembler mieux fourni. Mais sur les millions annoncés, 150
n’ont pas été versés, et une part de 60 % est consacrée à la
nourriture de la population et à la construction de logements, alors
qu’au Kosovo, la MINUK ne consacre que 6 % de son budget aux « situations
d’urgence ».
Pour
le Kosovo, voir :
S/2001/218
- Rapport du Secrétaire général sur la Mission d'administration intérimaire
des Nations Unies au Kosovo, en date du 13 mars 2001.
Pour
le Timor, voir :
S/2001/42
- Rapport du Secrétaire général sur l'Administration transitoire des
Nations Unies au Timor oriental (pour la période du 27 juillet 2000 au
16 janvier 2001), en date du 16 janvier 2001.
Situation
en Bosnie-Herzégovine
Les
tensions et les frustrations au sein de la population de Bosnie ont
brutalement refait surface ces derniers temps. C’est certainement en
Bosnie que la « communauté internationale » s’immisce le
plus profondément dans les questions locales. En effet,
l’intervention internationale cherche à remodeler la société de
fond en comble, utilisant toute la palette des vastes pouvoirs attribués
au Haut-représentant par les accords de Dayton (1995).
Il
peut donc sembler logique que ce soit sur ce territoire que les réactions
hostiles à l’égard des intervenants prennent les formes les plus
violentes. Ainsi, durant le mois d’avril, de très sérieuses
manifestations ont menacé le Haut-représentant lui-même, selon le International
Herald Tribune (« In Sarajevo, Keepers of Peace Are the
Targets », 17 avril 2001), obligeant les militaires de l’OTAN à
assurer sa défense.
A
l’origine de ces remous, se trouve l’opposition entre
l’administration internationale et le HDZ, parti nationaliste croate.
Les
élections de septembre 2000 ont vu reculer l’audience du HDZ, et une
coalition de partis non-nationalistes s’est installée à la direction
de la Fédération de Bosnie-herzégovine, pendant que l’alternance
politique en Croatie faisait disparaître le soutien dont le HDZ
jouissait de la part de Zagreb. Craignant de perdre ainsi le support de
la population croate de Bosnie, le HDZ s’est engagé dans un bras de
fer avec l’administration internationale.
Ainsi, les membres du HDZ annoncèrent le 14 février qu’ils
boycotteraient la formation des exécutifs locaux et étatiques, et
effectivement, ils adoptèrent la politique de la « chaise vide »,
ne se présentant pas aux sessions. De plus, le HDZ tenta de créer des
structures parallèles croates, qui concurrençaient directement le
fragile édifice institutionnel porté à bout de bras par la communauté
internationale depuis les accords de Dayton. En réaction, le Haut-représentant
Wolfgang Petrisch démissionna le président du HDZ, Ante Jelavic, ainsi
que plusieurs membres éminents de son parti des postes où ils avaient
été élus.
La
tension monta d’un cran supplémentaire le 18 avril. Depuis un certain
temps, l’administration internationale cherchait à couper les sources
de financement du HDZ.
Le
bureau du Haut Représentant avait appris qu’il existait des liens
entre une banque, la Hercegovacka
Banka et le parti HDZ. La banque fut placée sous administration
provisoire le 5 avril. Le
lendemain, l’administrateur provisoire nommé par le Haut-représentant
vint chercher les archives et des documents dans diverses succursales de
la banque. Mais ils furent accueillis par des émeutiers furieux et déterminés
à ne pas laisser la nouvelle administration s’emparer des archives de
la banque. A la fin de la journée, 20 membres du personnel
international avaient été blessés, et aucun document n'était saisi.
Il
fut décidé de récupérer ces archives par la force, avec le soutien
de la SFOR. Ce fut donc chose faite dans la nuit du 18 avril. Un fort détachement
militaire accompagna les fonctionnaires internationaux dans leur
perquisition, et permis d’ouvrir les coffres à l’explosif.
Le
lendemain, les nationalistes croates organisèrent de violentes
manifestations durant lesquelles plusieurs membres de l’administration
internationale furent pris en otage et menacés. L’intervention de la
SFOR fut à nouveau nécessaire pour protéger le Haut-représentant de
la colère des partisans du HDZ.
La
situation est redevenue plus calme depuis, et des contacts ont repris
entre l’administration internationale et les nationalistes croates.
Ainsi, le 26 avril, Le Chef de mission de l’OSCE sur place recevait
plusieurs délégations de croates de Bosnie. Les échanges furent
qualifiés de « francs », et le dialogue de « constructif
et utile ».
Lors
de son allocution de nouvel an, le Haut-représentant W. Petrisch avait
prévenu qu’au vu de la situation économique et des perspectives d’évolution,
2001 serait l’année la plus difficile depuis les accords de Dayton.
Dans ce contexte, nul doute que la manière dont cette crise sera gérée
aura une importance décisive pour l’avenir d’une Bosnie
multiethnique.
(Sources :
OSCE, OHR, International
Crisis Group, International Herald Tribune).
Kosovo :
confusion autour du projet de cadre institutionnel
Après
le succès des élections municipales tenues au Kosovo, la MINUK cherche
à profiter de la dynamique vertueuse enclenchée. Ainsi, des « élections
générales » sont prévues pour cette année. Mais avant de tenir
ce scrutin, décisif pour le statut futur de la province, il faut définir
un statut légal transitoire pour le Kosovo. Actuellement, le seul texte
servant de base à l’organisation des pouvoirs publics est la résolution
1244 (1999) du Conseil de sécurité, qui laisse carte blanche aux
Représentants spéciaux des Nations-unies. Si Bernard Kouchner et son
successeur, Hans Haekkerup ont tout fait pour impliquer des représentants
de la population locale dans les instances décisionnelles, le temps
semble être venu de poser les premiers jalons d’institutions véritablement
démocratiques.
Le
19 avril, un projet de cadre institutionnel temporaire était présenté
par un groupe d’experts mêlant fonctionnaires internationaux et représentants
kosovars. Les réactions des kosovars albanais furent presque
unanimement négatives, à la grande déception de la MINUK. Alors que
les deux parties annonçaient avoir trouvé un accord à 99,9%, il est
apparu que les 0,1% demeurés sans réponse posaient de graves problèmes.
Tout d’abord, faut il parler de « cadre institutionnel »
ou de « constitution temporaire » ? Le président du
Kosovo sera-t-il élu ? Quel rôle devra jouer la Cour
constitutionnelle ?...
Lors
de la rédaction du document, les espérances de la population avaient
été entretenues par les déclarations de membres de la MINUK, qui
annonçaient vouloir rendre aux kosovars le contrôle sur les organes de
décision. En fait, ce « cadre institutionnel » ne prévoit
que la création d’organes locaux destinés à travailler en
collaboration avec la MINUK, et la mise en place d’une instance chargée
de négocier sur tous les problèmes futurs du Kosovo, y compris le
statut final. Ces avancées modestes ont certainement déçues la
population, qu’on avait préparé à un projet bien plus ambitieux.
Pire
encore, aux yeux des kosovars, les organes locaux semblent ne disposer
que d’un pouvoir formel : le représentant spécial gardant son
pouvoir discrétionnaire de veto sur tout acte normatif. Les deux
parties sont accusées de n’avoir pas cherché à créer un cadre
viable, mais à s’assurer du maximum de pouvoir chacun. Un autre
reproche revient de manière récurrente : les négociateurs se
seraient plus attachés au respect de la résolution 1244 qu’au développement
du bien-être, de la démocratie et de l’économie locale. Les
critiques les plus virulents condamnent les futures institutions comme
non-démocratiques. Le représentant spécial serait à la tête de tous
les services et les organes du Kosovo, selon le document, et il est dit
que le seul pouvoir dont il ne dispose pas serait celui de guide
spirituel de toutes les confessions de la province (pouvoir dont il se
passera sans doute volontiers…).
Quelles
que puissent être les critiques de la partie kosovare, les Nations
unies ne semblent pas disposées à changer de stratégie. Ainsi au
paragraphe 40 de son rapport du 20 avril 2001 (S/2001/394,
précité), le Secrétaire général aborde explicitement la question du
mandat de la MINUK et des conditions de son retrait : «
Conformément à son mandat, la MINUK a commencé à transférer une
autonomie et une autorité croissante au Kosovo, tout en évitant de
prendre quelque mesure que ce soit qui pourrait préjuger quand au
statut final. Pour cela, mon Représentant spécial devra conserver
certains pouvoirs (…) ».
Il
est certain que l’arrivée au pouvoir du président Kostunica à
Belgrade, et le début de guérilla qui naît en Macédoine font du tort
à la cause d’un Kosovo indépendant. Et si les combats devaient
s’aggraver en Macédoine, peut-être verrons-nous l’UCK passer du
statut de défenseur des albanais injustement agressés à celui de
terroristes. D’Afghanistan au Kosovo, les démocraties choisissent
tout de même parfois bien mal leurs alliés…
Le
moment n’est donc certainement pas le plus propice pour entamer la
discussion sur le statut final du Kosovo. Mais en l’espèce, il n’y
a pas de choix à faire, ce sont les événements qui imposent la
cadence. On serait tenté de dire que c’est aujourd’hui qu’au
Kosovo, les choses sérieuses commencent.
Ainsi,
tous semblent craindre que n’aient été plantées les germes d’une
rivalité entre les kosovars et l’administration internationale :
de tous les scénarios possibles, ce serait le pire.
(Sources :
MINUK, Alternativna
Informativna Mreža,
sur www.aimpress.org).
Matthieu Monin
9 mai
2001
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